La Lituanie et ses légendes

 

NOTE LUE À LA SOCIÉTÉ KHÉDIVIALE DE GÉOGRAPHIE DU CAIRE

le 29 avril 1890.

 

 

 

 

par

 

 

 

 

Anna NEUMANN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

..... Dans la région nord-est de l’Europe, sur le versant de la mer Baltique, s’étend, entre deux de ses principaux affluents, la Dzwina et le Niémen, une vaste contrée peu accidentée, mais fertile, sillonnée de nombreux cours d’eau et parsemée de grands lacs, dont la surface azurée miroite dans l’encadrement d’immenses forêts de chênes et de sapins.

Ce pays est la Lituanie qui, indépendante jadis, a eu ses jours de gloire et de puissance dans les annales historiques du nord. C’est la Lituanie habitée par un peuple robuste, honnête et vaillant, d’un naturel calme, mélancolique et rêveur, mais en même temps énergique. Tenace dans ses habitudes et ses croyances, il a religieusement conservé jusqu’à nos jours une grande partie des traditions et des coutumes de ses ancêtres.

..... Les habitants de la Lituanie nous offrent un exemple frappant, et sans doute unique en Europe, de cette vitalité persistante, chez un peuple, de son individualité primitive, tant sous le rapport ethnologique que sous le rapport psychologique et intellectuel ; à ce point de vue surtout, cette contrée mérite d’attirer l’attention de ceux pour lesquels la plus attachante des études est celle des origines des peuples et qui aiment à en retrouver dans le présent des témoignages vivants et irrécusables.

Les Lituaniens furent les derniers néophytes de la foi chrétienne en Europe. Ce n’est qu’à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe qu’ils embrassèrent le christianisme, par suite de leur union avec la Pologne. Cependant les croyances païennes étaient si profondément enracinées dans l’âme tenace de ce peuple que, au dire de certains écrivains, on trouvait encore, il y a deux siècles, au fond des forêts de la Lituanie, des paysans adorant leurs anciennes divinités sous les vieux arbres sacrés que révéraient leurs aïeux.

Bien que volontairement réunis à la Pologne, à laquelle ils donnèrent la glorieuse dynastie des Jagellons (1386-1572), les Lituaniens n’appartiennent nullement à la famille des peuples slaves. Ils n’ont de commun avec ces peuples que cette origine lointaine, perdue dans la nuit des âges préhistoriques, qui rattache les diverses races peuplant l’Europe à la même souche primitive des Aryas habitant les hauts plateaux et les montagnes de l’Indo-Perse... Ils appartiennent à la dernière migration aryenne en Europe, bien postérieure aux précédentes invasions et qui eut lieu au VIIe siècle avant Jésus-Christ. Leur venue relativement tardive explique suffisamment pourquoi leur langue se rapproche, bien plus que tous les autres idiomes indo-germaniques, de la langue primitive de leurs ancêtres communs, c’est-à-dire du sanscrit.

Les peuplades aryennes, qui prirent possession des territoires compris entre la mer Baltique, la Basse Vistule et le golfe de Finlande, se partagèrent en diverses tribus désignées sous les noms de Lettons ou Lotiches, de Kourones, de Sémigales, de Samogitiens, de Prussiens, de Lituaniens. En lutte continuelle contre les peuples germains et slaves, qui les entouraient de tous côtés, ces peuplades finirent pour la plupart par disparaître, chassées par des adversaires, qui joignaient à la supériorité du nombre celle d’une civilisation plus avancée. C’est ainsi que les Prussiens, obstinément attachés au paganisme, furent exterminés, après un siècle de résistance désespérée contre les Chevaliers Teutoniques. Le pays conquis par leurs vainqueurs, entre la Vistule et le Niémen, conserva le nom de Prusse, qui devint plus tard celui d’une puissante monarchie. Les Lettons et les Kourones furent subjugués à leur tour par un ordre monastique et militaire allemand, celui des Chevaliers Porte-Glaive. Seuls les Lituaniens et les Samogitiens parvinrent, par des prodiges de vaillance, à maintenir leur indépendance. Ils fondèrent même avec le temps un puissant état, qui, devenu redoutable à tous ses voisins, s’accrut démesurément après l’envahissement de la Russie par les Tatars, en étendant sa domination sur tous les pays riverains du Dniepr et de la Dzwina.

Une ère nouvelle s’ouvrit pour la Lituanie par suite du mariage de son grand duc, Jagietto ou Jagellon, avec la reine de Pologne Hedvige, petite-fille de Casimir le Grand et fille de Louis d’Anjou roi de Hongrie (1386). À l’exemple de leur prince, les Lituaniens reçurent en masse le baptême et par l’effet de leur esprit essentiellement religieux et porté au mysticisme, ils devinrent avec le temps de fervents adeptes de la foi catholique. La noblesse lithuanienne adopta bientôt les mœurs plus policées et la langue des Polonais, mais le peuple resta jusqu’à nos jours fidèle aux coutumes et à la langue de ses ancêtres, que parlent encore deux millions d’habitants de la Lituanie, de la Samogitie et de quelques districts de la Prusse orientale. Celle langue, bien qu’elle n’ait que bien peu de monuments écrits, a été étudiée avec intérêt, depuis Bopp et Klaproth, par les plus éminents philologues, qui ont constaté sa dérivation directe du sanscrit ou plutôt du prâ-scrit, langue vulgaire des anciens Indous. Une preuve non moins certaine des affinités de race des Lituaniens avec les peuples de l’Inde est fournie par leur ancienne mythologie, qui rappelle d’une manière frappante les croyances des sectateurs de Brahma. Nous retrouvons dans cette mythologie la trinité indienne de Brahma, Vichnou et Siva, sous les noms de Perkounas, Atrimpos, Poklous. Cette trinité n’est que la manifestation diverse, dans le monde créé, du dieu suprême, invisible, insondable, d’où tout émane et en qui tout retourne, du Atma-para Brahma des Brahmanes, le Pramzimas des Lituaniens. Ce dieu, unique comme créateur, est multiple dans ses attributs, qui prennent peu à peu les formes des divinités secondaires ou Vedas. Les Lituaniens en adoraient une multitude, qui toutes avaient leur divinité analogue dans le culte des Indiens.

A côté de leur mythologie empruntée aux doctrines panthéistes des Brahmanes, les Lituaniens admettaient aussi le dualisme des Zends, le dieu de lumière et le dieu des ténèbres, ou le principe du bien et le principe du mal, se partageant le monde et en lutte éternelle pour en conquérir la domination. Jusqu’à présent, les forêts silencieuses et les lacs argentés de la Lituanie sont peuplés, selon la croyance populaire, de bons et de mauvais génies que l’on doit également craindre et respecter.

Le culte du feu, en honneur chez les sectateurs de Zoroastre, l’était aussi chez les Lituaniens. Une de leurs principales divinités était la déesse Praurime, symbole de la mère nature, du principe fécond, de tout ce qui a été créé, répondant à la fois à l’Isis-Neith des Égyptiens et à la Vesta des Latins. Dans le sanctuaire de cette déesse brûlait le feu éternel appelé Znicz. À l’entretien et à la garde de ce feu étaient préposées des vierges portant le nom de Vaïdelottes ; ce nom désignait aussi les sacrificateurs et les chanteurs attachés au service des autels. Une catégorie supérieure de prêtres, nommés Krévès, formait une caste sacerdotale privilégiée, entourée par le peuple d’un profond respect. À la tête de cette caste, était le grand prêtre portant le titre de Krévè-Kréveïté, issu, par son ancêtre Prouto, de la race des dieux, et dont le pouvoir surpassait celui des rois eux-mêmes. La résidence de ce grand prêtre était primitivement à Romové, dans l’ancienne Prusse, temple érigé sous le règne du roi Vèïdavoutis, qui régnait à la fois sur les Prussiens et sur les Lituaniens. Ce temple fut pendant longtemps le centre religieux de ces peuples ; après sa destruction par les Chevaliers Teutoniques et l’asservissement de la Prusse, Wilno fut le siège du Krévè-Krévéïté, jusqu’à l’abolition du culte païen par le grand duc Jagellon.

On ne trouve en Lituanie que peu de vestiges des anciens temples. Le zèle religieux du clergé chrétien fit sans doute détruire de fond en comble tous les édifices consacrés à l’idolâtrie. On sait du reste que les sacrifices et les mystères religieux étaient très souvent célébrés au fond des forêts, au pied des arbres sacrés. Ce culte des arbres nous rappelle vivement le Soma des Indiens, arbre consacré aux dieux et d’ont la sève servait à arroser les offrandes. Aujourd’hui encore certains vieux arbres sont l’objet d’une sorte de culte superstitieux de la part des paysans lithuaniens. Presque chaque village possède un chêne ou un hêtre, plusieurs fois séculaire, vieillard vénéré qui fut jadis témoin du culte païen des ancêtres. Malheur à celui qui oserait mutiler un tel arbre, abattre une de ses branches ! En punition de son sacrilège, il serait frappé de la foudre, d’après la croyance populaire, ou périrait par un accident quelconque.

Les serpents, animaux sacrés pour les anciens Lituaniens, jouissent encore d’un grand respect chez leurs descendants. On voit fréquemment dans les chaumières des paysans des serpents apprivoisés boire du lait dans la même écuelle que les enfants de la maison et dormir à côté d’eux. Il est vrai, les espèces de ces reptiles sont en général inoffensives ; mais si un Lituanien venait à rencontrer un serpent venimeux, il se déciderait difficilement à le tuer, tellement est enracinée en lui la croyance que sous cette forme peut se cacher un être surnaturel.

Aujourd’hui encore les enseignements du christianisme n’ont pu entièrement déraciner cette croyance chez le peuple lithuanien ; pour lui, un oiseau qui, en passant, fait entendre un cri plaintif, un chat-huant, dont le cri lugubre retentit du haut d’une vieille masure, c’est une âme damnée implorant miséricorde et secours.

C’est à ces pauvres âmes en peine qu’est consacrée la solennité du jour des morts. Sur de longues tables dressées dans le cimetière sont servis pour les trépassés des mets abondants, parmi lesquels figure la chair d’un agneau mâle abattu et offert en holocauste. Du blé et des grains de pavot sont répandus sur les tombes ; on y verse aussi du lait et du miel. Au festin funèbre du jour succèdent les mystérieux rites nocturnes. À minuit, de grands feux sont allumés ; en présence des villageois assemblés, le sorcier de l’endroit (chaque village possède le sien) évoque les esprits à l’aide de chants et d’incantations magiques et par le sacrifice de l’encens, du feu et de l’eau.

Les Lituaniens, comme tous les autres chrétiens, ensevelissent les corps des morts, mais lorsqu’ils étaient païens, ils les brûlaient, et cet usage se maintint chez eux jusqu’à la fin du XIVe siècle. On trouve dans la chronique de Stryjkowski, écrivain polonais du XVIe siècle, une description très caractéristique de la cérémonie funèbre qui eut lieu à la mort de Kieystut, prince de Troki, en 1382.

« Le corps du prince Kieystut, dit le chroniqueur, fut transporté à Wilno pour y être brûlé selon le rite antique. On le revêtit de son manteau ducal, de ses armes et de ses parures les plus belles. Son fidèle écuyer, son cheval favori, son faucon et ses chiens furent attachés au bûcher, pour être consumés tout vifs par le feu, en témoignage de leur dévouement à leur maître bien aimé. L’huile, le lait et le miel, derniers tributs de la terre, furent versés sur le bûcher. Enfin le frère du prince défunt, après les prières d’usage, alluma lui-même le bûcher et, tous les corps ayant été réduits en cendres, celles-ci furent recueillies pour être déposées dans le tombeau des aïeux. »

À l’époque de l’année correspondante à celle de la Pâques chrétienne, les anciens Lituaniens célébraient la fête du Printemps. L’agneau et l’œuf jouaient le principal rôle dans les cérémonies qui accompagnaient cette fête, de même qu’ils figurent comme obligatoires jusqu’à nos jours dans celles de Pâques. Or l’œuf, devenu dans les pays du Nord l’attribut essentiel de la plus grande solennité chrétienne, est incontestablement un antique symbole passé du paganisme dans les usages des peuples convertis à la foi du Christ. L’œuf chez les Indiens était doublement sacré comme étant le symbole de l’ellipse du monde et le germe de tout ce qui existe. La genèse indienne nous apprend que Brahma lui-même naquit d’un œuf et que la forme de l’œuf est celle de l’univers.

Une des fêtes populaires les plus intéressantes est celle dite Sobotki, commune aux Lituaniens et aux populations slaves. Cette fête, jadis célébrée au solstice d’été, et maintenant à la Saint-Jean, était consacrée à célébrer le triomphe du dieu Soleil (Sabasios) sur le dieu des Ténèbres. C’est pourquoi de grands feux étaient allumés à cette occasion en l’honneur de l’astre du jour, et le sont jusqu’à présent la nuit de la Saint-Jean, au milieu des champs et dans les clairières des forêts. Les jeunes filles et les jeunes gens en habits de fête et couronnés de fleurs forment des rondes joyeuses autour de ces feux, en chantant les vieux refrains traditionnels où se retrouvent souvent des invocations païennes devenues incompréhensibles pour les chanteurs. En souvenir des anciens sacrifices, on jette dans la flamme du bûcher des plantes aromatiques, et les plus vigoureux jeunes gens déploient leur agilité en s’élançant par-dessus le foyer ardent. La nuit entière se passe en joyeux ébats autour du feu sacré, et cette fête des Sobotki est considérée comme l’époque de l’année la plus propice aux amours et où se concluent le plus de fiançailles.

La situation géographique de la Lituanie, la nature de son sol et de son climat favorisent singulièrement le penchant inné de ses habitants aux croyances mystiques, au culte du surnaturel. Les vives clartés de la civilisation moderne n’ont pu encore dissiper la foi aux vieilles légendes abritées au fond des sombres et impénétrables forêts, sur les bords des grands lacs aux ondes bleues voilées de brume. L’imagination populaire anime les solitudes de ces forêts d’une foule de génies bons ou malfaisants et les eaux des rivières et des lacs de séduisantes et perfides ondines (Rusatki), fatales à l’imprudent qui se laisse attirer par leurs artifices. Il est vrai que, même en Lituanie, les progrès de la culture modifient progressivement l’aspect et la nature du pays par le défrichement d’une grande partie des forêts qui jadis couvraient la majeure partie de sa surface. Cependant celles qui existent encore sont assurément les plus vastes de l’Europe, et il en est parmi elles qui peuvent être comparées aux forêts vierges de l’Amérique du Nord. Cela s’applique surtout au massif forestier de vingt-deux milles géographiques de superficie situé à l’angle sud-ouest de la Lituanie, entre le cours supérieur du Niémen et celui de la Narew et du Bug. Celte vaste étendue de territoire, entièrement couverte de forêts primitives entrecoupées de marais et d’infranchissables fondrières, porte le nom de Désert de Bialowieza (Puszcza Bialowiezaska). C’est en effet un véritable désert, car, à l’exception de quelques hameaux de bûcherons disséminés sur sa lisière et des habitations des gardes-chasse que l’on rencontre de loin en loin dans les intervalles des fourrés, la forêt de Bialowieza est une immense solitude inaccessible à l’homme dans ses mystérieuses profondeurs, asile inviolable d’animaux sauvages de toute espèce, derniers représentants de races disparues depuis des siècles dans tout le reste de l’Europe. C’est ici seulement qu’à côté de l’ours, du cerf, du daim et du chevreuil, hôtes habituels des forêts du Nord, se rencontrent encore le lynx, l’élan, et l’auroch ou bison d’Europe, espèces communes jadis en Sarmatie et en Germanie jusqu’au pied des Alpes et dont le dernier refuge est le « Désert de Bialowieza ».

Grâce à la diversité de la nature du sol, tantôt sec et sablonneux, tantôt gras ou marécageux, les essences d’arbres les plus variées croissent et prospèrent dans la puszcza, qui résume en elle les caractères divers des forêts de la Lituanie dans ses différentes régions. Les chênes, les hêtres, les ormes, les bouleaux, et les sapins, tantôt poussent en futaies séparées, tantôt croissent entremêlés, atteignant souvent des dimensions prodigieuses et forment par leurs branchages et ramures entrelacés de sombres voûtes que percent à peine quelques faibles rayons de soleil.

Jadis apanage des Grands-ducs de Lituanie, puis des rois de Pologne, la forêt de Bialowieza fait encore partie des domaines de l’État qui y entretient des administrateurs et plusieurs centaines de gardes préposés à la conservation des chasses vraiment royales qu’elle renferme et animaux rares dont elle est le dernier refuge. Les habitations de ce personnel forestier sont éparses dans les parties accessibles de la puszcza, mais il y a des recoins dans son intérieur où le pied de l’homme n’a jamais pénétré, car c’est surtout au « désert de Bialowieza » que s’applique l’admirable description des forêts de la Lituanie que fait Mickiewicz dans un de ses plus beaux poèmes : « Qui, dit-il, a jamais sondé les mystérieux abîmes que recèlent les forêts lithuaniennes dans leurs repaires les plus profonds ? De même que le pêcheur ne peut explorer la mer que près du rivage, les forêts de notre patrie ne sont parcourues par le chasseur que sur leur pourtour ; il ne connaît que leur apparence extérieure, mais les mystères recelés dans leur sein ne parviennent au dehors que sous forme de récits fabuleux... Celui qui a franchi les hautes futaies et les taillis épais se heurte au fond des bois à un infranchissable rempart de troncs d’arbres abattus, de branchages et de racines amoncelés, défendus par de profondes fondrières, des milliers de ruisseaux, des fouillis de plantes entrelacées, d’immenses fourmilières, des nids de guêpes et de serpents... Plus loin, celui qui aurait franchi ces obstacles serait englouti par une infinité de mares, abîmes sans fond aux eaux recouvertes de moisissures rougeâtres d’où s’exhalent des vapeurs méphitiques. »

Par delà cette région redoutable qu’enveloppent d’épais brouillards, s’étend, d’après les fables populaires, une riante et belle contrée, royaume réservé aux animaux et aux plantes et dont l’accès est interdit à l’homme. C’est le Matetchnich, l’asile inviolable où végètent et fructifient toutes les plantes de la création, où de chaque espèce d’animaux un couple, au moins, vit en paix à l’abri des poursuites de l’homme.

La forêt de Bialowieza a pris son nom (La tour blanche) de celui d’un ancien château dont on voit les ruines au milieu des bois. Ces ruines, d’après les contes populaires, sont hantées par des esprits qui apparaissent sous la forme de bêtes hideuses. La légende raconte que ce château s’élevait jadis au milieu d’un jardin féerique. Deux frères, tous deux jeunes, beaux et vaillants, l’habitaient. Ils tombèrent l’un et l’autre amoureux d’une fée qui se montrait à eux sous la forme d’une jeune et fraîche paysanne. La jalousie alluma entre eux la discorde et la haine, et ils engagèrent un jour un combat fratricide. L’un deux périt. La malédiction divine frappa le meurtrier ; le château fut détruit par la foudre, et le jardin qui l’entourait fut changé en une épaisse forêt, repaire des bêtes fauves.

La forêt de Bialowieza nous a fourni l’occasion de citer quelques vers du célèbre poète Mickiewicz, lithuanien d’origine et une des gloires de la littérature polonaise.

La Lituanie, en effet, indissolublement unie à la Pologne de cœur et d’esprit, lui a donné, depuis plusieurs siècles, un grand nombre de ses hommes les plus éminents dans la politique, les armes, les sciences et les lettres, comme Mickiewicz, Kosciuszko et autres. Le sérieux et la profondeur de l’esprit lithuanien, uni à la hardiesse et aux facultés brillantes de l’esprit polonais, ont produit le génie de la Pologne. La fusion des deux peuples a fait qu’en Lituanie les classes moyennes et supérieures ne parlent et n’écrivent qu’en polonais ; le peuple, cependant, surtout celui des campagnes, conserve encore son ancienne langue et reste fidèle à ses antiques coutumes, à ses fabuleuses légendes, au culte de ses vieux chênes et à ses traditions mi-païennes, derniers échos de son origine lointaine. Ainsi, une pierre arrachée de sa couche primitive et entraînée au loin par un rapide courant garde pendant des siècles l’empreinte des plantes qui jadis fleurissaient auprès d’elle, souvenir ineffaçable d’un autre ciel, d’une autre époque !

 

 

Mme Anna NEUMANN.

 

Paru dans le Bulletin polonais en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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