Un deuil dans les lettres
féminines, Jean Balde
par
Henri POURRAT
Elle devait se savoir condamnée ; je le comprends à présent, resongeant à sa dernière lettre. Depuis des mois elle était retournée à sa maison, à Latresne, comme si elle ne pouvait avoir d’autre mort que girondine, elle qui avait été toute faite par sa douce terre de Gironde. Ce pseudonyme de « Jean Balde », elle l’avait emprunté à son grand-père, Jean-François Bladé, le bon folkloriste qui a recueilli les contes populaires de là-bas. Ce d’Artagnan de plume, comme elle le nomme dans le livre où elle l’a peint d’une touche vive et fraîche, Camille Jullian l’a défini « l’homme de la Gascogne ». Elle a fait sentir pourquoi le titre est mérité, dans ce portrait de l’excellent conteur, où c’est toute une terre et toute sa gent, toute une vie et tout un monde qui, avec lui, approchent de notre air.
Et pour comprendre combien elle aussi était de cette terre, il n’est que de lire son dernier volume de « souvenirs bordelais », La Maison et le Fleuve. Brusquement, maintenant, cela fait figure de mémoires écrits pour laisser après soi et où le mémorialiste a fait passer son secret même : non pas seulement des attendrissements, des malices, des magies, mais l’immense petit mystère de l’enfance autour des parents et des camarades, de la maison de ville à la maison de campagne. Et davantage : sa sourde et secrète chanson, celle qui lui est toujours montée du fond du cœur comme la plus chantante des musiques.
Je revois Jean Balde, que je n’ai vue qu’une fois. Sous l’éclairage de la mort, il semble qu’elle aussi on la comprenne mieux : qu’on sente soudain ce qu’il y avait en elle de longuement doux et chantant, dans une sagesse assez déchirée pour mériter le nom d’amertume, si elle n’avait su toujours, d’un grand mouvement d’âme, se tourner vers l’espérance.
D’autres parleront de sa vie ou de sa destinée littéraire. Lui a-t-on fait sa juste part de renom, malgré ce Prix du Roman que l’Académie avait donné à Reine d’Arbieux ? Il suffit qu’elle ait eu un public fidèle qui ne faisait pas que la lire, qui l’entendait, qui l’aimait. Je voudrais seulement ici chercher dans quelques-uns de ses livres pourquoi elle a été aimée et ce que lui ont demandé ceux qui sont venus à son œuvre.
Dans la Maison et le Fleuve, avec l’énigmatique coquetterie du romancier qui se sent déjà sur une autre rive, elle s’est définie l’une des dernières jeunes filles de l’ancien temps. Le temps d’avant la guerre, d’avant le déluge, où par les grand-mères, dans l’odeur des tartines grillées et du feu de bois, on touchait encore à Eugénie Grandet et à Mme de Mortsauf.
Vieille France des provinces !
T’ai-je parlé du Dr Leymonerie ? Il avait trois filles : Christine, Fantine et Élisa. Quand la duchesse d’Angoulême passa à Bordeaux, Mme Leymonerie fit faire à l’aînée une robe en taffetas puce avec un petit mantelet.
– Christine, décida-t-elle, ira voir le matin Son Altesse Royale à son arrivée. Fantine reprendra ensuite la robe pour aller à la présentation de l’après-midi.
De même, le dimanche, Christine se parait de la robe puce pour la grand’messe et Fantine l’enfilait avec précaution pour paraître aux Vêpres. Leur plus jeune saur, Élisa, se maria à 16 ans avec sa robe de première Communion. C’était ta tante Liaubon. Elle avait la propriété de Campez, à Saint-Caprais, et vivait tout le jour d’un chou à la crème : le fond et la crème pour son déjeuner, la calotte le soir...
Les mères n’avaient eu pour armes que le dé, les ciseaux d’argent, le chapelet dans un cocon d’os sculpté et le médaillon d’or suspendu par un velours noir sur une gorge en fleur. « Le diplôme était chétif, mais on l’encadrait. » Le principe fondamental était alors de conserver. Les jeunes filles n’avaient pas l’idée qu’elles seraient peut-être un jour obligées de gagner leur vie.
Pour celles qui suivent, tout change. Ce sont celles qui étudient, qui prennent un métier, qui entendent faire elles-mêmes leur destin. Ont-elles goûté moins que leurs devancières ce coin de jardin humide, fleuri de cyclamens, devant le fût cannelé d’une colonne antique où l’on se réfugie pour lire la Dame de Monsoreau ? Ont-elles moins aimé les domaines, avec le corridor plein de lithographies, les placards pleins d’albums de Cham, l’arbuste dont on ne sait pas le nom, aux fruits rouges, contre la fenêtre basse et moisie de la cuisine – on voudrait aller chercher Francis Jammes, – et ces craquements du parquet dans la torpeur chaude, tandis qu’une abeille bute à la vitre. Ont-elles été moins poètes parce qu’elles n’avaient plus une longue boucle romantique leur glissant sur le cou ? Ont-elles moins bien donné son grand goût à la vie ? Ce livre est là pour dire que non.
D’un passé qui fut peut-être maussade, des souvenirs se lèvent, pareils à ces femmes sur le quai boueux, ces émigrantes aux tresses d’ébène, à la peau dorée, qui, vêtues de robes d’indienne à fleurs, ressemblaient, dans le brouillard du matin, à quelque parterre de tulipes.
Ainsi ce passé, tiède encore peut-être, mais déjà si défait, le voilà qui a fleuri comme si, sur ces pays mouillés et dévastés, Jean Balde avait fait lever un soleil de grandes vacances et d’adolescence.
L’adolescence. Le temps du trouble et de l’élan à la chaleur du cœur. Comme par prescience, sans peut-être le savoir, mais sentant s’allonger jusqu’à elle l’ombre de la mort, Jean Balde semble dans tout son œuvre avoir cherché la vie au point le plus marqué de sa courbe, là où elle est, dans sa plus grande inquiétude, au moment du choix décisif.
Un de ses livres, fait de quatre ou cinq nouvelles aux couleurs des vieux domaines, a pour titre Aiguillages. C’est vrai que l’enfance est lente et d’un cours paresseux et que, brusquement, vers 16 ou 18 ans, tout se précipite. Ces voies de départ fuient vers les quatre horizons. Quels aiguillages orienteront-ils les destinées en ces heures tumultueuses où les jeunes gens prennent le départ vers l’avenir ? Le terrible serait de songer à la part du hasard. Comme il faut savoir gré à Jean Balde d’avoir montré ici que le destin, ce sont les inspirations profondes du cœur. N’est-ce pas sa leçon, son message ? Celui qu’on retrouverait dans ses livres : Les Dames de la Miséricorde, Madame Élisabeth, Madame de Girardin, Jeune filles de France d’Eugénie de Guérin à Hélène Boucher, et même la Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus racontée aux enfants. Celui de ses poèmes : Mausolées, la Vigne et la maison. Celui de ses romans, les premiers parus d’abord, les Ébauches, les Liens, la Survivante 1.
Arène brûlante, il est vrai, c’est l’histoire d’une grande pianiste déjà sur l’âge : le problème de l’art, terrible, exigeant, aveugle, et du pauvre cœur humain qui ne se passe pas d’aimer et de vouloir échapper à la solitude. Précisément, cette grande pianiste est jeune un peu trop tard. Elle va s’affronter dangereusement à la jeunesse : un garçon, compositeur de génie, et une petite fille de 18 ans. Tous trois, ils lutteront, ils s’aideront, se contrarieront, et leurs destinées, comment s’en tireront-elles ? Conflits menés dans la fièvre de Paris, mais aussi en grand air, dans la lumière, parmi les sables, les pins et le vent de la Pointe de Grave. En cet air, l’ordre se refait naturellement et les destinées repartent, selon leur ligne, sur l’arène brûlante.
La Touffe de gui, c’est aussi, amer et doux, de touche juste, le roman d’une vieille fille qui, en adoptant une petite fille que les circonstances lui apportent, comme un arbre où s’est attachée une graine apportée par le vent, nourrira désormais cette graine de sa sève et ne vivra plus que pour elle. En se rattrapant du choix manqué et de la jeunesse perdue par une autre jeunesse à retardement, n’est-ce pas ainsi que celle qui n’aurait pas été mère connaîtra vraiment la vie, même dans les tracas et la peine ?
La Maison Marbuzet, c’est la chronique de la famille d’un vieil antiquaire, artiste et honnête homme, dont la bru, une Juive, a beaucoup de manège ; c’est surtout le roman des deux fils et l’histoire de leur choix : l’un, l’inquiétant benjamin, devient l’aide de camp d’une sorte de Stawiski, et, provisoirement, réussit trop bien ; l’autre, un peintre, un garçon sauvage et de cœur roide, prend la vie plus grandement, et ce camp de jeunes gens dans la montagne met bien dans le climat de la jeunesse d’aujourd’hui.
Mais n’est-ce pas surtout Reine d’Arbieux que l’on reverra parmi cette galerie des personnages de Jean Balde ? Reine, chère Reine, victorieuse à la fin des hommes trop faibles ou trop durs, de la vie et de ses songes. Vous voilà, charmante et grave, sous les pins chantants ou dans votre petite maison provinciale. On peut beaucoup aimer votre histoire, d’une simple vérité humaine, si touchante. Ici court une vie douce et tremblante, de qualité rare. C’est beau cette victoire du bonheur sur le romantisme pour une plus grande noblesse.
Le Goéland, d’un accent plus amer que Reine d’Arbieux et plus entraîné par un vent d’orage, porte le même mot d’ordre de finale victoire :
... Lorsque le vol qui formait un nuage s’est dispersé par gros flocons, l’un d’eux se détache pour une royale rêverie. Celui-là glisse seul. Il est le sauvage ami du bassin vert glauque, gris de lune ou bleu ; l’ami des dunes boisées, odorantes et violettes, à l’âme solitaire ; l’ami des nuages cendrés et couleur de boue que le vent pourchasse. Il voit aller et venir les petites barques pareilles à des fourmis noires. Il voit s’élever et s’abaisser les voiles grises, les voiles rousses, les hommes courbés jeter le filet et le retirer. Il les dépasse et les domine. Il est par moments plein de joie, d’orgueil et de cris. Il est le goéland gris argent que nulle main humaine n’a touché. Son poitrail n’a jamais trempé que dans le vent, le soleil et l’eau. Il est la vie vierge. Le ciel est à lui, et l’océan, et le monde...
C’est l’oiseau de l’essor et de la sauvagerie, le cousin de cet albatros que les Fleurs du mal ont fait chérir à toutes les âmes romantiques. « Triste pèlerin égaré des routes du ciel », sans doute, mais qui, sans prétendre faire son empire des solitudes atlantiques, tourne dans les hauts remous de l’air au-dessus des sablons et des pins ; au-dessus aussi de ce parc aux huîtres, dont mieux vaut ne pas accuser le symbole, dans le bassin girondin, où se mirent face à face le misérable village de pêcheurs, parfumé de goudron et de forte cuisine, et les villas et palaces de la vie éblouissante. Là-bas, les retraités de la marine, assis sur un bout de banc, chiquent et échangent sans lyrisme des propos de voisins ; ici, escorté de blancs lévriers bondissant comme des strophes, ange du flamboyant, Gabriel d’Annunzio marche sur le sable devant les feuillages de luxe. Un adolescent ballotté, au cœur enfiévré, blessé par les uns, rejeté par les autres, ne trouvera à s’échapper, comme le goéland, qu’en hauteur, avant l’heure de l’amour qui lui donnera enfin son royaume.
Jean Balde a bien saisi là son grand sujet, simple et pesant, la tristesse inquiète de la solitude. Éternelle et peut-être unique tristesse de l’être humain, toujours à la recherche d’une compagnie.
Ce problème du choix fait la vie même d’un être, et cela à l’âge où cet être se forme. Un jeune garçon va se trouver coincé entre le besoin furieux de son cœur – ce besoin si fort qu’il devrait commander le monde, semble-t-il, l’organiser pour l’affection et l’entente – et quelque chose de plus fort qui le bloque : ce monde même, énorme et plein d’inconnu.
C’est une histoire vraie, sans doute, l’histoire d’un adolescent sur la naissance de qui pèse un certain mystère honteux. Une femme venait le voir furtivement, dont on n’a jamais su le nom. De là, chez un garçon bien doué, un malaise, une angoisse, un désir de savoir peu à peu exaspéré. Et dans ce cœur, ce qui n’était qu’amour violent, se trouvant toujours refoulé, a pris à la longue les couleurs de la haine.
Voilà l’histoire que Jean Balde, sans la romancer, a élargie et rendue significative. Peu de romanciers ont eu, comme elle, en effet, à la fois le sens de la famille et le sens de la vie individuelle, le sens profond de la vie intérieure, des mille replis et différences qui isolent chacun de nous, même au milieu des siens. Peu ont su parler de l’individu dans la famille avec autant de sagesse chrétienne. Sagesse qui est tout ensemble vision claire des conditions de toute civilisation et respect profond de l’âme toujours en secret travail.
L’on ne reprochera pas à ces personnages d’être de bons jeunes gens tout unis. De tous, en effet, l’on pourrait dire ce qui est dit de l’un d’eux dans les Liens : « Quelque chose d’âcre et de convulsif travaillait son cœur. » Et c’est ainsi qu’ils sont vrais. Et c’est ainsi qu’ils intéressent. À côté de ceux-là, souffrants, contractés, refoulés, puis vainqueurs, nous entendons « ce battement d’ailes de la vie qui monte ».
Voici donc ce Michel, enfant d’un sang violent, plein de sève, d’idées, de songes. Sa mère le fait élever dans une famille de pêcheurs et vient le voir de fois à autre, mais sans rien lui livrer jamais du passé ni de sa vie présente. Et si le village a adopté ce garçon, avec un mélange de cordialité et de rudesse populaires très justement peint, ce n’est pas sans lui marquer qu’il est un peu en marge. Cet être qui se fait, mois par mois, et devient un homme, vivra donc sa vie au contact des forces naturelles, sous la bruine et les nuages passant. Tout baigné d’air marin, de vent rude, il va de l’océan salé à la forêt de genêts et de pins dont les résiniers ne dérangent pas le silence.
C’est le bassin d’Arcachon et, au bord de ce bassin, le village d’Arès. De ce canton forestier et maritime, Jean Balde a donné une peinture toute de suavité, de fluidité nacrée, sous les tombées de rayons qui glissent, poussés par de légères brises pluvieuses arrivées de l’océan. Poésie d’un lyrisme un peu accusé, peut-être. Mais elle reste en clé avec la songerie secrète de Michel. Il ne saurait dire ce qui lui passe ainsi près du cœur, les soirs d’été, dans la forêt pleine d’un goût de résine et d’un bruissement d’insectes ; ou bien au petit matin, sous la lune, étendu au fond de la pinasse qui dérive sur les eaux plates colorées de tous les prestiges de l’aube. Il ne sait même pas que cela entre en lui pour toujours. Cet amour assez âpre des grandes choses naturelles, cette amitié faite avec elles et peut-être bien contre les hommes, sont l’un des traits de cette âme qui se satisfait de solitude et d’orgueil.
Je sais que Jean Balde faisait des séjours à Arès depuis quinze ans. Mais, avant d’écrire ce livre, elle a vécu toute une année de la vie des pêcheurs et des parqueurs d’huîtres sur le bassin d’Arcachon, les suivant, allant avec eux sur leurs parcs, de nuit et de jour, sous la pluie, dans le brouillard, observant ces travaux si différents au cours des mois et connaissant toutes les heures de cette existence de liberté et de dur labeur au grand air. Puis-je citer quelques lignes d’une lettre ?
Le temps que j’ai passé là-bas à dormir au fond de leur pinasse, en attendant l’heure de la marée, ou à regarder sous la lune ce beau travail du filet qu’on jette, qu’on retire, vous ramenant au temps de l’Évangile, est peut-être le meilleur de ma vie. Puisse mon livre avoir retenu quelque chose de ces grands souffles purs et sauvages !
D’ailleurs, qu’on n’aille pas croire à un cadre posé autour du roman. Ce pays, ces gens et leurs travaux font la trame même de la vie de Michel. Il est dans l’air qu’il fallait pour que son histoire prenne son sens. C’est bien ici que l’enfant, rejeté à la solitude, pouvait devenir un homme, dans cette existence donnée à la fois à l’éreintant travail et au demi-vagabondage des courses de pêche et de chasse. Un homme au cœur violent, mais affiné de nerf et de fibre, prêt à la noblesse.
Autour de Michel, sa mère, Laure, l’abbé Danizous et les pêcheurs ; les Picquey, surtout, qui nourrissent l’enfant, et leur fille, cette petite figure claire d’Estelle, rose comme une coquille des sables. Ce sont ces êtres qui vont jouer les uns sur les autres, se heurtant, se modifiant, et modelant ainsi leur destin. Peu d’évènements et presque pas de fortuit. Toujours, chez Jean Balde, le cœur mène tout. Et, par moments, de grands mouvements de cœur, des espèces de sursauts, de rétablissements, marquent une nouvelle ère dans l’histoire de ses personnages.
Laure, la curieuse figure de femme et de mère Une créole, non point indolente, mais sans courage. Sans confiance, malgré l’amour pour cet enfant qui lui tient si fort au cœur ; tout effarée à l’idée d’un bouleversement possible et liée d’ailleurs par le drame qui a faussé sa vie. Ce n’est que peu à peu, dans ses affaires avec les Picquey et les gens du village, en face de l’abbé, surtout, et dans sa lutte pour conquérir Michel, que s’éclairent les ombres de ce caractère à demi mystérieux.
L’abbé Danizous, ce jeune prêtre souffrant, clairvoyant, découragé par des ouailles sans mysticisme et qui vit tellement quellement dans un presbytère en désordre, n’a guère moins de relief que la mère. Elles sont faites pour émouvoir, ces pages d’une tristesse si âcre, si discrète, où le prêtre qui se sent décliner voit se rebeller l’enfant farouche dont il rêvait de faire son enfant. C’est le poème déchirant de la bonne volonté de cœur, impuissante, dédaignée, et qui se résigne, sachant que, peut-être, elle n’aura pas été inutile.
Michel s’est fait pêcheur contre son professeur et contre sa mère. Et, à Bordeaux, où il ira pour se rapprocher d’elle, confiné dans une étude de notaire, il deviendra de plus en plus un être de colère et d’amertume. Un jeune homme orageux, froissé, contracté. Le jour où sa mère, brusquement rencontrée, se détourne de lui dans la foule, il connaît la stupeur de l’homme exclus qui découvre soudain que le monde est mauvais parce qu’il n’est pas fait selon son cœur. « C’était si profond, cette détresse, ce sentiment d’être rejeté par quelque chose de plus fort que tout son amour... » Une colère et la haine alors emportent tout.
Michel retournera à Arès, au travail physique en air libre, à la vie d’homme. S’il ne sait plus ; ne veut plus s’agenouiller dans l’église, son âme garde le besoin de Dieu. L’abbé l’a orienté pour la vie. Et, à Arès, Estelle l’attend, la délicieuse petite qui le comprend et l’aime – qu’elle est fraîche, juste de ton, cette idylle sans une phrase d’amour, – Estelle qui lui ouvre enfin le pays de la vie vraie. Un jour, dans un tramway, il se trouvera, de nouveau, face à face avec sa mère...
Je referme le Goéland, cette histoire d’un enfant solitaire qui devint, malgré tout, un être d’amitié. L’image qui demeure est celle d’un pin au bord des eaux, un pin dans le grand vent, dont le branchage secoué, tout brillant, tout sombre, repose bien sur son fût élastique, mais noueux, couleur d’ombre et d’aurore. Devant l’arbre, avec un genêt en fleurs d’or et tout un long pays maritime, il y a maintenant un tombeau. Mais par delà, dans l’espace, entre ses branches, c’est tout le bleu inexplicable du ciel, ce bleu sans limites où se perd le regard.
Henri POURRAT.
Paru dans la revue Le Noël
en juin 1938.