Maurice Maeterlinck

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Jean-Jacques REINHARD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’abondance et la variété de l’œuvre de Maeterlinck ont de quoi déconcerter. Plus de vingt-cinq pièces de théâtre, une quinzaine d’essais, quatre ouvrages de caractère scientifique, des traductions de Ruysbroek, Novalis, John Ford et Shakespeare, sans compter des introductions aux œuvres d’Emerson, Sénèque ou Salazar.

Pourtant, la postérité retiendra surtout le poète, qui nous a laissé deux minces recueils : Serres chaudes, Douze chansons, un drame comme Pelléas et Mélisande, et certaines pages merveilleuses sur les animaux et les fleurs.

Maurice Maeterlinck naît à Gand en 1862, dans une riche famille de la bourgeoisie flamande. Son enfance se partage entre sa ville natale et la propriété familiale d’Oostacker, où son père s’adonne à la culture des fleurs et des arbres fruitiers. Après avoir accompli ses humanités au Collège Sainte-Barbe de Gand, en compagnie de Le Roy et de Van Lerberghe, il fait son droit, puis se rend à Paris. Il y fréquentera les milieux littéraires, bien qu’il soit censé parachever sa formation juridique. Il rencontre Saint-Pol-Roux, Mallarmé, et surtout Villiers de l’Isle-Adam qui semble avoir exercé sur lui une influence décisive : « Les fantômes attendaient l’atmosphère que Villiers avait créée en moi pour y naître et respirer enfin. »

De retour à Gand il s’inscrit au barreau, où il ne plaide guère, et en 1889, publie son premier recueil de poèmes.

Le seul titre de Serres chaudes donne le ton au recueil. Ennui et lassitude s’y expriment en un univers clos où toute évasion semble condamnée par avance. Une sorte de torpeur maladive et fiévreuse se dégage de ces pièces qui ont pour titre Cloche à plongeur, Chasses lasses ou Serre d’ennui. L’appel de l’infini, d’une réalité supérieure, s’y fait jour, mais le poète ne parvient pas à l’appréhender, d’où cette atmosphère d’angoisse et de langueur. C’est un univers poétique qui se tient aux frontières de l’inconscient et de la conscience, entre la présence et l’absence, la parole et le silence, la lumière et les ténèbres, dans une sorte de clair-obscur étrange et triste. L’inspiration symboliste se traduit parfois par une imagerie un peu démodée, exhalant un parfum de fleur fanée, mais ailleurs de fascinantes analogies se nouent entre le monde intérieur et le monde extérieur, associant objets et sensations dans des images d’une liberté et d’une nouveauté surprenantes : « Fouets bleus des souvenirs », « Herbe mauve des absences ». Le vers est coupé brutalement, le rythme lourd, comme se refusant à une musique trop facile. Serres chaudes, que l’on disait toujours présent sur la table de travail d’Apollinaire, annonce tout un courant de la poésie moderne et, en premier lieu, le surréalisme. Maeterlinck n’affirmait-il pas sa croyance en une « espèce de symbole, plutôt inconscient, qui aurait lieu à l’insu du poète, souvent malgré lui et irait presque toujours bien au-delà de sa pensée » ?

Précurseur, Maeterlinck n’allait pas tarder à l’être aussi dans le domaine théâtral, et tout d’abord en donnant au symbolisme le seul théâtre digne de ce nom. Sur des scènes qui, après avoir connu l’échec du naturalisme, ne présentaient plus que les œuvres d’Augier ou de Dumas fils, il apporte le sens du drame et le goût du mystère, sans renoncer pour autant aux séductions du langage.

Son propos est en effet de nous faire sentir, dans des décors inquiétants ou morbides, le poids de l’invisible, des secrets imprévisibles qui nous environnent comme des présages du malheur et de la mort. La Princesse Maleine est tout entière centrée sur la mort (la reine tue la princesse, le fiancé de la princesse tue la reine puis se suicide) comme le sont Les Aveugles (où un prêtre meurt au milieu de douze aveugles condamnés eux aussi à périr), qui semblent symboliser l’échec du Christ sur la terre, et comme l’est L’Intruse (où un vieillard aveugle devine que la mort s’est incarnée partout autour de lui). Même l’amour de Pelléas pour Mélisande fait naître la menace, la peur et la mort (Pelléas et Mélisande). Intérieur nous décrit la venue, dans la paix d’une maison, de la nuit, du silence et de la tragédie. Le destin est à la fois en nous et hors de nous : « On ne sait pas jusqu’où l’âme s’étend autour des hommes. » Nous devons nous soumettre à une vocation gouvernée par un Absolu qui demeure indéfinissable : « Nous agissons presque tous sans que rien de notre âme y intervienne. » Même les féeries de Maeterlinck (L’Oiseau bleu, Les Fiançailles), le bonheur semble enfin nous montrer ses voies et se tenir à notre portée, n’annulent pas cette pesanteur dont la grâce est absente. Ce que peuvent avoir d’un peu trop allégorique et d’un peu trop passif les personnages de ce théâtre reflète sans doute le profond pessimisme de Maeterlinck devant l’inéluctabilité des forces supérieures qui nous régissent, d’un ordre des choses invisible et inexplicable, d’une mort enfin dont nous ne savons pas si elle cache autre chose que le néant. De là ce qui, dans l’œuvre dramatique de Maeterlinck, annonce l’angoisse dont le théâtre contemporain, celui de Beckett en particulier, fera l’un de ses thèmes principaux.

Bien que Maeterlinck se soit préoccupé de découvrir les voies d’une vie supérieure, on ne saurait pourtant sans abus voir en lui un mystique, non plus qu’un philosophe. Car il n’a pas construit de système. Poète avant tout, c’est en moraliste lyrique qu’il médite sur Platon, Plotin, Novalis ou Ruysbroek pour nous convier à nous connaître nous-mêmes et à essayer de comprendre les autres (Le Trésor des humbles). La Sagesse et la Destinée nous parle de dévouement et d’amour sans pour autant résoudre nos énigmes. C’est aussi en naturaliste lyrique (La Vie des abeilles, L’Intelligence des fleurs, La Vie des termites, La Vie des fourmis) qu’il réfléchit sur les merveilles et les vertus de l’instinct qui adapte tout à la vie et sur le mystère des plantes qui laisse deviner le mystère universel. Loin de tout dogmatisme, il affirme l’existence d’un « moi plus profond et plus inépuisable que le moi des passions et de la raison pure ». « Sa philosophie, écrivait Antonin Artaud, est toute dans le don qu’il a de révéler, avec des images, des sensations obscures, des rapports inconnus de la pensée. » C’est enfin en panthéiste lyrique, sensibilisé par l’occultisme, qu’il interroge la vie et la mort, le hasard et l’avenir, Dieu et l’Infini (La Mort, L’Hôte inconnu, Le Grand Secret), comme pour se rassurer lui-même devant l’angoisse de l’abîme, et réagir peut-être contre le pessimisme foncier de sa propre vision dramatique en se laissant porter à pressentir comme une sorte de spiritualité de la matière.

Mais Maeterlinck est en fin de compte « comme Ibsen, ainsi que l’écrivait E. Schuré, un individualiste irréductible. Autant que lui, il s’est affranchi du joug écrasant de l’opinion, de la tyrannie du troupeau ». Son destin n’aura peut-être pas été autre chose qu’une lutte constante pour découvrir la lumière, une recherche de la vérité, faite plus d’interrogation que de certitude.

« Le bonheur n’est séparé de la détresse que par une idée haute, infatigable, humaine et  courageuse », écrivait-il vers la fin de sa vie.   « Haute et infatigable », « humaine et courageuse », telles nous apparaissent bien et la vie et l’œuvre de Maurice Maeterlinck.

 

 

Jean-Jacques REINHARD.

 

 

 

« Je salue en l’œuvre de Maurice Maeterlinck un de ces hauts lieux où se consomment les noces du conscient et de l’inconscient, noces d’où naît la race énigmatique des chimères. »

Jean COCTEAU.

 

 

Œuvres essentielles

 

SERRES CHAUDES. – Recueil de poèmes, dont le titre général est le symbole, prison mentale dans laquelle le poète est enfermé.

LA VIE DES ABEILLES. – Basé sur des observations et une information plus sérieuses qu’on a bien voulu le dire, l’ouvrage se présente comme une longue réflexion sur le destin des abeilles, d’un anthropomorphisme parfois naïf, mais riche de poésie et de vivacité.

LA VIE DES FOURMIS. Plus que ses expériences personnelles l’auteur utilise ici des travaux réalisés par des spécialistes pour tenter de « démêler les pensées et arrière-pensées de la nature ».

PELLÉAS ET MÉLISANDE. – Le petit-fils du roi Arkaël a épousé Mélisande, mais elle ne lui est pas destinée. Elle aimera Pelléas, frère de son mari, Golaud, qui, surprenant leur amour, tuera Pelléas. Mélisande se mourra d’une inexplicable langueur.

L’OISEAU BLEU. Deux enfants partent en compagnie d’habitants de leur maison, tels l’eau, le pain, le chat, le chien, etc., à la recherche de « l’oiseau bleu », c’est-à-dire le grand secret des choses et du bonheur.

LA VIE DE L’ESPACE LA GRANDE FÉERIE LA GRANDE LOI. – Méditation ayant pour base les théories de la relativité d’Einstein et la géométrie non euclidienne auxquelles Maeterlinck oppose le système de Newton.

 

 

Études sur Maurice Maeterlinck

 

ANDRIEUX (M.), Maeterlinck, Paris, Éditions universitaires (coll. « Classiques du XXe siècle »).

BODART (Roger), Maurice Maeterlinck, Paris, Seghers (collection « Poètes d’aujourd’hui »).

ESCH (Maurice), L’Œuvre de Maurice Maeterlinck, Paris, Mercure de France.

HARRY (Gérard), La Vie et l’Œuvre de Maeterlinck, Paris, Fasquelle.

 

 

Biographie

 

1862 Naissance de Maurice Polydore Marie Bernard Maeterlinck » à Gand, le 29 août.

1874 Entrée au Collège Sainte-Barbe tenu par des jésuites, à Gand. Amitié avec Grégoire Le Roy et Charles Van Lerberghe.

1885 Doctorat en droit.

1886 Séjour de sept mois à Paris. Rencontre avec Villiers de l’Isle-Adam, Saint-Pol Roux, Catulle Mendès, Mallarmé. Fondation de la revue « La Pléiade » il publie un conte et quelques poèmes. S’inscrit au barreau à Gand. Collabore à La Jeune Belgique et à La Wallonie. Séjour chez son père.

1889 Publication du recueil de poèmes Serres chaudes et de son premier drame La Princesse Maleine qu’Octave Mirbeau porte « au-dessus du meilleur Shakespeare » (Figaro du 24 août 1890).

1893 Création de Pelléas et Mélisande à Paris.

1896 Installation en France. Partage son temps entre Paris et la Normandie. Publication du Trésor des humbles.

1898 Publication de La Sagesse et la Destinée. Gabriel Fauré donne Interludes à Londres pour une reprise de Pelléas et Mélisande.

1901 Publication de La Vie des abeilles. Ariane et Barbe-Bleue sont écrits pour être mis en musique par Paul Dukas.

1902 Rédaction de Monna Vanna que jouera Georgette Leblanc, actrice en vogue, qui partagera sa vie pendant plus de vingt ans.

1907 Achat de l’abbaye bénédictine désaffectée de Saint-Wandrille, en Normandie, il séjournera jusqu’en 1919.

1911 Prix Nobel de littérature.

1919 Rupture avec Georgette Leblanc. Mariage à Nice avec Renée Dahon.

1921 Nommé membre fondateur de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.

1927 à 1929 Publication de La Vie des termites, La Vie de l’espace, et du recueil d’essais La Grande Féerie.

1937 Élection comme membre associé étranger de l’Académie française. Séjour au Portugal. Protection du président Salazar dont il préface les discours politiques traduits en français.

1940 Émigration aux États-Unis. Séjour à New York puis en Floride.

1947 Retour en France après une grave maladie en 1945.

1948 Dernier livre publié de son vivant : Bulles bleues.

1949 Maeterlinck meurt à Nice le 5 mai 1949.

 

 

Bibliographie

(principaux ouvrages)

 

Poésie.

 

Serres chaudes, Paris, Vannier, 1889.

Poésies complètes : Serres chaudes Quinze chansons Neuf chansons de la trentaine Treize chansons de l’âge mûr, Bruxelles, Renaissance du livre, 1965.

 

Théâtre.

 

La Princesse Maleine, Gand, L. Van Melle, 1889.

L’Intruse, in La Wallonie, Liège, janvier 1890.

Les Aveugles, Bruxelles, P. Lacomblez, 1890.

Les Sept Princesses, Bruxelles, Paul Lacomblez, 1891.

Pelléas et Mélisande, Bruxelles, Paul Lacomblez, 1892.

Alladines et Palomides, Intérieur et La Mort de Tintagiles. Trois petits drames pour marionnettes, Bruxelles, Edmond Deman, 1894.

Aglavaine et Sélysette, Paris, Mercure de France, 1896.

Monna Vanna, Paris, Fasquelle, 1902.

Joyselle, Paris, Fasquelle, 1903.

L’Oiseau bleu, Paris, Fasquelle, 1909.

Le Bourgmestre de Stilmonde, suivi de Le Sel de la vie, Paris, Édouard Joseph, 1919.

Le Miracle de Saint-Antoine, Paris, Édouard Joseph, 1919.

Les Fiançailles, Paris, Fasquelle, 1925.

Le Malheur passe, in Les Œuvres libres, Paris, Fayard, 1er déc. 1925.

La Puissance des morts, in Les Œuvres libres, Paris, Fayard, 1er oct. 1926.

Marie-Victoire, in Les Œuvres libres, Paris, Fayard, 1er août 1927.

Berniquel, Paris, Les Cahiers libres, 1929.

Juda de Kérioth, in Les Œuvres libres, Paris, Fayard, sept. 1929.

La Princesse Isabelle, Paris, Fasquelle, 1935.

Jeanne d’Arc, Monaco, Édit, du Rocher, 1948.

 

Essais.

 

Le Trésor des humbles, Paris, Mercure de France, 1896.

La Sagesse et la Destinée, Paris, Fasquelle, 1898.

La Vie des abeilles, Paris, Fasquelle, 1901.

L’Intelligence des fleurs, Paris, Fasquelle, 1907.

La Mort, Paris, Fasquelle, 1913.

L’Hôte inconnu, Paris, Fasquelle, 1917.

Le Grand secret, Paris, Fasquelle, 1921.

La Vie des termites, Paris, Fasquelle, 1926.

L’Araignée de verre, Paris, Fasquelle, 1932.

Devant Dieu, Paris, Fasquelle, 1937.

La Grande Porte, Paris, Fasquelle, 1939.

L’Autre Monde ou Le Cadran stellaire, New York, Édit, de la Maison française, 1942.

 

Souvenirs.

 

Bulles bleues, Monaco, Édit. du Rocher, 1948.

 

Contes.

 

Le Massacre des innocents. Onirologie, Paris, G. Crès, 1918.

 

Traductions.

 

L’Ornement des noces spirituelles, de Ruysbroek l’Admirable, Bruxelles, P. Lacomblez, 1891.

Les Disciples à Saïs et Fragments, de Novalis, Bruxelles, P. Lacomblez, 1895.

La Tragédie de Macbeth, de Shakespeare, Paris, Fasquelle, 1910.

 

 

Littérature de notre temps, Casterman, 1966,

par Joseph Majault, Jean-Maurice Nivat

et Charles Géronimi.

 

 

 

 

 

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