Galilée ne fut pas un martyr

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Gerhard PRAUSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES simplifications dans la présentation des faits et dans les contextes historiques sont inévitables, particulièrement dans le domaine de l’enseignement scolaire. Elles sont souvent sans grand inconvénient, comme par exemple ce récit connu du monde entier, de la comparution de Luther devant la Diète, à Worms, en janvier 1521. Accusé devant l’empereur et la Diète et invité à se rétracter, il aurait dit : « Je suis ici ; je ne puis faire autrement. Dieu me soit en aide. Amen ! » Mais c’est là une simplification. En réalité, en terminant sa défense, devant Charles Quint qui avait alors vingt et un ans et après qu’on lui ait à nouveau demandé s’il était prêt à rétracter ses « erreurs », il a prononcé ces paroles : « Votre Majesté et Vos Seigneuries réclament une réponse simple et droite. Je veux la donner telle, sans m’armer de bec ou d’ongles. Que ce soit donc par des témoignages de l’Écriture ou par des arguments clairs et raisonnables, que l’on me convainque ; car je ne crois ni au pape ni aux seuls conciles, parce qu’il est manifeste qu’ils se sont plusieurs fois trompés et contredits. C’est ainsi que j’ai été convaincu par les passages des Écrits Saints que j’ai cités et je suis devenu captif, en ma conscience, de la parole de Dieu. C’est pourquoi je ne peux et ne veux rien rétracter parce qu’agir contre sa conscience est pénible, fâcheux et dangereux. Que Dieu me soit en aide. Amen. »

Quand Luther, qui était déjà à cette époque sous le coup de l’excommunication, apprit qu’il était banni de l’empire, il dit alors : « Si cette affaire est celle des hommes, elle disparaîtra, mais si c’est celle de Dieu, vous ne pourrez pas la détruire. »

Ce furent ses derniers mots à Worms, devant l’empereur et la Diète, et ce sont vraiment des mots plus grands, plus puissants, plus pleins de foi et, si l’on veut, plus orgueilleux que ceux qui courent les livres de lecture.

Un bon siècle plus tard, un autre homme fut adjuré devant un tribunal de désavouer ses écrits et ses conceptions : Galilée (Galileo Galilei), qui prétendait que la terre tournait autour du soleil. Son histoire a été aussi terriblement simplifiée. Mais, dans ce cas, elle fut en même temps entièrement faussée et ces falsifications ont eu des suites funestes dont les résonances se font encore entendre de nos jours. L’histoire de Galilée prouve aussi combien les falsifications ont la vie dure. On peut les rectifier aussi souvent que l’on voudra, elles continueront à vivre, inchangées, dans la mémoire de millions d’hommes. Elles sont devenues d’inébranlables « éléments de la culture », on y a continuellement recours et même dans les domaines qui ne les touchent pas de près. C’est ainsi que cela se passe pour la soi-disant phrase de Luther : « Je suis ici ; je ne puis faire autrement » ou pour les mots fameux de Galilée : « Et pourtant elle tourne », et pour l’un comme pour l’autre, ces paroles n’ont jamais été prononcées. Ce fut en vain que, dans des livres extrêmement répandus, des historiens de métier et un écrivain célèbre dans le monde entier ont démenti la légende de Galilée. Ils l’ont dénoncée en pure perte comme étant le « plus grand scandale de la chrétienté » dans l’histoire du monde, Galilée continue à être considéré comme un martyr de la science, ce qu’en réalité, il n’a jamais été.

C’est en dernier le Hongrois Arthur Koestler qui a dépeint, dans tous ses détails, ce que fut réellement le procès de Galilée devant l’Inquisition de Rome et qui a donné les raisons de ce procès, dans son livre Les Somnambules, qui fut très apprécié. Immédiatement auparavant, avait paru le Roman autour de Galileo Galilei du Hongrois Zsolt Harsany. Il y citait de nombreux éléments émanant de sources irréfutables et principalement des actes du procès. Galilée n’y apparaît pas du tout comme un martyr.

Au siècle dernier déjà, dans les années qui suivirent 1870, les recherches historiques avaient commencé à arracher Galilée à sa légende. Ce cliché montre le grand savant italien traqué par les représentants obscurantistes de l’Église catholique, lui, le représentant de la vérité scientifique et finalement réduit au silence sans ménagements. Les actes du procès de Galilée venaient d’être rendus publics à cette époque, et personne ne pouvait s’attaquer à la légende sans ces bases indispensables.

Pour la plus grande part, c’est d’ailleurs à Napoléon que l’on est redevable de leur publication. En 1810, il avait occupé Rome et les États pontificaux puis les avait rattachés à la France. Il fit transporter à Paris les actes et les volumes de documents si jalousement conservés dans les archives secrètes du Vatican. Parmi ces documents, figuraient entre autres les actes et procès-verbaux du procès de Galilée.

Leur publication, prévue par le gouvernement français, n’eut pas lieu à cette époque. On avait d’autres soucis à Paris : Napoléon avait été envoyé à l’île d’Elbe en 1814 et l’année suivante à Sainte-Hélène. Mais le nouveau gouvernement français ne se montra pas décidé à renvoyer à Rome les épais in-quarto du procès de Galilée, bien que la Curie, tout de suite après la chute de Napoléon, se fût empressée de les réclamer.

Il existe à ce sujet un échange de lettres entre l’ancien légat du pape à Paris et le ministre de l’Intérieur français. Le ministre acceptait le retour immédiat des documents et précisait même le jour et l’heure où ils devaient être reçus. Mais ensuite on prétendit que la restitution ne pouvait pas s’effectuer parce que le roi désirait prendre connaissance lui-même des pièces du procès de Galilée ; les dossiers se trouvaient donc déjà dans le cabinet de Sa Majesté, mais ils seraient rendus dès que le roi les aurait lus. Ce ne fut que trente ans plus tard, en 1845, que les Français les restituèrent, après avoir raconté, entre-temps, que les documents avaient été perdus. La restitution n’eut lieu qu’à la condition expresse que les documents seraient rendus publics.

Le Vatican a non seulement accepté, mais a tenu parole, après bien des hésitations. La conjoncture politique était d’ailleurs défavorable. La révolution de 1848, qui chassa momentanément le pape de Rome, sembla mettre de nouveau en danger les actes du procès de Galilée qui venaient juste d’être récupérés, car on les cacha. Deux ans plus tard, Pie IX en fit don à la bibliothèque du Vatican. Cela signifiait qu’ils n’étaient plus sous clef dans les archives secrètes, mais qu’ils pourraient être consultés, toutefois pas encore par tout le monde. Cependant, peu de temps après, ils reprirent le chemin des archives secrètes vaticanes. Vingt ans passèrent encore, avant que les documents contenus dans ce dossier que Napoléon avait fait envoyer à Paris ne fussent rendus publics.

Le dossier contient-il tous les documents relatifs au procès ? On ne saurait plus l’affirmer aujourd’hui. Cependant les plus importants n’y peuvent pas manquer. Cela ressort des autres sources d’information qui furent aussi mises à jour à cette époque. Par exemple : les rapports que fit sur le procès l’ambassadeur toscan à Rome, à son gouvernement de Florence. Galilée était mathématicien à la cour du grand-duc de Toscane. Ce qui le mettait sous la protection du grand-duc et de son ambassadeur. Pendant toute la durée de son procès, il vécut à l’ambassade de Florence. Une des sources d’information les plus précieuses, et de loin, pour les historiens, sont les lettres de Galilée lui-même.

Il fallut attendre que tout fût mis à jour, pour que les recherches sur Galilée puissent commencer sur des bases solides. Une étude approfondie du « plus grand scandale de la chrétienté » fut mise en chantier avec une grande vigueur. D’ailleurs – et cela rappelle la publication des archives de la Bastille pendant la Révolution française – on ne se précipita pas d’un tel élan sur les documents parce que l’on voulait faire éclater la vérité sur la légende du martyr, mais pour d’autres motifs diamétralement opposés.

Ce sont les lettrés protestants d’Allemagne qui avaient un intérêt particulier à trouver une confirmation à la légende du martyr et à la légende de l’Église obscurantiste, car Bismarck menait alors le « combat de la culture » contre l’Église catholique. Mais les recherches fournirent déjà, à cette époque, une image toute différente de celle que l’on s’était forgée jusque-là. Il apparut dès lors que c’était à tort que Galilée était entré dans l’histoire comme « martyr de la science » ; mais on ne s’attarda pas à ce nouveau point de vue et beaucoup ne voulurent pas l’admettre.

On s’était représenté jusque-là Galilée comme un penseur génial, un savant qui avait démontré la réalité d’un univers héliocentrique et qui, de ce fait, avait été opprimé brutalement par l’Église catholique. On prétendait que Rome, pleine de crainte et d’inintelligence, se cramponnait à la conception orthodoxe héritée d’Aristote et de Ptolémée, d’après laquelle la terre était immobile, qu’elle constituait le centre du monde et qu’ainsi non seulement la lune, mais aussi le soleil et toutes les étoiles tournaient autour d’elle. Rome repoussait avec méfiance toute nouveauté, toujours par crainte qu’un élargissement ou une modification dans la connaissance ne viennent faire vaciller sur ses bases la doctrine chrétienne, l’enseignement de l’Écriture étant lié à une image donnée du monde. L’Église entrava donc les travaux de Galilée, refusa tout ce qu’ils apportaient de nouveau et finalement le terrassa. On parlait de tortures sous lesquelles il avait dû abjurer ses enseignements, et il est dit encore dans certains livres d’histoire, qu’après sa rétractation il avait passé plusieurs années dans un cachot.

Galilée devint ainsi le martyr de la liberté de pensée et le pape Urbain VIII, le représentant d’un « Moyen Âge couvert de ténèbres ». Les faits étaient non seulement entièrement déformés, mais – comme Arthur Koestler le met en évidence – les conséquences en furent désastreuses. L’Église passa dès lors pour résolument arriérée et ennemie de tout progrès, et la pensée occidentale se trouva brisée en deux groupes hostiles : d’un côté la raison et de l’autre la foi. Sous l’effet de cette scission, beaucoup de faits ont été présentés d’une façon erronée par suite de malentendus et d’autres ont été volontairement faussés. Une fois de plus, était né un de ces éléments de l’histoire qui interdisait tout examen objectif.

On en trouve un exemple dans le comportement du chanoine de Frauenbourg, Nicolas Copernic, qui vécut de 1473 à 1543 et qui provoqua ce que l’on a appelé « la révolution de Copernic ». Cet Allemand pédant, qui voulait simplement améliorer le système de l’univers de Ptolémée à qui il reprochait quelques défauts d’esthétique, était tombé, en lisant les philosophes de l’antiquité, sur les exposés des penseurs grecs et d’Aristarque de Samos. Ces Grecs, et Aristarque en particulier, affirmaient déjà trois siècles avant Jésus-Christ, que toutes les planètes, y compris la terre, tournaient autour du soleil. Ce système d’un univers héliocentrique fut repris et reconstruit par Copernic. Cependant l’ouvrage dans lequel il exposa toutes ses idées demeura dans un tiroir.

On peut éternellement prétendre que Copernic n’osa pas rendre son œuvre publique, par crainte de ses supérieurs ecclésiastiques, ce qui était parfaitement inexact. En réalité, il redoutait – comme il le dit lui-même – que les professeurs d’université « se moquent de lui et sifflent son théâtre ». Peut-être se rendait-il compte que son ouvrage, auquel il avait donné le titre de De revolutionibus orbium caelestium, c’est-à-dire Des révolutions de l’orbite céleste, n’était pas le fait d’un esprit scientifique sérieux, mais présentait plutôt un mélange de magie et de mystique.

Cet ouvrage était déjà terminé en 1507. Copernic ne le fit publier qu’en 1543, alors qu’il avait presque soixante-dix ans et il ne s’y décida que sous les exhortations pressantes de ses supérieurs ecclésiastiques qui avaient entendu parler de ses travaux. En particulier le pape Clément VII témoigna pour eux d’un grand intérêt après avoir pris part à un collège qui, en 1533, avait étudié la conception d’un univers héliocentrique. Quelques années plus tard, il chargea un de ses familiers, le cardinal Schönberg, d’examiner l’affaire de plus près, et le cardinal écrivit à Copernic que c’était plein d’admiration qu’il avait appris que lui, Copernic, « avait exposé une nouvelle théorie de l’univers d’après laquelle la terre se mouvait avec le soleil pour centre du monde » et qu’il lui adressait « la prière la plus instante de rendre sa découverte accessible au monde lettré ». Copernic se laissa persuader et la « révolution de Copernic » s’ensuivit, mais pas – comme elle est si souvent présentée à tort – contre la volonté de l’Église, mais tout au contraire avec son aide. Sans l’Église, l’ouvrage de Copernic serait peut-être toujours resté dans un tiroir.

On voit donc qu’il en alla de la « révolution de Copernic » comme de la découverte de Christophe Colomb et de nombreux autres changements décisifs : l’idée était dans l’air. D’autres aussi avaient déjà glané chez les anciens, avaient réfléchi et tiré des conclusions. Car le système de Ptolémée, cette conception géocentrique de l’univers, selon laquelle tout tournait autour de la terre, ne plaisait pas à tous les érudits. De plus en plus, et avec toujours plus de précision, ils observaient la marche des étoiles et le résultat de leurs observations cadrait de moins en moins avec le système de Ptolémée.

On voyait évidemment le soleil se lever et se coucher comme il le fait réellement et l’on voyait la lune en faire autant et ils semblaient tourner autour de la terre. Mais avec presque tous les autres corps célestes, les observations se compliquaient. Il était évident qu’ils ne traçaient pas un cercle autour de la terre. Mais supposer qu’ils décrivaient un épicycle, en une sorte de spirale, n’expliquait pas tout. Et c’est ainsi qu’un malaise, qui grandissait régulièrement, commença à se manifester à l’égard du système de Ptolémée.

Le grand avantage qu’avait ce système sur les autres était qu’il s’accordait parfaitement avec les Écritures. Il n’est, par exemple, pas en contradiction avec le récit de ce miracle rapporté dans le Livre de Josué (Chap. X, vers. 12 et 13) et que Luther citait en démenti de Copernic. Josué voulut que le jour se prolongeât pour que le peuple d’Israël eût le temps de se venger de ses ennemis et il cria : « Soleil, reste immobile vers Gabaon et toi, lune, vers la vallée d’Ajalon ! Et le soleil et la lune s’arrêtèrent jusqu’à ce que le peuple se fût vengé de ses ennemis. »

Ce passage des Écritures, argumentait-on, laisse sous-entendre un mouvement du soleil ; mais il ne s’expliquait plus avec le système de Copernic qui veut que le soleil soit le centre de l’univers et qu’il reste immobile.

L’hypothèse de Copernic – lui-même était mort l’année de la parution de son ouvrage – ne connut pas un succès décisif. Qu’elle ait opéré une révolution ou qu’elle ait occasionné une illumination soudaine, fait partie également d’un besoin de simplification qui se retrouve éternellement. En 1965, le professeur Franz Baur écrit dans son livre Culte des étoiles, Astrologie, Astronomie que toutes les difficultés et tentatives artificielles d’explications de Ptolémée « se trouvèrent mises à l’écart d’un seul coup par l’idée géniale de Copernic, à savoir que toutes les planètes se déplaçaient dans une même direction autour du soleil et que la terre n’était rien d’autre qu’une planète et qu’elle tournait aussi autour du soleil, entre Vénus et Mars ». Mais dans cette interprétation, Baur s’égare. On prêta au contraire peu d’attention au système de Copernic. Il n’apparut pas davantage, par la suite, que ce système s’accordât mieux que celui de Ptolémée avec les observations effectuées. Copernic, lui non plus, n’était pas arrivé à s’en tirer avec le mouvement des planètes, bien qu’il les eût fait tourner autour du soleil. L’exposé de Copernic n’apportait, en aucune façon, une solution simple et claire à de nombreux problèmes. Au contraire, certains n’en devenaient que plus compliqués.

Ainsi, par exemple, Copernic ne put pas abandonner les épicycles si gênants du système de Ptolémée, et même il avança que les planètes tournaient autour du soleil d’épicycle en épicycle. Mais n’arrivant pas ainsi à tout expliquer, il admit que le centre exact n’était pas le soleil, mais le point pris pour centre de l’orbite terrestre. Ce ne fut qu’un demi-siècle plus tard que Johannes Kepler sut s’y retrouver dans le véritable mouvement des étoiles, leur parcours et les lois auxquelles elles obéissaient.

Dans le système ébauché par Copernic, tout s’était encore compliqué, certains points restaient pleins de mystères et les erreurs étaient nombreuses. En tout cas, son ouvrage était écrit en un style lourd, sec et parfois difficile à comprendre. Mais surtout Copernic n’avait pas donné la moindre preuve de l’exactitude de ses hypothèses. Il n’offrait que des affirmations ! Ce point est souvent perdu de vue aujourd’hui et presque toujours passé sous silence, mais c’est pourtant l’élément primordial de toute discussion à son sujet. Et dans le cas de Galilée, c’était aussi la question déterminante qu’il fallait se poser.

Galilée était né à Pise en 1564 et avait déjà étudié, jeune homme, le système de Copernic, mais ce ne fut qu’à presque cinquante ans qu’il professa publiquement les enseignements de Copernic. Jusque-là, écrit Koestler, il a eu peur, exactement comme Copernic, « que pussent rire de lui les confrères aux idées étroites qui occupaient les chaires d’astronomie à Bologne, à Pise et à Padoue ». Galilée ne devint célèbre que par sa découverte des satellites de Jupiter. En 1610, peu de temps après qu’un Hollandais eut imaginé un télescope, Galilée reconstruisit l’instrument d’après une description, en l’améliorant, et il l’utilisa pour ses observations.

Les satellites de Jupiter, inconnus jusque-là, prouvèrent, en tout cas, que la terre ne représentait pas le centre de l’univers pour tous les corps célestes ; pour ces satellites, le centre était Jupiter. Mais ce n’était pas une preuve de l’exactitude du système de Copernic. Il arriva, en outre, que la plupart des savants refusèrent tout simplement de croire à l’existence des satellites de Jupiter signalée par Galilée dans un petit écrit : Siderous Nuncius, Le messager des étoiles. Ils parlèrent d’illusions d’optique, de nuages lumineux ou de leurs reflets et de choses du même ordre, jusqu’à ce qu’à la fin de la même année, Kepler, se fondant sur ses propres observations, ait confirmé l’existence des quatre satellites de Jupiter. À cette époque, Galilée avait déjà été appelé à Florence, à la cour de Cosme II de Médicis, comme « premier mathématicien et philosophe ».

Avec son télescope, Galilée avait encore découvert autre chose : Vénus subissait des variations, exactement comme la lune. Elle montrait aussi différentes phases, depuis le mince croissant jusqu’au disque plein. C’était la preuve qu’elle tournait autour du soleil. Le système de Ptolémée était donc indéfendable. Mais cela ne fut pas reconnu seulement par Galilée. Les représentants de l’Église, qu’on prétendait si arriérés, le comprirent aussi.

Quand Galilée, à présent célèbre, vint à Rome en 1611, il fut reçu en audience par le pape Paul V, et la compagnie de Jésus le couvrit d’honneurs. Le premier mathématicien et astronome des Jésuites se montra persuadé de l’exactitude des observations de Galilée. Les Jésuites répétèrent avec le télescope les observations déjà faites par Galilée et les surpassèrent encore en précision. L’ordre des Jésuites, qui jouait alors un rôle prépondérant dans l’Église catholique et qui, persuadé que l’image du monde donnée par Ptolémée était absolument indéfendable, fit régner entre Galilée et les représentants de l’Église une entente parfaite.

Bien différentes furent les relations de Galilée avec les érudits scolastiques qui règnent sur les universités. Ils restaient enferrés dans leurs idées et s’en tenaient inébranlablement au système de Ptolémée. Galilée engagea avec eux un combat acharné. Dans cette discussion avec les maîtres de l’enseignement supérieur, qui se refusaient même à regarder au télescope et qui ouvertement ne voulaient pas élargir leur horizon, Galilée dépassa les limites et d’une manière dangereuse. Il déclara soudain que tous ceux qui contestaient le système de Copernic étaient des ânes bâtés et vraiment « des pygmées intellectuels qui méritaient à peine de faire partie de la race humaine ». Il affirmait que la théorie de Copernic était au-dessus du moindre doute.

Avec cette affirmation un peu cavalière, il se fit aussi des adversaires des représentants de 1’Église et des Jésuites. Avec un entêtement difficile à comprendre, Galilée fit encore un pas de plus. Il changea ses batteries, à la façon d’un avocat, et mit la partie adverse au défi de prouver que le système de Copernic était faux. Mais c’était – et déjà de son temps – une attitude contraire à l’esprit scientifique. D’autant plus que lui-même ne pouvait apporter aucune preuve de la justesse du système de Copernic ! L’impossibilité de défendre les conceptions de Ptolémée depuis qu’étaient apparus clairement les changements de phase de Vénus, ne prouvait pas encore que Copernic avait raison.

Les représentants de l’Église considérèrent la théorie de Copernic comme une hypothèse à approfondir, mais pas comme un état de fait démontré. Cela apparaît dans une lettre du cardinal Bellarmin, le plus grand dignitaire de la compagnie de Jésus. Bellarmin était conseiller au Saint-Office et le théologien le plus en vue de son temps. Il avait d’ailleurs fait partie des cardinaux d’Inquisition qui avaient condamné Giordano Bruno en 1600, parce qu’il se refusait à rétracter ses doctrines théologiques erronées. Bellarmin n’était absolument pas un fanatique arriéré, comme on l’a souvent prétendu. Dans cette lettre, qui est datée du 4 avril 1615, il considère que cela ne présente aucun danger d’utiliser le système de Copernic comme hypothèse dans les travaux de recherches et qu’à ce titre, il soit préféré, autant que possible, au système de Ptolémée.

Mais parler du système de Copernic comme d’une réalité prouvée, serait « une prise de position dangereuse, qui non seulement peut irriter les philosophes scolastiques et les théologiens, mais aussi qui est offensante pour nos Saintes Croyances, dans la mesure où le système est en contradiction avec l’Écriture ». Si cependant « était donnée une véritable preuve que le soleil est au centre de l’univers... et qu’il ne se meut pas autour de la terre, mais qu’au contraire la terre tourne autour du soleil, nous devrions, alors, faire preuve de la plus grande circonspection dans l’interprétation des passages de l’Écriture qui semblent enseigner le contraire et il serait préférable de dire que nous ne comprenons pas, que de déclarer fausse une conception qui a été démontrée vraie ».

En raison de la haute position du cardinal Bellarmin, on peut considérer son exposé comme reflétant l’attitude officielle de l’Église. C’était une prise de position honnête, qui faisait preuve d’un jugement conforme à l’esprit scientifique. Galilée, homme de science, aurait pu prendre également cette attitude, et même il l’aurait dû. Seulement il ne voulut pas. Il s’était aventuré trop loin. Un recul de sa part aurait équivalu à une capitulation ; il aurait dû avouer que lui-même n’était pas capable de prouver l’exactitude du système de Copernic, avouer qu’il avait menti, ou du moins qu’il s’était trompé.

Car il avait laissé entendre à maintes reprises qu’il possédait une preuve, dans le domaine de la physique, de la justesse du système de Copernic ; c’était en quelque sorte son dernier atout. Quand, finalement, il sortit sa « preuve » – il s’agissait en tout et pour tout d’une explication, passée de mode, des marées – et qu’il vint à Rome pour forcer le verdict grâce à cette fameuse preuve, il perdit la partie. Rome, qui n’était pas davantage encline à une prise de position officielle, se prononça contre Copernic. Il lui était impossible d’en décider autrement.

Le 5 mai 1616, le Saint-Office publia un décret déclarant que la conception selon laquelle la terre tournait autour du soleil, était « fausse et en tous points en contradiction avec la Sainte Écriture ». L’œuvre de Copernic était mise à l’index. Elle serait cependant de nouveau autorisée, si quelques passages en étaient changés dans les chapitres où le système héliocentrique était donné comme une vérité démontrée, il ne devait être parlé que d’une hypothèse et, d’autre part, la terre ne devait pas être appelée une étoile. Les corrections furent apportées dès 1620 et l’ouvrage fut retiré de l’index. Et s’il ne fut pas réimprimé, c’est pour la seule raison qu’il ne trouva pas d’éditeur.

Dans ce décret, il ne fut même pas mentionné le nom du perdant, Galilée. Aucun de ses travaux ne lui fut interdit. On continua à avoir des égards pour lui, on le ménagea. Peu de jours après le décret, le pape Paul V lui accorda une longue audience. Le scandale aurait pu se terminer ainsi, avant même d’en être un. Et s’il y eut scandale par la suite, la faute en incombe, avant tout, à l’entêtement de Galilée.

Au cours des années suivantes, il écrivit une défense de la théorie de Copernic. Dans le Dialogue sur les deux grands systèmes de l’univers, il prit comme base sa propre théorie sur les marées. Alors que depuis longtemps, Kepler faisait dépendre les marées de la force d’attraction de la lune, Galilée prétendait qu’elles étaient une conséquence du mouvement de la terre. Il essayait, ainsi, de donner les marées comme preuve de ce mouvement de la terre. Et de nouveau, il présentait le système de Copernic comme étant une réalité prouvée et il disait que seuls des « poissons-lunes abrutis » dont la bêtise « était la honte de l’humanité » pouvaient le mettre en doute.

Cette fois, il s’attaquait carrément au décret de 1616 qui avait déclaré que la conception selon laquelle la terre se déplaçait était « fausse et en tous points en contradiction avec la Sainte Écriture ». Il était, en même temps, devenu injurieux à l’égard du pape et des Jésuites. Depuis 1623, c’était le pape Urbain VIII qui occupait le Saint-Siège. Il avait souvent reçu Galilée et témoigné d’un vif intérêt pour ses travaux et n’ignorait pas que Galilée, qui passait toujours pour le savant le plus remarquable de son temps, continuait à travailler dans le but de donner une forme plus précise au système de Copernic et il n’avait rien contre. Seulement, le pape tenait à laisser la voie libre à tous les arguments théologiques et voulait que le système fût simplement considéré comme une hypothèse.

Le pape Urbain VIII alla même plus loin dans la voie de la conciliation : il émit l’opinion que l’on pouvait considérer le système comme étant exact sous un aspect bien déterminé, mais pas comme exact dans l’absolu. Ce fut la convention, ou – comme le dit Koestler – la règle du jeu, que fixait le pape Urbain VIII et où il se tint. Mais Galilée ne respecta pas la règle du jeu sans pour autant être capable d’apporter la preuve de ce qu’il avançait. Cette façon d’agir devait se retourner contre lui.

On peut lire dans de nombreux livres des descriptions de Galilée traîné devant le tribunal de l’Inquisition. Il est parfois question de tortures et d’emprisonnement. En réalité, tout se passa d’une façon fort peu dramatique. Le livre de Galilée avait paru en 1632. En octobre, Galilée fut mandé à Rome, après que son livre eut été examiné par une commission. Il était malade et s’excusa d’être dans l’impossibilité de se présenter. Il ne vint à Rome qu’au mois de février de l’année suivante. Il ne fut pas enfermé en quelque prison, mais habita la Villa Médicis, siège de l’ambassade de Florence.

La procédure commença le 12 avril et dura jusqu’au 22 juin. Pendant tout ce temps, Galilée fut considéré, bien entendu, comme prisonnier de l’Inquisition. Mais on ne le mit pas dans un cachot, il était à la disposition des juges au Vatican, dans un appartement de trois pièces, avec vue sur les jardins. Son domestique était auprès de lui et, à tous points de vue, il fut fort bien traité. Il eut même l’autorisation, avant la fin du procès, de retourner à l’ambassade de Florence. L’Inquisition lui manifestait la plus grande considération.

On ne doit pas, il est vrai, surestimer cette considération. Le procès de Galilée de 1633 ne fut absolument pas aussi anodin que veut bien le dire Arthur Koestler. Un procès d’Inquisition n’était jamais une plaisanterie, il présentait toujours un danger pour celui qu’il concernait. Il n’y avait tout de même que trente et un ans que Giordano Bruno avait été condamné à être brûlé vif. Galilée lui-même avait peut-être considéré l’affaire, dans les débuts, comme moins grave qu’elle n’était en réalité. Il avait cependant été épouvanté en recevant l’assignation du tribunal de l’Inquisition. Mais il aurait pu fuir. À Venise par exemple, d’où lui étaient venues des offres d’asile. Il choisit cependant l’autre voie.

Par goût du combat ? Pour défendre ce qu’il considérait être la vérité ? Pour devenir ce martyr, qu’a fait de lui plus tard la légende ? Il ressort des actes du procès que Galilée avait probablement cru pouvoir se tirer de toute cette affaire grâce à un subterfuge. En tout cas, il était arrivé à Rome sans avoir rien préparé. Il ne s’était pas mis en mesure de soutenir le combat.

On le vit immédiatement, dès le premier interrogatoire qui eut lieu le 12 avril. Galilée affirma ne pas avoir enfreint l’interdiction de 1616 et il prétendit que, dans son nouveau livre, il n’avait pas voulu soutenir l’opération de Copernic. Il avait voulu montrer, tout au contraire, son peu de solidité ! Galilée dit textuellement : « Dans ce livre, je n’ai jamais défendu ou affirmé la théorie selon laquelle la terre se déplace et le soleil reste immobile, mais au contraire, j’ai montré et prouvé bien davantage le point de vue opposé à celui de Copernic en tenant ses arguments pour faibles et non décisifs. »

Cette déclaration n’est pas aussi insensée qu’elle peut le sembler au premier coup d’oeil. Car dans le Dialogue, il s’agit d’une discussion entre trois personnes. Naturellement Galilée pouvait dire maintenant que, des trois partenaires, celui qui avait raison était celui qui prenait la défense du système de Ptolémée. Seulement la ficelle était par trop visible. La Curie ne pouvait pas se permettre de se laisser passer si facilement pour plus bête qu’elle n’était. Galilée avait probablement trop misé sur ses anciens bons rapports avec les grands personnages de l’Église catholique. Mais entre-temps, d’autres hommes étaient devenus influents.

En tout cas, le tribunal sembla surpris de la déclaration de Galilée. Il arrêta les délibérations et chargea trois experts d’étudier encore une fois le livre de Galilée sous ce nouvel éclairage. Il n’était besoin que de quelques jours. Pendant ce temps, durant lequel les experts en vinrent à la certitude que, dans son Dialogue, Galilée avait « soutenu, défendu et aussi enseigné » la théorie de Copernic, l’accusé, qui avait déjà soixante-dix ans, perdit la tête. Il demanda à se présenter à nouveau devant le tribunal parce qu’il avait une explication à donner. Il fut cité le 30 avril, et il expliqua qu’il avait relu son livre à fond et qu’il avait dû se rendre compte que, dans certains passages, il s’était exprimé si maladroitement que l’on pouvait comprendre le contraire de ce qu’il avait réellement voulu dire.

Après cette explication, Galilée eut l’autorisation de se retirer. Le tribunal ne lui posa aucune question. Tous gardèrent le silence. Galilée sentit qu’il n’avait visiblement pas fait grande impression sur ses juges. Car il revint dans la salle où le tribunal siégeait encore, il pria qu’on lui donnât encore une fois la parole et commença : « Pour mieux confirmer que je n’ai jamais tenu pour exacte cette maudite conception du mouvement de la terre et de l’immobilité du soleil et que je continue à ne pas la croire vraie, je suis prêt à en fournir une preuve encore plus évidente... » Et dans sa peur, il fit cette proposition, qui n’est pas sans causer de la gêne : il proposa de réfuter tous les arguments – et pas seulement les siens – qui plaidaient jusque-là pour Copernic.

Quels sont les faits qui ont pu l’amener à une telle panique ? Il était venu à Rome plein d’optimisme, bien qu’il ne fût aucunement sûr de la victoire. Mais les juges de l’Inquisition lui avaient présenté, dès le début de la première audience, une sorte de compte rendu des actes datant de l’année 1616. Dans ce compte rendu, il était certifié que le cardinal Bellarmin avait fait défense à Galilée, verbalement et devant témoin – Galilée n’étant pas nommé dans le décret de 1616 – de « soutenir, défendre ou enseigner encore, et de quelque façon que ce fût », les idées de Copernic. Tout le procès s’était édifié sur ce compte rendu d’actes, qui fut à l’origine de violentes controverses au cours des recherches historiques, car certains déclarèrent que c’était un faux fabriqué par l’Inquisition. Tout tournait autour de la précision donnée : « de quelque façon que ce fût ».

Questionné sur les évènements de 1616, Galilée répondit : « Son Éminence (Bellarmin) m’a signifié que la théorie, dite de Copernic, pouvait être adoptée à titre de « supposition », comme Copernic le faisait lui-même, et Son Éminence savait aussi que je faisais comme Copernic et ne reconnaissais en ce point de vue qu’une valeur de supposition... » Mais le tribunal, s’appuyant sur le compte rendu d’actes, affirma que Galilée n’avait pas le droit de soutenir ce système « de quelque façon que ce fût », et pas le droit non plus de le prendre en tant qu’hypothèse pour base de ses travaux.

La question de savoir si le compte rendu d’actes est authentique, ou s’il n’est qu’un faux fabriqué spécialement en vue du procès, reste dans le contexte une question secondaire. Les autorités ecclésiastiques et les Jésuites n’avaient pas formulé une interdiction aussi absolue. Mais voir quelle importance on y attachait maintenant peut avoir été pour Galilée un signal d’alarme. Il dut lui paraître qu’un autre vent soufflait sur Rome et que l’Inquisition était décidée, cette fois, à ne pas le laisser s’en tirer à si bon compte. Il en ressentit un sentiment d’insécurité ; mais il se trompait et il a tout démesurément exagéré. C’est peut-être pourquoi, saisi par la peur, il s’est rétracté d’une façon tellement humiliante, alors qu’on ne le lui avait pas encore demandé.

Un signe favorable pour Galilée résidait dans le fait que le procès se jouait sur ce compte rendu d’actes. De telles notes n’avaient rien à voir, et de loin, avec un décret officiel. Galilée pouvait avoir oublié rapidement le contenu de ces notes, et c’est ce qu’il finit par alléguer pour sa défense. C’était tout à fait significatif des intentions du tribunal à son égard, mais, du début à la fin de ses ennuis, Galilée ne sut pas le voir ou le comprit mal.

Les recherches historiques se sont aussi jusqu’ici entièrement méprises sur ce compte rendu d’actes. On a toujours voulu considérer que le tribunal avait ressorti ou fabriqué ces notes, pour pouvoir, de leur fait, déclarer Galilée coupable, plus rapidement et plus sûrement. Car d’après ces notes, il ne devait pas utiliser la théorie de Copernic, même à titre d’hypothèse.

Mais pour le tribunal, il s’agissait de tout autre chose. L’ensemble du procès laisse clairement apparaître qu’il n’était pas question de déclarer Galilée coupable d’hérésie et d’hétérodoxie. Il eût pourtant été possible, et sans grande peine, de le déclarer hérétique, si l’on avait pris pour base du procès le décret de 1616. Ce décret avait condamné officiellement les enseignements de Copernic. Malgré cela, Galilée les avait présentés comme exacts et démontrés dans son Dialogue. Si le tribunal a manifestement évité de se référer au décret de 1616 et s’en est toujours tenu au compte rendu d’actes, c’était simplement parce qu’il ne s’agissait dans les notes que d’un ordre oral. Ne s’être pas conformé à cet ordre, pouvait difficilement être considéré comme une hérésie ; c’était purement et simplement de l’indiscipline.

Les attendus du jugement le confirment. Dans les procès d’Inquisition, il n’y avait pas de textes d’accusation mis par écrit, c’était seulement en fin de procès que l’on disait en quoi consistait l’accusation. Galilée était accusé par le Saint-Office d’avoir soutenu la théorie héliocentrique, de l’avoir enseignée et déclarée exacte. Tout cela était vrai. Dans les attendus du jugement, il n’est pas question d’autre chose. Il n’est pas déclaré coupable en ces divers points, il ne lui est reproché qu’un acte d’indiscipline, parce qu’il ne s’était pas conformé à un ordre donné verbalement par le cardinal Bellarmin. Avoir propagé cette théorie, était purement et simplement un erreur, par laquelle « il s’était rendu suspect d’hérésie ».

Le soir du 30 avril, après avoir fait son étonnante déclaration, Galilée eut l’autorisation de retourner à l’ambassade de Florence. Il fut cité de nouveau le 10 mai, et cette fois simplement pour remettre sa défense écrite. Elle contenait l’essentiel de tout ce que Galilée avait déjà déclaré verbalement. Un mois plus tard, il fut encore convoqué. Et toujours pour une formalité légale. Il fallait maintenant qu’on lui fasse savoir qu’il s’exposait à la torture, dans le cas où il n’eût pas dit la vérité.

Le jour suivant, 22 juin 1633, le jugement fut prononcé. En ces termes : « Afin que ta lourde et pernicieuse erreur et ton indiscipline ne restent pas totalement impunies, pour que tu saches à l’avenir user de plus de prudence et aussi pour que tu serves d’exemple aux autres, de sorte qu’ils s’abstiennent de semblables égarements, nous prenons la décision d’interdire par décret public le livre Dialogue de Galileo Galilei ; nous te condamnons, par ordre formel, à être enfermé dans un cachot de ce Saint-Office, pour une durée de temps dont nous déciderons à notre gré et nous t’ordonnons, en pénitence salutaire, de réciter une fois par semaine, pendant les trois années qui viennent, les sept psaumes de la pénitence, nous réservant de diminuer, modifier, remettre en totalité ou en partie, les châtiments et pénitences susdits. »

Galilée dut ensuite abjurer l’enseignement de Copernic, d’après lequel le soleil serait immobile, qu’il serait le centre du monde et que la terre se déplacerait. Et ainsi le mot si souvent cité : « Et pourtant elle tourne ! » n’a jamais été prononcé. Galilée n’a pas été un martyr.

Galilée n’eut même pas à subir la peine de cachot à laquelle l’avait condamné le jugement. Il ne se retrouva pas en quelque oubliette vaticane ni dans une cellule. Il devint, au contraire, l’hôte du grand-duc de Toscane et ensuite celui de l’archevêque de Sienne. Il termina sa vie et travailla encore une dizaine d’années, dans le petit village d’Arcetri, près de Florence.

Il y écrivit son dernier grand ouvrage, qui parut en 1638 : Dialogue relatif à deux sciences nouvelles. Il y posait les fondements de la physique mécanique. Et c’est là, seulement, qu’il faut chercher les grandes réalisations de Galilée : découverte de la loi des oscillations du pendule, des lois de la chute des corps et du principe de l’inertie. Le véritable service rendu par Galilée à l’humanité fut d’avoir fait de la physique une science exacte. Mais il n’a pas conduit à la victoire le système héliocentrique de Copernic, pour lequel il avait combattu pendant tant d’années à coups d’arguments absurdes et qui fut déclaré « hérétique » tout au long des nombreuses pages des attendus du jugement de 1633, mais au contraire, il l’a, et pour longtemps, jeté dans le discrédit.

 

 

Gerhard PRAUSE, Les légendes qui ont forgé l'histoire,

Presses de la Cité, 1966.

(Traduit de l'allemand par Odette Gailly.)

  

 

 

 

 

 

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