De la poésie sacrée

chez les prophètes

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

C. L. MOLLEVAUT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si la poésie sacrée est fille du ciel, et si la parole de Dieu passait sur les lèvres des prophètes, les livres des Hébreux doivent être marqués d’un sceau divin : leurs pensées, leurs images, leurs expressions ne doivent avoir rien de mortel, et c’est la source pure où le génie doit puiser de sublimes inspirations dans le plus utile et le plus noble, des arts, la poésie ! Elle a servi d’abord à proclamer les oracles de l’Éternel, à graver dans le cœur de l’homme les maximes de la sagesse et les antiques faits de l’histoire ; elle donne et reçoit la plus belle immortalité, et son origine, dit Lefranc de Pompignan, remonte au souverain Créateur.

La Harpe n’hésite point à mettre les écrivains sacrés au-dessus des écrivains profanes. Qui ne serait de son avis ? Les seconds, il faut le dire, ne sont pas, autant que les premiers, simples et sublimes, touchants et gracieux, profonds et instructifs ; ils de fécondent pas autant la pensée, ils n’entraînent pas comme eux l’imagination, le cœur et l’esprit. Dans la poésie lyrique surtout, le vol des prophètes s’élève sur les ailes de l’inspiration, à une hauteur que nul génie n’atteindra jamais, et c’est de là que leur essor impétueux fond sur vous comme l’éclair. « Vous restez, dit Chateaubriand, fumant et sillonné par la foudre, avant de savoir comment elle vous a frappés. »

Le premier des poètes lyriques, c’est David, prophète-roi, tige sainte du Messie. Dès l’âge de quinze ans, il reçoit de Samuel l’onction royale ; quelques années plus tard, il terrasse le géant Goliath, commande à sa harpe de calmer le délire d’un roi réprouvé, ne répond à ses jalouses fureurs qu’en épargnant deux fois sa vie ; et quand l’oint du Très-Haut périt sur la montagne de Gelboé, la douleur de David s’écrie :

 

Saül et Jonathas ! ô désastre cruel !

Comment n’êtes-vous plus, tous, les forts d’Israël ?

 

C’est par cette grandeur d’âme que David préludait à ses illustres destinées ; c’est par la magnanimité de sa clémence qu’il se montrait le noble précurseur du Christ.

Roi de Jérusalem, vainqueur de ses rivaux et de ses ennemis, David conçoit le dessein d’élever au Seigneur un temple digne de sa majesté : il prépare les plans, consulte tous les arts, et amasse les trésors nécessaires à ce grand ouvrage, réservé à Salomon. Mais le plus bel ornement de ce temple, celui qui devait résister à sa destruction, comme à celle de tant de chefs-d’œuvre littéraires, ce sont les Psaumes de David, monument éternel de génie, de science et de poésie.

Ces psaumes, qui, d’après le savant Vignier, retentissaient, chantés jour et nuit dans le temple de Salomon, aux accords imposants des cymbales, des harpes et des psaltérions ; ces psaumes, que le père Lelong et Contant de La Mollette ont montrés occupant les veilles assidues de 1,300 écrivains ; ces psaumes, qui, traduits dans presque toutes les langues, et même en vers turcs, selon le Voyage de Spon, ont, en prose française, occupé : Sacy, Le Gros, Berthier, Pluche, La Harpe, Vignier et Agier ; en vers français ont inspiré plus de cent poètes : Marot, Bèze, Desportes, Michel de Maillac, Antoine Godeau, le président Nicolle, Guillaume du Vair, Malherbe, Lingendes, Racan, mademoiselle Chéron, le cardinal de Boisgelin, surtout Racine et J.-B. Rousseau, qui leur doivent quelques-unes des plus parfaites harmonies dont s’honore la poésie française.

Tant de travaux sur les psaumes n’étonneront pas, si quelques citations rapides proclament de nouveau leur excellence, et ce caractère d’inspiration qu’y reconnaissent saint Augustin, Théodoret et le grand Bossuet.

Indigné contre un délateur, David s’écrie :

« Voici le fort qui n’a point choisi le Seigneur pour son asile ; il s’est confié dans ses trésors, il s’est glorifié dans son néant. » Se glorifier dans son néant, contraste sublime !

Peint-il l’insolence et la prospérité des méchants : « Leur iniquité sort tout orgueilleuse du sein de leur abondance. Ils sont comme enveloppés de leur impiété. Le méchant a été en travail pour produire l’iniquité ; il a conçu la mort et enfanté le crime. »

Veut-on opposer à cette énergie de pensées la douce tristesse des paroles : « Les jours de l’homme sont comme l’herbe ; sa fleur est comme celle des champs : un souffle passe, la fleur tombe, et la terre qui l’a portée ne la reconnaîtra plus. » Aucun poète n’a dit : « Et la terre qui l’a portée ne la reconnaîtra plus. »

Au premier livre de l’Énéide, la description d’une tempête est un chef-d’œuvre ; mais je trouve au psaume 106 une description plus admirable encore.

Éole veut-il déchaîner la tempête : « Du revers de son sceptre, dit Virgile, il frappe le flanc de la montagne ; elle s’ouvre : tous les vents, telle qu’une grande armée, se précipitent, et leurs tourbillons ravagent les campagnes. »

David dit : « Le vent de la tempête est debout, les flots se sont soulevés. » L’image est plus vive, plus hardie.

Virgile met-il les mers en mouvement : « Une montagne liquide élève ses vagues escarpées : les uns sont suspendus sur la cime des flots ; l’onde s’ouvre, et montre aux autres la terre entre les mers : le sable furieux bouillonne. »

David ici est plus poète encore : « Les navigateurs montent aux cieux, descendent aux abîmes. » Quelle rapide opposition dans monter et descendre !

 

          Clamorque virum stridorque rudetum.

Les clameurs des guerriers et le cri des cordages.

 

harmonie imitative parfaite ! Mais si le psalmiste s’écrie : Anima eorum in malis labescebat, leur âme se dissout parmi tant de maux ! C’est une harmonie supérieure à celle de Virgile : l’une va aux oreilles, l’autre va à l’âme.

Le discours d’Énée au milieu de l’orage, celui de Neptune aux vents, toute la fin de cette tempête sont d’un grand poète ; mais ces paroles sont d’un poète inspiré : « Dans leur infortune, ils crient vers le Seigneur y et le Seigneur les sauve de leur détresse. »

Les anciens peignent quelquefois à grands traits la puissance du roi de l’Olympe : « Jupiter, dit Pindare, accomplit tout selon sa volonté ; il atteint l’aigle aux ailes rapides, il devance le dauphin dans les mers, il courbe l’orgueil de l’homme superbe, et donne à la modestie une gloire impérissable. »

Dieu dit : « Que la lumière se fasse, et la lumière se fit. » Comparez !

Certes, si le Dieu de Virgile jure par le Styx, il faut admirer la beauté de ces vers :

 

                       …….Stygii per flumina fratris,

Per pice torrentes atraque voragine ripas,

Annuit ; et totum nutu tremefecit Olympum.

 

« Il dit, et, attestant les fleuves des enfers qui roulent de noirs torrents de bitume, il s’incline : à ce signe, tout l’Olympe a tremblé. »

Jéhovah ne dit que ces mots : « J’en ai fait le serment, j’ai juré par moi-même, per memetipsum juravi. » Voilà le serment d’un Dieu !

Enfin, dans les plus beaux vers de Virgile, montrons non seulement le courroux de Jupiter, mais celui de tous les dieux arrachant à l’envi les fondements de Troie :

 

Neptunus muros magnoque emota tridenti

Fundamenta quatit, totamque a sedibus urbem

Eruit. Hic Juno Scaeas saevissima portas

Prima tenet, sociumque furens a navibus agmen

Ferro accincta vocat.

Jam summas arces Tritonia, respice, Pallas

Insedit, nimbo effulgens et Gorgone saeva.

Ipse pater Danais animos viresque secundas

Sufficit, ipse deos in Dardana suscitat arma.

 

De son trident vengeur là Neptune foudroie,

Ébranle tout entière et déracine Troie ;

Là, couverte de fer, debout sur les débris,

Junon tonne, appelant Sa cohorte à grands cris

Du haut des tours, Pallas, qu’un nuage environne,

Étincelle des feux de l’horrible Gorgone ;

Jupiter donne aux Grecs la force et la valeur ;

Il leur donne les dieux, tous les dieux en fureur.

 

À côté du courroux de ces faux dieux, placez un instant celui de Jéhovah, et vous faites rentrer dans le néant toutes les divinités du paganisme : « Sa colère a monté comme un tourbillon de fumée ; son visage a paru comme la flamme, et son courroux comme un feu ardent. Il a abaissé les cieux, il est descendu, et les nuages étaient sous ses pieds ; il a pris son vol sur les ailes des Chérubins, et s’est élancé sur les vents. Les nuées amoncelées formaient autour de lui un pavillon de ténèbres : l’éclat de son visage les a dissipées, et une pluie de feu est tombée de leur sein. Le Seigneur a tonné du haut des cieux ; le Très-Haut a fait entendre sa voix, sa voix a éclaté comme un brûlant orage. Il a lancé ses flèches et dissipé mes ennemis ; il a redoublé ses foudres qui les ont renversés. Alors les eaux ont été dévoilées dans leurs sources, les fondements de la terre ont paru à découvert, parce que vous les avez menacés, Seigneur, et qu’ils ont senti le souffle de votre colère ! » « Avouons-le, dit La Harpe, il y a aussi loin de ce sublime à tout autre sublime, que de l’esprit de Dieu à l’esprit de l’homme. »

Isaïe, fils d’Amos, prophétisa sous les règnes de Joatham, d’Achas et d’Ézéchias. Pendant soixante-deux ans, il remplit, dans un style divin, la plus dangereuse, mais la plus honorable des missions, celle de dire la vérité aux grands de la terre. Pour avoir reproché à Manassès ses désordres et son impiété, il fut scié en deux, et mourut à près de cent ans, laissant son bourreau couvert d’un éternel opprobre, et montant au ciel la main ornée de la palme des martyrs, le front couvert des rayons d’une gloire immortelle.

Ceux qui voudront pénétrer les secrets de ses ouvrages doivent consulter, parmi les nombreux commentateurs d’Isaïe, Aben-Ezra, David Kimchi, saint Jérôme, Vitringa, Leclerc, Sanctius, Rosen-Müller, dom Calmet, l’abbé Daguet et le savant père Berthier.

Quant aux beautés de sa diction, nul ne les a mieux fait connaître que le célèbre docteur Lowth : « Ce prophète, dit-il, abonde tellement en mérite de toute espèce, qu’il est impossible de se former l’idée d’une plus haute perfection. Élégant et sublime, orné et grave à la fois, il réunit à un degré merveilleux l’abondance et la force, la richesse et la majesté. Dans ses pensées, quelle élévation, quelle magnificence, quel enthousiasme divin ! Dans ses images, quelle exacte convenance, quelle richesse, quel éclat, quelle fécondité ! Dans son élocution, quelle élégance singulière ! et, au milieu de tant de ténèbres, quelle lumière étonnante ! À tant de qualités ajoutons encore un si grand charme dans la construction poétique de ses périodes, soit qu’il faille la regarder comme un don heureux de la nature, soit qu’on doive l’attribuer à l’art, que, s’il existe encore quelques traces de la beauté et de la douceur primitive de la poésie des Hébreux, c’est principalement dans les écrits d’Isaïe qu’elles se sont conservées, et qu’il est possible de les retrouver. »

Ajoutons à ce magnifique éloge un seul éloge plus magnifique encore : citons quelques passages de ce grand prophète.

En parlant d’Israël : « J’ai fait de toi, dit-il, un traîneau, une herse neuve, hérissée de dents : tu foules les montagnes et tu les écrases ; tu réduis les collines en poudre comme la paille ; tu les vannes, et le vent les emporte, et les tempêtes les dispersent au loin. »

Ailleurs, il dit : « Que la terre chancelle en sa frayeur, telle qu’un homme dans l’ivresse : elle sera transportée comme une tente dressée pour une nuit. »

Si le Seigneur punit la Judée : « Il étend sur elle le cordeau de la dévastation et l’aplomb de l’ignominie, et l’armée céleste sèche d’effroi ; les cieux eux-mêmes se roulent comme un livre ; toute leur armée tombe, comme la feuille flétrie se détache du cep, et la figue sèche de l’arbre qui l’a portée. »

Quel tableau terrible, si le prophète vous montre le Messie ! « Armé de la puissance de son père, s’avançant, revêtu d’une pourpre éclatante, à travers les bataillons renversés des grands de la terre, il les foule aux pieds dans sa fureur vengeresse, semblable au vigneron qui, dans la cuve où bouillonne un vin nouveau, bondit sur les raisins entassés et les écrase : le carnage a souillé ses pieds, et le sang dégoutte de ses vêtements. » Certes, aucune poésie n’offre les traces de pareilles beautés !

Isaïe, si habile dans l’exécution, ne l’est pas moins dans la composition de ses ouvrages. N’en citons pour preuve que son chapitre XIV, « le châtiment du roi de Babylone » : c’est peut-être l’ode la plus parfaite que présente aucune langue.

Quel début animé et quelle figure hardie, que cette voix des cèdres du Liban qui se lève pour insulter le tyran mort !

 

Ô Liban ! mont sacré ! tu tressailles de joie,

Et tes cèdres ont dit, en relevant leur front :

« Le gouffre de la mort a dévoré sa proie.

D’une hache insolente il faut braver l’affront. »

 

Et que dire de ces tyrans qui, dans les enfers, se penchent pour reconnaître le roi d’Assur, et s’écrient frappés d’étonnement : Il est semblable à nous ! nostri similis effectus est. Le moi ! de Médée, le qu’il mourut ! rien n’approche de ce mot : il ne pourrait trouver son équivalent que dans les livres saints.

Un poète grec ou latin aurait dit : Comme un astre éclatant tu brillais dans les cieux ; le poète hébreu, plus hardi, fait du roi un astre même ;

 

Magnifique flambeau, dominateur du monde,

Toi dont aucun regard ne soutenait l’ardeur,

Quel bras t’a donc plongé dans cette nuit immonde.

Et de tant de rayons éclipsé la splendeur ?

 

Enfin, quel poète inspiré, quel orateur de la chaire a fait pâlir comme Isaïe, s’il nous offre le profond néant des grandeurs humaines ?

 

Son pouvoir, qui si haut élevait sa démence,

Dieu l’a précipité dans les plus bas revers :

Et que lui reste-t-il de son empire immense ?

Pour lit la pourriture, et pour manteau les vers.

 

Athènes et Rome n’ont pas aussi bien connu que Sion le langage de la tristesse. Le peuple hébreu, longtemps en Égypte sous le faix d’un cruel esclavage, obligé de s’en arracher, et de s’établir au loin en se frayant une voie à travers les flots, les déserts et les nations féroces ; ce peuple, échangeant le pouvoir des pontifes contre celui des rois, se divisant en deux parts et se dévorant lui-même ; jeté par ses discordes dans le sein de Babylone, rendu à ses foyers pour ramper sous des maîtres faibles, et tomber à la fin sous le joug de Rome et sous le glaive de Titus ; ce peuple nourri de tant de vicissitudes et de douleurs dut savoir les faire parler. Aussi les âmes les plus froides sont-elles émues, soit que Job nous présente toutes les misères de l’homme, soit que David se plaigne des jalouses fureurs de ses ennemis, soit que Jérémie déplore les crimes et les calamités de sa patrie.

Jérémie est, de tous les prophètes, celui qui est allé le plus loin dans cette science d’éveiller, de nourrir l’affliction de l’âme, et de faire couler des larmes abondantes. Saint Jérôme lui reproche, il est vrai, quelques grossièretés de langage ; mais ces six derniers chapitres offrent une élégance de style presque digne de celle d’Isaïe.

« J’ai porté mes regards, dit-il en parlant de la Judée coupable, sur cette terre, je l’ai vue dépouillée et sans forme ; je les ai portés vers les cieux, ils ne brillaient plus ; j’ai regardé les montagnes, elles tremblaient ; toutes les collines s’entrechoquaient violemment ; j’ai regardé, il n’y avait plus d’hommes, et tous les oiseaux du ciel avaient disparu ; j’ai regardé, j’ai vu le Carmel désert, et toutes les cités détruites, ô Seigneur ! par le feu dévorant de ta colère. »

Veut-on des expressions hardies ? « Ô glaive du Seigneur ! ne te reposeras-tu point ? Rentre dans le fourreau, arrête-toi, et demeure en silence. Comment se reposerait-il, lorsque le Seigneur lui intime ses ordres, lorsqu’il lui a donné rendez-vous aux champs d’Ascalon, sur les rivages de la mer ! »

Le glaive qui demeure en silence, qui reçoit des ordres, qui a un rendez-vous aux champs d’Ascalon, c’est là encore un langage, privilège exclusif des prophètes.

On en peut dire autant de ces images : « Ô cieux ! frémissez d’étonnement ; portes du ciel, pleurez, et soyez inconsolables, car ils ont commis deux crimes ; ils m’ont abandonné, moi qui suis une source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes entr’ouvertes qui ne peuvent tenir l’eau..... »

Quant aux saintes élégies de Jérémie, tout est loué dans ces mots de Bossuet : « Jérémie est le seul qui ait égalé les lamentations aux douleurs. »

« Ézéchiel est terrible, véhément, tragique, toujours sévère et menaçant ; ses pensées sont hautes, pleines de feu, dictées par la colère et l’indignation. Son style est grand, plein de gravité, austère, un peu rude, et quelquefois négligé... Vaincu peut-être dans tout le reste par plusieurs des autres prophètes, il n’a jamais été égalé dans le genre auquel la nature semblait l’avoir uniquement destiné : c’est-à-dire, en énergie, en véhémence, en grandeur. »

À ce jugement, le docteur Lowth pouvait ajouter qu’Ézéchiel étonne par des conceptions si extraordinaires, que l’esprit confondu ne sait ce qu’il doit le plus admirer : ou de l’audace du plan, ou de l’audace de l’expression.

Les tribus d’Israël sont captives à Babylone ; Ézéchiel veut-il leur annoncer un prochain retour dans la patrie : « L’Éternel me transporte au milieu d’une campagne couverte d’ossements, il me dit : Fils de l’homme, croyez-vous que ces os puissent revivre ? Je lui réponds : Seigneur Dieu, vous le savez. Il continue : Prophétisez ! j’obéis. Voilà qu’au même instant tous ces os s’agitent à grand bruit, s’approchent, se placent dans leurs jointures, se lient par des nerfs, et se couvrent de chair et de peau. L’esprit n’y était point encore ; Dieu m’ordonne de l’appeler des quatre vents : soudain les morts revivent, se dressent sur leurs pieds, et forment une armée innombrable. Ô mon peuple ! vous êtes ces ossements desséchés ; mais je vais ouvrir vos sépulcres, et vous rentrerez dans la terre d’Israël. »

Horace, voulant déplorer les maux de la république, la compare à un vaisseau battu de la tempête ; mais comme son astre poétique pâlit devant celui du prophète, s’il montre la ruine de Tyr sous la même image !

« Ô Tyr ! les peuples n’ont rien oublié pour votre beauté ; ils ont fait votre vaisseau des sapins de Sanir ; ils ont pris pour mât un cèdre superbe ; les chênes de Basan formaient vos rames, l’ivoire de l’Inde brillait sur vos bancs ; le lin d’Égypte s’est déployé en voiles, l’hyacinthe et la pourpre d’Élisa ont fait votre riche pavillon ; les habitants de Sidon et d’Arad ont été vos rameurs, et vos sages, ô Tyr ! sont devenus vos pilotes. »

À ces détails si riches succède une magnifique description de l’opulence et du commerce de Tyr ; puis le prophète, ressaisissant son allégorie avec plus de vigueur : « Vos rameurs, ô Tyr ! vous ont conduit sur les grandes eaux ; mais le vent du midi vous a brisé au milieu de la mer. Vos richesses, vos trésors, vos pilotes, vos soldats, tout votre peuple s’engloutissent ensemble dans l’abîme des ondes ; les clameurs et les plaintes de vos nochers épouvantent les flottes entières. Elles s’écrient : « Où trouver une ville semblable à Tyr, qui est devenue muette au sein des mers !... »

Cette fiction vous ferait croire que vous êtes arrivé aux dernières limites du beau, si en ouvrant le chapitre XVI d’Ézéchiel, vous ne trouviez une allégorie plus mâle et plus soutenue encore. Le prophète veut reprocher à Jérusalem ses crimes et son ingratitude : il la représente sous les traits d’une femme jetée nue au seuil de la vie et baignée dans le sang : « Elle a été recueillie par le Seigneur, qui l’a élevée, enrichie, parée du diadème. Pour tant de bienfaits, elle a renié Dieu, encensé les idoles, commis tous les forfaits. » Cette fiction véhémente est si pleine de beautés, que le poète semble s’être précipité par-delà toutes les bornes prescrites au génie de l’homme.

Comment rendre tant de merveilles ? Comment en approcher même ? Combien l’imitateur en vers français doit réclamer et obtenir d’indulgence, s’il cherche à révéler cette langue, modèle de tous les sublimes ; et si, dans la poésie la plus élevée, il tente de soutenir, comme elle, une seule métaphore en des poèmes entiers, conservant les pensées, les images et les expressions des livres saints !

 

 

C. L. MOLLEVAUT, de l’Institut.

 

Paru dans La France littéraire en 1832.

 

 

 

 

 

 

 

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