La conversion
d’Alessandro Manzoni
par
Lucienne PORTIER
« Ma fille, remercie Dieu qui eut pitié de moi... ce Dieu qui s’est révélé à saint Paul sur la route de Damas. »
C’était le soir, on n’avait pas encore allumé les lampes, Vittoria Giorgini-Manzoni s’était enhardie et avait demandé à son père comment, dans les années lointaines de sa jeunesse, il était devenu croyant. La réponse si discrète du grand homme arrêta ses questions.
Plus tard, Stefano Stampa, le fils de sa seconde femme, profitant d’un instant de tête à tête pour s’enquérir à son tour des causes de sa conversion, Manzoni, après un moment de silence, lui dit simplement : « Ce fut par la grâce de Dieu, mon cher, la grâce de Dieu », et il reprit sa lecture.
Nous n’avons pas d’autres confidences sur cet évènement qui transforma sa pensée et sa vie. Le psychologue est déçu par l’absence de « documents », mais le chrétien, un peu lassé des conversions tapageuses, des récits ou confessions d’hommes de lettres, remercie Dieu dans son cœur d’avoir accordé tant de discrétion à un homme de génie. Et n’est-ce pas le plus grand sujet d’édification que cette absence de complaisance en soi qui, dès l’abord et pour toujours, donna à Manzoni l’essentielle attitude chrétienne ? Il ne se borna pas à éviter de son vivant tout récit de sa conversion, mais il ne laissa ni Confession, ni Journal, ni papiers intimes à la curiosité avide de la postérité.
Essayons de comprendre, avec un grand respect, à travers les faits connus et les indications transposées de ses œuvres, ce que fut son retour à Dieu.
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Élevé dans des collèges religieux où il fut mis en 1791, à l’âge de six ans, tandis que son père, âgé, sévère et grognon, demeurait seul à Milan, puis à Lecco, et que sa mère, fille du grand Beccaria, jeune, brillante, remarquable à tous égards, s’en allait vivre à Paris avec Carlo Imbonati, le jeune Alessandro passa neuf ans de sa vie en qualité de pensionnaire et sortit des collèges des Barnabites ayant perdu la foi. L’influence d’un camarade très brillant, Giovanbattista Pagani, avait été grande sur lui et s’exerça encore pendant les années suivantes alors que Manzoni habitait avec son père à Milan. En 1800, Alessandro avait écrit un poème en terza rima : Le triomphe de la liberté, où il exprimait à la fois son amour pour l’indépendance et son mépris pour ceux qu’il appelait les ministres corrompus de l’Évangile.
Avec une joie sans borne, il se préparait, en 1805, à rejoindre à Paris sa mère qu’il adorait, quand mourut Carlo Imbonati. Au désespoir de Giulia Beccaria, il unit son chagrin vif et sincère pour la perte de cet homme auquel il avait voué une vénération que n’avait pas su lui inspirer sou propre père. « Je ne vis que pour ma Giulia », écrivait-il à Monti, quelques mois plus tard, de Paris, « et pour adorer et imiter l’homme dont tu avais coutume de me dire qu’il était la vertu même » (31 août 1805). Il composa alors son poème Pour la mort de Carlo Imbonati, qui fut sa première œuvre imprimée. Son intention était d’exalter la mémoire d’un home qu’il aimait et dont il n’avait reçu que des conseils de droiture et de vertu, de partager ainsi le chagrin de sa mère, et sans doute aussi de s’élever avec une certaine impertinence coutre ceux qui avaient critiqué le ménage irrégulier de Giulia Beccaria 1.
Deux ans plus tard, son père mourait à son tour. « Un motif bien douloureux m’a appelé à Milan : le désir de voir mon père qui était gravement malade, désir que je n’ai pas pu satisfaire puisque je ne l’ai pas trouvé vivant », écrivait-il à Pagani le 24 mars 1807. Le 30, dans une lettre à Fauriel, écrite à Turin, où il habitait chez la sœur d’Imbonati, il parlait sans émotion de la mort de son père et ajoutait seulement : « Paix et honneur à sa ce cendre 2. » Ce ton de froide dignité contraste avec l’ardeur qui anime ses propos lorsqu’il parle de Carlo Imbonati. À l’occasion de la mort de Cabanis, l’année suivante, il décrivait à Fauriel l’affliction de sa mère, aux yeux de qui personne ne ressemblait à Imbonati autant que Cabanis. « Ce rapprochement l’a remplie d’idées et de souvenirs déchirants, et vraiment c’était en voyant cet homme rare que je me faisais une idée de cette fleur de bonté, de douceur et d’amour qui distinguait Charles, que je n’ai pas même pu assurer une fois de vive voix de la profonde vénération et de l’amour que j’avais pour lui » (4 juin 1808). La mort n’avait pas réussi à combler le fossé qui, dans l’affection du jeune Manzoni, séparait ces deux hommes, le mari et l’ami de sa mère.
Aussi bien y aurait-il un certain pharisaïsme à le lui reprocher. Quelqu’un pour qui la sainteté du mariage est lettre morte, pour qui le point de vue religieux n’existe pas et chez qui l’indépendance d’esprit veut loyalement s’affirmer en face d’un conformisme bourgeois bien-pensant, qui l’a souvent exaspéré, n’est-il pas en droit de condamner une union, dont il est né sans doute, mais qui se détruit par la mésentente et l’hostilité, et de louer, d’admirer une union scellée par un amour mutuel fait d’oubli de soi dans la recherche du bonheur de l’autre, d’harmonie, de confiance, de dignité de vie ?
Ce jugement, motivé par la profonde affection que le jeune Manzoni nourrissait pour sa mère, était renforcé par son attachement à ce milieu des idéologues qu’elle fréquentait à Paris, où elle l’avait introduit, où il était devenu l’ami de Claude Fauriel, vouant une admiration passionnée à cet homme qui eut un grand ascendant sur beaucoup d’esprits, et qui est presque oublié aujourd’hui. C’est à la Maisonnette, à Meulan, où Fauriel vivait une grande partie de l’année avec la veuve de Condorcet, Sophie Grouchy, l’Uranie de Baggesen, qu’ils aimaient surtout à se rencontrer. L’exemple d’une vie indépendante, où l’on cultivait à la foi la raison et les sentiments nobles, plaisait à Alessandro. Il vivait sans foi et sans inquiétude.
On a cru voir dans certaines lettres de cette époque des traces d’un déisme persistant. Parlant d’un ami malade, Arese, il rappelle que celui-ci dans sa dernière lettre disait : « Giulia, Alessandro, nous nous reverrons certainement. Un jour, supérieurs à l’orgueil humain, heureux et purs, nous parlerons en souriant de nos faiblesses passées », et il ajoute : « Oh ! oui, nous nous reverrons. Si cette espérance n’adoucissait le désir des bons et l’horreur de la présence des pervers, que serait la vie ? « (lettre à Calderari, 30 octobre 1806). Deux semaines plus tard, il se désolait que les amis d’Arese n’eussent pas accès auprès de lui et « qu’au contraire, il dût avoir devant les yeux l’horrible figure du prêtre » (lettre à Pagani, 14 septembre 1806). Il faut voir dans ces lignes une émotion humaine devant un ami qui meurt, beaucoup plus qu’une profession de foi déiste, accompagnée d’anticléricalisme. Croyons-en plutôt ses propres affirmations, plusieurs fois il a parlé de cette période d’incrédulité totale. Après sa conversion, il se désigna lui-même comme « celui qui non seulement oublia Dieu, mais eut le malheur et la hardiesse de le nier » (lettre à Degola, sans date, probablement mars ou avril 1812). Il a nié, il a chassé Dieu.
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Mais Dieu devait revenir à lui par l’intermédiaire d’une jeune protestante, Henriette Blondel, qui devint sa femme. Ce mariage fut le grand évènement de la vie de Manzoni. Et, sans vouloir s’arrêter longuement à l’examen de possibilités qui ne se sont pas réalisées, on peut se demander, avec M. Francesco Ruffini 3, ce qu’il en serait advenu de la vie intérieure de Manzoni s’il avait épousé la fille de Destutt de Tracy, comme il en fut question un moment. Aussi bien n’a-t-il pas épousé celle-ci, mais Henriette.
De famille suisse, elle vivait à Milan avec ses parents, elle avait seize ans et, par ses qualités, elle avait séduit la mère autant que le fils. Trois points déterminaient l’enthousiasme de Manzoni qui se confiait ainsi à Fauriel : « Les sentiments de famille l’occupent tout entière (et je vous dis à l’oreille que c’est peut-être la seule ici). Il y a pour moi un autre avantage qui en est réellement un dans ce pays, au moins pour moi, c’est qu’elle n’est pas noble, et vous savez par cœur le poème de Parini. Elle est de plus protestante, enfin c’est un trésor » (lettre sans date, probablement d’octobre 1807).
Les sentiments de famille : grand sujet d’admiration pour l’ami des idéologues qui n’avait donc aucune prévention contre la famille, au contraire, son admiration pour le couple Giulia Beccaria-Carlo Imbonati étant provoquée non par leur rupture avec la discipline catholique, mais bien par l’entente et le dévouement mutuels qui, à ses yeux, étaient le propre d’une vraie famille.
Elle n’est pas noble. À la suite de Parini, il prenait parti pour le plus humble qui est le plus humain. C’est une tendance à laquelle il restera toujours attaché et qui devait lui faire trouver un attrait de plus dans l’Évangile des pauvres.
Enfin elle était protestante : autant dire qu’elle n’était pas catholique, quelle joie ! « C’est un trésor ! »
Le mariage eut lieu le 6 février 1808, béni par un pasteur protestant. « Les prêtres ne veulent pas bénir mon mariage à cause de la différence de religion, et cela donnera encore matière à tant de propos que nous supporterons jusqu’à ce qu’ils aient commencé à nous ennuyer. Enfin ne vous étonnez pas si nous retournons à Paris avec vous » (lettre à Fauriel, 27 janvier 1808).
Peu après en effet, ils étaient à Paris tous les trois, Manzoni, sa femme et sa mère, très tendrement unis. Il y a quelque chose de si intime et de si discret dans les échanges, actions et réactions entre ces trois âmes dont aucune n’avait de confident plus intime que les deux autres, que le risque est fatal, à vouloir exprimer tout cela en mots, de durcir les contours, raidir les attitudes, marquer par succession dans le temps ce qui en fait était souples rapports, communions silencieuses, influences réciproques presque simultanées. Il faut nous y résigner, sans toutefois prendre le schème trop nettement tracé pour la réalité psychologique plus souple, nuancée, riche parfois d’apparentes contradictions 4.
Henriette Blondel, sincèrement croyante et pieuse, et qui loyalement vivait de cette foi vive, posait, en entrant dans la famille de Manzoni, un problème troublant aux esprits honnêtes d’Alessandro et de Giulia : le sérieux de la jeune femme qu’ils aimaient et estimaient leur montrait une autre image du christianisme que celle qu’ils avaient dénoncée chez « les ministres corrompus de l’évangile ». Sans doute faisait-elle ainsi renaître chez eux certaines images lointaines et oubliées de leur éducation catholique, les rattachait-elle à une tradition qui tout au fond d’eux-mêmes n’était pas morte.
Ce complexe de sentiments et de pensées devint plus aigu et prit figure de drame avec la naissance de la petite Giulia-Claudia, le 23 décembre 1808. Tous trois, penchés sur cette petite vie qui apportait un accroissement de tendresse dans la famille, l’aimaient avec le meilleur d’eux-mêmes, et pensaient avec joie à la conduire au baptême. Ce baptême intéressait au plus haut point Henriette ; après la bénédiction nuptiale de rite protestant, et d’après une coutume qui, dans les mariages mixtes, veut que les filles soient élevées dans la religion de la mère, tandis que les fils suivent la religion du père, elle avait tout lieu d’espérer que sa fille serait considérée comme protestante. Mais Manzoni, devenu père, se sentit plus vivement attaché à foi catholique 5 que la foi de sa femme avait réveillée chez lui, sans qu’il fût question de croyance positive. Il était appuyé, semble-t-il, par Giulia Manzoni qui, grand’mère et marraine, ne pouvait guère accepter un baptême protestant ; son éloignement du catholicisme, du moins à des questions d’idées qu’à sa vie avec Carlo Imbonati en marge de la discipline catholique était certainement moins radical que celui d’Alessandro. Le parrain, Claude Fauriel, voyait là surtout un nouveau lien d’affection avec cette famille qui lui était chère et l’occasion d’une petite fête amicale qui eut lieu à la Maisonnette, après le baptême, donné dans l’église de Meulan, seulement le 23 août 1809. Ce retard était dû à la fois au peu d’empressement de Manzoni pour qui cette cérémonie n’avait aucune urgence religieuse, mais seulement une importance traditionnelle, à la résistance d’Henriette et aux nécessités de se mettre d’accord 6.
Dans l’allégresse générale, Henriette Manzoni dut cacher la douleur du sacrifice qu’elle faisait par amour pour son mari, et que devait rappeler, l’année suivante, l’abbé Dégola : « Ce chagrin qui vous déchira l’âme, ce jour qu’on présenta pour le baptême à un pasteur catholique l’enfant que vous avez. »
Il était logique que Manzoni cherchât ensuite à faire bénir son mariage par un prêtre catholique. Y fut-il engagé par ceux qui avaient baptisé Giulia et qui lui présentèrent comme facile à réaliser ce qui avait soulevé tant de difficultés à Milan ? Le fait est que, deux mois plus tard, il envoyait une supplique au Vatican, et, le 15 février 1810, l’autorisation de Rome étant arrivée, le mariage catholique fut célébré par l’abbé Costaz, curé de la Madeleine, dans la chapelle privée du comte Marescalchi, « ministre des relations extérieures du Royaume d’Italie ».
Ce n’était pas encore, de la part de Manzoni, un acte d’adhésion au dogme catholique, et l’on a tout lieu de croire que s’il se présenta à la confession selon l’obligation qui en est faite, il ne fit pas de confession sacramentelle. Mais, pour un esprit sérieux comme le sien, ce mariage ne pouvait être une simple formalité. Il était tourmenté, d’autant plus que le groupe de catholiques qu’il connut dans l’entourage de Marescalchi exerçaient par leur austérité (ils étaient de tendances jansénistes) une forte attirance à la fois sur Manzoni, dont la morale était austère, et sur Henriette, dont le calvinisme ne l’était pas moins.
Sollicitée peut-être par ses amis catholiques, mais surtout par son esprit et son cœur – cet esprit mûr et sérieux qui ne s’engageait pas à la légère ; ce cœur si tendrement et solidement attaché à son mari – Henriette désira étudier la doctrine du catholicisme dont elle venait d’accepter les rites pour le baptême de sa fille et son propre mariage.
En retour, l’attachement fait de tendresse et d’admiration qu’Alessandro et Giulia éprouvaient pour elle les incita à participer, eux aussi, à ces recherches, à cet approfondissement de ce qui était leur religion. Voici pourquoi le 9 avril 1810 l’abbé Eustache Dégola commença des cours de catéchisme destinés à Henriette et suivis en réalité par les trois Manzoni. Dégola prolongeait ses cours par de longues conversations avec Alessandro.
Cette préparation aboutit, le 22 mai, à l’abjuration d’Henriette, en l’église Saint-Séverin. L’abbé Dégola prononça, pour sa néophyte, une exhortation qui révèle les angoisses et les obstacles intérieurs et extérieurs qu’elle avait dû surmonter, ainsi que les aides qu’elle avait reçues, tout particulièrement, celle qui est considérée comme inattendue, de Manzoni et de sa mère. L’acte d’abjuration signé par les nombreuses personnes présentes à la cérémonie porte la signature de Manzoni tout à côté de celle de sa femme. Tout porte à croire qu’à ce moment il est lui-même converti.
En effet, sans qu’on en puisse préciser la date, c’est dans ces derniers mois de son séjour à Paris qu’il faut placer un évènement de valeur tout intime, le plus décisif pour sa conversion. Un jour, il était entré à l’église Saint-Roch, avait prié avec angoisse en demandant à Dieu de lui répondre : « Ô Dieu, si tu existes, révèle-toi à moi ! » et il s’était relevé fermement croyant. Cet épisode, dont les circonstances et la date restent incertaines, est indiscutable pour le fait. On ne peut mettre en doute ni le témoignage de Zanetta ni celui de Norsa, publié du vivant de Manzoni, dans un opuscule approuvé par celui-ci 7.
Beaucoup de critiques, sans preuves suffisantes, fixent ce fait au 3 avril 1810 8, et pensent que c’est lui qui a déterminé Manzoni à assister aux cours de religion faits à sa fem me, et peut-être même les a provoqués.
Il est peu probable qu’un esprit comme le sien n’ait pas connu d’abord une période de recherches intellectuelles, or si ses recherches avaient précédé la venue de Dégola, il y aurait associé sa femme ; il semble plutôt que son tourment ait été contemporain des leçons de catéchisme, et de ses conversations avec l’abbé Dégola. Mais ce travail intellectuel, indispensable pour un esprit soucieux de logique et d’honnêteté, est impropre à provoquer la foi, adhésion spirituelle à un don divin. L’intelligence n’y suffit pas. Il y a un moment (d’autant plus urgent que la construction intellectuelle est plus solide) où la volonté doit céder aux sollicitations de l’amour. À Saint-Roch, Manzoni connut la minute décisive, où un contact direct s’établit entre l’âme et Dieu, dans une adhésion intime, moins intellectuelle que volontaire, qui n’est provoquée ni par un raisonnement logique ni par un état sentimental, mais par la touche de la grâce et la réponse à la grâce.
Sans doute est-ce une illumination sur le Christ ressuscité qui le vainquit finalement, si dès ce moment, comme il l’a dit à Zanella, il conçut l’idée de son hymne sur la Résurrection :
Celui qui se confie dans le Seigneur,
Avec le Seigneur ressuscitera,
s’écrie-t-il à la fin de l’hymne. N’est-ce pas l’expression de ces deux moments intimement liés : abandon confiant de l’esprit précédemment refermé sur soi, ouverture à la grâce envahissante, illuminante, qui produit une impression de résurrection ? Le besoin d’exprimer lyriquement son intime reddition à Dieu par le chant de cette grande fête de l’Église, chant où abondent les images liturgiques, induit à penser que Manzoni entra à Saint-Roch au début du temps pascal et fut saisi de voir « une allégresse semblable chez tant de gens différents 9 ». Pâques cette année-là était le 23 avril. Ainsi se confirme l’hypothèse que le moment culminant de la conversion se place entre le 9 avril et le 22 mai.
Nous venons de citer une phrase des Fiancés ; il est impossible, en effet, que Manzoni ne se soit pas souvenu des éléments essentiels de sa conversion, lorsque apparaît, dans son roman, le personnage qu’il appelle l’Innominato. Chercher dans le récit des Fiancés une confession de son propre cas serait une lourde erreur. L’artiste, chez lui, autant que le Chrétien humble et discret, répugne à l’autobiographie. Néanmoins, l’expérience d’une si grande miséricorde divine ne pouvait être absente de cet épisode qui éclaire pour nous sa propre conversion et révèle comment il l’a rétrospectivement comprise.
Un sentiment profond de la Communion des Saints, de l’importance des pensées et actions des uns dans la vie des autres, de la réversibilité des mérites, revêt, dans le roman, une double expression. D’abord c’est la présence de Lucia, porteuse de grâce, dans la vie de l’Innominato. Il est troublé avant même de l’avoir vue, lorsqu’il regarde s’avancer au loin la voiture dans laquelle il l’a fait enlever à la prière de don Rodrigo. La souffrance, l’angoisse indicible de la jeune fille étaient nécessaires à la conversion de cet homme sans qu’elle le sût. Créature fragile et douce, mais ferme dans sa foi et dans sa loyauté morale, toute humble, aimante et priante, elle rappelle qu’une créature semblable à elle avait été nécessaire auprès de Manzoni.
Et puis c’est la foule que l’Innominato, après sa nuit d’insomnie, voit de loin se rendre, joyeuse, à l’appel des cloches. Cette foule dont parle le cardinal Frédéric Borromée, après que l’Innominato s’est écrié : « Dieu ! Dieu ! si je le voyais, si je le sentais, où est-il ce Dieu ? » « Peut-être que Dieu, qui a opéré en vous le prodige de sa miséricorde, répand en eux une joie dont ils ne savent pas encore la cause. Cette foule est peut-être unie à vous sans le savoir ; peut-être l’Esprit-Saint met-il dans son cœur une ardeur indistincte de charité, une prière pour vous qu’il exauce, une action de grâces dont vous êtes l’objet encore inconnu 10. » Foule dans l’allégresse des fêtes pascales à Saint-Roch, qui prie, sans le savoir, pour le jeune Manzoni implorant : « Ô Dieu, si tu existes, révèle-toi à moi », foule qui rend grâces, sans le savoir, quand il se relève croyant.
En second lieu, une vive lumière est projetée sur le réveil de souvenirs lointains d’une enfance religieuse, soit chez l’Innominato qui essaie de prier et retrouve les mots qu’on lui avait appris à réciter quand il était enfant et qui, « restés là si longtemps repliés ensemble, venaient l’un après l’autre comme en se déroulant », soit chez sa vieille servante qui entend Lucia dire : « Au nom de la Vierge Marie... »
Enfin, la nécessité de l’humble abandon de soi-même à Dieu est sentie de façon aiguë et bouleversante par l’Innominatio. C’est la dernière et la plus difficile démarche qui apparaît comme une diminution, une mutilation de l’homme en ce qui lui semble essentiel, mais qui, acceptée, brise son orgueil et le rend perméable à Dieu.
C’est l’expérience même de Manzoni à Saint-Roch. L’étape décisive est ainsi franchie, et il prend tout à fait à cœur la conversion de sa femme, qui n’est pas sans causer de graves difficultés avec les Blondel. La mère d’Henriette ayant été informée de son abjuration est entrée dans une grande colère (lettre du 29 mai) : Alessandro demande à l’abbé Giudici, de Milan, d’intervenir auprès de de la famille Blondel qui l’estime, et d’appuyer « les tendres, les sincères, les humbles supplications qu’elle (Henriette) adresse à son père, envers lequel elle n’est pas coupable en rien, n’ayant pas fait autre chose que de disposer librement de sa propre conscience ; de prouver aux parents que cet acte est très innocent et légitime (qu’il soit excellent, on ne peut pas leur dire)… » (lettre du 29 juin).
Les Manzoni rentrent en Italie ; le soin de leur direction spirituelle a été confié par Dégola au chanoine Luigi Tosi, de Milan, qui devait les préparer à recevoir les sacrements. La confirmation d’Henriette a lieu le 11 septembre. Alessandro s’est confessé peu auparavant, ils communient ensemble le 15 septembre.
La conversion de Manzoni ne laisse place à aucune inquiétude intellectuelle, à aucun retour en arrière. Sa foi reste parfaitement ferme. Son désir de perfection aussi, mais il s’accompagne du sentiment de sa faiblesse et d’une incontentabilité toute chrétienne. « Il est religieux et catholique jusqu’au fond de l’âme », avait écrit de lui Lamennais ; cet éloge le laisse confondu et épouvanté, car il est vrai, dit-il, que l’évidence de la religion catholique remplit et domine mon intelligence, « mais il s’en faut de beaucoup, hélas ! qu’elle anime mes sentiments et gouverne ma vie comme elle soumet ma raison ». Sa loyauté s’émeut, il ne veut pas passer pour un saint (lettre à la comtesse Diodata Saluzzo, 1828).
⁂
Ce que fut la vie intérieure de Manzoni, encore une fois, rien de direct ne permet de le reconstituer : sa modestie, sa discrétion n’ont pas laissé de documents.
Il est possible toutefois de relever chez lui un grand attachement à la vie de l’Église dans la liturgie, au retour des mystères du Christ dont il a exprimé la puissance et la beauté dans ses Hymnes sacrés.
Çà et là, on devine aussi un culte marial, discret comme tout le reste de sa vie religieuse, mais fort et délicat. Dès 1813 il écrit un hymne : Le nom de Marie, à travers lequel passe une tendresse fervente. En 1834, le 10 avril, à l’occasion de la Première Communion de sa fille Vittoria, il lui écrit ceci : « En cette sainte occasion, éprouve une plus vive gratitude, une plus tendre affection pour cette Vierge dans le sein de laquelle notre Juge s’est fait notre Rédempteur, notre Dieu s’est fait notre Frère ; propose-toi – et prie-la à cette intention – de l’avoir toujours comme protectrice et maîtresse de ta vie. » Plus tard, répondant à un Israélite qui désirait se faire catholique, il l’exhortait à demander à Dieu la force de se convertir « par l’intercession puissante de cette sainte, bénie, glorieuse, miséricordieuse fille de David, qui récemment nous a donné un signe si manifeste et si consolant 11 ».
Le caractère le plus marqué de son altitude intérieure est l’humilité. Le chanoine Tosi écrivait à Lamennais : « Vous trouverez en lui, outre un talent certainement peu ordinaire, des qualités de cœur très rares, et surtout une simplicité, une humilité, une charité très hautes » (27 septembre 1819). Cette humilité, si rare chez les intellectuels, fortement attachés à leur propre jugement sur les êtres et les choses, si rare chez les écrivains, désireux de dominer leur public, est une marque originale de Manzoni. Le mouvement d’humilité qui, à Saint-Roch, l’a ployé devant Dieu, seul en face de l’unique nécessaire, en un mouvement d’abandon et de renoncement à son sens propre jusque-là résistant, l’a définitivement marqué. Les indices que nous avons, tout extérieurs qu’ils soient, sont révélateurs. S’il a manifesté une prédilection marquée pour ceux qu’on appelle les humbles en même temps que pour les mouvements d’humilité chez les grands, ce n’est pas par hasard.
L’intelligence, il ne veut pas la déprécier, et dans son ouvrage sur la Morale catholique, il cherche à convaincre, non par l’éloquence et le sentiment, mais bien par le raisonnement. Pourtant, aux premières lignes du livre, après s’être présenté comme « faible, mais sincère apologiste d’une morale dont la fin est l’amour », il se déclare « persuadé que dans la bonté d’un sot il a quelque chose de plus noble et de plus excellent que dans la pénétration d’esprit d’un grand penseur ».
Il surveille en lui les réactions possibles de vanité d’auteur, il les signale – et ainsi les détruit – avec son humour paisible et fin. « J’ai écrit, dit-il à Fauriel, deux autres Inni avec l’intention d’y faire suite, le premier de ceux-ci (qui ne sont que manuscrits) a eu tout le succès que je pouvais désirer, le second n’a pas été si approuvé, ce qui m’a fait croire que tous ceux qui en ont jugé avaient perdu le sens commun, eux qui en ont jugé avaient perdu le sens commun, eux qui avaient tant de pénétration quand ils ont trouvé les autres bons » (lettre du 9 février 1814).
Humblement il avait accepté la direction du chanoine Tosi. Il eut, il est vrai, à défendre son indépendance d’artiste contre une mainmise assez brutale de Tosi, qui aurait voulu que son pénitent utilisât ses dons uniquement dans des ouvrages d’apologétique, mais en tout ce qui concerne sa vie spirituelle, il resta fils spirituel soumis.
Autant que son humilité, sa parfaite loyauté a écarté de lui toute possibilité de pharisaïsme. Après sa conversion qui lui donne de la vie été de la morale une conception nouvelle, comment va-t-il considérer les amis dont il a partagé précédemment les idées, et particulièrement le couple Fauriel-Condorcet ? Sa tendresse reste inchangée. On peut l’imaginer priant pour ses amis avec le désintéressement de l’affection vraie, mais sans penser jamais à s’attribuer un rôle de convertisseur (son propre cas l’ayant éclairé sur la part des hommes et la part de Dieu dans un tel évènement). Il découvre à Fauriel, en toute sincérité, l’état de son âme, de ses pensées, avec une discrétion qui rend la confidence plus précieuse. Le 21 septembre 1810, de Brusuglio il écrit : « … quant à moi, je suivrai toujours la douce habitude de vous entretenir de ce qui m’intéresse au risque de vous ennuyer ; je vous dirai donc qu’avant tout je me suis occupé de l’objet le plus important en suivant les idées religieuses que Dieu m’a envoyées à Paris, et qu’à mesure que j’ai avancé, mon cœur a toujours été plus content et mon esprit plus satisfait. Vous me permettrez bien, cher Fauriel, d’espérer que vous vous en occuperez aussi ; il est bien vrai que je crains pour vous cette terrible parole, Absondisti haec a sapientibus et prudentibus, et revelasti ea parvulis ; mais non, je ne les crains point, car la bonté et l’humilité de votre cœur n’est pas inférieure ni à votre esprit ni à vos lumières. Pardon du prêche que le parvulus prend la liberté de vous faire. Après cela je suis dans les projets d’agriculture jusqu’au cou… » On ne sait pas quelle fut la réponse de Fauriel, mais la discrétion l’emportant, on ne retrouve, dans les lettres de Manzoni à son ami, qu’un rappel de ses sentiments religieux. C’est après la mort de Mme de Condorcet ; il invite son ami à venir à Milan, il y trouvera un réconfort, « dans une situation qui est bien sentie par tous ceux d’entre nous, qui sont en état de sentir plus ou moins de qu’il y a de sérieux, de noble, hélas ! et de fort dans les affections humaines. Je ne vous dirai qu’un mot sur ce sujet, et dans tous les sentiments qui accompagnent nos regrets je choisirai celui dont l’expression est en même temps la plus profonde et la plus calme, celui qui s’étend au-delà des relations de cette pauvre existence : nous prions et nos enfants prient avec nous » (lettre du 10 décembre 1822).
Son attitude envers les incroyants, il l’explique avec une parfaite netteté dans une lettre à son beau-frère Enrico Blondel qui, en 1823, reprit avec lui des relations qu’il avait rompues à la conversion de sa sœur. « Croyez que tout catholique qui se croirait dispensé d’aimer quelques-uns de ses frères sous le prétexte qu’ils ne sont pas de l’Église irait contre les préceptes de Dieu et l’enseignement perpétuel de cette Église même. Mais vous êtes trop juste pour ne pas reconnaître que le désir qu’ils ont au fond du cœur que tous les hommes viennent à cette Église est en même temps l’effet et la preuve de l’amour qu’ils ont pour eux ; car comment peut-on aimer son prochain sans lui souhaiter ce que l’on veut, ce que l’on trouve bon pour soi-même ? Ont-ils pour cela le droit d’aller sermonner en particulier ceux qui ne pensent pas comme eux ? Vous savez que personne n’est plus loin que moi d’attribuer ce droit à quelqu’un. Mais ne pas nourrir ce désir serait de l’indifférence pour ses frères, le désavouer serait une lâche hypocrisie.
Je fais des vœux avec vous pour que tous les hommes n’aient qu’un cœur en Jésus-Christ et qu’ils ne prennent pas de sa religion, qui une religion d’amour, des motifs ou des prétextes de haine » (lettre du 11 janvier 1823).
Une immense charité, mais pas de lutte. Même les « bons combats » lui sont suspects. « J’espère, dit-il au début de son livre sur Morale catholique 12, l’avoir écrit avec des intentions droites et je la publie avec tranquillité, persuadé que l’homme peut avoir quelquefois le devoir de parler pour la vérité, mais jamais celui de la faire triompher. » C’est le même sentiment qui lui fait écrire ailleurs 13 que la plus belle gloire de l’Église consiste « à avoir beaucoup d’enfants plutôt qu’à vaincre beaucoup d’ennemis ». Une religion qui a pour fin l’amour ne peut que se diminuer en guerroyant.
Ainsi se manifeste chez Manzoni une conception chrétienne très pure. Il n’accepte pas pour le christianisme de compromission avec les activités humaines d’un autre ordre. Certes, la religion doit être au centre même de toute la vie du chrétien, mais rester pure des asservissements dont la faiblesse et la malice humaines la menacent. L’apologiste, qui se sent un combattant, vise au succès, et trouble, même inconsciemment, de ses ambitions personnelles, la vérité qu’il prétend faire triompher. De même le politique qui dit servir la religion ne fait guère que se servir d’elle et, en tout cas, limite singulièrement sa qualité de catholique. « Les deux mots Religion nationale, mots prononcés par quelques-uns avec respect, avec admiration, avec envie, expriment le dernier degré d’extravagance et d’abjection auquel peut arriver la raison humaine 14. » Dans un tableau du catholicisme en France que, de Paris, Manzoni brosse pour le chanoine Tosi, on lit ceci : « Malgré les efforts de quelques bons catholiques éclairés pour séparer la religion des intérêts et des passions du siècle, malgré la disposition de beaucoup d’incrédules même à reconnaître cette séparation et à laisser la religion au moins en paix, semblent prévaloir les efforts d’autres qui veulent absolument la maintenir unie à des articles de foi politique, qu’ils ont eux-mêmes ajoutés au Symbole. Quand la foi se présente au peuple ainsi accompagnée, peut-on espérer qu’il prendra la peine de distinguer ce qui vient de Dieu et de ce qui est imagination des hommes ? » Cette lettre est du 1er décembre 1819 ; on ne dira pas que certains dangers n’ont pas été prévus à temps !
Humilité, loyauté, pureté de sa conception chrétienne, ces caractères de l’esprit religieux de Manzoni dépendent sans doute de certaines aptitudes naturelles, mais aussi de la qualité de sa conversion. Cette conversion, on a voulu la commémorer récemment à Paris, et, en l’église Saint-Roch, se trouve désormais gravé le souvenir du moment où ce grand génie retrouve la foi qui anima toute sa longue et belle vie.
Lucienne PORTIER.
Paru dans La Vie spirituelle en juillet 1938.
1 Il aurait voulu que le livre portât comme nom d’auteur Alessandro Manzoni Beccaria. Peut-être désirait-il se montrer ainsi plus proche de sa mère, mais sans doute aussi voulait-il se parer d’une gloire qui lui était apparue très grande lors d’une rencontre qu’il relate dans la lettre où il demande la modification du nom d’auteur : « Hier, j’ai eu l’honneur de dîner avec un grand homme, un poète sublime, un lyrique transcendant, avec Le Brun. » Le poète sublime, lui ayant offert un livre, avait écrit : À M. Beccaria, disant : « Je veux que mon nom choque avec celui de Beccaria ! » (Lettre à Pagani, 12 mars 1806.) Bientôt après, il signait ses lettres seulement Manzoni B., puis, en 1809, le B disparut.
2 Les lettres à Fauriel sont écrites en français.
3 F. Ruffini, La vita religiosa di Alessandro Manzoni, Bari, Laterza, 1931, v. I, p. 165.
4 On peut juger également vraies – on le verra plus tard – et l’assertion de Zanella que Henriette Blondel « après son mariage se fit catholique, ce qui induisit Manzoni à méditer sur les fondements de la religion », et celle où Louise Collet à laquelle Manzoni avait dit que, « née protestante d’une famille genevoise, elle se fit catholique, pour qu’aucune dissemblance de doctrine ne les séparât ».
5 Ceci a été très bien vu par Piero Fossi dans La conversione di Alessandro Manzoni, Bari, Laterza, 1933.
6 Je ne crois pas que ce fût pour réserver la cérémonie au clergé janséniste de Meulan, comme le dit Francesco Ruffini. Je laisse de côté la question si controversée du jansénisme de Manzoni, persuadée que si celui-ci a connu et apprécié des jansénistes, si des jansénistes ont été mêlés à sa conversion, ce n’est pourtant pas au jansénisme qu’il s’est converti.
7 Cf. Francesco Ruffini, op. cit., vol. I, p. 429.
8 Il ne peut être question de reclasser ici des témoignages dont la critique n’a pas été suffisamment méthodique. On s’est plu à rapprocher, à fondre en un seul, deux évènements, cette suprême invocation adressée à Dieu en l’église Saint-Roch et l’angoisse éprouvée le jour du mariage de Napoléon avec Marie-Louise, dans la foule où les jeunes époux se trouveront en danger, angoisse qui provoqua chez Manzoni les premières manifestations d’une longue maladie nerveuse.
Ces « maux de nerfs », comme il les appelait, Manzoni en avait été guéri après son retour en Italie (été 1810), mais il fut repris en 1816 par son mal qui, avec des moments de plus ou moins grande intensité, ne devait plus le quitter. Dans une lettre datée de Milan, 25 mars 1816, il explique longuement à Fauriel les effets de cette maladie. Ce sont des inquiétudes, des angoisses, il craint les défaillances, si bien que les grandes promenades qui seraient un remède lui sont impossibles. Il sait bien qu’il y a en tout cela une part d’imagination, mais comment vaincre l’ennemi ? Et, avec cet humour tranquille qui annonce celui des Fiancés, il parle des conseils qu’il reçoit, bienveillants, incompréhensibles et contradictoires, comme il est normal en un cas semblable. Les gens, en vous disant : « Ne pensez pas à votre mal », vous le rappellent. « Soyez gais » veut dire : « Vous êtes triste. »
De ce mal dont furent témoins ses proches et ses amis, il est dit : « Manzoni avait l’impression d’être au bord d’un abîme et, pour calmer l’impression qu’il éprouvait d’y être précipité, on avait soin, quand il était à table, de mettre à côté de lui une chaise sur laquelle il appuyait la main » (lettre du chanoine Dunoyer à Francesco Ruffini). Témoignage qui rappelle infailliblement le cas de Pascal : « Ce grand esprit croyait toujours voir un abîme à son côté gauche, et y faisait mettre une chaise pour se rassurer » (lettres de l’abbé Boileau, Paris, 1737). Cf. Francesco Ruffini, op. cit., vol. I, p. 334.
9 Les Fiancés, ch. XXI, in fine.
10 Ch. XXIII.
11 Lettre du 7 septembre 1842. Sans doute faut-il voir dans ces derniers mots une allusion à la conversion de Ratisbonne, à Rome, le 20 janvier 1862. Cf. Francesco Ruffini, op. cit., vol. I, p. 176.
12 Manzoni ne se sentait pas une vocation d’apologiste et avait écrit cet ouvrage de très mauvais gré, sur les instances de son directeur. Tosi aimait à rappeler que, pour l’obliger à écrire ce pensum, il l’enfermait dans son cabinet de travail (cf. Ruffini, op. cit., I, p. 266). Après avoir longtemps refusé de donner la deuxième partie annoncée, Manzoni dut, entre 1850 et 1855, par suite de nécessités éditoriales, reprendre l’ouvrage qui devait figurer dans la Raccolta di Opere varie et y ajouter des appendices. Il disait plaisamment à sa fille qu’il n’avait pas eu le courage encore de terminer un de ces appendices qui devait figurer dans le septième fascicule de ses « corbellerie varie » (cf. Ruffini, op. cit., II, p. 233).
13 Lettre à Edmond de Cazalès qui lui avait demandé sa collaboration à la Revue Européenne ; Manzoni se récusait, tout en adressant ses compliments à tous les collaborateurs (29 février 1832). Cf. Ruffini, op. cit., II, pp. 103 sq.