Gabrielle de Coignard
(Morte en 1594)
Notice biographique extraite de :
Jeannine MOULIN, La poésie féminine, Seghers, 1966.
Cette femme poète dont on ne parle presque jamais est l’une des plus importantes personnalités féminines de son siècle.
Son mari, Pierre de Mansencal, sieur de Miremont, président de la Cour du parlement de Toulouse, la rendit si heureuse qu’elle demeura inconsolable de sa mort : « Ne me parlez jamais de me remarier... » Sa vie allait désormais être consacrée à l’éducation de ses enfants et aux œuvres de piété. Sa seule distraction fut de rimer quelque deux cent cinquante sonnets que ses filles publièrent après sa mort.
Le sens de la grandeur qui les anime, la fraîcheur de leurs images, l’âpreté dans la douleur et la tendresse dans l’amour n’ont pas vieilli. Marcel Raymond range Gabrielle du Coignard parmi les poètes dont la « brusque et forte poésie » se rattache encore à l’âge précédent et qui feront contrepoids à Malherbe. Les sonnets de la Toulousaine évoquent rarement l’amour profane mais conduisent loin des détroits où le cœur a passé vers le céleste pays; on y voit dénoncées, avec un réalisme bouleversant, les lâchetés de la conscience et du corps. Est-ce sous l’influence des prédicateurs que Gabrielle de Coignard insulte la chair, cloaque de vermine, pâture des serpents ? Toujours est-il qu’elle le fait avec une vigueur et une colère qui ne lui ôtent toutefois rien de sa lucidité d’artiste. Elle pèse les mots, étudie les effets des résonances, tire de son sujet une grande diversité de sentiments. Mystique, les yeux noyés de larmes, elle ne demande qu’à être châtiée: « Perce-moi l’estomac d’une amoureuse flèche. »
Tendre, elle trouve, sur le plan de la ferveur, des accents humbles et passionnés qui sont à rapprocher de ceux d’une Louise Labé.
Tourmentée, elle dit son effroi devant la mort et l’enfer, son sentiment de fragilité devant la toute-puissance divine en des poèmes-cris de la plus haute intensité : « Ah! ne me laisse pas aux abîmes descendre ! » C’est une des rares femmes poètes du XVIe siècle qui perçoive la magique beauté de l’univers. Peut-être est-ce sous l’influence de Ronsard qu’elle se délecte de la nuit ombreuse, paisible et sommeillante ou du doux bruit des coulantes fontaines et des oiselets. Le goût des paysages désolés et de la solitude, que développeront un jour les romantiques, s’exprime aussi chez celle qui vécut loin des tourbes mondaines et qui, aux moments des loisirs, filait humblement sa quenouille, sans jamais se douter que de rares mais doctes critiques seraient un jour intéressés par sa modeste personne.
De toute son existence, nous ne connaissons que peu de chose: son deuil, sa peine de voir ses « filles en enfance, orphelines de père et sans nulle défense », la maladie qu’elle soigna au moyen de « mille herbes salutaires »..., et cet amour du Christ « Tournant seul le pressoir des cruelles vendanges... » dont elle peint admirablement la puissance et le dénuement.
OEUVRE : Œuvres chrétiennes de feue dame G. de C., veuve à feu M. de Mansencal, sieur de Miremont..., Toulouse, Pierre Iagourt et Bernard Carles, 1594, Tournon, Jacques Faure, 1595 (rééd. Macon, Protat frères, 1902).