La petite-fille d’une grande sainte

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Yvonne PIRAT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« J’ai toujours la Providence dans la tête, c’est ce qui fixe mes pensées et qui me donne du repos... Il me faut l’Auteur de l’Univers pour raison de tout... Quand c’est à lui qu’il faut m’en prendre, je ne m’en prends plus à personne et je me soumets ; ce n’est pourtant pas sans douleur ni tristesse ; mon cœur en est blessé ; mais je souffre même ces maux comme étant dans l’ordre de la Providence. Qui m’ôterait la vue de la Providence m’ôterait mon unique bien ; et si je croyais qu’il en fût de nous, de ranger, de déranger, de faire, de ne pas faire, de vouloir une chose ou une autre, je ne penserais pas à trouver un moment de repos. C’est là ma dévotion, c’est là mon scapulaire, c’est là mon rosaire, c’est là mon esclavage de la Vierge ; et si j’étais digne de croire que j’ai une voie toute marquée, je dirais que c’est la mienne... Providence ! faites comme vous l’entendrez ; vous êtes la maîtresse, vous disposez de tout comme il vous plaît, et vous êtes tellement au-dessus de nous qu’il faut encore vous adorer quoi que vous puissiez faire et baiser la main qui nous frappe et qui nous punit ; car devant elle nous méritons toujours d’être punis. »

 

De qui sont ces lignes ?... D’une âme certainement très avancée dans le chemin de la perfection, qu’une fréquentation quotidienne et exclusive des auteurs de piété a habituée à évoluer sur les sommets de la spiritualité ? De quelqu’un en tout cas dont le genre de vie est tel qu’il comporte une bonne part de soumission, de dépendance ? D’une femme, en un mot, qui a renoncé à tout en ce monde et qui mène une existence retirée et austère peut-être, au fond d’un cloître ?

Point du tout. Celle qui avait en la Providence cet abandon si total, si absolu, n’est autre que Mme de Sévigné. Plus d’un lecteur sera étonné de l’apprendre, et son étonnement ira grandissant quand, feuilletant les nombreuses pages où la noble dame du XVIIe siècle s’est exprimée sur bien des sujets philosophiques et religieux, il découvrira une nouvelle Marquise de Sévigné 1. De la célèbre épistolière, on ne connaît, le plus souvent, que quelques lettres qui ont meublé la mémoire de tous les écoliers, mais on ignore totalement sa vaste culture, ses qualités morales, sa piété, son clair jugement qui lui eût permis de trouver la solution de bon sens aux erreurs jansénistes si sa soumission toute droite à l’Église ne lui avait montré le chemin.

L’ascendance de Mme de Sévigné, son hérédité grand-maternelle entrent pour une bonne part dans ces heureux dons. On sait que le 29 mars 1610 une scène émouvante se déroula à Dijon, dans la maison du Président au Parlement de Bourgogne, Bénigne Frémyot. Sa fille Jeanne, Baronne de Chantal, rendue libre par un veuvage prématuré, s’arrachait à ses affections naturelles, père et enfants, pour répondre à l’appel de saint François de Sales et aller fonder l’ordre de la Visitation Sainte-Marie. Des trois enfants qui lui restaient, l’aînée, Marie-Aimée, était mariée, la plus jeune, Françoise, suivrait sa mère au couvent pour y être élevée, et son fils, Celse-Bénigne, âgé de quatorze ans, déjà sorti « de la main des femmes », comme on disait alors, allait entrer dans la carrière des armes. Celui-ci, brisé par ce départ déchirant, essaya, avec toute l’impétuosité de sa nature, de le rendre impossible en se couchant au travers de la porte pour arrêter sa mère. Mais Jeanne de Chantal, dont la décision était mûrement réfléchie, ne pouvait, malgré son chagrin, se laisser attendrir par ce geste et passa, non sans pleurer, – « que voulez-vous ? je suis mère » – sur le corps de son fils.

Cette mère si ardemment résolue, ce fils si impétueux, allaient devenir, l’une la grand-mère, l’autre le père de la Marquise de Sévigné. Le brillant Celse-Bénigne, qui coûta encore beaucoup d’autres larmes à sa mère, épousa, en effet, en 1623, Marie de Coulanges, et de cette union naquit, le 5 février 1626, la petite Marie de Rabutin.

Sans vouloir tout expliquer par l’hérédité, et sans négliger le facteur éducation, comment ne pas voir dans cette ascendance bourguignonne, faite de généreux enthousiasme et de tranquille bon sens, les sources de ces dons qui s’équilibrent chez Mme de Sévigné en une harmonieuse synthèse.

Les lettres les plus connues de la Marquise ne sont pas forcément les plus belles ni les plus riches en pensées profondes, et c’est parmi celles qui n’ont pas été jugées dignes d’être retenues par les littérateurs qu’on découvre un véritable trésor ignoré de beaucoup, et que des catholiques sont heureux et fiers de mettre au jour. Celle dont on a pu dire qu’« elle eût pensé contrarier le dessein de la Providence en se retirant d’un monde qu’elle charmait par son esprit et par sa bonté, sans y scandaliser personne », faisait preuve, quoi qu’il lui en coûtât, d’une telle soumission à la volonté de Dieu que ses réflexions à ce sujet constituent un véritable petit traité sur la « Parfaite résignation aux décrets de la Providence ». Aux épithètes de femme du monde, de brillante épistolière, qu’on est convenu de lui décerner, on peut ajouter, sans crainte d’être démenti, celle de grande chrétienne. Elle sut, au milieu du monde brillant et vain où elle évoluait, conserver intactes ses croyances et en imprégner sa vie en digne petite-fille de son illustre et sainte aïeule.

 

 

 

 

Yvonne PIRAT.

 

Paru dans La vie spirituelle en 1936.

 

 

 

 

 

 

 


1 La petite-fille d’une grande sainte, Madame de Sévigné – Sa spiritualité, par Yvonne Pirat. Préface par le B. P. Yves de la Brière, S. J. Avignon, Aubanel père, 1936. Un volume orné d’un portrait, 233 p.

 

 

 

 

 

 

 

 

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