La peinture romantique en Allemagne

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Louis RÉAU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D’après une théorie très répandue en Allemagne et popularisée en France par Mme de Staël, si l’art classique est foncièrement latin, l’art romantique serait au contraire, de même que l’art gothique et baroque, essentiellement germanique. C’est en Angleterre et en Allemagne qu’il serait né et qu’il aurait atteint son plus complet développement.

Cette idée peut être vraie dans le domaine de la spéculation philosophique, de la poésie lyrique, de la musique : appliquée aux arts plastiques, elle devient extrêmement discutable et même radicalement fausse. Lorsqu’ils revendiquent l’art gothique et l’art baroque pour les peuples nordiques, les historiens allemands oublient que le premier est né dans l’Île-de-France et le second à Rome, dans le milieu catholique de la Contre-Réforme. Il en est de même de la peinture romantique. On la voit poindre en France dès la fin du XVIIIe siècle. Les chefs-d’œuvre de nos grands peintres préromantiques Gros, Prud’hon et Géricault : Les Pestiférés de Jaffa, La Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime, Le Radeau de la Méduse ne doivent rien à des influences anglaises ou allemandes, et c’est en France avec Delacroix et les paysagistes de Barbizon que le romantisme pictural a atteint son apogée.

L’École de peinture allemande de la première moitié du XIXe siècle n’a produit aucun artiste qui puisse se mesurer avec ces maîtres. L’absence de tradition, un penchant fâcheux pour la peinture d’idées (Gedankenmalerei) qui entraîne fatalement le dédain de la technique et du métier, un particularisme excessif qui disperse les efforts au lieu de les concentrer, une pauvreté relative qui exclut tout mécénat de grande envergure, telles sont les principales raisons qui expliquent sans doute cet état d’infériorité. Toujours est-il que la peinture allemande n’est représentée à cette époque que par des mégalomanes dévoyés tels que Cornelius, impuissants à réaliser leurs ambitions démesurées, ou de modestes peintres provinciaux parfois bien doués, mais sans rayonnement à l’étranger. Une histoire de l’art du XIXe siècle, conçue d’un point de vue européen, pourrait faire, sans grand inconvénient, abstraction de la peinture romantique allemande qui ne lui a apporté rien d’essentiel.

 

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S’il est nécessaire pour réagir contre des jugements erronés qui trouvent encore créance dans certains manuels d’Histoire de l’Art de remettre l’École romantique allemande à son plan, qui est loin d’être le premier, il ne s’ensuit point qu’elle soit indigne de l’attention de l’historien. Quiconque veut se représenter sous une forme concrète la civilisation allemande de cette époque trouvera profit à feuilleter ce livre d’images aux feuillets épars dans les musées, bien que leur intérêt historique soit généralement supérieur à leur valeur artistique.

On pourrait croire à priori que le style romantique s’est imposé, comme tous les styles précédents : Gothique, Renaissance, Baroque, simultanément à tous les arts plastiques. Il n’en est rien. L’architecture et la sculpture sont restées obstinément fidèles à l’idéal classique ou pseudo-classique. Il n’y a rien de romantique dans les édifices berlinois et munichois construits au début du XVIIIe siècle par Schinkel et Leo von Klenze, de même que dans les statues modelées par Gottfried Schadow et Rauch, Dannecker ou Tieck. C’est tout au plus si on peut noter dans l’œuvre de Schinkel, dont l’éclectisme accueillant concilie le retour à l’antique avec le retour au gothique, quelques velléités romantiques : néanmoins le péristyle ionique du Vieux Musée de Berlin reste beaucoup plus caractéristique de ses tendances que l’église pseudo-gothique en briques du Werder près de Potsdam. En somme le seul art plastique où le romantisme germanique se soit exprimé est la peinture.

Dans la peinture allemande de cette époque, on distingue deux courants parallèles, mais nettement différenciés : une peinture officielle, enseignée et pratiquée dans les Académies de Munich, de Berlin, de Düsseldorf, dont l’ambition très haute, mal servie par une technique insuffisante, est tendue vers la restauration ou la création d’un art monumental, dans le cadre de la fresque ou du grand tableau d’histoire ; à un plan inférieur, avec des visées beaucoup plus modestes, un art populaire et provincial qui se cantonne de préférence dans le portrait, le paysage, les scènes de mœurs et l’illustration.

Jusqu’au début du XXe siècle, l’histoire de l’art allemand n’a fait état que du premier groupe et elle a glorifié sans mesure les ténors de da peinture académique : Cornelius et Kaulbach, Piloty et Makart. L’Exposition centennale organisée à Berlin en 1906 a mis en lumière pour la première fois l’art plus intime et plus sincère de petits maîtres comme Runge et Friedrich, Schwind et Waldmüller, qui constitue à nos yeux l’apport le plus original du romantisme allemand à la peinture romantique. Peu d’expositions ont été plus fertiles en conséquences et transformé plus radicalement un chapitre de l’histoire de l’art. Par suite du renversement des valeurs provoqué par cette révision, les anciens protagonistes sont passés au second plan et ont cédé leur place sur le devant de la scène à ceux qu’ils considéraient comme d’obscurs comparses : Cornelius, pontife orgueilleux de la secte des Nazaréens, a été détrôné par Friedrich, pauvre rêveur solitaire : le fastueux Makart, qui se croyait Rubens redivivus, s’est dégonflé comme une baudruche devant les honnêtes petits maîtres viennois dont la réputation moins tapageuse était de meilleur aloi. Il en résulte que nous avons eu successivement deux versions de la peinture romantique allemande, si différentes qu’elles sont presque contradictoires : avant et après la Centennale berlinoise de 1906.

 

 

 

I

 

 

La peinture académique allemande de la première moitié du XIXe siècle offre plus d’intérêt pour un historien des idées que pour un amateur d’art : ses ambitions dépassent de beaucoup ses réalisations ; les velléités qui l’animent méritent davantage de retenir l’attention que les moyens d’expression dont elle s’est servie ; ses aberrations qui forment un curieux chapitre de tératologie esthétique détournent d’elle tous ceux qui cherchent avant tout dans la peinture une source de jouissances visuelles.

Ce qui prouve bien que cet art plus intellectuel que sensible n’avait pas de racines profondes dans le sol allemand, c’est qu’il est né à Rome, qui était devenue dans les premières années du XIXe siècle, par suite du mouvement de retour à l’antique, la véritable capitale de l’art allemand. Parmi les nombreux Tedeschi qui s’y étaient donné rendez-vous, il y avait non seulement des Classiques de stricte observance, mais des Romantiques ou plus exactement des Pré-romantiques plus sensibles à la ferveur religieuse de la Rome chrétienne qu’à la majesté des ruines de la Rome païenne.

Ces artistes qui se réclamaient non des principes de l’archéologue Winckelmann, mais du nouveau credo artistique formulé par les écrivains romantiques : Wackenroder, Tieck, Friedrich Schlegel, avaient formé, dans le couvent abandonné de Sant’Isidoro, sur la colline du Pincio, une sorte de phalanstère, ou plutôt de confrérie, connue sous le sobriquet de Nazaréens. On les désignait aussi du nom de Préraphaélites parce que leur ambition était de restaurer la grande peinture religieuse en s’inspirant des Primitifs du Quattrocento, notamment de Fra Angelico et du Pérugin.

Les membres de cette pieuse confrérie, dont quelques-uns étaient d’origine protestante, mais s’étaient convertis au catholicisme, se recrutaient pour la plupart parmi les Rhénans et les Allemands du Nord : Peter Cornelius de Düsseldorf, Friedrich Overbeck de Lubeck, le Berlinois Wilhelm von Schadow, fils du sculpteur, autour desquels se groupèrent Philippe Veit. Schnorr von Carolsfeld, Josef Führich, en étaient les animateurs.

Pour réaliser leur idéal de restauration de la peinture religieuse à fresque, il leur fallait un Mécène. Ils le trouvèrent en la personne du consul général de Prusse à Rome, Bartholdy, qui les chargea de décorer sa « casa ». Il est assez piquant de constater que le patron de ces deux catholiques était un Juif. C’est sans doute par égard pour la religion de leur client qu’ils choisirent comme thème l’histoire de Joseph. Considérées comme le manifeste et le point de départ de la peinture allemande du XIXe siècle, ces fresques exécutées en 1816 ont été soigneusement transportées en 1887 à la National Galerie de Berlin.

Après l’achèvement de cette œuvre collective qui n’était pas, comme ils le croyaient naïvement, la manifestation d’un art nouveau, mais la reconstitution factice et anachronique d’un art périmé, les Nazaréens ne tardèrent pas à se disperser, et rentrés en Allemagne ils se partagèrent la direction des Académies, c’est-à-dire des Écoles des Beaux-Arts où leur esprit prévalut dans l’enseignement pendant un demi-siècle.

Cédant aux instances de Louis Ier de Bavière, le plus célèbre et le plus infatué d’entre eux, Peter Cornelius, vint s’établir en 1825 à Munich. Autoritaire et pontifiant comme Ingres, sans avoir son génie de dessinateur, il avait la prétention d’être le Raphaël de la capitale bavaroise. Après avoir tapissé de ses fresques les salles de la Glyptothèque et les Loges de la Pinacothèque, il se fit confier la décoration de l’église Saint-Louis que le roi avait fait construire sous le vocable de son saint patron. Son ambition était de peindre sur les murs de cette église toute une épopée chrétienne, sa Divine Comédie. Ce plan grandiose se réduisit finalement à un Jugement dernier qui n’a pas fait oublier celui de Michel-Ange à la Sixtine.

Humilié par cet échec, Cornelius émigra en 1841 à Berlin où le roi de Prusse Frédéric-Guillaume Ier, jaloux du mécénat de Louis Ier, s’efforçait depuis longtemps de l’attirer. L’Athènes de la Sprée l’enleva à l’Athènes de l’Isar. Il consacra ses dernières années à l’élaboration de gigantesques cartons destinés à la décoration du Campo Santo des Hohenzollern, qui devait s’élever à côté de la nouvelle cathédrale.

Ces cartons auxquels personne n’accorde plus un regard et qui témoignent – tant les réminiscences de Raphaël et de Dürer y sont nombreuses – de plus de mémoire que d’invention, méritent cependant de retenir l’attention des historiens d’art : car ils sont l’exemple des aberrations auxquelles peut conduire la « peintures d’idées ». L’importance excessive attribuée au sujet historique, philosophique ou religieux entraîne la décadence de la technique. La lumière et la couleur sont délibérément sacrifiées à la composition et au dessin. L’archéologue Winckelmann, qui avait fait son éducation devant les marbres ou les plâtres de statues antiques et qui n’était sensible qu’à l’eurythmie des lignes, avait posé en principe comme fondement de son esthétique que « la valeur d’une peinture dépend beaucoup moins du coloris et du clair-obscur que de la noblesse des contours ». Surenchérissant sur cette formule, Cornelius va jusqu’à dire que « le pinceau a été la ruine de l’art ». Son œuvre est le triomphe de la peinture incolore. Les peintres allemands, égarés par son exemple, en viennent à se poser cette question presque invraisemblable : Devons-nous peindre nos tableaux ?

Si la peinture à programme de Wilhelm Kaulbach est un peu moins anémique que les cartons de Cornelius, elle est gâtée par le même excès d’intellectualisme. Endoctriné par les esthéticiens de son temps qui enseignaient que la mission la plus haute de l’art est de traduire dans le langage de la peinture les conquêtes de la pensée, ce peintre médiocre qui se croyait un penseur s’évertua à évoquer dans le grand escalier du Nouveau Musée de Berlin les principales époques de l’histoire universelle depuis la construction de la Tour de Babel jusqu’à la Réforme de Luther. On dirait des chapitres de Schlosser ou de Ranke mis en couleurs par un illustrateur qui aurait agrandi son livre d’images aux proportions gigantesques d’une cage d’escalier.

Des hauteurs de l’histoire universelle on descend avec Karl Piloty, qui régenta longtemps l’Académie de Munich, au niveau plus modeste de l’histoire anecdotique. Cette formule appelée à un si grand succès dans l’Europe centrale n’avait rien d’original : elle avait été créée, popularisée en France et en Belgique par Paul Delaroche et Gallait. La peinture théâtrale et mélodramatique de Piloty n’en est que le reflet. Creuse et inconsistante, elle a le mérite de réhabiliter en Allemagne le goût de la couleur à laquelle Cornelius avait déclaré la guerre. À cette école se rattache le Viennois Hans Makart dont les décors de théâtre, d’une sensualité vulgaire, sont aujourd’hui dévorés par le bitume dont abusait ce Fa presto.

Aux « grandes machines » de Piloty et de Makart, l’Académie rhénane de Düsseldorf, plus modeste que celles de Munich et de Vienne, se contente d’opposer de petits tableaux de mœurs qui ne s’élèvent guère malheureusement au-dessus du niveau de l’illustration sentimentale ou humoristique.

En somme, on n’aperçoit dans toute cette production aucune œuvre qui témoigne d’un vrai tempérament de peintre et qui puisse agir comme un ferment encore actif sur l’art contemporain.

 

 

 

II

 

 

Cette condamnation de la peinture allemande de l’époque romantique serait sans appel si l’Exposition centennale de 1906 n’avait révélé à côté de ces formes d’art périmées un art toujours vivant qui s’était développé, sans qu’on y prît garde, en marge des Académies, dans d’innombrables Écoles locales.

Les centres principaux ont été dans l’Allemagne du nord Hambourg, Dresde et Berlin, dans la Germanie méridionale Munich et Vienne. Ce particularisme contraste avec la puissante concentration de l’École française dont presque toutes les forces se rassemblent et s’exaltent à Paris.

Hambourg, ville plus mercantile qu’artiste, a joué à cette époque un rôle important. C’est là que vécut le Poméranien Philipp-Otto Runge, théosophe de la peinture, intoxiqué par les théories de Jacob Böhme et de Novalis. Rien de plus romantique que ses compositions ornementales symbolisant par le langage des fleurs les différents Moments de la journée, Malheureusement, ce rêveur tourmenté n’a pas su créer un style adéquat à sa pensée. Les portraits collectifs de ses vieux parents ou d’enfants jouant en plein air dans un jardin, qui sont ses œuvres les plus poussées, sont traités dans le style de David. Runge nous fait l’effet d’un Davidien provincial : ces analogies s’expliquent par l’enseignement qu’il avait reçu à l’Académie de Copenhague où professait Eckersberg, élève de David.

Chez quelques-uns de ses contemporains comme Oldach ou Friedrich Wasmann, c’est l’esprit et le style d’Ingres qui dominent. Influence directe ou rencontre fortuite, c’est ce qu’il est difficile de déterminer.

Parmi les Romantiques allemands, le plus original, le plus indépendant de toute imitation française est assurément le paysagiste Kaspar-David Friedrich ; d’origine poméranienne et formé à Copenhague comme Runge, il s’était fixé à Dresde. Nul n’a peint avec plus d’âme les vastes horizons si mélancoliques de l’Allemagne du mord : il s’est enivré de la tristesse morne de ces paysages dont il a rendu l’accent tragique. Sa palette claire et froide où prédominent les tons jaune pâle, violet clair, s’accorde à merveille avec la Stimmung qui fait le prix de ces toiles. Art timide, un peu enfantin, mais profondément sincère et ému, d’une sensibilité très allemande. C’est le romantique par excellence, le seul peintre qui ait su traduire à sa façon, par des lignes et des couleurs, le lyrisme musical des poésies de Henri Heine : chacun de ses paysages résonne comme un lied.

Berlin n’a jamais été la patrie du rêve, et l’art inspiré par le « genius loci » est beaucoup plus sec et plus prosaïque. Ce n’est pas par hasard que le meilleur peintre berlinois de cette époque, Franz Krüger, est un peintre de parades militaires, de soldats et de chevaux. Observateur précis et minutieux, il excelle dans la reproduction exacte, presque photographique, de l’allure des chevaux, de l’assiette des cavaliers, du détail des uniformes. Cet art menu annonce Menzel qui est de la même lignée. Un autre précurseur de Menzel est le paysagiste Karl Blechen qui mourut malheureusement trop jeune pour évoluer et mûrir.

Les petits maîtres de l’Allemagne du sud et de l’Autriche se distinguent des gens du nord, enclins à la tristesse, par une bonhomie souriante et volontiers malicieuse. Le type le plus représentatif de ces Méridionaux est Moritz von Schwind, à la fois Viennois de naissance et Munichois d’adoption. Médiocre praticien, il séduit par sa bonne humeur joviale, par la naïveté de conteur populaire avec laquelle il illustre les contes de fées recueillis par les frères Grimm, la légende de Cendrillon ou de la belle Mélusine. Il se plait à imaginer des forêts enchantées où des elfes vaporeux dansent dans les clairières, où tout un peuple de gnomes et de kobolds hante le creux des rochers ou les troncs évidés des saules. Mirage puéril et charmant qu’un souffle ferait évanouir.

Deux autres petits maîtres romantiques s’apparentent à Schwind et, sans jamais s’élever bien haut, éveillent la même sympathie : le Munichois Spitzweg et le Viennois Waldmüller. En tant que peintres, ils lui sont supérieurs, peut-être parce qu’ils se sont frottés de plus près à l’École française. Karl Spitzweg, qui avait commencé par le métier d’apothicaire, a connu les clairières de Diaz et copié la Plage de Dieppe d’Eugène Isabey. Quant à Ferdinand Waldmüller, il rappelle Ingres dans ses portraits d’un dessin si ferme et plus encore Boilly dans ses scènes de genre.

Malgré de réelles qualités de techniciens, un goût des belles pâtes savoureuses, un sens de la lumière et de la couleur qu’on chercherait vainement chez Cornelius et ses disciples, il faut avouer que ces petits maîtres un tantinet provinciaux, bien qu’ils aient vécu dans de grandes villes, nous intéressent surtout par leurs sujets. Spitzweg nous a laissé l’image du bon bourgeois allemand, du philistin maniaque qui au saut du lit, en bonnet de coton, arrose tendrement ses pots de géraniums ou fume placidement sa pipe, du pauvre diable de poète, couché dans sa mansarde, qui scande ses vers sous un parapluie ouvert au-dessous de son plafond lézardé. Les tableautins bariolés de Waldmüller sont le meilleur document que puisse consulter un historien des mœurs sur l’aspect patriarcal de Vienne avant la Révolution de 1848 (das vormärzliche Wien). Le dimanche, il accompagne les bourgeois à la campagne, hors des remparts qui enserraient encore la vieille ville, dans les guinguettes du Wiener Wald, dans les cours de ferme où des bambins joufflus, d’accortes paysannes s’ébattent en plein soleil. Avec Schwinid, Spitzweg et Waldmüller, nous nous promenons en imagination au « bon vieux temps ». Bien que la bourgeoisie parisienne du temps de Louis-Philippe revive avec infiniment plus de relief dans les lithographies du génial Daumier, peut-être cette note attendrie est-elle plus spécifiquement allemande.

 

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La conclusion qui ressort de cette revue rapide de la peinture romantique en Allemagne est, me semble-t-il, assez nette pour n’avoir pas besoin d’être soulignée. Contrairement à certaines affirmations tendancieuses, l’Allemagne n’a pas produit de 1800 à 1850 un seul peintre de génie. Quelques-uns conservent encore aujourd’hui une valeur nationale et reflètent assez fidèlement, quoique sans grand éclat, certains aspects du romantisme allemand : il n’en est aucun qui ait su conquérir et conserver une place de premier rang parmi les forces vives de l’art européen. Il ne viendra à d’esprit de personne d’égaler Blechen à Constable ou Friedrich à Turner, encore moins de comparer un faux grand homme tel que Cornelius à un génie authentique comme Delacroix. Ce qui a manqué à tous ces peintres allemands, égarés par une esthétique néfaste ou étouffés par l’étroitesse d’un milieu provincial, c’est de savoir leur métier. Or, pour reprendre le mot cruel du roi Louis Ier de Bavière agacé par l’orgueil aussi incommensurable que peu justifié de Cornelius, ein Maler muss malen können.

 

 

Louis RÉAU.

 

Paru dans les Cahiers du Sud en 1937.

 

 

 

 

 

 

 

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