L’unique Église du Christ et les œuvres des hommes
par
Abraham PUTHENPEEDIKAYIL
Les chrétiens du sud des Indes s’honorent d’avoir reçu l’Évangile par l’Apôtre saint Thomas, selon une très ancienne tradition. L’histoire des « Chrétiens de saint Thomas » n’a pas encore été étudiée de façon satisfaisante. Le christianisme, il est vrai, a pénétré aux Indes de très bonne heure, mais l’influence du Nestorianisme ne tarda pas à se faire sentir. Plus tard, ils entrèrent en contact avec le christianisme occidental par les Portugais et vinrent jusqu’à l’union avec Rome lorsqu’ils reconnurent le Patriarche chaldéen uniate. Ils se séparèrent à nouveau, en 1653, lorsque l’archevêque portugais Nenezes voulut les soumettre à l’évêché de Goa et qu’on voulut, hélas ! les latiniser. Ils se tournèrent vers le Patriarche jacobite envoyé par le Métropolite de Jérusalem ; c’est la raison pour laquelle ils devinrent de plus en plus monophysites. (Une seule nature dans le Christ, la nature divine.)
Abraham Puthenpeedikayil, jeune prêtre sud-indien, raconte pourquoi il passa de l’Église jacobite à l’Église du Pape. Comme prêtre de l’Église jacobite, il a bien pu se rendre compte de la situation inextricable, du manque de formation et d’ordre de sa communauté ; il voulut alors voir ce qui se passait en dehors de son Église. Il ne fut pas peu étonné de trouver l’ordre et la vérité entière dans l’Église catholique, là où précisément il ne voulait pas les chercher. Il passa à l’Église catholique, en 1954, avec une centaine de ses ouailles.
J’ai été un fidèle convaincu de l’Église jacobite jusque peu avant ma conversion. Je la considérais comme la seule voie du salut, et toutes les autres religions comme fausses, donc à rejeter.
Je suis né à Mundakayam, dans le sud de l’Inde, d’une famille jacobite. À cinq ans, j’allais à l’école primaire toute proche de ma maison. Mon père mourut lorsque j’eus sept ans. Annama, ma mère, eut donc seule la responsabilité de mes deux sœurs et de moi. Elle dut pourvoir à notre entretien et à notre éducation avec les maigres revenus de son domaine. L’école primaire terminée, elle m’envoya à la Native High School.
Vocation sacerdotale
Vers la fin de l’année, je sentis naître en moi le désir de devenir prêtre. Ma joie, c’était l’église, les chants religieux et j’étais heureux à la seule vue du prêtre. Le peu de moyens de ma mère l’empêchait d’accepter mon projet. La Providence ne me laissa pourtant pas abandonner ma vocation. J’eus la chance d’être accepté au séminaire de Kottayam, où je réussis à payer les quatre ans d’études par mes propres moyens.
À la fin des études, j’épousai une professeur diplômée de la Native High School 1. C’était la cousine de l’évêque jacobite de Kottayam. C’est ce même évêque qui m’ordonna prêtre, après mon mariage en avril 1952.
Église sans autorité
Mundakayam fut mon premier poste dans l’Église syriaque de saint Thomas. Je mis toute ma force de jeune et mon ardeur pour faire fleurir la vie religieuse dans ma paroisse. Malgré les meilleures intentions, le résultat fut nul. Il faut savoir que, dans la paroisse qui m’était assignée, vivait un prêtre plus âgé, originaire de Niranam. Le Katholicos 2 l’avait déplacé, mais il refusa d’obéir. Persistant dans sa mauvaise conscience, il mit tout en œuvre pour me défendre l’entrée de l’église. Il alla même jusqu’à alerter la police contre moi. Les paroissiens se divisèrent en deux camps et ce fut la révolte. Un procès mit fin à la lutte, mais l’église fut fermée. La soumission à l’Église et un peu de prudence auraient pu convaincre ce prêtre d’obéir à ses Supérieurs ; mais non, il s’agrippait à son poste et prétendait encore avoir la considération et la force de son côté.
J’étais prêt, dans ces circonstances, à lui laisser le poste et à partir dans une autre paroisse, mais la majeure partie des paroissiens prirent position contre l’insoumis et me retinrent. Il ne me restait plus qu’à attendre, à rester dans mon presbytère et à payer une forte somme pour le procès.
L’autorité supérieure de l’Église jacobite est exercée par le Katholicos qui a sous ses ordres neuf évêques et environ trois cents prêtres. En fait, ni le Katholicos, ni les évêques ne sont en mesure d’exercer l’autorité qui leur est attribuée sur les prêtres et le peuple, les limites de l’autorité n’étant pas exactement déterminées. Presque dans chaque paroisse, le prêtre voit son autorité ruinée par quelque zélé qui attire à lui les fanatiques. Les prêtres se disputent entre eux et font appel aux tribunaux pour des procès sans fin. Ainsi l’administration de l’Église jacobite ne fait qu’amener les paroissiens à une confusion insoutenable et à leur appauvrissement total.
Dieu est amour et sa doctrine est une doctrine d’amour. C’est ce qui fait défaut à l’Église jacobite. Voilà pourquoi j’ai été déçu par mon Église. J’ai commencé alors à chercher ailleurs la voie du salut.
La confusion qui règne dans notre Église favorise chez les fidèles les moins instruits l’adhésion aux doctrines hérétiques des Prédicants, qui combattent volontiers le catholicisme alors même qu’ils l’ignorent ou n’en ont que des idées fausses. Ils propagent parmi le peuple l’aversion et le mépris pour tout ce qui est catholique. La grâce du Christ me préserva de cette erreur.
Recherche studieuse
Le Nouveau Testament nous apprend que l’Église est le Corps du Christ. Or, chacun n’ayant qu’un corps, il s’ensuit qu’il n’y a qu’une véritable Église. La Bible parle aussi de l’Église comme Épouse du Christ. Le Christ ne peut pas avoir une foule d’épouses, mais une seule. Il est donc impossible que les nombreuses « Églises » chrétiennes soient toutes véritables. Les différentes « Tendances » professent des doctrines diverses, voire même contradictoires. Mais le Christ n’est pas oui et non ; lui qui est la Vérité même ne peut pas se contredire. Or il y a des Catholiques, des Jacobites, Orthodoxes, Arméniens, Protestants, etc. L’histoire nous apprend qu’à l’origine de ces différents mouvements il y a presque toujours eu un homme bouffi d’orgueil et ne suivant que son propre sens. S’étant séparées du tronc qui est la foi catholique romaine, les diverses Églises ne sont, en comparaison de l’unique Église fondée par le Christ, que de pures œuvres humaines et non pas le royaume du Dieu Tout-Puissant. La vraie Église doit être une, doit avoir un but commun et donner les moyens d’y parvenir. Il est en outre de toute nécessité qu’il y ait en elle une autorité qui dirige les membres.
Le Christ a bâti son Église sur Pierre ; seul le Pape de l’Église catholique est relié à Pierre par une succession ininterrompue. L’Église du Pape est apostolique, c’est-à-dire, elle seule subsiste depuis le temps des Apôtres jusqu’à aujourd’hui. La formation du Marthoma, par exemple, ou d’autres tendances protestantes, sont récentes et disparaîtront tôt ou tard comme des champignons, apparitions soudaines et fragiles. L’Église jacobite n’apparut qu’au cinquième siècle, alors que l’Église de Rome, l’Église catholique existait déjà.
Ces faits et observations me remuèrent profondément. C’était mon devoir de m’informer auprès des représentants de l’Église romaine.
L’exemple des Uniates
J’avais entendu parler du mouvement de l’Union créée par Mar Yvanios, vers les années 1930-35. Je savais que les évêques Mar Théophilos et Mar Severios s’y étaient ralliés avec de nombreux prêtres. Les Uniates comptent aujourd’hui presque cent mille membres.
Le P. Joachim, prêtre uniate, se mit en contact avec le mouvement. Son aide fut efficace car, converti lui-même, il sut me faire voir l’essence du catholicisme. Ma première rencontre avec Mar Severios fut très amicale. Il m’expliqua les raisons qui l’avaient décidé à quitter l’Église jacobite pour se soumettre au Pape et m’encouragea à franchir ce pas. Je m’y décidai après mûres réflexions.
La maison du Père
Mar Severios vint lui-même à Mundakayam, le 6 janvier 1954, pour me recevoir dans la sainte Église ; une grande foule et quelques prêtres assistèrent à cet évènement. Je dis évènement, car la Providence a multiplié par cent ce miracle de la grâce : cent fidèles de ma paroisse entrèrent avec moi dans l’Église catholique. La grâce continue de porter des fruits, puisque je compte maintenant 400 paroissiens. Le P. Joachim travaille avec moi, dans l’extrême pauvreté, pour construire une nouvelle église. Mon bonheur grandit de jour en jour dans l’Église catholique. Enfin, je suis chez moi dans la véritable Église du Christ et ma prière la plus fervente monte vers Dieu pour qu’Il daigne se faire connaître à ceux qui sont encore en dehors de l’Église et les conduire à la vérité entière.
Abraham PUTHENPEEDIKAYIL, dans Les pourchassés de la grâce,
témoignages de convertis de nos jours,
rassemblés et présentés par Bruno Schafer,
Apostolat de la presse, 1962.