MENSONGES RÉVOLUTIONNAIRES

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Alexandre REMY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À

 

 

MON PÈRE,

 

 

MORT

 

 

Le 9 Mars 1853.

 

 

 

 

 

 

 

EXTRAIT DU JOURNAL LA GUYENNE,

 

du 9 Mars 1854.

 

 

 

L’habile et vaillant rédacteur en chef de la Mode, M. Alexandre Remy, vient de terminer dans cette revue un travail qui, nous l’espérons, sera mis en volume et livré aux lecteurs qui recherchent les bons et fermes écrits 1. Ce travail est la réfutation de tous les mensonges révolutionnaires dont les ennemis de la monarchie se sont servis contre la Restauration et par lesquels ils ont porté de si rudes atteintes aux principes d’autorité dans l’esprit des masses.

M. Alexandre Remy est de ceux que la vérité passionne, et que la mauvaise foi révolte ; il est de ceux aussi qui, comprenant tout le mal que la révolution a fait au pays, travaillent à le guérir en signalant les manœuvres coupables qui l’ont produit. C’est dans ce but qu’il a entrepris l’œuvre dont il s’agit ici. Nous l’avons suivie avec attention, et avec d’autant plus d’intérêt qu’il nous est arrivé souvent à nous-même de traiter le même sujet, et de répondre par les faits les plus avérés de notre histoire contemporaine aux accusations déloyales d’un parti subversif contre la monarchie tombée sous les balles de la révolte. Nous ne connaissons pas, pour un écrivain politique, de tâche plus importante que celle-là, et qui mérite mieux les suffrages des honnêtes gens.

Qui ne voit, en effet, que si la révolution a tant fait de progrès dans le peuple, si elle en est arrivée en 1848 à de si tristes conséquences, c’est que le respect de l’autorité a été détruit dans son esprit par des calomnies odieuses contre les augustes représentants de cette autorité ; c’est qu’on lui a persuadé que la royauté, et la grande race en qui elle se personnifiait, ruinaient le pays en allant à rencontre de ses idées comme de ses intérêts ; c’est que pour atteindre le but qu’on se proposait, celui de pousser au renversement du trône, on a attaqué toutes les doctrines d’ordre et de gouvernement, et prôné toutes les idées de fausse indépendance et d’égalité impossible que l’on a tenté de faire passer dans l’application, le lendemain du 24 février ; c’est qu’enfin on a enseigné aux masses ce prétendu droit d’insurrection qui, tant de fois et d’une façon si lamentable depuis 1850, a mis les armes aux mains des factions, et menacé de nous plonger pour longtemps dans les horreurs d’une interminable anarchie.

M. Alexandre Remy n’a donc pas seulement obéi à ses sympathies particulières pour la Restauration, quand il a montré par quels indignes moyens on l’avait attaquée, mais il a rendu un service à la vérité historique, aux principes d’autorité, et à l’ordre social tout entier, en stigmatisant les mensonges auxquels la faction révolutionnaire a dû la redoutable prépondérance qu’elle a exercée en ces derniers temps, et qui s’est étendue dans toute l’Europe.

 

JUSTIN DUPUY.          

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MENSONGES RÉVOLUTIONNAIRES.

 

_______

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

 

COMMENT L’ÉCOLE RÉVOLUTIONNAIRE TRAVESTIT L’HISTOIRE.

 

 

 

I.

 

 

L’école révolutionnaire, interprétant dans un sens faussement absolu quelques formules ou maximes de notre ancien droit monarchique, en a conclu avec grand fracas que le principe fondamental et constitutif de l’ancienne monarchie française n’était autre qu’un prétendu droit divin, se traduisant gouvernementalement par la volonté arbitraire et despotique du monarque. Parmi ces formules ou maximes qui ont ainsi reçu de l’école révolutionnaire une interprétation essentiellement opposée à leur véritable signification tout à la fois intrinsèque et historique, il en est principalement quatre qui, grâce à ce travestissement, sont devenues dans les mains d’une génération façonnée au mépris et à la haine de l’institution monarchique autant d’arguments contre l’esprit et les bienfaits de cette institution.

Nous allons les faire passer l’une après l’autre sous les yeux du lecteur, en restituant à chacune d’elles la véritable signification qui lui appartient devant la critique historique.

 

 

 

II.

 

 

On sait que, sous l’ancienne monarchie, les Édits ou Ordonnances royales se terminaient par cette formule : Car tel est notre bon plaisir.

Quel sens politique s’attachait à cette formule ?

Il importe d’en établir avant tout l’origine.

Or, c’est dans le berceau même des libertés nationales qu’il faut la chercher. Chez les Francs, la souveraineté publique résidait dans la nation présidée et gouvernée par son Roi : la loi, délibérée et votée dans des assemblées générales, était sanctionnée et promulguée par le monarque ; et comme la souveraineté publique se résumait finalement dans son représentant héréditaire, chargé du pouvoir exécutif, la sanction royale se formulait naturellement ainsi : Tale est placitum nostrum : ce que les historiens traduisent indifféremment par ces mots : Tel est le résultat de l’assemblée, – telle est notre volonté ou tel est notre bon plaisir. Quoi qu’il en soit, cette formule, telle que nous la prenons à son origine et dans son sens primordial, désignait donc, non la volonté exclusivement personnelle et par conséquent absolue ou arbitraire du monarque isolé de son peuple, mais la volonté collective et universelle de la nation, délibérée dans une assemblée publique présidée par le Roi, et ayant son expression régulière dans un vote libre, librement sanctionné par le chef de l’État. Que, dans la suite, la royauté, jetée hors de ses conditions véritablement constitutives par la féodalité, en soit venue quelquefois à faire abus de cette formule à son profit propre, nous ne le nions pas ; mais l’abus ne détruit pas le principe, et il n’en reste pas moins vrai que la formule Tel est notre bon plaisir, prise dans son sens originel, ne signifie rien autre chose que la souveraineté publique, formée de l’accord du roi et de la nation, et se résumant dans le pouvoir royal par la sanction et l’exécution.

 

 

 

III.

 

 

Dans notre vieux droit monarchique, on rencontre fréquemment cette maxime : Si veut le Roi, si veut la loi.

L’école révolutionnaire n’a pas manqué de la traduire ainsi : La volonté du Roi est la loi.

Or, toutes les traditions historiques s’accordent pour lui donner cette signification toute contraire : La loi est la volonté du Roi.

La loi est la volonté du Roi, c’est-à-dire que le roi ne voulait rien ou ne pouvait rien vouloir que ce que voulait la loi. C’est ainsi, en effet, que l’entendait Clotaire Ier reconnaissant que « le devoir le plus sacré de la royauté était de respecter la loi ». C’est ce qu’entendait pareillement Louis XI, déclarant que « quand les rois violent la loi, ils font leur peuple serf et perdent le nom de roi ». C’est ce qu’entendait non moins formellement aussi Henri IV, disant que « la première loi du souverain est de les observer toutes, et qu’il a lui-même deux souverains : Dieu et la loi ». Enfin, c’est cette même interprétation que consacrait Louis XV, proclamant dans son Édit de 1717 ce qu’il appelait avec un si remarquable bonheur d’expression « l’heureuse impuissance » de la royauté devant les lois qui formaient la constitution de l’État.

La loi est la volonté du Roi, c’est-à-dire encore que, dans le jeu de notre ancienne constitution, la loi étant l’expression de la volonté nationale, et cette volonté se résumant dans la souveraineté royale, le Roi personnifiait, pour ainsi dire, la loi, et en était aux yeux du peuple comme la représentation vivante et souveraine.

 

 

 

IV.

 

 

Un autre axiome de notre droit monarchique, est celui-ci : Le Roi ne tient que de Dieu et de son épée.

Tenir de Dieu et de son épée est une formule d’origine féodale, qui était employée pour désigner le franc-aleu, c’est-à-dire toute terre entièrement libre de « cens, rentes ou dettes, servage, relief, et toute redevance quelconque à vie et à mort ». Appliquée à la royauté franque, elle indiquait l’indépendance de la couronne, et voulait dire qu’en France le monarque ne relevait ni du Pape, ni de l’Empereur, ni d’aucune autre puissance qui pût exiger de lui l’hommage. Nos Rois tenaient de Dieu, en ce sens qu’ils ne relevaient d’aucune puissance étrangère, et que leur autorité n’avait sa source comme ses limites légitimes que dans les lois fondamentales de l’État ; ils tenaient de leur épée, en ce sens que, ne reconnaissant point de juges placés au-dessus d’eux, c’est par la force de leurs armes qu’ils se faisaient rendre la justice qui leur était due, et qu’ils maintenaient envers et contre tous leur autorité et les droits de leur couronne.

Qu’il y a loin de cette interprétation, sanctionnée du reste par tous les témoignages de l’histoire, à celle par laquelle le parti révolutionnaire a essayé de transformer en un axiome de droit divin et de despotisme une formule purement et simplement déclarative de l’indépendance temporelle de nos Rois !

 

 

 

V.

 

 

Enfin, il est une quatrième formule qu’on voit constamment employée par nos Rois en tête de leurs édits et ordonnances : c’est celle de Roi par la grâce de Dieu.

L’école révolutionnaire a affecté de voir dans cette formule l’invocation d’un droit divin comme source directe du pouvoir royal, et soutenu par conséquent qu’elle était radicalement exclusive des droits de la nation.

La vérité est, au contraire, que nos Rois ont toujours reconnu tenir primitivement leur couronne, non pas de Dieu seulement, mais de la nation.

L’histoire nous montre, en effet, Louis-le-Bègue s’intitulant Roi par la miséricorde de Dieu et l’élection du peuple, misericordia Domini et electione populi rex.

L’histoire nous montre aussi le roi Robert reconnaissant expressément être redevable de sa couronne à la bonté divine et à la libéralité des Français, quoniam divina propitiante clementia, nos gallica liberalitas ad regni provexit fastigia.

Dans des temps plus rapprochés, Massillon, prêchant à Versailles devant Louis XIV, put prononcer ces paroles sans être interrompu ni désapprouvé par ce monarque : « Oui, Sire, c’est le choix de la nation qui mit d’abord le sceptre entre les mains de vos ancêtres ; c’est elle qui les éleva sur le bouclier militaire, et les proclama souverains. Le royaume devint ensuite l’héritage de leurs successeurs : mais ils le durent originairement au consentement libre des sujets. Leur naissance seule les mit en possession du trône ; mais ce furent les suffrages publics qui attachèrent d’abord ce droit et cette prérogative à leur naissance. En un mot, comme la première source de leur autorité vient de nous, les Rois n’en doivent faire usage que pour nous. »

On sait, d’un autre côté, que, par son édit du mois de juillet 1714, Louis XIV avait appelé les Princes légitimés à succéder à la couronne au défaut des Princes légitimes. Or, ces derniers protestèrent contre cette infraction aux lois fondamentales de l’État par un Mémoire où sont énoncées les vraies conditions constitutives de l’hérédité royale. « Personne, – disaient-ils dans ce Mémoire, – ne peut avoir la couronne de France que celui qui y est appelé par les lois fondamentales.... Le peuple français, qui est plus ancien que ses rois, ne leur a cédé sa puissance et confié son autorité publique que sous ces conditions.... En France, celui qui succède à la couronne ne tient rien du roi son prédécesseur, mais du peuple. »

Enfin, par son édit du mois de juillet 1717, Louis XV, faisant droit à cette protestation, reconnut formellement que « c’est à la nation seule à se choisir un roi, en cas d’extinction de la maison royale ».

« Pourquoi donc, ainsi que le fait judicieusement observer un auteur anonyme, – pourquoi, dans le cas de défaillance de la maison régnante, le droit de choisir un roi appartiendrait-il à la nation, sinon parce que c’est elle qui a choisi la maison régnante ? L’extinction de la maison de Bourbon ne peut transmettre à la nation un droit nouveau ; elle ouvre seulement l’exercice du droit national. Le choix, au défaut de la race, regarde nécessairement ceux qui ont choisi cette race ; et si c’est la nation qui s’est volontairement soumise au premier mâle de la maison régnante, il est donc vrai que c’est elle qui l’a fait roi. »

Mais s’il est vrai que la royauté ait sa source dans la nation, comment nos Rois pouvaient-ils s’intituler : Rois par la grâce de Dieu ?

La contradiction n’est qu’apparente, et disparaît devant une distinction tirée des conditions mêmes qui constituent la royauté. Nos Rois pouvaient croire régner et régnaient, en effet, tout ensemble par la grâce de Dieu et par la volonté du peuple : par la volonté du peuple, en ce sens que la royauté, avant sa source dans la nation, était essentiellement de droit national ; par la grâce de Dieu, en ce qui concernait l’exercice de l’autorité souveraine, qui, lorsqu’elle est légitime, est de droit divin.

Il est vrai qu’on peut resserrer l’objection, en reprochant à nos anciens rois d’avoir supprimé dans leurs actes la formule par la volonté du peuple pour conserver exclusivement celle par la grâce de Dieu.

Mais, même présentée ainsi, l’objection peut être facilement réfutée. Nous soutenons, par exemple, que les héritiers successifs du premier roi de France ont pu employer exclusivement la formule par la grâce de Dieu, parce qu’en effet ils tenaient personnellement leur couronne, non du fait direct et primitif de l’élection nationale, mais de la loi d’hérédité, c’est-à-dire du privilège de leur naissance, – privilège dont ils étaient redevables à Dieu seul. Nous ajoutons que l’emploi exclusif de cette formule par les successeurs légitimes du premier Roi de France, ainsi considéré au point de vue de l’hérédité, n’entamait en rien et laissait subsister dans toute sa vérité historique le principe de droit national d’où dérivait primitivement la royauté.

 

 

 

VI.

 

 

Comme on le voit, nous avons abordé de front l’imputation de droit divin et de despotisme tirée contre notre vieille royauté, par l’école révolutionnaire, de quelques axiomes de notre ancien droit monarchique. Or, cette imputation, il nous a suffi de la placer devant les faits et devant les témoignages de l’histoire pour la réduire à néant.

Tous les monuments de notre histoire attestent, en effet, que s’il y a en France une institution nationale par excellence, c’est cette vieille royauté de Clovis qui naquit dans les forêts de la Germanie en même temps que la nation même, et qui, dans un développement de quatorze siècles, n’a jamais cessé de donner la main aux libertés publiques !

 

 

 

 

 

 

 

 

II

 

 

 

DU SACRE DES ROIS DE FRANCE.

 

 

 

I.

 

 

S’il est dans notre histoire un monument qui mette dans un jour incontestable l’origine éminemment nationale de la royauté française, c’est bien le sacre de nos rois dont le cérémonial reproduisait dans ses détails les plus essentiels la première inauguration mérovingienne, c’est-à-dire soumettait fictivement à une nouvelle élection populaire le monarque appelé au trône par l’hérédité, et confirmait ainsi, par une espèce de ratification nationale renouvelée de règne en règne, le droit politique de la dynastie régnante, né de la libre volonté du peuple et se perpétuant inviolablement à travers les siècles sous la forme d’une loi fondamentale de l’État. Et cependant, l’école révolutionnaire, intéressée à présenter notre vieille royauté comme une institution destituée de toute affinité avec l’intérêt national, a toujours affecté de ne voir dans cette antique et traditionnelle cérémonie du sacre que l’expression flagrante et comme la consécration solennelle du principe de droit divin, qui, suivant elle, constituait le pouvoir royal en France.

L’évidence seule des faits pouvant avoir raison d’une interprétation systématiquement erronée, c’est aux faits mêmes que nous allons en appeler pour démontrer que le Sacre, considéré exclusivement dans son économie politique, était une cérémonie représentative de l’inauguration du premier roi de France, – cérémonie impliquant la double reconnaissance du droit de la nation sous la forme de consentement ou de confirmation, et du droit royal, c’est-à-dire du titre de roi et du pouvoir souverain, tels qu’ils étaient inviolablement transmis par le privilège héréditaire de la naissance.

 

 

 

II.

 

 

Sous les premiers rois de la première race, l’inauguration royale consistait dans l’élévation sur le pavois : le prince reconnu pour roi était élevé sur un bouclier, et porté ainsi trois fois autour du camp aux acclamations de la nation armée.

Dans le sacre, nous voyons une reproduction aussi exacte que possible de la cérémonie du pavois : d’après le cérémonial tracé par Louis VII, les douze pairs élevaient le siège où était placé le prince, pour présenter et montrer celui-ci au peuple ; alors l’un d’eux demandait à haute voix aux assistants s’ils voulaient l’accepter pour roi, et l’assemblée répondait : Volumus, laudamus, fiat. Plus tard le cérémonial put être et fut, en effet, modifié ; mais la coutume de demander le consentement du peuple s’est religieusement maintenue : c’est ainsi qu’au sacre de Henri IV, en 1595, les évêques de Nantes et de la Maillezais soulevèrent ce prince de son fauteuil, et, tandis qu’il était debout, demandèrent aux seigneurs assistants et au peuple s’ils l’acceptaient pour souverain. Le cérémonial du sacre de ses successeurs, jusques et y compris l’infortuné Louis XVI, mentionne le même appel fait au consentement du peuple.

L’intervention du peuple dans le sacre de nos rois, au moins à l’état de principe et comme tradition d’un droit primitif, est donc un fait acquis à notre thèse. Que si ce droit primitif ne s’exerçait plus activement, à chaque changement de règne, par l’élection effective du nouveau monarque, du moins présidait-il, comme du fond des siècles, à l’inauguration de ce dernier sous la forme d’un consentement fictif et purement conventionnel, si l’on veut, mais considéré cependant comme nécessaire pour reconnaître et confirmer le titre de l’héritier légitime du trône. Il est évident que la nation, ayant primitivement délégué la souveraineté à une famille de son choix, avec transmission héréditaire à terme indéfini, n’avait plus à intervenir dans chaque mutation de règne comme puissance élective, puisque le nouveau monarque existait virtuellement par l’hérédité ; mais elle avait le droit de s’assurer que l’individu qui réclamait en sa faveur le bénéfice de cette hérédité, était bien réellement l’héritier légitime, et c’est ainsi que son consentement était réputé nécessaire à la proclamation du nouveau roi. Telle était, en effet, la nécessité fondamentale et traditionnelle de ce consentement préalable, même réduit à l’état de pure formule dans le cérémonial du sacre, que, dans l’opinion de quelques historiens, il constituait l’investiture royale proprement dite, et que l’exercice de la puissance publique n’était ouvert au nouveau souverain qu’à dater de son couronnement, qui n’avait lieu, dans l’ordre du Sacre, qu’après la formalité de l’acceptation de sa personne par les grands et par le peuple. Sans abonder dans cette opinion, manifestement exagérée, il est juste toutefois de reconnaître qu’elle s’appuie sur quelques faits : ainsi, d’une part, un certain nombre de nos rois n’ont daté leur règne que du jour de leur sacre ; et de l’autre, il appert des termes mêmes du serment prêté par plusieurs d’entre eux, et notamment par Philippe, en 1059, qu’ils ne se considéraient comme définitivement saisis de la puissance royale qu’après avoir été personnellement acceptés par la nation dans les formes consacrées par le cérémonial du Sacre : Ego Philippus, Deo propitiante, MOX FUTURUS REX FRANCORUM, in die ordinationis meae promitto, etc.

 

 

 

III.

 

 

Ainsi le Sacre était, dans sa signification politique, une cérémonie représentative de l’élection du premier roi de France, dans laquelle le droit primitif de la nation, placé en face du droit royal héréditaire, et n’ayant plus par conséquent à s’exercer par la voie élective, se manifestait par un acte ou, si l’on veut, une fiction de consentement ou de confirmation, en ce qui concerne la personne appelée au trône par l’hérédité. La cérémonie du sacre, répétée à chaque nouveau règne, était donc comme un acte conservateur du droit primitif de la nation, s’appliquant non plus aux choix du monarque, que l’hérédité désignait désormais, mais à l’acceptation de la personne de l’héritier légitime et à la reconnaissance de son titre et de sa qualité de roi.

Serait-il logique d’inférer de cette régulière intervention du peuple dans la cérémonie du Sacre, pour reconnaître et proclamer le nouveau monarque, que le principe de l’hérédité ne fût pas absolu, qu’il ne dominât point la volonté nationale, et qu’il put souffrir atteinte dans son application ? Une pareille déduction serait manifestement forcée, et aurait d’ailleurs contre elle tous les faits de notre histoire.

En France, il a toujours été de principe que le roi ne meurt point ; dans notre ancienne constitution, et quoi qu’en aient prétendu quelques historiens, il n’y avait point d’interrègne, et c’est surtout de la succession royale qu’on peut dire que le mort saisissait le vif. La loi Salique, perfectionnée sous la troisième race par l’établissement de la primogéniture, n’a jamais laissé le trône vacant une seule minute, sauf une exception que nous allons rappeler et qui ne fait que confirmer la règle : à peine le roi régnant avait-il rendu le dernier soupir, que son successeur légitime était déjà proclamé : Le Roi est mort ! vive le Roi ! L’héritier du trône était immédiatement saisi du titre de roi et de la souveraineté publique par la seule force de son droit héréditaire.

Le principe de l’hérédité était si absolu, qu’à la mort de Charles-le-Bel, la reine étant grosse, nos pères aimèrent mieux que la monarchie demeurât quelques mois sans monarque, que de proclamer prématurément Philippe de Valois : la reine, dit à ce sujet Chateaubriand, « pouvait porter ou ne pas porter le roi dans son sein ; en attendant on resta soumis à la légitimité inconnue, et le principe gouverna dans l’absence de l’homme ».

Il est si vrai, d’un autre côté, que ce principe dominait la volonté nationale, à titre de principe constitutif, c’est-à-dire de loi fondamentale, que, depuis l’avènement de la troisième race, et sauf les périodes de révolution où les partis usurpent la souveraineté, nous ne voyons la nation protester par aucun acte quelconque contre une institution dans laquelle la sagesse de nos pères avait mis le dépôt et la garantie de l’unité et de l’indépendance nationale.

Enfin on peut soutenir qu’en fait, pendant toute la période historique que nous venons d’indiquer, ce même principe n’a souffert dans son application aucune atteinte au moins durable : de Hugues Capet à Louis XVI, l’ordre de la succession royale a constamment mis sur le trône l’héritier légitime ; et si l’usurpation put essayer à deux ou trois reprises de se fonder sur le trône de saint Louis, il n’est que rigoureusement vrai de dire que la volonté nationale est demeurée inviolablement attachée à cette grande loi fondamentale de l’État.

Le principe de l’élection du peuple, tel qu’il se trouve consacré par la cérémonie du Sacre, n’impliquait donc aucune contradiction avec l’hérédité de la couronne, telle qu’elle fut instituée par la sage prévoyance de nos pères dans un intérêt d’unité et d’indépendance nationale : si, d’un côté, la cérémonie du Sacre, en reproduisant les formes de la première inauguration royale, avait pour objet et pour effet de maintenir dans les esprits la tradition du droit primitif de la nation, et de rappeler au nouveau monarque l’origine essentiellement nationale de la royauté ; d’un autre côté, ce droit primitif, condamné à dormir tant que subsisterait la dynastie régnante, et réduit à une fiction de consentement ou de confirmation, – ce droit de la nation, s’exerçant ainsi dans des conditions exclusivement conservatoires, n’entamait en aucune façon l’indépendance du principe d’hérédité constitué en loi fondamentale, et avait plutôt pour effet moral de retremper, à chaque changement de règne, la royauté dans sa source même, en présentant ne fût-ce que fictivement le nouveau monarque au choix et à l’acceptation du peuple.

 

 

 

IV.

 

 

La présence, ne fût-ce qu’à l’état de tradition et même de fiction, de la volonté nationale dans la cérémonie du Sacre, détruit donc radicalement l’idée de droit divin par laquelle l’école révolutionnaire a cherché à décréditer cette cérémonie. Ce qu’il faut y voir, c’est ce que l’histoire nous y montre : d’une part la consécration du droit national, représenté par le principe du consentement ; en second lieu la confirmation périodique du droit royal, représenté par le principe de l’hérédité.

 

 

 

 

 

 

 

 

III

 

 

 

LE DROIT DIVIN.

 

 

 

I.

 

 

Une chose qui n’étonnera pas peu l’histoire, c’est assurément le succès avec lequel a pu se jouer devant la France cette fameuse comédie de quinze ans, dont les principaux ressorts furent le mensonge, la déloyauté et la perfidie, et qui avait pour but avoué de renverser la royauté légitime sous le ridicule et l’impopularité, en dépit de cette majesté des siècles qu’elle résumait si glorieusement en elle, et de son origine si véritablement nationale qui se confondait avec celle de la société française elle-même.

Parmi les machines de guerre que le mensonge, la déloyauté et la perfidie mirent à la disposition de l’école révolutionnaire, pour détruire la monarchie, il en est une dont l’emploi fut d’un effet d’autant plus infaillible, qu’elle blessait plus grossièrement la vérité historique : c’est le mot de droit divin, exhumé par les ennemis de la légitimité du droit public en usage dans la théocratie juive, et jeté par eux en pâture à l’ignorance crédule, aux préventions hostiles, à la haine des partis. C’est, en effet, avec ce mot-là que la Révolution a précipité Charles X du trône dans l’exil.

 

 

 

II.

 

 

Présenter la monarchie française comme une monarchie de droit divin ! assimiler la royauté nationale des Francs à la royauté théocratique des Juifs ! Est-ce que notre histoire tout entière n’est point là pour protester contre un pareil rapprochement, contre une pareille imputation ? Clovis élevé sur le pavois ; Hugues-Capet porté au trône par le choix de tous les hommes libres représentant le peuple d’alors ; ces mêmes hommes libres, c’est-à-dire la nation, présidant traditionnellement à la cérémonie du sacre de tous nos rois, pour imprimer à cette investiture religieuse du pouvoir royal le sceau du consentement national, exprimé dans cette formule invariable : Volumus, laudamus, fiat, l’évêque consécrateur rappelant au monarque que l’onction sacrée ne lui conférait par elle-même aucun droit de souveraineté, et qu’il tenait sa couronne uniquement de la constitution du pays ; les États-généraux, qui représentaient la liberté, traitant périodiquement de puissance à puissance avec la royauté ; tous nos rois reconnaissant explicitement l’existence de lois fondamentales, supérieures à leurs propres ordonnances ; enfin, ce mot NOUS qui, dans notre ancienne monarchie, précédait tous les actes officiels du pouvoir royal, par opposition à ce superbe MOI que l’histoire place dans la bouche de tous les souverains absolus ou de droit divin : qu’est-ce que tout cela prouve, si non qu’en France la monarchie avait sa source dans la loi fondamentale même, et que dès-lors elle n’était pas de droit divin, mais de droit national ?

Autre chose est donc la légitimité du trône, telle qu’elle est écrite dans l’ancienne constitution du royaume ; autre chose, le droit divin qui implique tout à la fois une forme de gouvernement décrétée par Dieu même, et une famille également choisie de lui pour régner sur un peuple. Quant à cette légitimité qui, représentée par le principe de l’inviolabilité héréditaire, remonte à l’origine même de la monarchie française, qui fut proclamée par les premières assemblées nationales sous le nom de loi salique, qui fut successivement ratifiée par plus de quarante autres assemblées, et qui reçut, en 1789, une nouvelle consécration des suffrages de six millions de Français, ce serait grossièrement en méconnaître l’économie politique et la portée sociale, que de la présenter comme ayant été primitivement instituée dans l’intérêt exclusivement personnel de telle ou telle famille. « Une vérité fondamentale que l’on a méconnue ou feint de méconnaître, disait le Journal des Débats du 18 avril 1820, c’est que la légitimité du trône est instituée pour le peuple ; ce n’est point pour que telle famille ait le privilège exclusif de la couronne, qu’on a déclaré et reconnu sa légitimité ; c’est pour qu’il n’existe jamais ni incertitude, ni guerre civile, à la mort du monarque ; c’est pour fermer la porte aux ambitions turbulentes, aux cabales, aux factions ; c’est pour que les provinces ne s’arment pas l’une contre l’autre, pour que l’étranger ne profite point de ces divisions, pour que l’existence et la fortune des citoyens ne soient pas remises en question à chaque mutation de règne ; pour qu’un usurpateur ne bouleverse pas la constitution d’un empire, ne change pas violemment les lois, le culte, les habitudes et les mœurs d’une nation ; c’est pour qu’un chef de parti ne vienne pas dire aux citoyens paisibles :

 

            Haec mea sunt, veteres migrate coloni. »

 

Voilà ce qui s’appelle parler d’or ! Pourquoi, hélas ! le Journal des Débats se trouva-t-il, en 1830, avoir désappris si vite les traditions d’un langage si éloquemment patriotique, si éminemment français ?

Le caractère national de notre ancienne légitimité monarchique nous semble ressortir suffisamment de ce beau et lumineux commentaire d’un principe que le Journal des Débats nommait si justement une vérité fondamentale.

 

 

 

III.

 

 

Les principes de l’ancienne Constitution française excluaient donc toute idée de droit divin. Quant à ces principes mêmes, voici en quels termes le premier président de Harlay les formulait devant Henri III, dans le lit de justice tenu par ce monarque, le 15 mai 1586 :

« Nous avons, Sire, deux sortes de lois : les unes sont les ordonnances de nos rois, qui peuvent se changer selon la diversité des temps et des affaires ; les autres sont les ordonnances du royaume, qui sont inviolables, par lesquelles vous êtes monté au trône... Entre ces lois, celle-là est une des plus saintes, et laquelle vos prédécesseurs ont religieusement gardée, de ne publier ni loi, ni ordonnance, qu’elle ne fût vérifiée en cette compagnie. Ils ont estimé que, violer cette loi, c’était aussi violer celle par laquelle ils sont rois, et donner à leurs peuples l’occasion de méconnaître leur bonté. »

Ils avaient aussi, dans le clergé, un organe non moins intrépide ni moins éloquent, témoin ces belles paroles de Massillon à Louis XIV, devant toute la cour du grand roi :

« Les lois, Sire, doivent avoir plus d’autorité que vous-même. Vous ne commandez pas à des esclaves ; mais à une nation libre et belliqueuse, aussi jalouse de sa liberté que de sa fidélité.... Ce n’est pas le souverain, c’est la loi, Sire, qui doit régner sur les peuples : vous n’en êtes que le ministre et le premier dépositaire ; c’est elle qui doit régler l’usage de l’autorité, et c’est par elle que l’autorité n’est plus un joug pour les sujets, mais une règle qui les conduit. Les hommes croient être libres quand ils ne sont gouvernés que par les lois ; la soumission fait alors tout leur bonheur, parce qu’elle fait toute leur tranquillité et toute leur confiance..... Un prince ne doit se regarder que comme l’homme de ses peuples. Oui, Sire, c’est LE CHOIX DE LA NATION qui mit d’abord le sceptre entre les mains de vos ancêtres ; c’est elle qui les éleva sur le bouclier militaire et les PROCLAMA souverains. Le royaume devint ensuite l’héritage de leurs successeurs, mais ils le durent originairement AU CONSENTEMENT LIBRE de leurs sujets. Leur naissance les mit ensuite en possession du trône, mais ce furent LES SUFFRAGES PUBLICS QUI ATTACHÈRENT CETTE PRÉROGATIVE à leur naissance. En un mot, comme la première source de leur autorité VIENT DE NOUS, les rois n’en doivent faire usage que pour nous. »

Ces principes avaient pareillement, dans les États de provinces et dans les Parlements, des avocats qui ne négligeaient aucune occasion de les rappeler au souverain. Les États de Bretagne écrivaient au roi, en 1774 :

« Père de vos peuples, Sire, vous n’exercez d’autre empire sur eux que celui des lois. Elles règnent par vous et vous régnez par elles. Les conditions qui vous assurent notre obéissance font partie des lois positives de votre royaume. »

Le Parlement de Grenoble s’exprimait ainsi, en 1788 :

« Vous ne commandez pas, Sire, à des esclaves ; vous commandez à une nation libre. Votre Majesté lui doit la liberté des lois ; vous êtes le soixante-douzième des rois chrétiens qui successivement ont juré de conserver à chacun, suivant son état et sa condition, les lois sous lesquelles ils ont vécu sous les règnes précédents... Quelque étendu et quelque respectable que soit le souverain pouvoir des rois, il n’est pas au-dessus de la nature même et de la loi fondamentale de l’État. C’est à cette sainte et inviolable maxime, à ses généreux défenseurs, que la France fut redevable de son salut sous Charles VI, et que la maison de Bourbon doit la couronne. »

Enfin, dans son arrêt des 3 et 5 mai de la même année, celui de Paris déclarait que « la France est une monarchie gouvernée par le roi suivant les lois », et que de ces lois « plusieurs, qui sont fondamentales, embrassent et consacrent le droit de la maison régnante au trône, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l’exclusion des filles. »

 

 

 

IV.

 

 

Les traditions de l’Église gallicane n’offrent pas plus de traces du prétendu droit divin des rois de France, que les principes de l’ancienne Constitution ; bien loin de reconnaître ce droit, en effet, le clergé français a toujours fait profession de le nier. C’est ainsi que Mgr d’Hermopolis, prêchant devant Louis XVIII, put prononcer les paroles suivantes, non-seulement sans être blâmé, mais avec approbation formelle du roi :

« Nous ne dirons pas que la royauté est une institution divine, non ; aucune forme de gouvernement n’a été expressément révélée. L’Évangile n’en consacre aucune comme nécessaire. Il l’ail dériver de Dieu la puissance, et non la manière extérieure dont elle s’exerce. Celle-ci a pu varier suivant les besoins, les circonstances, le génie des peuples ; présenter des monarchies, ou bien des républiques plus ou moins tempérées ; placer le pouvoir suprême dans les mains d’un seul ou de plusieurs, d’un roi, d’un sénat ou de deux réunis ensemble. Quand on dit que l’autorité vient de Dieu, quoique les formes de l’autorité viennent des hommes, cette doctrine ne s’applique pas seulement au pouvoir royal dans les monarchies, mais à tout pouvoir suprême sous toutes les formes légitimes. »

C’est ainsi encore que, dans son Mandement pour le sacre de Charles X, l’archevêque de Reims rappelait hautement que nos rois ne régnaient que d’après les lois fondamentales :

« ... Mais n’allez pas supposer, nos très-chers frères, que nos rois viennent recevoir l’onction sainte pour acquérir ou assurer leurs droits à la couronne : non, leurs droits sont plus anciens ; ils les tiennent de l’ordre de leur naissance et de cette loi immuable qui fixe la succession au trône, et à laquelle la religion attache un droit de conscience. – C’est en vertu de ces droits incontestables que nos rois demandent obéissance et fidélité ; et c’est afin d’obtenir du ciel les grâces nécessaires pour remplir les devoirs que ces droits leur imposent, faire régner la justice et défendre la vérité, qu’ils viennent rendre, par leur consécration, un hommage solennel au Roi des rois, et placer sous sa protection toute-puissante leur royaume ainsi que leur couronne. »

C’est ainsi, enfin, qu’en 1826, tous les évêques de France signaient une déclaration pleinement confirmative de celle de 1682, en faveur de l’indépendance temporelle de nos rois, et dans laquelle ils déploraient « la témérité avec laquelle on cherchait à faire revivre une opinion née autrefois au sein de l’anarchie et de la confusion où se trouvait l’Europe, constamment repoussée par le clergé de France, et tombée dans un oubli presque universel ».

 

 

 

V.

 

 

Est-ce assez ? Faut-il que nous appelions nos rois eux-mêmes en témoignage du caractère exclusivement national de la légitimité royale ? Faut-il qu’ils viennent déposer ici, de leur propre bouche, contre un prétendu droit divin qu’ils n’ont jamais ni reconnu, ni invoqué, quoi qu’il ait plu à la Révolution de dire faussement à cet égard ?

Voici Philippe-Auguste, à Bouvines, déposant sa couronne au moment du combat, et déclarant qu’il ne la reprendrait qu’après la victoire et du consentement de son armée.

Voici Henri IV, déclarant de son côté, devant les notables de son royaume, qu’il ne reconnaissait que deux souverains : Dieu et la LOI.

Voici Louis XIV lui-même reconnaissant du haut de sa toute-puissance que les rois de France, « par un tribut même de leur souveraineté, sont dans la bienheureuse impuissance de détruire les lois de l’État », et enjoignant aux Parlements de ne pas exécuter ses ordonnances dans ce qu’elles auraient de contraire aux lois fondamentales du royaume.

Voici son héritier présomptif, le duc de Bourgogne, s’apprêtant à régner d’après cette maxime : « Qu’un roi est fait pour ses sujets, et non ses sujets pour lui. »

Voici Louis XV rendant, dans le préambule d’un édit, cet hommage si explicite aux lois fondamentales, c’est-à-dire au droit de la nation, si opposé à ce qu’on nomme le droit divin :

« Nous espérons que Dieu, qui conserve la maison royale de France depuis tant de siècles, et qui lui a donné dans tous les temps des marques si éclatantes de sa protection, ne lui sera pas moins favorable à l’avenir, et que, la faisant durer autant que la monarchie, il détournera par sa bonté le malheur qui avait été l’objet de la prévoyance de son roi (l’extinction de la famille royale). Mais, si la nation française éprouvait ce malheur, ce serait à la nation même de le réparer par la sagesse de son choix, et puisque les lois fondamentales de notre royaume nous mettent dans l’heureuse impuissance d’aliéner le domaine de notre couronne, nous savons qu’elle n’est à nous que pour le bien et le salut de l’État, et que par conséquent l’État seul aurait le droit d’en disposer dans un tel évènement..... Nous croyons donc devoir à une nation si fidèlement et si inviolablement attachée à la maison de ses rois la justice de ne pas prévenir LE CHOIX QU’ELLE AURAIT À FAIRE, si ce malheur arrivait ; et c’est pour cette raison qu’il nous a paru inutile de la consulter en cette occasion, en revoyant une disposition sur laquelle elle n’a point été consultée, notre intention étant de la conserver dans tous ses droits, en prévenant même ses vœux, comme nous serions obligé de le faire pour le maintien de l’ordre public. »

Enfin, même pendant ce qu’on appelle l’ancien régime, nos rois ne publièrent aucun Édit qui ne se terminât par cette formule sacramentelle : « En tant qu’ils se trouveront conformes aux lois du royaume et aux usages consacrés. »

 

 

 

VI.

 

 

De toutes ces citations, il résulte donc que le principe du droit divin ne se trouve sous aucune forme dans l’ancienne Constitution française, qu’il a toujours été combattu par l’Église gallicane, et que nos rois eux-mêmes n’ont jamais revendiqué d’autre droit à posséder la couronne que celui qu’ils tenaient de la loi fondamentale de la monarchie, à titre héréditaire et inviolable.

Nous devons reconnaître, cependant, que la doctrine du droit divin s’est assise une fois sur le trône ; oui, mais ce fut pour y faire monter avec elle l’usurpation dans la personne d’un Maire du Palais ! Or, peut-il y avoir rien de plus absurde que de rattacher la légitimité monarchique à un principe pris hors de la Constitution du pays, et qui produit précisément le contraire absolu de cette légitimité, à savoir l’usurpation ? Le droit divin, en tant qu’on l’applique à notre ancienne royauté si éminemment nationale, c’est-à-dire réduit à sa valeur historique, n’est donc autre chose qu’une invention révolutionnaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

IV

 

 

 

LOUIS XVI JUGÉ PAR LE CONSTITUTIONNEL.

 

 

 

I.

 

 

Le Constitutionnel reproduisait complaisamment, il y a quelques jours 2, un passage d’une brochure publiée en 1804, sous le titre de Naturel et Légitime, et dont l’objet était d’établir que la troisième race avait, par le fait et dans la personne de Louis XVI, perdu le caractère de légitimité qu’elle tenait de son origine et du temps, en refusant à la nation les réformes que le progrès avait rendu nécessaires. Cette thèse, que le journal ministériel s’appropriait en y donnant un assentiment explicite, s’appuie sur les assertions suivantes, que nous mettons sous les yeux de nos lecteurs :

« Des qualifications, devenues insignifiantes, séparaient honteusement vingt millions de Français, pleins de courage, de talent et d’industrie, d’une caste oisive et dégénérée, à laquelle étaient réservés tous les emplois, qui seule avait la faveur du souverain... La classe industrieuse semblait être la propriété de la classe fainéante... Le roi disait mon peuple ; alors le peuple ne voyait plus son roi... L’affranchissement des impôts des nobles rendait encore plus révoltante la condition de ces ineptes privilégiés... Le clergé possédait des biens immenses soumis à de faibles taxes ; des évêques intrigants regorgeaient de richesses... »

On ne saurait, ce nous semble, fausser l’histoire avec plus d’impudence, et calomnier plus systématiquement notre ancienne royauté dans la personne d’un monarque à qui l’Assemblée constituante a décerné le titre de Restaurateur des libertés françaises. Le Constitutionnel, qui s’est donné pour mission de réhabiliter le principe d’autorité au profit, il est vrai, d’une quatrième dynastie, devrait peut-être moins que tout autre remettre au jour ces arguments usés de l’école révolutionnaire.

Quoi qu’il en soit, et pour entrer immédiatement en matière, trois assertions principales constituent la thèse que le Constitutionnel prend hautement sous son patronage, et qui a pour but de justifier la répudiation de la maison de Bourbon.

 

 

 

II.

 

 

La première tend à présenter la nation, au moment où éclata la Révolution, comme divisée en deux classes, dont l’une monopolisait les emplois et la faveur du souverain, et dont l’autre, composée de vingt millions de Français, semblait être la propriété de la première.

Que cet état de choses ait existé en effet sous l’ancien régime, la question n’est point là ; ce qu’il s’agit de savoir, c’est si le maintien des privilèges dont jouissaient la noblesse et le clergé constituait, dans la pensée royale, un système politique auquel il fût interdit de toucher, ou si plutôt ce n’est point par le fait de la royauté même, c’est-à-dire par sa propre initiative, que la suppression de ces privilèges fui provoquée, et si cette suppression n’a point précédé la Révolution. Or, ce point historique ne souffre aucune controverse sérieuse : dès 1787, en effet, Louis XVI, s’adressant à la noblesse et au clergé, demanda à ces deux ordres de se soumettre de leur plein gré au droit commun qu’il voulait rétablir dans le royaume ; d’un autre côté, et cette même année, le collège des pairs de France, se portant fort pour l’ordre entier de la noblesse, acquiesça solennellement à la demande du roi ; cet acquiescement fut renouvelé par les deux ordres, dans l’assemblée des notables qui se tint quelque temps après ; et enfin, dans la fameuse nuit du 4 au 5 août, le clergé et la noblesse firent volontairement l’abandon de ce qui leur restait de privilèges et de droits féodaux.

Que ces droits et ces privilèges fussent autant d’abus contre lesquels protestait l’esprit public, la question n’est point là davantage ; ce qu’il importe seulement de savoir, c’est, comme nous l’avons déjà dit, si la réforme de ces abus, demandée par la nation, entrait dans le programme de la politique royale, et si cette réforme a été réalisée en effet sous le gouvernement même de Louis XVI. Or, cette question est tranchée affirmativement par les faits mêmes. Il n’y a pas lieu, dès lors, à tirer de l’existence antérieure de ces abus un grief contre l’ancienne royauté, et encore moins un grief de nature à ôter de ipso facto à cette dernière « le caractère de légitimité qu’elle tenait de son origine et du temps ». L’argument invoqué par le Constitutionnel n’existe donc pas, ou plutôt n’existe que sous bénéfice de mensonge historique.

 

 

 

III.

 

 

La seconde assertion, qui, par le fond, rentre dans l’objet de la première, et n’en est qu’un développement spécial, porte sur l’exemption des impôts en faveur du clergé et de la noblesse.

En admettant que cette exemption fût un abus, nous venons de voir comment il prit fin : or, dès lors qu’il avait cessé d’exister, la révolution n’était donc pas fondée à s’en faire un argument contre la monarchie, et, ici encore, la dialectique du Constitutionnel porte par conséquent dans le vide. Mais nous voulons bien prendre la question où il la place d’une manière si inacceptable pour la vérité historique, c’est-à-dire dans l’existence même antérieure de l’abus.

Nous reconnaissons donc sans difficulté le fait de cette exemption : oui, le clergé et la noblesse étaient exempts de la taille pour leurs biens nobles. Mais que va dire le Constitutionnel, quand nous lui aurons appris et démontré que cette exemption, pour être un privilège, n’en était pas moins pour les deux ordres plutôt un fardeau qu’un avantage ?

Commençons par le clergé :

Avant 89, c’est le clergé qui, avec ses seuls et propres revenus, subvenait aux besoins du culte, à l’entretien des pauvres, des veuves et des orphelins, et plus tard à celui des hôpitaux. C’était, ce nous semble, contribuer pour une bonne part aux charges publiques ; et peut-être, si l’on était moins prévenu, reconnaîtrait-on que l’exemption de la taille n’était à son égard que de stricte justice. Mais hâtons-nous de dire que le clergé ne se retrancha jamais dans ce privilège, puisque privilège il y a, pour refuser de venir en aide à l’État, quand celui-ci faisait appel à son patriotisme. On a même pu calculer que ses dons volontaires ont plus rapporté au trésor public que n’eût fait un impôt régulier établi sur ses propriétés.

Au surplus, et comme nous l’avons dit plus haut, le clergé n’hésita pas, en 89, à se dépouiller au profit de l’État d’une fortune qui était immense, sans doute, mais dont il avait toujours fait le plus saint et le plus patriotique usage, et cela sous la seule réserve d’une dotation indispensable à ses besoins, à l’entretien des églises et à la dignité du culte. Et l’on sait comment la révolution acquitta envers lui la dette de l’État ! Si par hasard le Constitutionnel l’ignorait, qu’il fasse le compte des prêtres déportés et guillotinés.

Venons maintenant à la noblesse :

En ce qui concerne la noblesse, l’exemption de la taille n’était pas moins fondée en équité que par rapport au clergé. Les nobles, en effet, étaient soumis au service du ban et de l’arrière ban, – ce qui équivaut à dire qu’ils avaient le privilège de verser gratuitement leur sang pour la patrie sur les champs de bataille, et de se ruiner généreusement en frais de guerre pour la défense du pays. C’était là un privilège glorieux, sans doute ; mais il est juste de reconnaître que la révolution s’en est suffisamment vengée par la proscription, la confiscation et l’échafaud. Ajoutez à cela que, rivalisant avec le clergé de dévouement à la chose publique, ils ne songeaient pas plus que lui à marchander à l’État leurs dons volontaires, quand le trésor royal se trouvait épuisé.

On voit que l’exemption de la taille pour les biens nobles seulement, car elle ne s’étendait pas aux biens roturiers qui étaient entre les mains des deux ordres privilégiés, reposait sur des considérations de justice dont on peut bien tenir un peu compte. Dans tous les cas, la nuit du 4 au 5 août en eut définitivement raison ; et dès lors qu’elle a été abolie en droit et en fait sous le règne de Louis XVI même, on ne peut être admis à s’en faire une arme contre le gouvernement de ce monarque.

 

 

 

IV.

 

 

La troisième assertion tend à présenter Louis XVI comme isolé de la nation, et réciproquement le peuple comme séparé de son roi.

Si jamais mensonge historique fut flagrant, c’est bien, certes, celui-là. Le roi et la nation séparés ! mais jamais l’accord du peuple et de la royauté se manifesta-t-il, dans tout le cours de notre histoire, avec un éclat aussi solennel qu’en 1789 ? Qu’on rapproche la Déclaration royale, du 23 juin de cette année, des Cahiers des députés aux États-Généraux, – et l’on verra que la royauté avait sanctionné d’avance les droits et les réformes revendiqués par la nation ! En présence d’une si manifeste identification d’un roi avec son peuple, que venez-vous donc nous parler de dynastie usée et abandonnée de la sève nationale ? Usée ! une dynastie qui venait précisément de se retremper dans sa source même ; abandonnée de la sève nationale ! une dynastie qui venait précisément de recevoir comme une nouvelle consécration populaire des suffrages de six millions de Français !

 

 

 

V.

 

 

Le citoyen Caussidière avait la prétention de faire de l’ordre avec du désordre : le métier de certains écrivains serait-il donc d’écrire l’histoire uniquement pour la falsifier ?

 

 

 

 

 

 

V

 

 

 

CARACTÈRE ANTINATIONAL ET ANTISOCIAL DE LA RÉVOLUTION.

 

 

 

I.

 

 

Est-il vrai que la Révolution ait été faite par et pour le peuple ? Est-il vrai qu’elle marque un progrès dans la marche de la société ?

Au oui superbe par lequel la Révolution résout elle-même cette double question, nous opposons la négative la plus absolue ; et cette négative, nous allons l’établir par le témoignage impartial des faits, et par l’invocation de ces grandes et indispensables conditions de respect social hors desquelles il ne peut y avoir pour un peuple qu’anarchie et dissolution.

 

 

 

II.

 

 

Premièrement, la Révolution n’a été faite ni par ni pour la nation.

Ainsi que l’attestent la Déclaration royale du 23 juin et le dépouillement des Cahiers des députés aux États-Généraux, ce que la France et son Roi voulaient d’accord, en 1789, c’était la restauration de la constitution française, faussée depuis cent soixante-quinze ans dans ses développements progressifs par les faits nés de la Réforme, sur la triple base de la royauté nationale, héréditaire et inviolable, de la liberté politique ayant pour condition essentielle l’égalité des droits, et du catholicisme, proclamé la religion de l’État.

Voyons donc ce que la Révolution a fait des vœux de la nation solennellement manifestés dans les cahiers, et sanctionnés d’une manière si explicite par la Déclaration royale.

Six millions de Français avaient déclaré que le gouvernement de la France était monarchique : la Révolution, foulant aux pieds et la volonté de la nation et les droits de la couronne, décrète la suppression de la royauté !

La France avait proclamé tout ensemble le principe de l’inviolabilité de la personne sacrée du Roi, et celui de la transmission héréditaire de la couronne dans la famille régnante : la Révolution, usurpant un droit constituant qui ne pouvait être exercé que par le concours de la nation et de son chef héréditaire, établit une forme de gouvernement opposée à la Constitution du pays, puis décrète le Roi d’arrestation, le juge abusivement et l’assassine !

La France avait formellement revendiqué ce vieux principe des Capitulaires et des Champs-de-Mai : Lex fit consensu populi et constitutione regis : la Révolution, se substituant du même coup au roi et au peuple, c’est-à-dire s’attribuant la souveraineté nationale, s’impose au pays sous la forme d’une Convention, et remplace le consentement du peuple et la sanction royale par la toute-puissance de son initiative législative et gouvernementale.

La France avait revendiqué l’égalité comme base même de la liberté politique : la Révolution égalise les têtes dans la boue et dans le sang !

La France, ne pouvant oublier que franc veut dire homme libre, avait pareillement revendiqué la liberté individuelle : la Révolution promulgue la loi des suspects, institue le comité de Salut public, invente les bateaux à soupape, invente les échafauds permanents, invente les échafauds ambulants, emprisonne, noie, mitraille, fusille et guillotine plus de trois cent mille Français des deux sexes, de toute classe, de tout âge et de toute profession, pères, mères et enfants, soldats et bourgeois, prêtres et laïcs, hommes et femmes, pauvres et riches, vieillards et adolescents !

La France, essentiellement catholique, avait demandé que le catholicisme fût reconnu comme religion de l’État : la Révolution supprime le culte catholique, confisque les biens du clergé, abolit les ordres et les vœux religieux, soumet le clergé à une constitution civile, vend les cloches des églises pour en faire de la monnaie, supprime les congrégations consacrées à l’enseignement et celles vouées au service des hôpitaux, interdit le costume ecclésiastique, déporte les prêtres insermentés et les massacre en masse dans les prisons et les maisons d’arrêt, institue un nouveau culte dont les prêtresses sont des prostituées, inaugure ce nouveau culte dans la cathédrale de Paris transformée en Temple de la Raison, abat les clochers comme contraires à l’égalité, proclame par la bouche d’Anacharsis Clootz qu’elle ne reconnaît d’autre Dieu que la nature et d’autre souverain que le genre humain, dissout les liens sacrés du mariage, et enfin, pour couronnement, déclare la papauté abolie, et entève de Rome le souverain pontife, qui, traîné de prison en prison, malgré ses quatre-vingt-trois ans, expire à Valence, après des souffrances de tout genre, comme sait mourir un chrétien, c’est-à-dire en généreux confesseur de la foi !

Enfin la France, comprenant admirablement que la légitimité de la propriété est solidairement liée à celle du trône, avait expressément demandé que la propriété fût déclarée inviolable comme la couronne même : que fait la Révolution ? Elle engloutit en spoliations de toutes sortes, – confiscations, emprunts forcés, promesses de mandats, banqueroute, – plus de douze milliards !

Ainsi donc la Révolution a été destructive de la loyauté, destructive de la liberté, destructive de la religion, destructive de la propriété, et cela en opposition flagrante avec la volonté nationale qui avait consacré de la manière la plus expresse chacun de ces grands principes dans les cahiers remis aux députés.

Il nous semble que ces faits établissent suffisamment le caractère antinational de la Révolution. Non, la Révolution n’a été faite ni par la France ni pour la France, puisque, d’une part, elle a détruit tout ce que la nation entendait si expressément maintenir et consacrer, et que, d’un autre côté, ce qu’elle a détruit ainsi représentait précisément les conditions mêmes d’existence de la France comme nation.

 

 

 

III.

 

 

Deuxièmement, il n’est pas vrai que la Révolution marque un progrès dans la marche de la société.

La civilisation d’une société se mesure à son respect pour la religion, pour l’humanité, pour le« propriétés, pour les lois, pour les mœurs, pour le serment juré, et pour les monuments qu’elle possède.

Voyons comment la Révolution s’est conduite sous chacun de ces divers points de vue :

En religion, la Révolution c’est l’antichristianisme dans sa plus monstrueuse expression : car c’est la négation dogmatique de l’autorité, c’est-à-dire de toute société ; la négation dogmatique de l’idée de justice, c’est-à-dire de la base de toute morale ; la négation dogmatique de l’idée divine, c’est-à-dire du principe même de vie pour toute créature faite à l’image de Dieu. C’est elle, en effet, qui, après avoir donné au XVIIIe siècle pour consigne ce blasphème de Voltaire : « Écrasons l’infâme ! » a jeté à l’époque actuelle le dernier mot de l’enfer même dans ces trois maximes qui ne laissent plus rien debout sur la terre ni dans le ciel : « Le gouvernement, c’est l’anarchie ! – La propriété, c’est le vol ! – Dieu, c’est le mal ! »

La Révolution se donnait comme étant venue au monde pour affranchir l’humanité, et elle avait inscrit en tête de son programme ces trois mots régénérateurs : Liberté, Égalité, Fraternité. Or, ce qu’elle appelait si pompeusement son œuvre de régénération consista à entasser les citoyens dans les prisons au nom de la liberté, à les égorger au nom de la fraternité, à égaliser les têtes sous un niveau de sang et de boue. Son idéal était de réduire la France à huit millions d’habitants ; et, pour cela, elle avait trouvé un moyen aussi simple qu’ingénieux, – c’était de guillotiner tous les individus âgés de soixante ans. Cette philanthropique idée eut les honneurs d’une motion dans une séance de la Convention ; l’auteur de cette motion poussa même l’amour de l’humanité, nous allions dire le cannibalisme, jusqu’à s’écrier pathétiquement, en guise de péroraison : « Je sacrifie mon père ! » Jusqu’à quel point ne fallait-il pas être détaché de tout sentiment humain pour porter le culte de l’humanité jusqu’à une pareille abnégation filiale ! Les fastes de l’anthropophagie offrent-ils un trait comparable à celui-là ?

Le respect de la Révolution pour les propriétés peut se résumer en trois mots : confiscations, emprunts forcés, banqueroute.

L’histoire nous montre, chez tous les peuples de l’antiquité, le respect pour les lois formant une des bases principales, une des conditions essentielles de la félicité publique ; il est juste d’ajouter que ces lois étaient le moins nombreuses possible, et qu’élaborées, en général par des hommes choisis pour leur expérience, leurs lumières et leurs vertus, elles étaient, dans la mesure de vérité religieuse qui avait inspiré ces derniers, l’expression même de la sagesse et de la justice divine. La Révolution manifesta son respect pour les lois de trois manières : premièrement, en détruisant toutes celles qui existaient ; deuxièmement, en en fabriquant de nouvelles au chiffre fabuleux d’une trentaine de mille, sans compter sept ou huit constitutions fondamentales ; troisièmement, en mettant à pleines mains dans ces constitutions et dans ces lois tout ce que lui suggéra son esprit d’impiété, de barbarie et de destruction.

Comment la Révolution traita les mœurs, le voici : Elle s’est jouée de la cendre des morts, elle a dansé publiquement sur leurs ossements, elle a consacré légitimement l’usure, le divorce, la liberté de tout dire, de tout écrire et de tout faire ; elle a assis la prostitution sur les autels du vrai Dieu, et inauguré ainsi le culte de la débauche ; elle a créé pour le peuple une foule de fêtes immondes, telles que la fête de la Raison, la fête des Cinq Sans-Culotides, la fête de Marat, etc. ; elle a paganisé l’almanach qui enseignait à ce même peuple les jours du Seigneur et les noms des martyrs chrétiens, en remplaçant les premiers par la mascarade philosophique des 36 décades, et ceux-ci par des noms d’animaux et de légumes ; que dis-je ! elle a paganisé jusqu’aux dogmes catholiques même, pour en faire jaillir le matérialisme le plus pompeux et le plus abject : ainsi, elle a présenté la Révélation comme la manifestation de l’Idée à la raison humaine, – l’Incarnation comme le développement progressif de la vérité sociale au sein de l’humanité, – la Rédemption comme l’affranchissement de l’homme de la double servitude des hommes et des choses dans sa marche progressive, – la Communion comme l’union indéfinie de l’homme avec l’univers et avec ses semblables ; puis, consommant logiquement son œuvre sacrilège, elle a dit à l’homme qu’il n’y a point d’autre paradis que la terre, perfectionnée par son génie et possédée par lui avec toutes ses jouissances, et point d’autre enfer que la souffrance et la misère dont il est ici-bas la proie sous le règne des riches et des privilégiés.

Quel fut le respect de la Révolution pour le serment juré ? Demandez-le aux VINGT-TROIS serments généraux qu’elle a successivement prescrits, et qui, de compte fait, ont dû en engendrer à peu près sept à huit millions de particuliers ! Quant aux parjures qu’a dû produire à son tour cette masse de serments prêtés, nous laissons aux lecteurs le soin d’en supputer le nombre.

Quel fut le respect de la Révolution pour les monuments publics ? Demandez-lui le compte des églises qu’elle a démolies, le compte de celles qu’elle a vendues, le compte de celles qu’elle a profanées ! Demandez-lui ce qu’elle a fait des douze mille abbayes, couvents, prieurés et autres monastères, fondés par la piété des rois, des princes et des peuples, disséminés sur la surface de la France, dont la plupart renfermaient de précieuses collections historiques, littéraires, scientifiques et artistiques, et qui étaient autant d’asiles ouverts à la vertu, au repentir, à la charité ! Demandez-lui ce qu’elle a fait de ces quarante à cinquante mille châteaux qu’illustraient tant de glorieux souvenirs, qui décoraient si richement et si noblement notre pays, et à la porte desquels le pauvre ne frappait jamais en vain ; ou plutôt, demandez au pillage et à l’incendie combien ils en ont épargné ! Demandez-lui ce qu’elle a fait de ces innombrables objets d’art, statues, bas-reliefs, sculptures, tableaux, peintures, qui décoraient nos monuments, nos places, et que le vandalisme a stupidement dégradés ou pulvérisés sans pitié ! Demandez-lui ce qu’elle a fait, enfin, de tant de précieuses bibliothèques qui enrichissaient les monastères, les chapitres et les autres établissements ecclésiastiques ; combien, parmi les grands ouvrages, parmi les productions rares, parmi les manuscrits qui composaient ces bibliothèques, combien elle en a déchirés, combien elle en a brûlés, combien elle en a vendus à tout prix aux étrangers, et combien ont servi pour les gargousses des canons !

Ainsi, la Révolution n’a respecté ni les monuments publics, ni le serment juré, ni les mœurs, ni les lois, ni les propriétés, ni l’humanité, ni la religion ; elle a, au contraire, exercé systématiquement une action destructive sur chacun de ces grands principes de toute société, sur chacune de ces conditions essentielles de la grandeur et de la prospérité d’un empire. Donc, elle marque plutôt un pas rétrograde qu’un progrès dans la marche de la société.

 

 

 

IV.

 

 

Résumons-nous :

Nous avons démontré, premièrement, que la Révolution n’a été faite ni par la France, ni pour la France ; deuxièmement, qu’elle a été moins un progrès qu’un pas rétrograde dans la voie de la civilisation. À ce double titre, nous concluons donc qu’elle est tout à la fois antinationale et antisociale.

 

 

 

 

 

 

VI

 

 

 

L’ÉMIGRATION.

 

 

I.

 

 

L’émigration de la noblesse, et sa lutte armée contre la Révolution : tel est le double fait historique qui a servi de point de départ au Libéralisme pour qualifier les royalistes de « parti de l’étranger ».

Cette qualification est-elle fondée devant l’histoire, devant la logique et devant l’équité ?

Interrogeons l’équité, la logique et l’histoire.

 

 

 

II.

 

 

Refuser une cause première à l’émigration, ce serait simplement nier le fait même de la Révolution : la noblesse a émigré, parce que la Révolution, non contente de l’avoir dépouillée de ses privilèges, poursuivait contre elle une guerre d’extermination par la confiscation, la proscription et l’échafaud. On ne peut donc pas dire que l’émigration fut un effet sans cause. Mais il y a plus : sous un ordre de choses qui était la plus monstrueuse transgression des lois fondamentales de la société, de tous les principes d’ordre, de toutes les règles de la justice, la noblesse pouvait rigoureusement se regarder comme rejetée par la Révolution même sous l’empire des principes du droit naturel, et par conséquent se croire légitimement fondée à revendiquer par tous les moyens sa libre existence au soleil, qu’on avait commencé par supprimer en principe pour arriver bientôt à la supprimer pareillement en fait. L’organisation défensive de la noblesse contre la Révolution ne fut donc autre chose qu’un acte de conservation rigoureusement légitime.

Ainsi, et pour établir un premier point fondamental, l’émigration eut sa raison d’être dans les circonstances politiques et sociales au milieu desquelles elle se produisit ; et, d’un autre coté, elle a sa sanction dans les principes mêmes du droit naturel.

Voilà donc le droit de résistance de la noblesse contre la Révolution reconnu en principe. Son procès ainsi gagné devant la conscience humaine, nous pourrions dès maintenant déclarer les débats clos : car la conscience humaine, c’est l’équité dans son expression universelle, c’est la logique dans son incarnation la plus imposante, c’est l’histoire prononçant en dernier ressort. Mais nous voulons mettre complètement à nu la mauvaise foi du Libéralisme ; c’est pourquoi nous demandons à nos lecteurs la permission de creuser et d’épuiser la question, en la discutant à chacun des divers points de vue qu’elle peut présenter dans ses détails.

 

 

 

III.

 

 

D’abord, dans quelles conditions devait se manifester la résistance de la noblesse ?

Devait-elle, par exemple, se porter et se concentrer sur ce qu’on pourrait appeler le terrain légal, c’est-à-dire se renfermer dans le sein des assemblées acquises à la Révolution ? Mais si la Révolution régnait souverainement dans ces assemblées, quel rôle utile la noblesse aurait-elle pu y remplir ? Par le fait même de sa présence, elle n’eut fait qu’y autoriser, pour ainsi dire, toutes les mesures décrétées contre elle-même.

Devait-elle plutôt recourir à la guerre civile ? Mais que lui restait-il de cette ancienne organisation féodale qui lui avait permis de lutter si longtemps contre la royauté ? Depuis que la royauté avait émancipé le peuple, reconquis son indépendance et créé une armée nationale, qu’était devenue cette vaste hiérarchie dans laquelle venaient se résumer toutes les forces vives du pays ? Qu’était-ce que la noblesse, depuis qu’elle avait cessé d’être un pouvoir indépendant pour n’être plus qu’une décoration du trône ? Et puis, quel chef autre que le Roi même aurait-elle pu se donner ? Or, Louis XVI n’eût jamais consenti à descendre au rôle de chef de parti : Roi de France, il pouvait se dévouer pour son peuple jusqu’à l’échafaud, mais il ne pouvait tirer l’épée contre des Français.

En présence d’un régime qu’elle ne pouvait accepter ni renverser, mais qu’elle ne voulait pas subir, et alors que la résistance lui était impossible à l’intérieur soit par les voies légales, soit par les armes, la noblesse put donc croire qu’il lui était permis de porter cette résistance au-delà des frontières, pour l’y organiser de la manière qu’elle jugerait le plus utile à ses intérêts.

En passant la frontière, les nobles ne firent donc qu’obéir à la logique de leur situation.

Mais nous irons plus loin, et nous dirons que ce serait imparfaitement apprécier le fait de l’émigration que de l’expliquer par ces seules considérations d’ordre logique : ce fut aussi pour la noblesse un acte de nécessité cruelle ; car si la Révolution en voulait à ses titres, elle n’en voulait pas moins à ses têtes.

L’histoire est là, en effet, pour attester que, dès 1789, la noblesse ne se trouvait pas seulement en butte aux menaces des farouches égalitaires de l’époque, mais que déjà ces menaces allaient jusqu’aux actes. Ainsi, et pour ne citer que quelques exemples, c’était le comte d’Artois obligé de se dérober aux passions de la populace soulevée contre lui ; c’était le prince de Condé manquant d’être précipité par les paysans dans l’Oise avec sa voiture ; c’était M. de Montesson fusillé, au Mans, après avoir vu égorger son beau-père ; c’était M. de Barras, dans la même ville, coupé en morceaux sous les yeux de sa femme enceinte ; c’était un gentilhomme normand brûlé vivant ; c’était le meurtre et l’assassinat inaugurés au cri de : Les Aristocrates à la lanterne ! c’était le pillage et l’incendie promenés dans les provinces par une bande de brigands au cri de : Guerre aux châteaux !

L’émigration était donc une conséquence rigoureuse de la situation faite à la noblesse par la Révolution. Ainsi expliquée, ainsi motivée, elle porte donc sa justification en elle-même : car si elle fut un fait rationnel, elle fut aussi un fait nécessaire. Dans tous les cas, le fait de franchir la frontière, pour organiser hors de France contre la Révolution une lutte matériellement et moralement impossible à l’intérieur, ne constitue pas à sa charge une affinité nécessaire avec l’étranger. Pour le moment, et jusqu’à ce qu’elle ait pris rang dans les armées confédérées, la qualification de parti de l’étranger ne l’atteint donc pas.

 

 

 

IV.

 

 

Voyons si, par la part qu’elle prit à la lutte armée de l’Europe contre la Révolution, elle tombe davantage sous le coup de cette qualification :

D’abord, est-il vrai que les émigrés aient été les instigateurs de la coalition européenne contre la France révolutionnaire ? Soutenir une pareille assertion, ce serait, ce nous semble, méconnaître profondément le principe, la nature, le caractère et le but de la Révolution. Ici le but se confondait, dans la formule même, avec le principe : le principe comme le but, c’est-à-dire la formule de la Révolution, c’était en effet la destruction radicale de la société. Quoi d’étonnant, dès lors, que la Révolution où rencontré un ennemi dans chacune des puissances de l’Europe ? Quand elle appelait hautement tous les peuples à l’insurrection ; quand, par la bouche d’Anacharsis Clootz, elle proposait de lancer trois armées républicaines dans l’Allemagne et dans le Brabant, pour briser, – disait pompeusement cet orateur, – les fers de vingt peuples ; quand elle proclamait, par l’organe de Héraut de Séchelles, que « partout où il y avait un trône, c’était un ennemi qu’il fallait abattre » ; quand elle décrétait ce qu’elle appelait les droits de l’homme, pour mieux exonérer celui-ci de ses devoirs ; quand elle se posait comme devant changer la face du globe et le sort de l’espèce humaine, – il nous semble que les monarchies de l’Europe n’avaient nullement besoin d’être excitées par les émigrés pour former entre elles une ligue défensive ou même offensive contre une propagande qui se formulait d’une manière si audacieusement menaçante. Nous n’avons pas à nier que les émigrés aient joué un rôle dans les guerres de l’Europe contre la Révolution ; mais nous sommes fondé à dire que ce ne sont pas eux qui les ont provoquées.

Reste à apprécier la part prise par eux dans ces guerres.

En joignant leurs armes à celles des armées alliées pour combattre, non pas la France, mais la Révolution, ont-ils par-là même, et nécessairement, mérité la qualification de parti de l’étranger ?

Résoudre cette question par l’affirmative, ce serait la résoudre, d’abord, contre la nature des choses et contre le témoignage universel de l’histoire.

Il suivrait de là, en effet, pour ne pas remonter trop haut dans l’ordre des temps, qu’Henri IV, ce roi resté si populaire, fut du parti de l’étranger, puisqu’il s’appuya sur l’Allemagne et l’Angleterre pour conquérir son trône ; que l’Amérique fut aussi du parti de l’étranger, puisqu’elle accepta le secours de notre or, de nos vaisseaux et de nos soldats, pour conquérir son indépendance ; que l’Espagne fut pareillement du parti de l’étranger, puisque, dans sa lutte si héroïquement nationale contre Napoléon, elle appela à son aide les armées anglaises.

Mais ce qui est plus curieux, c’est que résoudre affirmativement cette question, ce serait la résoudre surtout contre la Révolution même.

Car ce serait ranger également du parti de l’étranger, d’une part, les révolutionnaires d’Espagne en 1823, ceux de Belgique en 1830, ceux de Naples, de Rome et du Piémont après 1848, puisqu’ils firent appel aux Français pour les aider à établir la République dans ces divers États ; et, d’un autre côté, les révolutionnaires français qui combattirent contre l’armée française, en 1823 dans les rangs de l’insurrection espagnole, et en 1848 dans ceux de l’insurrection romaine.

Quand le Libéralisme jette à la tête des émigrés l’épithète d’hommes de l’étranger, cette épithète retombe donc de tout son poids sur la sienne propre.

Mais en présence d’une solution qui couvrirait de la même flétrissure des princes ou des hommes qui agissent dans un intérêt essentiellement national, et des partis qui n’ont d’autre but que le bouleversement et la ruine de leur pays, on sent qu’il y a une distinction à faire. Or, c’est cette distinction dont nous adjugeons le bénéfice aux émigrés, et voici sur quoi nous fondons notre jugement :

Qu’était-ce que la Révolution ? C’était la société désorganisée ; c’étaient les lois fondamentales de l’État remplacées par le pire des despotismes, celui de la multitude ; c’était la religion profanée, la justice abolie, l’ordre tombé en la plus monstrueuse anarchie ; c’était la civilisation générale, l’ordre social même, mis en question par des barbares d’une nouvelle espèce !

Or, quand la Révolution était tout cela, quel Français oserait dire que la Révolution était la France ?

Une pareille situation sociale étant donnée, la question se réduit donc à savoir où se trouvait alors la patrie.

Si la Révolution prétend que la patrie c’est le sol national, nous lui répondrons qu’en parlant ainsi, elle se soufflette elle-même ; car n’est-ce pas elle qui avait proclamé la fraternité de tous les peuples ? n’est-ce pas elle qui, sous prétexte que tous les peuples devaient s’embrasser et s’unir dans une République universelle, avait effacé les frontières qui distinguent les diverses nationalités ?

Où était donc la patrie ?

Elle était avec les lois fondamentales de la France, c’est-à-dire avec la religion indépendante, avec la royauté indépendante, avec la liberté indépendante. Or, comme la liberté n’était plus que le despotisme de la foule, comme la royauté s’en allait jour par jour à l’échafaud, comme la religion avait été dépossédée de son culte, il s’ensuit que la patrie avait, pour ainsi dire, disparu du sol pour n’exister plus que dans les âmes restées fidèles à ces trois grands principes constitutifs de la société française.

La conséquence rigoureusement logique de ceci, c’est que les émigrés, en combattant la Révolution, pouvaient croire et croyaient en effet combattre, non la France, mais le tyran, mais l’oppresseur, mais l’ennemi de la France.

Que si l’esprit de parti s’obstinait déloyalement à contester les sentiments nationaux des royalistes qui crurent devoir tirer leur épée contre les armées républicaines, il nous suffirait de représenter ici ces émigrés tant calomniés, triomphant comme Français de leurs défaites comme émigrés, et, plus Français encore que royalistes, pleurant de joie au récit des victoires de leurs compatriotes, comme si ces victoires n’étaient pas contre eux-mêmes ; il nous suffirait de représenter l’auguste épouse de Louis XVIII se réjouissant de ce qu’elle appelait la gloire de la France, à la nouvelle de la victoire de Marengo ; il nous suffirait de représenter Mesdames de France, réfugiées à Rome, pleurant de douleur au récit d’un échec éprouvé par les Français en Italie ; il nous suffirait de représenter le prince de Condé déplorant sans cesse la cruelle nécessité d’avoir à combattre des ennemis dans des Français ; il nous suffirait de représenter son noble fils, l’infortuné duc d’Enghien, s’arrêtant devant un convoi de blessés français, et leur faisant rendre par son escorte les honneurs militaires ; il nous suffirait enfin de rappeler cette belle réponse du modèle des royalistes vendéens, le noble Lescure, surnommé le Saint du Poitou, à un républicain qui venait de lui apprendre que les Autrichiens étaient maîtres de la Flandre, et qui lui exprimait ses craintes de voir bientôt les étrangers démembrer la France. « Jamais ! jamais !... Les royalistes ne souffriront pas cela, et, s’il le faut, ils se joindront avec vous pour rejeter l’étranger hors du territoire ! »

 

 

 

V.

 

 

Nous nous résumons ainsi :

L’histoire, d’accord avec la logique et l’équité, dira que l’action armée de l’émigration, n’ayant pas été dirigée contre la France, mais contre la Révolution, ne saurait être imputée à crime aux émigrés ; et que, dans tous les cas, s’il y eut crime en effet, ce fut celui de la situation qui leur avait été faite par la Révolution, et par conséquent celui de cette Révolution même.

 

 

 

 

 

 

VII

 

 

 

LES DEUX NATIONS.

 

 

I.

 

 

Nous avons démontré que l’action armée de l’Émigration, n’ayant pas été dirigée contre la France, mais contre la Révolution qui avait renversé toutes les conditions d’existence politique et sociale du pays, ne motivait ni devant l’équité, ni devant la logique, ni devant l’histoire, la qualification de parti de l’étranger appliquée aux royalistes par le parti révolutionnaire ou libéral. Nous allons examiner si cette odieuse qualification a davantage sa justification dans les deux invasions de 1814 et 1815.

 

 

 

II.

 

 

Une première question se présente, celle de savoir si la responsabilité de l’invasion étrangère appartient aux royalistes.

Rappelons donc quelles furent les véritables causes de cette invasion.

Ces causes étaient dans la situation même que Bonaparte s’était faite vis-à-vis des monarchies européennes, c’est-à-dire dans l’origine de sa puissance, et dans les conditions fatales que lui créait la nature de son gouvernement. L’Empire, c’était le principe militaire substitué dans le gouvernement de la France au principe du droit traditionnel : or, s’il est vrai qu’un gouvernement soit fatalement condamné à se développer dans le sens de ses principes constitutifs, il suit de là que la guerre était pour l’Empire une condition nécessaire ; mais, en même temps, il n’est pas moins évident que la victoire était pour lui une condition d’existence non moins nécessaire : d’un autre côté, et c’était là le revers de la médaille, on pouvait prévoir sans invraisemblance qu’un jour arriverait où l’Europe, fatiguée d’être toujours vaincue, demanderait à une coalition universelle la chute du conquérant qui s’était joué pendant quinze ans de ses vieux trônes comme de ses vieilles nationalités, et où la France, rassasiée elle-même de gloire, mais surtout épuisée de sang, séparerait hautement l’intérêt national de celui d’un gouvernement qui était devenu un obstacle à la paix du monde.

Nous venons d’indiquer, dans l’ordre purement logique, la cause et le but de la coalition européenne. Voyons si les faits sont d’accord avec notre appréciation.

Ici les documents sont si nombreux, qu’ils embarrassent notre plume. Nous nous bornerons à renvoyer nos lecteurs : 1o au Manifeste de l’empereur de Russie à l’Europe, en date du 22 février 1813, où ce monarque, rappelant aux Rois comme aux peuples leurs devoirs et leurs intérêts, mettait sous leurs yeux le sublime exemple des Castillans soulevés contre l’oppresseur commun, et déclarait le moment venu d’en finir avec ce qu’il appelait « le deuil du monde » ; 2o aux explications présentées par le ministère anglais dans le Parlement sur la coalition européenne, et qui établissaient non moins formellement le caractère purement défensif de cette coalition ; 3o à la réponse faite par l’empereur Alexandre aux maires de Paris, et que M. de Chateaubriand a consignée dans le Congrès de Vérone : « Une juste défense m’a amené ici » ; 4o enfin, aux actes des puissances alliées au congrès de Vienne.

La coalition des puissances européennes est donc un fait exclusivement personnel à ces puissances, soit dans sa cause, soit dans son but. Nous sommes, en conséquence, fondé à conclure que les royalistes ne furent pour rien dans l’invasion étrangère.

 

 

 

III.

 

 

Mais, dira-t-on peut-être, de ce que les royalistes ne furent pour rien dans l’invasion étrangère, il ne s’en suit pas nécessairement que la Restauration n’ait pas été imposée à la France par les puissances alliées ; et si telle est, en effet, l’origine de la Restauration, la qualification de parti de l’étranger n’en revient pas moins aux royalistes.

Nous acceptons, pour la discuter en face, l’objection présentée sous cette nouvelle forme.

Cette objection implique deux points : le premier, c’est que les puissances alliées étaient sympathiques au rétablissement de la Maison de Bourbon ; l’autre, c’est que la France, de son côté, y était hostile.

Les puissances alliées songeaient si peu, en combattant Napoléon, à rétablir les Bourbons sur le trône de leurs ancêtres, que, lorsqu’elles furent maîtresses de Paris, il s’en fallut de peu qu’elles ne se laissassent aller à placer sur ce trône un autre prince que le Roi légitime. Toutes les déclarations, tous les actes de la coalition, sont là, en effet, pour témoigner officiellement de son indifférence, si ce n’est même de son éloignement, pour l’auguste Maison de Bourbon.

Citons quelques preuves :

Est-ce que le duc de Wellington et M. Canning n’ont pas à plusieurs reprises déclaré dans le Parlement anglais « qu’à aucune époque des longues guerres de la Révolution, l’Angleterre et ses alliés n’avaient travaillé pour le rétablissement de la Maison de Bourbon » ? N’est-ce pas ce même duc de Wellington qui, en 1814, protestait contre la proclamation de Louis XVIII, comme Roi de France, par la population de Bordeaux ? Ne fut-il pas stipulé dans le traité de Chaumont que « la présence des Bourbons sur le territoire français n’empêcherait pas de traiter avec Napoléon » ? Est-ce que le congrès de Châtillon n’était pas disposé à maintenir l’Empire, en le restreignant aux limites de l’ancienne France ? Est-ce que les Souverains alliés ne furent pas près de reconnaître Napoléon II ? Est-ce que Louis XVIII, enfin, ne rencontra pas auprès d’eux des concurrents redoutables, soit dans le duc d’Orléans, soit même dans des princes étrangers ?

C’est donc un mensonge odieux que de présenter la coalition comme une croisade entreprise par les monarchies de l’Europe en faveur de la restauration de la Légitimité sur le trône de France. Ainsi que les faits viennent de le démontrer, les Souverains coalisés étaient plutôt inclinés par leur intérêt même ou par leur orgueil à laisser les Bourbons dans l’ombre de leur exil qu’à les replacer à la tête de la France : les Bourbons, c’était le principe même de notre unité politique ; la Maison de France, c’était l’aînée des dynasties royales de l’Europe ; le roi de France, c’était plus que le roi de telle ou telle nation, c’était le Roi, c’est-à-dire le premier des souverains, le monarque par excellence ! Quelle satisfaction pouvait donc offrir soit à l’orgueil, soit à l’intérêt des Souverains coalisés, la restauration d’une maison royale qui les écrasait tous du poids de sa grandeur, et qui personnifiait si glorieusement l’unité politique d’un pays dont ils tenaient en ce moment le sort entre leurs mains ?

Est-il plus exact de dire que la France fût hostile aux descendants de ses anciens Rois ?

Rappelons d’abord combien la France était lasse de l’Empire, depuis les corps constitués jusqu’au peuple proprement dit, sans oublier les serviteurs même les plus personnellement dévoués de Napoléon. Voici, en premier lieu, le Sénat décrétant la déchéance de Bonaparte, et déclarant le peuple français et l’armée déliés du serment de fidélité envers lui. Vient ensuite la Cour de cassation, adhérant publiquement à ce décret du Sénat. Ce sont les Maréchaux eux-mêmes qui retiennent leur ancien maître de marcher sur Paris, en lui déclarant sans ménagement que la continuation de la guerre était impossible. C’est son propre frère, le roi Joseph, qui lui écrit ce mot accablant : « Sire, vous êtes SEUL ! » C’est la masse de la population qui ne répond que par un morne silence aux appels de celui qui avait vaincu l’Europe pour amener l’étranger dans le cœur de la France ! C’est la France elle-même qui, alors qu’elle n’aurait eu qu’à se lever pour dévorer ces ennemis dont le pied déshonorait son sol, aime mieux subir la honte d’une occupation armée que de défendre celui qui, s’il n’eût été vaincu, lui aurait arraché jusqu’à son dernier homme et son dernier écu ! Enfin, c’est Bonaparte qui vient couronner tous ces témoignages par le sien propre, en disant dans ses adieux de Fontainebleau : « Soldats ! la France elle-même a voulu d’autres destinées.... »

Rappellerons-nous maintenant combien la Restauration était profondément entrée dans les vœux de la France ? Nous n’aurions qu’à produire ici les nombreux témoignages apportés à l’histoire par les Bignon, les Carnot, les Benjamin-Constant, les proclamations des maréchaux et des généraux de l’Empire, celle par laquelle le corps municipal de Paris demandait le rétablissement de la Maison de Bourbon, l’adhésion de la Cour des Comptes, de la Cour de Cassation et de la Cour d’Appel, celles qui vinrent de tous les points de la province, enfin cette universelle acclamation qui salua, pour ainsi dire, d’avance le retour de la monarchie légitime dans l’antique royaume de Clovis et de saint Louis. Bornons-nous à constater, en passant, que la seule opposition qui se manifesta contre la Restauration partit de quelques individus avec lesquels la France n’avait, du reste, rien à voir, puisqu’ils se montrèrent assez peu français pour aller demander aux Souverains coalisés un roi de leurs mains, quel qu’il fût, fût-il étranger, pourvu seulement qu’il ne fût pas Bourbon, et cela au prix de toute une ligne de nos forteresses qu’ils offraient à l’ennemi ! Ô patriotisme des révolutionnaires et des libéraux !

Si nous avons démontré, d’une part, que les dispositions des souverains alliés étaient plutôt malveillantes que sympathiques pour les Bourbons, et, de l’autre, que la France, fatiguée jusqu’à l’épuisement des douze années de gloire si tristement stériles qui venaient de peser sur elle, appelait de tous ses vœux le retour de son roi légitime, nous avons par là même fait surabondamment justice de l’assertion aussi gratuite que bête qui présente les Bourbons comme ayant été imposés à la France par les étrangers.

 

 

 

IV.

 

 

Comment donc se fit la Restauration ?

Le voici :

Du côté de la France, elle fut invoquée comme la meilleure issue à la situation désastreuse où Napoléon avait réduit le pays. Du côté des puissances coalisées, elle fut acceptée comme la garantie la plus solide offerte à la paix universelle.

Or, si elle fut pour la France une nécessité de salut, on peut donc dire qu’elle fut éminemment nationale.

Ce caractère de nationalité ne saurait du reste lui être contesté, en présence des conditions de paix signées par les puissances coalisées sur le territoire même occupé par leurs armées victorieuses : la France conserva, en effet, ses anciennes frontières, ainsi que tous les objets d’art qu’elle avait conquis sur l’Europe, et sans qu’elle eût à payer aucune contribution de guerre ; en outre, 300,000 Français prisonniers furent rendus à leurs foyers ; et six mois à peine s’étaient écoulés, que le sol de la patrie ne portait plus la trace d’un seul soldat étranger !

Mais on comprend qu’un traité de paix qui sauvegardait à ce point l’intérêt et la dignité nationale, n’avait pu être acquis à la France qu’en raison de la garantie toute particulière de sécurité et de stabilité que le gouvernement de ses rois légitimes présentait à l’Europe en armes : Louis XVIII n’était pas, en effet, un roi qui rachète son trône ; c’était un monarque qui venait reprendre le sceptre de ses aïeux : ce n’était pas un conquérant vaincu à qui l’on peut marchander même une paix humiliante ; c’était, de par l’antiquité de sa race et de son droit, l’aîné de la famille des monarques, commandant même à l’Europe victorieuse par l’impérissable majesté des siècles, et obtenant naturellement du seul respect de celle ci pour un petit-fils de Louis XIV des conditions qu’on eût pu croire dictées par lui-même !

Quand donc la France envahie doit aux Bourbons d’avoir été rétablie dans l’intégrité de son territoire, d’avoir échappé à la honte d’une contribution de guerre, et d’être restée la première des monarchies de l’Europe, où est, nous ne disons pas le Français, mais le révolutionnaire assez mauvais français pour oser encore faire peser sur la Restauration l’odieuse responsabilité de la première invasion ?

Mais la seconde invasion ? nous objecteront peut-être des adversaires déterminés à rester calomniateurs quand même.

Le même ordre de considérations qui avaient amené une première fois les alliés en France, les y ramenèrent en 1815 ; mais, cette fois, le but hautement avoué de la coalition était, selon les expressions d’une proclamation de Blücher, de « partager le territoire de cette nation impie qui troublait le repos du monde ». Aussi ne peut-on dire ce qui serait advenu de la France si, aussitôt que Bonaparte fut de nouveau vaincu, et pour rappeler une phrase célèbre de Chateaubriand, « Louis XVIII, en venant s’asseoir aux Tuileries, ne se fût pas hâté de voler son trône ». Une fois encore il fut donné à la Légitimité de s’interposer entre la France et un vainqueur exaspéré ; et si elle ne put obtenir une paix aussi honorable qu’en 1814, du moins préserva-t-elle notre pays d’un démembrement qui avait été arrêté dans les conseils de la coalition. Honneur donc à cette glorieuse race des Bourbons qui, après avoir fait la France ce qu’elle est, la sauva encore à cette époque ; et reconnaissons avec l’immortel auteur du Congrès de Vérone « que si nous sommes encore la vieille Gaule, c’est aux descendants de Robert-le-Fort que nous le devons » !

 

 

 

V.

 

 

Nous avons prouvé :

Premièrement, que les royalistes ne furent pour rien dans les deux invasions ;

Deuxièmement, que la Restauration ne fut pas imposée à la France par les baïonnettes étrangères ;

Troisièmement, et loin de là, que la Restauration fut une œuvre doublement nationale, en ce sens qu’elle fut manifestement appelée par la volonté et par l’intérêt de la France, et que c’est à elle que notre pays doit de n’avoir pas été démembré.

Cette triple démonstration admise, et elle l’est nécessairement par tous les esprits impartiaux, nous ne voyons pas comment il serait possible d’en faire sortir contre les royalistes la qualification de parti de l’étranger.

 

 

 

 

 

 

VIII

 

 

 

POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA RESTAURATION.

 

 

I.

 

 

Un des lieux-communs le plus ressassé par la déclamation libérale est celui qui consiste à présenter les actes extérieurs du gouvernement de la Restauration comme étant les résultats d’une politique vendue à l’étranger. Ce n’est, comme on le voit, qu’une variante de la qualification de parti de l’étranger dont nous avons fait justice à propos de l’émigration et de l’invasion.

Nous allons soumettre au même procédé de critique historique l’imputation également flétrissante par laquelle le parti libéral s’est si odieusement efforcé de dépopulariser la politique extérieure de la Restauration.

 

 

 

II.

 

 

Commençons par rappeler avec un légitime orgueil que le premier acte de politique extérieure du gouvernement de la Légitimité, au lendemain même de la première invasion, alors que l’Europe armée pesait sur nous du poids de la victoire, fut de refuser son consentement au rétablissement du droit de visite, proposé par l’Angleterre. Louis XVIII, à peine rétabli sur le trône qu’il n’avait reconquis que par la majesté de son droit, se proclama hautement le champion de la liberté des mers, en déclarant qu’il ne souffrirait jamais, lui roi de France, que la police de navires portant le pavillon français fût faite par d’autres que la France elle-même. Une pareille dignité d’attitude, jointe à une telle fermeté de langage, constituent-elles une politique vendue à l’étranger ?

Ce caractère de politique vendue à l’étranger se trouve-t-il davantage dans les désastreux traités de 1815 ? – Reportons d’abord à qui de droit la responsabilité de la situation où se trouvait la France, quand les Bourbons y rentrèrent la seconde fois : cette responsabilité revient nécessairement à l’homme qui, en rompant les traités, avait provoqué une nouvelle coalition des puissances, et par suite une nouvelle invasion du territoire. Quant à cette situation en elle-même, elle était des plus désastreuses en effet, puisqu’il ne s’agissait de rien moins, dans les conseils des Alliés, que de démembrer la France, en lui enlevant au moins trois de nos plus belles provinces, l’Alsace, la Flandre et l’Artois. Cette dégradante mutilation de notre territoire ne pouvait être acceptée par un petit-fils de Louis XIV ; aussi Louis XVIII dut-il déclarer que si de pareilles prétentions étaient maintenues, il n’aurait qu’à se retirer au milieu de l’armée de la Loire, appeler à lui la Vendée, et soulever la France tout entière ! Grâce à l’entremise de l’empereur de Russie, l’Autriche et la Prusse rabattirent de leurs exigences ; et le traité de Paris fut signé. Est-ce à dire que nous voulions atténuer ce qu’un pareil traité eut d’humiliant pour l’honneur national ? Non, certes ; mais nous tenons à dire que, tel qu’il était, au moins épargnait-il à la France la honte d’un morcellement, et que c’est au gouvernement de son Roi légitime que le pays doit de n’avoir point vu l’Europe abuser jusque-là de la fortune de ses armes. Oui, c’est la paix qu’on nous vendait, et à de bien cruelles conditions ! mais ces conditions auraient pu être plus cruelles encore, et peu s’en fallut qu’elles ne le fussent en effet ; car l’on sait aujourd’hui que c’était d’abord un parti arrêté, chez les puissances coalisées, de détacher de la France Lille, Metz et Strasbourg, avec deux lieues en-deçà sur toute la ligne, depuis la Flandre jusqu’à l’Alsace, c’est-à-dire d’entamer six de nos départements actuels ! Si donc vous avez encore l’honneur d’être des villes françaises, ô Metz, Strasbourg et Lille ! soyez-en reconnaissantes au principe de la Légitimité à qui revient la gloire d’avoir préservé la France de Clovis et de Louis XIV d’un partage qui l’aurait effacée du rang des grandes nations !

Le Libéralisme a pu stupidement demander compte à la Restauration des traités de 1815, comme si ce fût à la France envahie à dicter ses conditions à l’Europe victorieuse ! L’histoire, plus juste parce qu’elle n’aura pour cela qu’à être impartiale, l’histoire dira et elle a déjà dit que, sans la Restauration, la France ne serait aujourd’hui qu’une nation du second ordre.

 

 

 

III.

 

 

Mais ce n’était pas assez pour le cœur d’un Bourbon, pour le cœur du Souverain légitime, d’avoir conservé à la France la place qu’elle occupe sur la carte de l’Europe : quelle douloureuse humiliation pour un descendant du grand Roi que cette armée de 150 mille étrangers qui devait rester campée sur notre sol, afin d’assurer l’exécution des traités, et cet amoindrissement politique qui résultait pour la France de sa radiation de la liste des grandes puissances ! Depuis 1815, en effet, la France se trouvait exclue des conseils européens, et, d’un autre côté, elle avait encore à supporter pendant deux années la présence de l’armée d’occupation. Or, comme nous venons de le dire, c’étaient là deux plaies dont la douleur rejaillissait du cœur de la nation dans celui de son roi. Replacer la France au rang qui lui appartenait, et faire flotter sur toutes les villes du royaume le drapeau national : telle était l’ardente ambition de Louis XVIII. Ce vœu si patriotique put enfin s’accomplir lors du congrès d’Aix-la-Chapelle : la Restauration obtint d’être admise à ce congrès au même rang que les autres puissances ; elle obtint, en outre, une réduction de deux années sur les cinq qui avaient été fixées pour l’occupation d’une partie de notre territoire.

Restituer à la France le rang qui lui appartient parmi les monarchies de l’Europe, et la délivrer en même temps de l’humiliation de voir flotter sur les remparts d’un certain nombre de ses villes d’autres couleurs que les couleurs nationales, était-ce donc là l’œuvre d’une politique vendue à l’étranger ?

 

 

 

IV.

 

 

Un des actes les plus considérables de la politique extérieure de la Restauration fut la guerre d’Espagne : c’est aussi l’un de ceux que la calomnie a le plus odieusement dénaturé. Il s’agissait pour la Légitimité de maintenir l’œuvre de Louis XIV, menacée par la Révolution au-delà des Pyrénées ; de s’affirmer et de s’affermir en même temps à l’intérieur, et d’inscrire glorieusement l’indépendance de sa diplomatie et de ses armes dans les conseils de l’Europe. Or, que fit le Libéralisme ? Le Libéralisme cria sur les toits que cette intervention en Espagne était imposée à la Restauration, et que nos soldats n’étaient que les gendarmes de la Sainte-Alliance.

Nous n’avons pas à apporter ici, en faveur de la Restauration, une justification qui est faite depuis longtemps pour la conscience publique. Nous nous bornerons donc, afin de ne laisser pour les ignorants de bonne foi aucune lacune dans notre démonstration, à rappeler que le Gouvernement revendiqua hautement à la tribune de la chambre des députés son initiative, sa liberté d’action et son indépendance absolue, dans la conception comme dans la conduite de cette intervention ; qu’il résulte des dépêches adressées à notre ambassadeur que cette position revendiquée par la Restauration est bien celle qu’elle avait prise devant les puissances réunies en congrès à Vérone ; que cette vérité de fait fut reconnue même par les principaux orateurs et les principaux journaux de l’opposition, et qu’elle se trouve en outre attestée par tous les documents diplomatiques, lesquels montrent en effet, et d’une manière irrécusable, que toutes les puissances, à l’exception de la Russie, étaient au contraire d’accord pour repousser cette guerre.

Bien loin que l’intervention en Espagne ait été imposée à la Légitimité, il n’est que rigoureusement vrai de dire que non-seulement la Restauration en eut la pleine et entière initiative, mais qu’elle l’accomplit contre le gré de la Prusse et de l’Autriche, et surtout malgré les protestations de l’Angleterre.

Ici encore nous demanderons comment il serait possible de rattacher à une politique qui n’aurait été que l’humble vassale de l’Étranger un acte qui fut, au contraire, comme l’éclatante émancipation de la France au dehors, en ce qu’il la releva glorieusement de l’espèce de dépendance où l’avaient réduite les traités de 1815, et qu’il montra à l’Europe que notre drapeau, pour avoir changé de couleur, n’avait pas désappris la victoire !

 

 

 

V.

 

 

 

Cette politique vendue à l’étranger se révèle-t-elle davantage dans le concours apporté par la Restauration à l’affranchissement des Hellènes ? Mais est-ce que la Russie et l’Angleterre, au moment d’intervenir par la diplomatie entre les parties belligérantes, crurent pouvoir le faire sans compter avec la France ? Est-ce qu’elles osèrent refuser à la Restauration la part que celle-ci revendiquait dans cette intervention ? Est-ce que le cabinet des Tuileries n’arrêta pas concurremment avec ceux de Saint-Pétersbourg et de Saint-James la convention qui réglait les conditions de l’émancipation des Grecs ? Est-ce que, à la suite du refus de la Sublime-Porte d’accepter la médiation des trois puissances, la Restauration eut besoin de l’injonction de ses deux alliées pour envoyer la flotte française dans la baie de Navarin ? Est-ce que, quand il s’agit de forcer Ibrahim à évacuer le territoire grec, la Restauration ne s’offrit pas d’elle-même à cette tâche, comme étant des trois puissances celle qui était la plus désintéressée matériellement dans la question ? Est-ce que cette tâche qu’elle revendiquait ainsi, elle ne l’accomplit pas malgré l’opposition la plus vive de la part de l’Angleterre ? Est-ce qu’elle tint davantage compte des réclamations de cette puissance contre l’occupation prolongée de la Morée par l’armée française ? Est-ce qu’à ces réclamations d’un cabinet jaloux de notre prépondérance renaissante, elle ne répondit point par le refus de rappeler nos troupes avant que la Grèce eût organisé une armée nationale pour abriter sa jeune indépendance ? – Dans tout cela, avons-nous tort de relever précisément le contraire d’une politique vendue à l’étranger, c’est-à-dire un nouvel accroissement de l’influence extérieure reconquise par le gouvernement de la Légitimité ?

 

 

 

VI.

 

 

Était-ce aussi une politique vendue à l’étranger que celle qui, justement préoccupée des facilités que nos frontières offraient à une nouvelle invasion, avait conçu, sur la base d’une alliance avec la Russie, un plan de remaniement de l’Europe, lequel devait effacer pour la France l’humiliation des traités de 1815 ? D’après ce plan, nous reprenions la Belgique jusqu’à la Meuse et au Rhin, et nous recouvrions en Alsace et en Lorraine notre frontière de 1789 ; les provinces rhénanes étaient détachées de la Prusse pour former un État séparé qui cessait d’être pour nous une menace ; et Paris n’était plus à la merci d’une seule bataille perdue ! Si ce plan est encore à se réaliser aujourd’hui, que le Libéralisme veuille bien n’en pas accuser la Restauration : ce n’est pas elle qui a fait la révolution de 1830 !

Enfin, était-ce aussi une politique vendue à l’étranger que celle à qui l’Europe doit la destruction définitive de la piraterie, l’abolition absolue de l’esclavage des chrétiens, la suppression du tribut que les puissances chrétiennes payaient à la régence ; que celle qui plantait, malgré l’Angleterre, le drapeau blanc sur les murs d’Alger, et qui, bravant les menaces de la même puissance, maintenait hautement les droits absolus de la France sur une conquête arrosée du sang de nos soldats ? Oui, il y avait en France un parti de l’étranger, et nous allons dire où il était ! Il était dans cette opposition qui, à la tribune, osait plaider la cause de la piraterie contre la civilisation, et invoquer je ne sais quel droit des gens en faveur du pillage et du rapt ; il était avec ces journaux qui, se faisant publiquement les alliés du Dey, commettaient chaque matin le crime de haute trahison envers leur pays par les renseignements utiles qu’ils fournissaient à l’ennemi pour amener l’échec de notre expédition : il était avec le Libéralisme !

 

 

 

VII.

 

 

Nous avons passé en revue chacun des actes principaux de la politique extérieure de la Restauration.

Ces actes, les voici résumés :

Conservation de l’unité nationale, par l’interposition du principe de la Légitimité entre la France envahie et l’Europe victorieuse ;

Rejet d’un traité humiliant pour notre pavillon, et cela sous les baïonnettes mêmes des armées coalisées ;

Évacuation de notre territoire deux années avant le terme fixé par les traités ;

Réintégration de la France dans le conseil des Cabinets ;

Émancipation extérieure de la France par la guerre d’Espagne faite malgré l’Angleterre ;

Prépondérance de la France dans la question de la Grèce ;

Conquête d’Alger malgré l’Angleterre ;

Enfin, la France près de reconquérir sa frontière naturelle, soit par les voies diplomatiques, soit par son épée.

Maintenant, nous demandons au libéral le plus systématiquement prévenu de mettre la main sur sa conscience, et nous le défions, s’il aime vraiment son pays, de dire que la politique extérieure de la Restauration ne fut pas une politique éminemment nationale, éminemment française !

 

 

 

 

 

 

IX

 

 

 

LES ROYALISTES APRÈS 1830.

 

 

I.

 

 

Nous croyons avoir mis hors de contestation l’esprit de patriotisme et de nationalité des royalistes, en démontrant par les faits mêmes que rien dans les circonstances de l’émigration, rien dans les deux invasions, rien dans la politique extérieure de la Restauration, ne justifie l’odieuse épithète de parti de l’étranger, appliquée par les libéraux aux hommes du droit monarchique. Toutefois, nous voulons compléter cette démonstration en l’étendant jusqu’aux actes qui ont constitué l’opposition des légitimistes contre l’usurpation de 1830, soit à main armée, soit dans la presse ou dans le parlement, afin qu’il ne reste d’une calomnie dont le succès scandalisera un jour l’histoire que son éternelle confusion devant cette même histoire.

 

 

 

II.

 

 

À Dieu ne plaise que nous calomniions nous-même l’opinion dont nous plaidons ici la cause, en niant qu’après la révolution de 1830, qui avait inauguré une odieuse usurpation de famille de par le droit d’insurrection, la restauration du principe de la légitimité ne fût l’unique pensée comme le but exclusif de tout royaliste demeuré fidèle à ses convictions ! Mais cette restauration, les royalistes l’ont-ils demandée à l’étranger et l’auraient-ils acceptée d’une invasion ? Telle est la question ; et c’est dans ces mêmes termes où nous venons de la poser, que nous allons la discuter.

Dès le commencement de 1831, que voyons-nous ? Une solennelle manifestation des sentiments de cette nuance de l’opinion royaliste qu’on accusait plus particulièrement d’appeler une nouvelle invasion, parce que le drapeau de sa politique inclinait vers une action armée à l’intérieur : cette manifestation se produisit dans les colonnes du journal 3 qui était l’organe officiel de la nuance dont nous parlons, sous la forme de la plus énergique protestation, au nom de tous les partisans du droit en France, contre l’intention qu’on leur prêtait de se ranger sous les drapeaux des armées étrangères, dans l’hypothèse d’une nouvelle invasion prochaine ou éloignée. Les rédacteurs de cette protestation déclaraient hautement que les doctrines nationales dont ils étaient dépositaires « ne doivent triompher que par leur propre force et leur propre justice », et rappelaient avec une légitime fierté que « sous Charles VII, ce ne furent pas les royalistes qui appelèrent l’étranger, mais que ce furent eux qui le chassèrent ».

Le 26 août suivant, les royalistes de la même nuance prenaient occasion des complications de la question belge, et de la guerre imminente qui paraissait en devoir sortir, pour renouveler cette protestation dans un véritable Manifeste 4 destiné à établir que si, sous le gouvernement légitime, les hommes monarchiques avaient pu appeler de leurs vœux une guerre qui aurait eu pour but avoué de recouvrer nos limites naturelles, ils ne pouvaient former les mêmes vœux dans la situation politique créée à la France par la révolution de juillet ; qu’autre chose, en effet, était une guerre d’intérêt exclusivement national, c’est-à-dire devant se résumer en des avantages réels pour le pays, et une guerre qui, soufflée par le seul fanatisme d’une propagande révolutionnaire, devait soulever contre nous toute l’Europe conservatrice et se dénouer par une inévitable catastrophe ; que si le libéralisme était disposé à sacrifier les intérêts et la grandeur du pays au triomphe d’une opinion, les âmes des royalistes n’étaient pas à la hauteur d’un pareil sacrifice, et que dans tous les cas ces derniers n’étaient pas hommes à placer un espoir impie dans les malheurs de la France ; que leur force était dans leurs doctrines, et que leur cause, éminemment nationale, ne devait chercher et trouver sou triomphe que « dans son principe même de nationalité » ; que jamais ils ne se résigneraient « à descendre du nom de Français pour ramasser aux pieds de l’Europe une royauté vassale : qu’ils repoussaient donc la guerre et comme français et comme royalistes, et que leur bannière ne portait et ne porterait jamais une autre devise que celle-ci : Tout pour la France et par la France, Rien pour l’étranger ni par l’étranger !

Cette noble et patriotique devise était celle de tous les royalistes sans distinction : elle se produisait jusque dans la tribune parlementaire, où les orateurs royalistes déclaraient unanimement que, pour empêcher une nouvelle invasion, ils étaient prêts à mettre dans les mains de l’usurpation elle-même, avec leur propre sang, tout celui de la France ; elle était répétée d’une voix unanime par les feuilles légitimistes qui avaient arboré dans leurs colonnes le drapeau du droit commun ; elle empruntait la plume du plus grand écrivain des temps modernes pour se formuler en ce cri de patriotisme : « Je rallierais la France contre Henri V revenant dans les bras de l’étranger » ; enfin, elle prenait un caractère officiel dans la bouche de l’auguste et héroïque princesse qui, abritée dans une chaumière vendéenne, laissa échapper de son cœur si maternellement français ces paroles que n’aurait désavouées aucun des ancêtres de son fils : – « Voyez-vous, M. Berryer, l’exemple du duc de Bourbon est toujours devant mes yeux. Si, en 1815, il n’eût consulté que son grand courage et celui de la majeure partie de ses amis ; si, en un mot, il se fût mis à la tête de la Vendée, au lieu de prêter l’oreille à cette politique menteuse dont on entoure les princes, bien des malheurs eussent été évités, de funestes divisions ne se fussent pas mises parmi les chefs, et la France n’eût pas vu une seconde invasion. Savez-vous ce qu’il en coûterait à cette France, si les alliés y rentraient une troisième fois ? Son partage sans aucun doute. À cette pensée, tout mon sang de Française et de mère se révolte ; et s’il faut que mon fils achète le trône de France par la cession d’une province, d’une ville, d’une forteresse, d’une maison, d’une chaumière comme celle dans laquelle je suis, je vous donne ma parole de régente qu’il ne sera jamais roi. Les étrangers n’auront pas mon fils ; ils ne l’auront pour rien au monde : je l’emporterai plutôt dans les montagnes de la Calabre 5 ! »

Quant au mobile qui l’avait amenée dans cette fidèle Vendée où l’on savait mourir pour Dieu et pour le Roi, le voici tel qu’elle l’indiquait elle-même dans cette proclamation datée de Nantes : – « J’avais de fortes raisons pour croire qu’on allait commencer la guerre, et je ne voyais que ma présence en France, à la tête des Français, stipulant d’accord avec eux les droits de mon fils contre les étrangers, qui pût préserver notre patrie du désastre d’une troisième invasion. Ce motif me détermina ; par aucun autre on ne fût vraisemblablement parvenu à me faire courir le risque d’allumer une guerre civile en France ; mais la guerre étrangère était prête à naître : je pouvais l’empêcher, je partis. »

 

 

 

III.

 

 

Les répulsions des royalistes pour l’étranger ne sont pas écrites avec moins d’éclat dans leurs longues et courageuses luttes parlementaires contre une politique qui faisait si lâchement bon marché de la grandeur et de la dignité du pays.

Dans les questions extérieures, quelles voix, en effet, revendiquaient exclusivement l’intérêt et l’honneur national ? Celles de la Droite. Quelles voix protestèrent contre l’abandon de l’intérêt français dans la question belge ? Quelles voix protestèrent contre la déchéance de l’influence française en Italie ? Quelles voix protestèrent contre l’immolation de la nationalité polonaise ? Quelles voix protestèrent contre cette fameuse quadruple alliance où le monopole maritime, commercial et industriel de la Grande-Bretagne n’avait admis l’intérêt français qu’à la condition que ce dernier voterait toujours contre lui-même, et où par conséquent la France était toujours sûre d’avoir contre elle quatre voix.... sur quatre ? Quelles voix protestaient contre l’introduction d’une charte anglo-brésilienne en Portugal, contre l’abolition du pacte de famille en Espagne, contre l’effacement de la France dans les affaires d’Orient, contre le traité de visite, contre l’indemnité Pritchard, contre le traité des vingt-cinq millions avec l’Amérique ; enfin, contre la politique qui plaçait son idéal dans un humiliant statu quo, qui mesurait l’honneur français à la gloire d’une paix à tout prix, et qui, dans les mesures arrêtées par les puissances, avait seulement « le droit de ne pas y consentir, à condition de ne pas les empêcher 6 » ? – Celles de la Droite, c’est-à-dire des royalistes !

Quel magnifique brevet de patriotisme pour les royalistes que cette opposition de dix-huit ans contre un gouvernement qui avait pu élever à la hauteur d’un système politique « l’abaissement continu » de la France devant l’étranger !

Mais quand il s’agit de mettre en évidence les sentiments nationaux des royalistes, est-ce là tout ce que nous avons à dire ? Ce serait, certes, bien assez ! mais nous pouvons encore évoquer d’autres faits.

C’était pendant la discussion du projet de loi sur les fortifications de Paris : M. Thiers crut avoir raison de l’opposition de la Droite, en la rattachant à une secrète complicité avec l’ennemi du dehors. Devant cette accusation, toute la Droite se leva comme un seul homme, et, par la voix des Larcy, des Labourdonnaye et des Valmy, protesta contre cette lâche calomnie, et força le ministre à la retirer !

Ce n’est pas tout.

Dans la discussion du même projet de loi devant la Chambre des Pairs, un autre ministre, M. Persil, reprenant la même calomnie, montra comme une éventualité possible le chef de la Maison de Bourbon venant assiéger Paris à la tête d’une armée étrangère. La même indignation qui avait soulevé sur leurs bancs les députés royalistes, passa dans l’âme d’un de ces hommes dont l’éloquence est au niveau de toutes les questions, parce que leur cœur est lui-même au niveau de toutes les grandes et généreuses inspirations : M. le marquis de Dreux-Brézé n’hésita pas plus à couvrir de sa parole le petit-fils de Louis XIV contre la plus odieuse insinuation, qu’il n’eût hésité à le couvrir de sa poitrine contre le fer d’un ennemi ; il monta donc à la tribune, et, plaçant l’auguste exilé sous la protection de sa haute loyauté, déclara qu’il répondait de Henri de Bourbon à la France, cœur pour cœur, corps pour corps.

Dans une souscription publique, tous les royalistes s’associèrent à cette protestation, et ajoutèrent leur caution personnelle à celle du noble pair.

 

 

 

IV.

 

 

Maintenant, et comme dernière signature à mettre au bas d’une protestation signée par l’opinion royaliste tout entière, qu’il nous soit permis de citer une parole du prince même si unanimement cautionné devant la France par des hommes pour qui l’honneur est le premier des devoirs !

C’était à Ems, où un grand nombre de Français étaient venus présenter l’hommage de leur fidélité à la majesté de l’exil : dans un salon attenant à celui où se trouvait le prince, mais dont la porte de communication était ouverte, et où l’homme du peuple était l’égal des plus hauts noms de notre ancienne monarchie, la conversation s’était naturellement portée sur les chances que pouvait présenter une nouvelle restauration. Pourquoi le tairions-nous ? Une voix – une seule ! – balbutiait quelques timides réserves en faveur d’une intervention étrangère.

– Pour moi, s’écria un légitimiste du peuple, si Henri V revenait en France avec les Russes, mon premier coup de fusil serait pour lui !

En ce moment même, M. le comte de Chambord apparut sur le seuil qui séparait les deux pièces ; et, venant droit à l’homme du peuple qui s’était exprimé ainsi, il lui prit la main et lui dit :

– Monsieur T...., VOUS ÊTES UN BON FRANÇAIS !

Nous laissons les calomniateurs de l’opinion royaliste sous le poids de ce dernier mot 7.

 

 

 

 

 

 

X

 

 

 

DE QUELQUES GRIEFS DU LIBÉRALISME CONTRE LA PREMIÈRE RESTAURATION.

 

 

I.

 

 

Aux Bourbons ramenés sur le trône de leurs aïeux, selon l’expression de M. de Lamartine, « par le reflux d’une révolution qui avait achevé son cercle de vicissitudes et de débordement » ; aux Bourbons rappelés de l’exil par l’antipathie universelle contre le despotisme, par l’effroi que tramaient après eux les souvenirs de la République, par la protestation du sentiment national contre la domination d’un prince étranger, et par la défaveur que l’honnêteté publique opposait à l’intronisation d’une branche collatérale qui n’aurait été qu’une usurpation de famille ; aux Bourbons dont le retour avait été invoqué tout à la fois par tous les souvenirs, toutes les terreurs et toutes les espérances de la nation ; aux Bourbons dont la médiation seule avait pu prévenir le partage de la France, et à qui par conséquent nous devons la conservation de notre nationalité ; à ces Bourbons, enfin, qui nous avaient rapporté, en échange de tant d’ingratitude, le bienfait d’une paix libératrice, le Libéralisme imputa à crime de n’avoir point renié leur sang, et d’avoir trouvé dans le souvenir et les traditions de ce sang si glorieux le courage de ne point pactiser avec la Révolution.

Nous allons décomposer cette accusation du Libéralisme, et réduire à sa juste valeur chacun des griefs particuliers qu’elle implique.

 

 

 

II.

 

 

Le premier de ces griefs résulte de ce que Louis XVIII se refusa à recevoir la couronne des mains du Sénat pour la reprendre purement et simplement comme un héritage légitime.

On sait que le Sénat, s’érigeant en pouvoir constituant, avait décrété une Constitution qui, comme celle de 91, plaçait la souveraineté directe dans le peuple, et aux termes de laquelle Louis-Stanislas-Xavier était appelé au trône sous le nom de Louis XVII, mais ne devait être proclamé roi des Français qu’après l’avoir acceptée et jurée. Un pareil acte constituant, indépendamment du vice intrinsèque que lui communiquait son caractère de flagrante usurpation, avait le tort de se poser en contradiction directe avec l’opinion publique, en faisant dériver le rétablissement de la Légitimité, non d’un droit successif fondé sur nos traditions monarchiques, mais seulement d’une élection qui impliquait la négation même du principe d’hérédité royale, et à laquelle le Sénat avait en outre procédé sans aucun titre légal, puisqu’il se trouvait dissous de droit par suite de l’anéantissement du pouvoir impérial de qui il tenait son existence.

Ces prétentions usurpatrices du Sénat n’avaient, en effet, rencontré aucun écho dans la nation ; et l’arrivée de MONSIEUR à Paris, comme lieutenant-général nommé directement par Louis XVIII, fit voir que la France ne songeait nullement à disputer à son roi légitime les droits qu’il tenait des siècles et de sa naissance. À ce sujet, il nous suffirait d’invoquer l’enthousiasme qui accueillit l’entrée de M. le comte d’Artois dans la capitale, ou plutôt l’ivresse publique qui fit, pour ainsi dire, cortège à ce prince depuis les barrières jusqu’aux Tuileries, – ivresse qui s’exprimait par les cris et les larmes, et qui éclata comme en une seule voix dans cet antique chant du Domine, salvum fac regem, si cher à la France monarchique, entonné sous les voûtes de Notre-Dame, et répondu en un chœur immense par le peuple qui n’avait pu pénétrer dans la vieille basilique. Mais, en dehors de cette manifestation générale et dont le peuple surtout fit les frais, il y a les protestations particulières de l’armée, du Corps-Législatif, de la Magistrature et des publicistes.

Les maréchaux Ney, Marmont, Moncey, Serrurier, Kellermann, et un grand nombre d’officiers-généraux, étaient allés à la rencontre de M. le comte d’Artois jusqu’à la barrière de Bondy. Le maréchal Ney parla ainsi au prince, au nom de ses frères d’armes :

 

        « Monseigneur,

« Nous avons servi avec zèle un gouvernement qui nous commandait au nom de la France ; Votre Altesse Royale et Sa Majesté verront avec quelle fidélité et quel dévouement nous saurons servir noire roi légitime. »

Le Corps-Législatif se rendit aux Tuileries pour présenter ses hommages au frère du Roi, et s’exprima en ces termes par l’organe de M. Félix Faulcon :

« Les longs malheurs qui ont pesé sur la France sont enfin arrivés à leur terme ; le trône va être occupé de nouveau par les descendants de ce bon Henri que le peuple français s’approprie avec orgueil comme avec amour ; et les membres du Corps-Législatif se glorifient d’être aujourd’hui près de Votre Altesse Royale les interprètes de la joie et des espérances de la nation. »

 

Voici comment s’exprima, de son côté, la Cour Royale de Paris par l’organe de son premier Président :

« Enfin la Providence nous restitue nos souverains légitimes ! Déjà nous possédons le frère de notre Roi, MONSIEUR ! bientôt nous aurons celui qui, pour avoir été longtemps éloigné du trône, n’en a pas moins régné sur nos cœurs !... Tant que se perpétuera la race du saint Roi, la France sera son héritage, les Français sa famille : ainsi la raison le conseille, l’expérience l’enseigne, la lui l’ordonne, la justice le proclame ! Le véritable pacte entre un père et des enfants qui se réunissent, est une soumission respectueuse, l’oubli des erreurs, un renouvellement d’amour. »

Ce langage était commun à toute la magistrature.

« La Cour Royale de Dijon, – disait un des députés de cette Cour, – s’est empressée de partager le noble élan des Bourguignons vers leur légitime souverain si longtemps désiré, et de signaler à la France cette vérité constitutive de notre antique monarchie : La race seule de saint Louis et de Henri IV a des droits sur nous ; et au moment heureux où leur digne héritier vient exercer son pouvoir, qui n’a pu être que suspendu, notre devoir est une soumission entière et respectueuse, et notre désir un généreux oubli des erreurs passées.... »

On voit si le Sénat était dans le courant de l’esprit public, en songeant à dicter des conditions au roi légitime, et à imposer une constitution à l’héritier des monarques dont le trône s’appuyait sur notre constitution même !

M. Marignié, secrétaire du Corps-Législatif, plaidait ainsi auprès de l’empereur Alexandre, dont le Sénat avait capté la confiance, la cause de notre antique constitution contre l’œuvre constituante d’une assemblée usurpatrice :

« Oui, nous repoussons cette idée de constitution, surtout dans la forme sous laquelle on nous la présente, et par le souvenir récent des calamités affreuses et sanglantes qui s’y associent, et dans un sentiment de respect et de fidélité à notre Roi. Tout est injurieux pour lui dans le projet que l’on fait ; tout y est antimonarchique ; tout ici est inconstitutionnel en parlant de constitution. Et nous aussi nous réclamons une constitution ! mais nous réclamons la nôtre, nous réclamons celle sous laquelle la monarchie de France s’est formée, s’est accrue, a resplendi, s’est maintenue dans une durée de quatorze siècles, en subissant les modifications lentes, communes à tous les ouvrages de la nature et de durée.... Nous ne croyons pas avoir vécu et duré pendant quatorze siècles sans constitution..... Sire ! lorsque Dieu, dans son passage sur la terre, ressuscitait les morts, il ne changeait point leur nature, il les ressuscitait mortels. Nous acceptons notre destinée, et, appuyés sur nos quatorze siècles d’existence, nous consentons à recommencer aux mêmes conditions.... Eh quoi ! le Roi de nos besoins serait réduit à passer du malheur aux affronts ! il ne rentrerait dans son héritage qu’en passant sous le joug ! Louis XVIII ne rentrerait en France qu’aux mêmes conditions auxquelles eut à se soumettre Jean-Sans-Terre, sous la condition de signer une charte ? Il y aurait ce rapport entre Jean, usurpateur et assassin, et Louis successeur légitime et pur aux yeux de l’univers et de Dieu ! Les comtes du Sénat penseraient-ils tenir la place des barons d’Angleterre ? serait-ce à titre de grands vassaux et grands propriétaires ?.... »

L’abbé Barruel, défenseur de la même cause, démontrait que la Révolution n’avait pu abolir notre ancienne constitution :

« L’autorité conférée au souverain par cette constitution a pu cesser de fait, – écrivait-il, – mais nul obstacle n’a pu détruire l’autorité de droit. »

Enfin, un écrit publié sous ce titre : Observations sur un acte du Sénat conservateur, invoquait pareillement et définissait ainsi la constitution sous laquelle la France avait vécu quatorze siècles :

« N’avons-nous pas une constitution aussi ancienne que la monarchie, qui, pendant tant de siècles, a rendu la France si puissante, et l’a placée au premier rang des puissances de la terre avant la Révolution ? Elle était l’arbitre de l’Europe. Revenons-y de bonne foi, et nous redeviendrons ce que nous avons été. Montrez-nous-la, diront les novateurs, cette constitution tant vantée ; où est-elle ? Elle est dans la loi salique ; elle est dans les capitulaires, dans les sages et belles ordonnances de nos rois... »

Nous avons dit que l’œuvre du Sénat avait trouvé un défenseur dans l’empereur Alexandre. Ce prince alla au-devant de Louis XVIII, qui s’était arrêté à Compiègne, et crut pouvoir demander à un fds de saint Louis d’abdiquer, en quelque sorte, son droit héréditaire, en consentant à recevoir sa couronne des mains du Sénat comme un monarque élu.

Louis XVIII, après avoir écouté avec impatience, mais sans l’interrompre, l’auguste négociateur, lui fit cette réponse si digne par sa noblesse et sa fermeté d’un descendant de Louis XIV et d’un Roi de France :

« Je suis étonné, – dit-il, – d’avoir à rappeler à un empereur de Russie que la couronne n’appartient pas aux sujets. À quel titre un sénat, instrument et complice de toutes les violences et de toutes les démences d’un usurpateur, peuplé de ses plus serviles et de ses plus criminelles créatures, disposerait-il de la couronne de France ! Lui appartient-elle ? Et si elle lui appartenait en effet, est-ce à un Bourbon qu’il l’offrirait librement ? N’y a-t-il pas dans son sein des hommes tarés dans la révolution de 1793 et tachés du sang d’un Bourbon décapité ? Je suis trop éclairé pour attacher au droit divin la signification que les superstitions religieuses ou populaires y attachèrent jadis ; mais ce droit divin, qui n’est pour moi comme pour vous qu’une loi de bon sens passée en politique immuable dans la transmission héréditaire du droit de souveraineté, est devenu aussi une loi de la nation, dix ans violée, dix siècles suivie ! La mort de mon frère et de mon neveu m’ont transmis ce droit ; c’est en vertu de ce seul titre que je suis ici, et que l’Europe m’a rappelé pour rétablir en moi non un homme, non une race, mais un principe. Je n’en ai pas d’autres, je n’en veux pas d’autres à présenter à la France et au monde. L’acceptation de tout autre titre anéantirait en moi celui-là. Je suis un roi ; je serais un mendiant de trône ! Et quel autre droit aurais-je hors de ce droit que le sang a fait couler dans mes veines ? Que suis-je ? un vieillard infirme, un malheureux proscrit, réduit longtemps à emprunter une patrie et du pain aux terres étrangères : tel j’étais encore, il y a peu de jours ; mais ce vieillard, ce proscrit, était le Roi de France, et voilà pourquoi Votre Majesté est ici ; voilà pourquoi une nation entière, qui ne me connaît que par ce nom, m’a rappelé au trône de mes pères. Je reviens à sa voix, mais j’y reviens Roi de France, où je ne suis encore qu’un proscrit 8. »

Comme l’empereur Alexandre se rejetait dans l’invocation des faits accomplis, et de ce qu’il appelait la nécessité et la prudence :

« Non, – repartit Louis XVIII, – je ne flétrirai point par une lâcheté le nom que je porte et le peu de jours que j’ai à vivre ; je n’achèterai point une faveur mobile d’opinion au prix d’un droit sacré, de moi, de ma maison, de mon principe. Je sais que je dois à vos armes victorieuses la délivrance de mon peuple ; mais si ces importants services devaient mettre à votre disposition l’honneur de ma couronne, j’en appellerais à la France ou je retournerais en exil. »

Alexandre ne trouva rien à répliquer à ce vieux Roi encore sans couronne, mais qui, par la seule force de sa légitimité, n’avait eu besoin que de mettre le pied sur le sol français pour s’imposer même aux vainqueurs de Napoléon !

 

 

 

III.

 

 

Le second grief du Libéralisme est tiré de ce que le frère de Louis XVI repoussa le titre de Roi des Français pour prendre celui de Roi de France.

La France était-elle une République, ou du moins une monarchie élective ? Louis XVIII avait-il reconnu la souveraineté directe du peuple ? Avait-il abaissé son droit héréditaire devant l’élection du Sénat, en consentant à recevoir sa couronne des mains d’une assemblée doublement usurpatrice, car ses prétentions constituantes ne blessaient pas moins le principe républicain que le principe monarchique ? Rien de cela ! Louis XVIII n’était, au contraire, rentré en France qu’en sa qualité de Fils de France, comme descendant de saint Louis et de Henri IV, comme héritier légitime de nos rois. Dès-lors, comment aurait-il pu renoncer aux antiques formules de notre monarchie, mêler une dénomination républicaine aux fleurs-de-lys de sa couronne, placer l’élu du Sénat au-dessus de l’élu des siècles, et se dépouiller de ce titre traditionnel de roi de France qui résume si magnifiquement tous les progrès de notre civilisation nationale depuis l’avènement de la troisième race ?

En acceptant le titre de roi des Français, Louis XVIII aurait mis sa main dans la main de la Révolution ; il aurait pactisé avec l’échafaud de 93, il aurait amnistié l’assassinat de Louis XVI, il aurait signé l’abolition de l’hérédité royale, et, au lieu d’une couronne, il n’aurait porté que le bonnet rouge ! En prenant le titre de roi de France, il rendait la France à sa constitution naturelle, la rétablissait dans ses conditions nécessaires de progrès, de liberté et de prospérité, et renouait naturellement le pacte primitif et traditionnel de la nation avec l’antique race de ses rois.

L’arbre antique de la monarchie ainsi replanté dans le sol de la patrie, rien n’empêchait qu’on greffât sur ses branches de nouveaux fruits : sa sève n’avait pas suffi, pendant quatorze cents ans, au développement progressif de toutes nos institutions, pour qu’elle se fût tarie tout d’un coup ; et les intérêts nouveaux, nés de la marche du temps, n’avaient certes rien à redouter de la restauration d’une royauté qui, plus ancienne, et, selon une expression de Chateaubriand, presque plus française que la nation elle-même, nous a faits ce que nous sommes, c’est-à-dire une nation libre !

 

 

 

IV.

 

 

Le troisième grief du Libéralisme consiste dans la date donnée par Louis XVIII à sa prise de règne.

Dès-lors que Louis XVIII reprenait le sceptre de ses aïeux en vertu, non de l’élection inconstitutionnelle du Sénat, mais de l’élection des siècles représentée par son droit héréditaire, il était dans la logique du principe monarchique que l’avènement du véritable héritier du trône se reliât chronologiquement à la mort de son légitime prédécesseur. Or, en datant la Charte de l’an dix-neuvième de son règne, et en s’appelant Louis XVIII, le frère Louis XVI, l’oncle de Louis XVII, ne fit que se conformer rigoureusement à la loi fondamentale de l’État, qui ne veut pas que la monarchie demeure un seul instant sans monarque, qui n’admet aucune solution de continuité dans la succession royale, et qui ne permet au roi de mourir qu’à la condition d’être toujours vivant sur le trône, ainsi que l’atteste ce vieux cri de nos pères : LE ROI EST MORT ! VIVE LE ROI !

Toute la conduite antérieure de Louis XVIII, pendant ses vingt-cinq années d’exil, prouve du reste que ce prince n’avait jamais été disposé à transiger sur les droits traditionnels de son sang, et que le principe de la légitimité eut constamment en lui un défenseur ou un représentant aussi éclairé qu’inflexible.

Voici en quels termes il protestait, auprès de l’infortuné Louis XVI, contre la constitution de 1791 qui enlevait à la couronne ses prérogatives essentielles, et qui décapitait ainsi la royauté en attendant que vînt le tour du monarque lui-même :

« L’Assemblée, – écrivait MONSIEUR à son auguste frère, – vous a présenté, le 3 de ce mois, le résumé de son acte constitutionnel. Quel serait donc le danger auquel Votre Majesté s’exposerait, si elle refusait de l’accepter ? Au dire même de vus plus cruels oppresseurs, vous n’en auriez d’autres à craindre que d’être destitué de la royauté. Mais qu’importe, Sire, que vous cessiez d’être roi aux yeux des factieux, lorsque vous le seriez plus solidement aux yeux de toute l’Europe, et dans le cœur de tous vos sujets fidèles ?...... Le danger serait bien plus grand si, vous résignant à n’avoir plus que le vain titre d’un roi sans pouvoir, vous paraissiez, au jugement de l’univers, abdiquer la couronne dont chacun sait que la conservation exige celle des droits inaliénables qui y sont essentiellement inhérents...... Si des motifs que nous ne pouvons apercevoir, et qui ne pourraient avoir pour principe que l’excès de la violence, forçaient votre main à souscrire une acceptation que votre cœur rejette, que l’intérêt de vos peuples repousse, et que votre devoir de roi vous interdit expressément, nous devons vous annoncer, et même nous jurons à vos pieds, que nous protesterions à la face de toute la terre, et de la manière la plus solennelle, contre cet acte illusoire et tout ce qui pourrait en dépendre. Nous protesterions pour les maximes fondamentales de la monarchie, dont il ne vous est pas permis, Sire, de vous départir ; dépositaire usufruitier du trône que vous avez hérité de vos aïeux, vous ne pouvez ni en aliéner les droits primordiaux, ni détruire la base constitutive sur laquelle il est assis. »

À la mort de Louis XVI, il fit proclamer roi Louis XVII dans les rangs de l’armée royale, et prit pour lui-même le titre de régent du royaume, maintenant ainsi, du fond de l’exil, la tradition monarchique envers et contre la Révolution.

Cette initiative de MONSIEUR, en ce qui regarde particulièrement sa proclamation comme régent, fut ainsi justifiée dans un Mémoire publié à cette époque sous la signature du comte d’Antraigues :

« En fait de régence, il demeure prouvé qu’il faut s’en rapporter à la loi fondamentale, et que cette loi veut qu’en cas de minorité ou d’empêchement du Roi, la régence soit déférée au plus proche parent. Et, en conséquence, MONSIEUR, frère du Roi, a obéi aux lois fondamentales en prenant le titre de régent, en imitant Charles VI et Charles VII, et en se proclamant seul et sans aucune autre intervention le légitime administrateur de l’empire pendant la minorité de Louis XVII. Au lieu de blâmer MONSIEUR de s’être emparé de la régence après l’assassinat de Louis XVI, c’est d’avoir différé jusqu’à ce moment d’obéir aux lois de l’État qu’il aura à se justifier aux yeux de la postérité. La loi était précise. La prison du Roi était manifeste depuis le 6 octobre 1789. Dès cet instant, l’exercice de la royauté était dévolu au plus prochain héritier de la couronne. La prison de Louis XVI, martyr, était mille fois plus rigoureuse que celle de Jean, prisonnier d’Édouard, quand Charles V se déclara régent. Maintenant que sous le glaive du régicide reposent les têtes les plus sacrées, que le jeune Roi n’aperçoit autour de lui que les assassins de son père, c’est précisément dans ce moment difficile que le légitime régent de France doit en réclamer le titre ; c’est lorsque tout est perdu qu’il doit espérer encore ; c’est lorsque les lois sont anéanties qu’il doit attester par son exemple leur indestructible empire. Ainsi se conduisit Charles VII, ainsi s’est conduit MONSIEUR... Il aurait dû, dit-on, attendre la reconnaissance des Puissances ; non, il devait la prévenir. Les puissances peuvent ignorer nos lois ; c’est à l’héritier du trône à les leur rappeler, c’est à lui à leur dire : Le Roi ne meurt jamais en France ; il vit en Louis XVII, et il agit par moi, légitime régent de son empire. »

Quand il eut appris la mort du jeune Louis XVII, le régent prit immédiatement le nom de Louis XVIII et le titre de roi de France et de Navarre, annonça officiellement son avènement à l’armée de Condé et à tous les cabinets de l’Europe, et adressa aux Français la proclamation suivante :

« Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous nos sujets, salut.

« En vous privant d’un roi qui n’a régné que dans les fers, mais dont l’enfance promettait le digne successeur du meilleur des rois, les impénétrables décrets de la providence nous ont transmis, avec la couronne, la nécessité de l’arracher des mains de la révolte, et le devoir de sauver la patrie qu’une révolution désastreuse a placée sur le penchant de sa ruine. Cette funeste conformité entre les commencements de notre règne et du règne de Henri IV est un nouvel engagement de le prendre pour modèle ; et en imitant d’abord sa noble franchise, notre âme tout entière va se dévoiler à vos yeux. Assez et trop longtemps nous avons gémi des fatales conjonctures qui tenaient notre voix captive : écoutez-la, lorsqu’enfin elle peut se faire entendre. Une terrible expérience vous a éclairés sur vos malheurs et sur leurs causes. Des hommes impies et factieux, après vous avoir séduits par de mensongères déclamations et par des promesses trompeuses, vous entraînèrent dans l’irréligion et la révolte. Depuis ce moment, un déluge de calamités a fondu sur vous de toute part. Cette antique et sage constitution dont la chute a entraîné votre perte, nous voulons lui rendre toute sa pureté que le temps avait corrompue, toute sa vigueur que le temps avait affaiblie ; mais elle nous a mis elle-même dans l’heureuse impuissance de la changer : elle est pour nous l’arche sainte ; il nous est défendu de porter sur elle une main téméraire. Votre bonheur et notre gloire, le vœu des Français, et les lumières que nous avons puisées à l’école de l’infortune, tout nous fait mieux sentir la nécessité de la rétablir intacte. »

Un peu plus tard, Bonaparte, premier consul, fit proposer à Louis XVIII de renoncer pour lui et sa dynastie à la couronne de France. Le roi de l’exil répondit au jeune héros, vainqueur de l’Italie :

« Je ne confonds pas M. Bonaparte avec ceux qui l’ont précédé : j’estime sa valeur, ses talents militaires ; je lui sais gré de plusieurs actes d’administration, car le bien qu’on fera à mon peuple me sera toujours cher. Mais il se trompe, s’il croit m’engager à transiger sur mes droits : loin de là, il les établirait lui-même, s’ils pouvaient être litigieux, par la démarche qu’il fait en ce moment. J’ignore quels sont les desseins de Dieu sur ma race et sur moi, mais je connais les obligations qu’il m’a imposées par le rang où il lui a plu de me faire naître. Chrétien, je les remplirai, ces obligations, jusqu’à mon dernier soupir ; fils de saint Louis, je saurai, à son exemple, me respecter jusque dans les fers ; successeur de François Ier, je veux du moins pouvoir dire comme lui : Tout est perdu, fors l’honneur. »

Louis XVIII protesta contre l’empire comme il avait protesté contre la constitution de 1791 :

« En prenant, – dit-il dans un Manifeste publié à cette occasion, – en prenant le titre d’empereur, en voulant le rendre héréditaire dans sa famille, Bonaparte vient de mettre le sceau à son usurpation. Ce nouvel acte d’une révolution où tout, dès l’origine, a été nul, ne peut donc infirmer mes droits ; mais comptable de ma conduite à tous les souverains, dont les droits ne sont pas moins lésés que les miens, et dont les trônes sont ébranlés par les principes dangereux que le Sénat de Paris a osé mettre en avant ; comptable à la France, à ma famille, à mon propre honneur, je croirais trahir la cause commune en gardant le silence en cette occasion. Je déclare donc, en présence de tous les souverains, que loin de reconnaître le titre impérial que Bonaparte vient de se faire déférer par un corps qui n’a pas même d’existence légale, je proteste et contre ce titre et contre tous les actes subséquents auxquels il pourrait donner lieu. »

Enfin, dans une lettre adressée postérieurement au roi d’Espagne Charles IV, il se rendait à lui-même ce noble témoignage qui sera ratifié par l’histoire :

« ..... Dans le siècle présent, il est plus heureux de mériter un sceptre que de le porter. La Providence, par des motifs incompréhensibles, peut me condamner à finir mes jours en exil ; mais ni la postérité ni mes contemporains ne pourront dire que dans le temps de l’adversité je me suis montré indigne d’occuper, jusqu’au dernier soupir, le trône de mes ancêtres. »

On voit, par les citations qui précèdent, et en se plaçant dans l’ordre du principe d’hérédité monarchique, que Louis XVIII, quand il rentra en France, était fondé à prétendre qu’il régnait, sinon de fait, du moins de droit, depuis la mort de Louis XVII, son prédécesseur légitime, et qu’il n’y avait rien de ridicule de sa part à dater le premier acte de son gouvernement de l’an dix-neuvième de son règne. C’est ainsi au surplus qu’en jugeait, en décembre 1814, un homme qui devint par la suite un des coryphées du Libéralisme, et dont le Libéralisme ne saurait par conséquent décliner l’autorité ; voici, en effet, comment s’exprimait M. Bignon dans un écrit intitulé Exposé comparatif :

« Fille du temps, la Légitimité ne s’établit véritablement que par la durée. D’après ce principe, si Napoléon a été pendant son règne l’administrateur, le régent légal de la France, il n’en était pas encore le souverain légitime ; le souverain légitime en était toujours un Bourbon, et c’est d’après ce principe que Louis XVIII place, avec raison, la date du commencement de son règne au jour où lui échurent ses droits héréditaires. Mais, d’un autre côté, le peuple français était soumis, durant cet intervalle, à un pouvoir régulièrement institué, n’était point en rébellion à l’égard de son Roi. Le Roi était un père absent dont la famille avait choisi un autre chef pour la conduire. À son retour, le père de famille regarde comme fait par lui-même ce qui s’est fait sous les ordres de celui qui avait momentanément saisi ses attributions. »

Ce n’est pas notre faute si le Libéralisme nous fournit, par ses contradictions, des armes contre lui-même, et si nous n’avons besoin, pour le réfuter, que de lui rétorquer ses propres assertions.

 

 

 

V.

 

 

Enfin, le quatrième grief du Libéralisme vient de ce que les Bourbons ne conservèrent pas le drapeau tricolore.

Rétablissons d’abord une vérité toute matérielle, en rappelant que les Bourbons n’eurent pas la peine de répudier le drapeau tricolore par l’excellente raison qu’ils trouvèrent la chose déjà faite par la nation elle-même. Les contemporains peuvent attester, en effet, que l’effacement sur les monuments publics des insignes et des chiffres de l’Empire, et le remplacement de l’aigle impériale par l’écusson aux fleurs-de-lys, sont deux faits parallèles, antérieurs à la proclamation de Louis XVIII comme Roi de France, et dont la responsabilité devant l’histoire revient exclusivement à l’initiative du peuple 9. Cette initiative prise par le peuple reçut, d’un autre côté, une sanction légale par un décret du gouvernement provisoire, en date du 13 avril, aux termes duquel le drapeau blanc et la cocarde blanche furent déclarés le drapeau et la cocarde de la nation. Les Bourbons n’ont donc à répondre ni de la répudiation du drapeau tricolore, ni de son remplacement par le drapeau blanc : cette répudiation, ce remplacement, c’est le gouvernement provisoire et la nation même qui en sont coupables, si coupables il y a.

Les choses étant ainsi, le reproche du Libéralisme, pour conserver au moins un sens, retomberait donc sur ce fait que les Bourbons ne répudièrent pas le drapeau blanc pour reprendre le drapeau tricolore. Cela est une autre question, et a du moins le mérite d’enrichir la discussion d’un point de vue tout nouveau. Malheureusement, il ne peut entrer dans aucun esprit sérieux de poser seulement la question de savoir si les Bourbons pouvaient abjurer le drapeau sur lequel sont écrits les noms de Philippe-Auguste, de saint Louis, de Duguesclin, de Bavard et de Henri IV, pour adopter celui que la Révolution avait inauguré dans le sang, et qui n’avait traversé quinze ans de gloire que pour amener l’occupation du sol national par des ennemis victorieux. Ne fût-ce que comme français, leur préférence n’était-elle pas nécessairement acquise au drapeau dans les plis duquel flottaient, pour ainsi dire, huit siècles de gloire ; au drapeau qui, dans la main de Jeanne d’Arc, avait déjà chassé les Anglais du sol de la France, et qui venait pour la seconde fois de délivrer ce même sol de la présence de l’étranger ? Quel est, nous le demandons, quel est le Français qui oserait leur imputer à crime une préférence dont la France d’ailleurs leur avait elle-même donné, en quelque sorte, l’exemple ?

 

 

 

VI.

 

 

Nous croyons avoir démontré que les Bourbons ne pouvaient, sans renier leur sang et le principe même de la Légitimité, accepter comme un don de la Révolution une couronne qu’ils tenaient de leurs aïeux ; troquer cette couronne contre le bonnet rouge en changeant le titre de Roi de France, porté dans leur famille depuis huit siècles, contre celui de Roi des Français inauguré par la constitution républicaine de 91 ; signer la déchéance de l’hérédité royale, en reconnaissant l’existence des divers gouvernements qui s’étaient succédé en France depuis la mort de Louis XVI ; enfin, abjurer huit siècles de notre existence nationale en répudiant le vieux drapeau de la France, pour en adopter un qui ne datait que de la République, et sur lequel le plus grand capitaine des temps modernes n’avait pu réussir, même à force de victoires, à laver les taches de sang que la Révolution y avait imprimées !

 

 

 

 

 

 

XI

 

 

 

DE L’ANCIENNE CONSTITUTION FRANÇAISE.

 

 

I.

 

 

Il y a un mot qui, dans notre dernier chapitre, s’est reproduit plusieurs fois sous notre plume : c’est celui d’ancienne Constitution française. Or, il s’est rencontré un parti qui a pu sérieusement contester l’existence historique de cette Constitution, et soutenir par conséquent que, pendant quatorze cents ans, la France avait vécu dans des conditions précaires et provisoires, sans principes, sans institutions, c’est-à-dire dans un état purement sauvage, et que ce n’est que depuis 1789 qu’elle est constituée en corps de nation.

Certes, le simple bon sens se refuse à admettre qu’un peuple ait pu fournir une carrière de quatorze siècles, en développant progressivement ses lois, ses libertés, son administration, ses arts, son industrie, sans avoir un droit public qui fût l’expression exacte de son caractère, de son esprit, de sa raison nationale, et qui s’adaptât de la manière la plus heureuse à ses traditions, à ses mœurs, à ses idées et à ses intérêts. Cependant, et comme nous venons de le dire, une pareille assertion a pu être sérieusement émise ; nous avons donc le devoir de nous en occuper, ne fût-ce que pour constater à la charge de la Révolution un outrage de plus contre cette vieille France de Clovis et de saint Louis, créée littéralement par la royauté et le catholicisme, et dont la constitution naturelle combinait si heureusement les conditions d’un progrès incessant avec les garanties de stabilité qu’offre l’hérédité du pouvoir monarchique, c’est-à-dire la légitimité royale.

 

 

 

II.

 

 

Avant d’exposer les éléments de l’ancienne Constitution française, nous croyons devoir établir sommairement, par des témoignages qui seront, nous n’en doutons pas, acceptés : premièrement, l’existence d’une France historique antérieure à 1780 ; deuxièmement, l’existence d’une Constitution nationale antérieure aussi à cette date ; enfin, l’excellence de cette même Constitution.

« Je ne sais, – a écrit M. Philarète Chasles, – si l’avenir et l’histoire accepteront définitivement cette condamnation complète du passé, cette France ancienne rayée de la liste des peuples civilisés... Si l’on se transporte par la pensée au-delà de ce siècle orageux et troublé où nous sommes, on reconnaîtra qu’il est plus juste, plus vrai et plus français de ne pas rompre, comme nos pères ont voulu le faire, la chaîne qui nous rattache à nos aïeux. La malédiction jetée sur la France ancienne est a retombée sur la France nouvelle : on ne maudit pas sa mère impunément.

« Les fils de la Révolution ne doivent pas abdiquer la France. Ils s’honoreront, je le pense, en ne répudiant pas ces chevaliers si fiers, ces gentilshommes si braves, ces bourgeois si vraiment libres 10, ces parlementaires si indépendants, ces Fabert, ces Vauban, ces Pithou, ces Molé, ces Turenne, qui n’ont pas mérité l’exhérédation nationale. Rejeter la vieille enveloppe dont la société s’est dépouillée, à la bonne heure ; mais se détacher de tout son passé, c’est se suicider comme nation. Si nos pères avaient pu, s’ils avaient su placer leur justice au-dessus de leur colère, et maintenir dans sa splendeur la généalogie des vertus françaises et le vaste blason de nos actes héroïques, la chaîne de l’histoire ne serait point brisée ; les enfants de 1789 se reconnaîtraient hautement les enfants des grands siècles de la France ; les abus auraient disparu, et l’on n’aurait pas vu ce terrible résultat : le Chaos dans le vide ! »

Il nous semble que, pour appartenir à l’école libérale, l’écrivain que nous venons de citer n’en est pas un admirateur moins profond de l’ancienne France, et qu’une aussi brillante plaidoirie ne laisse plus rien à dire en faveur de notre passé historique.

Mais s’il a en effet existé une France avant 1789, cette France du moins avait-elle une Constitution ?

Nous allons encore citer un écrivain libéral : dans certaines causes, on ne saurait choisir de meilleur avocat que dans les rangs mêmes de ses adversaires.

M. Benjamin-Constant, chargé en 1814 de rédiger le manifeste du Libéralisme, et de formuler un plan de constitution d’après le système de la monarchie anglaise, en était réduit, ne pouvant nier crûment l’existence de l’ancienne constitution française, à se réfugier dans cette étrange assertion, savoir : que cette constitution était profondément oubliée, et que ce qu’on avait de mieux à faire était de la laisser dans cet oubli. Voici avec quelle adroite mais pitoyable mauvaise foi le rhéteur anglais posait et résolvait tout ensemble la question :

« .... Mais n’existait-il pas autrefois en France une constitution, maintenant oubliée, qui possédait tous les avantages, et ne suffirait-il pas de la rétablir ? – Ceux qui l’affirment, tombent dans une singulière méprise. Ils partent d’un principe vrai, c’est que les souvenirs, les habitudes, les traditions des peuples, doivent servir de base à leurs institutions ; mais, de leur aveu, on a oublié l’ancienne constitution de la France, et non-seulement ils en conviennent, mais ils en fournissent la preuve, car ils sont réduits à s’épuiser en raisonnements pour démontrer qu’elle a existé. N’est-il pas manifeste qu’une constitution oubliée n’a pas laissé de souvenirs et n’a pas fondé d’habitudes ? Rien ne serait plus respectable et plus nécessaire à ménager qu’une vieille constitution dont on se serait toujours souvenu et que le temps aurait graduellement perfectionnée. Mais une constitution oubliée tellement qu’il faut des recherches pour découvrir et des arguments pour prouver son existence, une constitution qui est le sujet du dissentiment des publicistes et des disputes des antiquaires, n’est qu’un objet d’érudition qui aurait dans l’application pratique tous les inconvénients de la réalité. »

On voit que cet écrivain ne va pas jusqu’à nier l’existence de l’ancienne constitution française, qu’il se borne à prétendre qu’elle est tombée dans le plus profond oubli, et que l’argumentation à laquelle il a recours, pour établir ce dernier point, se réduit, soit à des affirmations sans preuves, soit à des assertions toutes personnelles qu’il présente gratuitement comme des aveux échappés à ses adversaires.

Renvoyer aux antiquaires l’ancienne constitution française comme un pur objet d’érudition, cela pouvait être plus ou moins piquant sous une plume libérale, mais cela n’était nullement sérieux : est-ce que les Cahiers de 89 n’avaient pas expressément demandé le maintien de la constitution monarchique et nationale ?

Le dépouillement solennel de ces Cahiers dans lesquels la France avait elle-même déposé l’expression de sa volonté, attesta, en effet, l’existence d’une constitution française qui plaçait le principe de l’unité nationale dans un pouvoir monarchique et héréditaire, et la représentation des intérêts généraux dans des assemblées élues et périodiques.

Enfin quand, après la mort de Louis XVII, Louis XVIII prit solennellement possession de ses droits héréditaires, on se rappelle que ce prince invoqua expressément la Constitution française, et qu’il en retraça les lignes fondamentales dans une Déclaration qui restera comme un éloquent et précieux témoignage de la fidélité des princes de la maison de Bourbon aux lois antiques de l’État.

Voici cette Déclaration, dont nous ne saurions trop recommander la méditation aux adversaires de la légitimité :

« Il faut rétablir, – disait le petit-fils de Henri IV, – il faut rétablir ce gouvernement qui fut pendant quatorze siècles la gloire de la France, qui avait fait de notre patrie le plus florissant des États, et de vous-mêmes le plus heureux des peuples. Nous voulons vous le rendre. Tant de révolutions qui vous déchirent depuis qu’il est renversé, ne vous ont-elles pas convaincus qu’il est le seul qui vous convienne ?

« Eh ! ne croyez pas ces hommes avides et ambitieux qui, pour envahir à la fois vos fortunes et la toute-puissance, vous ont dit que la France n’avait pas de Constitution, ou que sa Constitution du moins vous livrait au despotisme. Elle existe aussi ancienne que la monarchie des Francs ; elle est le fruit du génie, le chef-d’œuvre de la sagesse et le résultat de l’expérience.

« Elle laisse l’entrée de tous les emplois ouverte à tous les Français ; elle accorde également la protection publique à toutes les personnes et à tous les biens. C’est ainsi qu’elle fait disparaître aux yeux des lois et dans le temple de la justice toutes les inégalités que l’ordre civil introduit nécessairement dans le rang et dans la fortune des habitants d’un même empire.

« Voilà de grands avantages ; en voici de plus précieux encore : elle soumet les lois à des formes qu’elle a consacrées, et le souverain lui-même à l’observation des lois, afin de prémunir la sagesse du législateur contre les pièges de la séduction, et défendre la liberté des sujets contre l’abus de l’autorité. Elle prescrit des conditions à l’établissement des impôts, afin d’assurer que les tributs qu’il paie sont nécessaires au salut de l’État. Elle met les lois fondamentales sous la sauvegarde des États-Généraux, afin de prévenir les révolutions, la plus grande des calamités qui puisse affliger les peuples. Elle a multiplié les précautions pour vous faire jouir des avantages d’un gouvernement monarchique et vous garantir de ses dangers. Vos malheurs inouïs, autant que l’antiquité, ne rendent-ils pas témoignage de sa sagesse ? Vos pères éprouvèrent-ils jamais les fléaux qui vous ravagent depuis que des novateurs ignorants et pervers l’ont détruite ? Elle était l’appui commun de la cabane du pauvre et du palais des riches, de la liberté individuelle et de la sûreté publique, des droits du trône et de la sûreté de l’État. Aussitôt qu’elle a été renversée, propriété, sûreté, liberté, tout a disparu avec elle. Vos biens sont devenus la pâture des brigands : l’instant où le trône est devenu la proie des usurpateurs, la servitude et la tyrannie vous ont opprimés, dès que l’autorité royale a cessé de vous couvrir de son égide.

« Cette antique et sage Constitution dont la chute a entraîné votre perte, nous venons lui rendre toute sa pureté que le temps avait corrompue, toute sa vigueur que le temps avait affaiblie. Mais elle nous a mis elle-même dans l’heureuse impuissance de la changer ; elle est pour nous telle que l’arche sainte, il nous est défendu d’y porter une main téméraire ; votre bonheur et notre gloire, le vœu des vrais Français, et les lumières que nous avons puisées à l’école de l’infortune, tout nous fait mieux sentir la nécessité de la rétablir intacte. C’est parce que la France nous est chère que nous voulons la remettre sous la protection bienfaisante d’un gouvernement éprouvé par une longue suite de siècles. C’est parce que c’est de notre devoir d’étouffer cet esprit, cette manie de nouveautés qui nous a perdus, que nous voulons renouveler et raffermir des lois salutaires qui, seules, sont capables de rallier tous les esprits, de fixer toutes les opinions, et d’opposer une digue insurmontable à la fureur révolutionnaire que tout projet de changement dans la constitution de notre royaume déchaînerait encore.

« Mais tandis que la main du temps imprime le sceau de la sagesse aux institutions humaines, les passions s’étudient à les dégrader et à mettre leur ouvrage, ou à côté des lois pour les affaiblir, ou à la place des lois pour les rendre vaines. Toujours les abus marchent à la suite de la gloire et de la prospérité. Toujours une prospérité constante, une gloire soutenue, leur facilitent l’entrée des empires, en les dérobant à l’attention de ceux qui les gouvernent. Il s’en est introduit dans le gouvernement de la France, et longtemps ils ont pesé non-seulement sur la classe du peuple, mais sur tous les ordres de l’État. Le feu Roi notre frère les avait aperçus, il voulut les détruire ; il mourut en chargeant son successeur d’exécuter les projets qu’il avait conçus dans sa sagesse pour le bonheur de ce peuple égaré qui le laissait périr.

« Ce que Louis XVI n’a pu faire, nous l’accomplirons. »

Non-seulement il y a, comme on vient de le voir, une ancienne Constitution nationale qui a fait la grandeur de la France, mais cette même Constitution était ou même est encore l’objet de l’admiration de tous les grands esprits.

Un habile politique qui était en même temps un républicain ardent, Machiavel, lui a rendu ce beau témoignage :

« Le royaume de France est heureux et tranquille, parce que le Roi est soumis à une infinité de lois qui font la sûreté des peuples. Celui qui constitua ce gouvernement 11 voulut que les Rois disposassent à leur gré des armées et des trésors ; mais pour tout le reste, il les soumit à l’empire des lois. »

M. de Maistre écrivait en 1797 :

« Si un homme de bonne foi, n’ayant pour lui que le bon sens et la droiture, demande ce que c’était que l’ancienne Constitution française, on peut lui répondre hardiment : C’est ce que vous sentiez lorsque vous étiez en France ; c’est ce mélange de liberté et d’autorité, de lois et d’opinions, qui faisait bientôt  reconnaître à l’étranger voyageant en France, qu’il vivait sous un tout autre gouvernement que le sien. – Mais si l’on veut approfondir la question, on trouvera dans les monuments du droit public français des caractères et des lois qui élèvent la France au-dessus de toutes les monarchies connues. – C’était la mode en France (car tout est de mode dans ce pays) de dire qu’on y était esclave ; mais pourquoi donc trouvait-on, dans la langue française, le mot de citoyen avant même que la Révolution s’en fut emparée, mot qui ne peut être traduit dans les autres langues ? Racine, le fils, adressait ce beau vers au Roi de France, au nom de la ville de Paris :

 

          « Sous un Roi citoyen, tout citoyen est Roi. »

 

« Pour louer le patriotisme d’un Français, on disait : C’est un grand citoyen. On essaierait vainement de faire passer cette expression dans les autres langues. Gross burger en allemand, gran citadino en italien, ne seraient pas tolérables. »

Il est à remarquer, en effet, que le mot citoyen est aussi ancien que la monarchie française.

« .... Eh ! pourquoi, – s’écriait notre immortel Chateaubriand dans ses Réflexions politiques, – pourquoi n’aurions-nous pas eu de Constitution ? Parce qu’elle n’était pas écrite ! La Constitution de Rome et celle d’Athènes l’étaient-elles ? Serait-il même exactement vrai de dire que celle dont l’Angleterre jouit actuellement est une Constitution écrite ? Certes, il serait fort extraordinaire que la France eût existé comme nation pendant douze cents ans sans gouvernement et sans lois. L’ancienne Constitution de la monarchie était excellente... Machiavel, qui s’y connaissait, en fait l’éloge. Rien n’était plus parfait que la balance des trois ordres de l’État, tant que cette balance ne fut point rompue. Rien de plus admirable et de plus complet que les ordonnances des Rois de France : là se trouvent consacrés tous les principes de nos libertés. Il n’y a peut-être pas un seul cas d’oppression qui n’y soit prévu, et auquel nos monarques n’aient essayé d’apporter remède. Il est bien remarquable que les anciens troubles de la France aient eu pour cause des guerres étrangères et des opinions religieuses, et que jamais ces troubles n’aient été produits par l’ordre politique. – Les hommes, dans l’ancienne France, étaient classés, moins par les divisions politiques que par la nature de leurs devoirs.... On ne saurait croire combien cette division dans l’ordre des devoirs était favorable ; à quels sacrifices elle condamnait le prêtre ; à quelle générosité, à quelle délicatesse dans les sentiments elle forçait les gentilshommes ; tandis qu’elle entretenait, dans la classe la plus nombreuse, la fidélité, la probité, le respect des lois et des mœurs. C’est ce qui a fait, nous n’en doutons point, la longue existence de l’ancienne monarchie.... »

Enfin, nous trouvons, dans l’Essai sur l’indifférence, ce magnifique éloge de notre ancienne Constitution nationale :

« Il existait, il y a trente ans, une nation gouvernée par une race antique de Rois, d’après une Constitution la plus parfaite qui fût jamais, et selon des lois qu’on aurait pu croire, à plus juste titre que celles des anciens Romains, descendues du ciel, tant elles étaient sages, pures, bienfaisantes et favorables à l’humanité. Cette nation, célèbre par sa franchise, sa douceur et ses lumières, par son amour pour ses souverains, et par la religion à qui elle devait quatorze siècles de gloire et de bonheur, florissait en paix au milieu de l’Europe dont elle excitait l’envie et dont elle faisait l’ornement par la beauté de sa législation, par la noble politesse de ses mœurs et par ses éclatants chefs-d’œuvre de tout genre. Heureuse au-dedans, respectée au-dehors, sa renommée partout répandue lui attirait les hommages des plus lointaines contrées, et l’univers admirait en elle la reine de la civilisation. »

Ainsi, il y avait une France avant 89 ; cette France avait une Constitution, et cette Constitution se recommandait par son excellence, par sa perfection relative, à l’admiration de tous les peuples. Ces trois points acquis à notre thèse, il nous reste à dire en peu de mots ce qu’était cette vieille Constitution française qui fit de notre nation le premier royaume de l’Europe, et qui nous a mis à la tête de la civilisation du monde.

 

 

 

III.

 

 

La Constitution française n’était l’œuvre arbitraire ni d’une génération, ni d’une assemblée ; c’était l’œuvre de la nature et du temps, représentés par les intérêts permanents du pays, tels qu’ils résultaient de son tempérament, de ses mœurs et de son génie, et par l’action incessante de la nation sur elle-même, c’est-à-dire par le travail progressif des générations qui se succédaient : elle se résumait en deux principes fondamentaux, qui sont la royauté héréditaire et la liberté politique ; et la coexistence de ces deux principes, distincts sans être séparés, également indépendants dans la sphère respective de leurs attributions, constituait ce beau système de gouvernement que Tacite admirait dans les forêts de la Germanie, que les Francs nos ancêtres apportèrent dans les Gaules, et qu’on nomme monarchie représentative.

La France était, en effet, une monarchie représentative : c’est dire qu’elle alliait dans son gouvernement toutes les garanties de stabilité avec toutes les conditions d’un progrès régulier.

Est-ce à dire toutefois que, pendant les quatorze cents qui s’écoulèrent entre les fonts baptismaux de Clovis et l’échafaud de Louis XVI, cette constitution naturelle n’ait subi aucune altération, que les deux principes constitutifs de la société française ne soient point entrés en lutte l’un contre l’autre, et qu’ils n’aient point été plus ou moins entamés par les efforts divers des partis ? S’il est vrai de dire que le principe de l’hérédité royale ne fut jamais contesté en lui-même, et que la royauté fut constamment acceptée par la nation comme personnifiant la souveraineté de droit et comme résumant héréditairement en elle la justice et la vérité sociales, ce serait, d’un autre côté, mentir à l’histoire que d’invoquer le même fait d’inviolabilité en faveur du principe de la représentation, de la liberté et du droit commun : sans doute le pouvoir royal ne fut jamais affranchi entièrement du contrôle des assemblées nationales, puisque, historiquement, ces assemblées ne cessèrent point de subsister sous les noms divers et successifs de Champs-de-Mars, de Champs-de-Mai, d’États-Généraux, de Parlements et d’États-Provinciaux ; mais il faut bien reconnaître que deux grands faits, la féodalité et le protestantisme, amenèrent tour-à-tour une longue suspension de la liberté politique, la première en absorbant tout ensemble les droits de la nation et ceux de la royauté, le second en provoquant le pouvoir royal à se retrancher dans l’absolutisme, au nom du salut social, pour combattre le principe de révolte introduit dans la société sous le nom de souveraineté du peuple, et qui avait été hautement arboré par la coalition de l’usurpation féodale et de l’usurpation parlementaire. C’est sur les débris de cette double usurpation, abattue par la hache de Richelieu, que Louis XIV put s’élever et dire : L’État, c’est moi !

Certes, l’unité nationale ne pouvait se personnifier d’une manière plus glorieuse que dans le grand Roi ; mais si cette orgueilleuse substitution de l’absolutisme royal à la constitution nationale eut pour résultat d’exclure temporairement des faits le principe de la représentation générale, ce principe ne cessa point pour cela de subsister dans les esprits et dans la raison nationale ; et les États-Généraux, convoqués enfin en 1789 sur la réclamation de tous les intérêts légitimes de la société, furent pour le pays une solennelle occasion de reconnaître et de proclamer hautement, dans les Cahiers remis à ses députés, les principes fondamentaux de la constitution française.

Or, il résulte du dépouillement de ces Cahiers que ces principes constitutifs se résumaient dans l’hérédité royale, telle qu’elle est définie et consacrée par la loi Salique, et dans la liberté politique, c’est-à dire la représentation des intérêts généraux, garantie par le vote de l’impôt.

Légitimité royale et légitimité nationale : telle était donc, réduite à sa plus simple formule, toute l’ancienne constitution française.

En France, l’unité politique reposait dans ces deux légitimités, et c’est leur accord qui constituait la souveraineté nationale.

 

 

 

IV.

 

 

Nier, et c’est ce qu’a fait le Libéralisme, nier l’existence historique d’une constitution qui a présidé pendant quatorze siècles au développement de la société française, c’est plus que nier l’existence du soleil, mais c’est surtout outrager son pays dans ce qu’il a de plus intime, c’est-à-dire dans ses traditions, dans sa gloire, dans son génie national : que le Libéralisme porte donc devant la France la peine de cet outrage à la mère-patrie !

 

 

 

 

 

 

XII

 

 

 

PROCÈS DU MARÉCHAL NEY.

 

 

I.

 

 

Une nouvelle invasion de la patrie par les armées étrangères ; la France placée sous le coup d’un démembrement auquel elle n’a échappé que par la patriotique fermeté de son Roi légitime, qui déclara hautement que, plutôt que de signer le déshonneur de sa couronne, il était résolu à en appeler au sentiment et à l’orgueil national, et à défendre par les armes l’indépendance du pays ; grâce à cette fière et énergique protestation, les exigences du vainqueur réduites à la cession, encore trop humiliante, de Landau, de Sarrelouis, de Philippeville, de Marienbourg et de Versoix, et à l’abandon en faveur de la Savoie du territoire dont le premier traité de Paris nous avait laissé la possession ; la démolition des fortifications d’Huningue ; l’occupation par les alliés de seize de nos forteresses ; la présence d’une armée combinée d’occupation de 150 mille hommes pendant cinq ans ; une contribution de guerre de deux milliards ; enfin, une liquidation dont le chiffre était à l’arbitrage des puissances alliées : telles furent les conséquences de l’évènement du 20 mars, c’est-à-dire de la chute du Roi légitime, et de la condamnation des Bourbons à un deuxième exil.

Si tels furent les maux qui découlèrent pour la France de ce que l’histoire a nommé la Conspiration du 20 mars, comment tous les faits qui se rattachent à cet évènement ne constitueraient-ils pas, devant la conscience universelle, le crime de double trahison envers le gouvernement de la Légitimité et envers la France ? Or, d’un autre côté, s’il est incontestablement vrai que la colère publique ait énergiquement réclamé la punition des coupables, et que la justice ait régulièrement prononcé sur le sort de ces derniers, quelle récrimination l’histoire pourrait-elle donc élever contre la Restauration ?

Rappelons les faits.

 

 

 

II.

 

 

Le maréchal Ney fut-il coupable ?

Quelques jours après la nouvelle du débarquement de Bonaparte, le maréchal Ney, nommé par le Roi gouverneur de la Franche-Comté, reçut l’ordre de se mettre immédiatement en route pour cette province, afin de prendre le commandement des troupes qui s’y trouvaient réunies. Accouru aux Tuileries pour recevoir les derniers ordres de Louis XVIII :

« Sire, – lui dit-il en lui baisant avec transport la main que lui tendait le vieux monarque, – Napoléon paiera cher son audace : je veux vous l’amener, pieds et poings liés, dans une cage de fer. »

« Partez, – lui répondit le Roi ; – je compte sur votre dévouement et votre fidélité. »

Le 13 mars, le même maréchal adressait à son corps d’armée la proclamation suivante :

 

        « Officiers, sous-officiers et soldats,

« La cause des Bourbons est à jamais perdue. La dynastie que la nation française a adoptée va remonter sur le trône : c’est à l’empereur Napoléon, notre souverain, qu’il appartient seul de régner sur notre beau pays. Que la noblesse des Bourbons prenne le parti de s’expatrier encore ou quelle consente à vivre au milieu de nous, que nous importe ? La cause sacrée de la liberté et de notre indépendance ne souffrira plus de leur funeste influence. Ils ont voulu avilir notre gloire militaire, mais ils se sont trompés : cette gloire est le fruit de trop nobles travaux pour que nous puissions jamais en perdre le souvenir ! Soldats ! les temps ne sont plus où l’on gouvernait les peuples en étouffant leurs droits. La liberté triomphe enfin, et Napoléon, notre auguste Empereur, va l’affermir à jamais. Que désormais cette cause si belle soit la nôtre et celle de tous les Français ; que tous les braves que j’ai l’honneur de commander se pénètrent de cette grande vérité.

« Soldats ! je vous ai souvent menés à la victoire ; maintenant je vais vous conduire à cette phalange immortelle que l’empereur Napoléon conduit à Paris, et qui y sera sous peu de jours ; et là, notre espérance et notre bonheur seront à jamais réalisés. Vive l’Empereur ! »

 

Après Waterloo, Bonaparte, sans doute pour récompenser son ancien lieutenant de lui avoir sacrifié son honneur en tournant contre la légitimité l’épée qu’il avait juré de consacrer à sa défense, Bonaparte l’accusa d’avoir causé les désastres de l’armée et d’avoir trahi la patrie. Le maréchal Ney eut le courage de déclarer à la tribune de la Chambre des pairs que son zèle avait pu l’égarer, il est vrai, mais que s’il avait causé les désastres de l’armée et trahi la patrie, ce n’était pas du moins en marchant contre l’ennemi à la tête de ses soldats, et en ne quittant le champ de bataille que longtemps après Napoléon lui-même.

Dans le premier interrogatoire qu’il subit après son arrestation, il répondit à M. Decazes :

« Je suis trop coupable pour marchander ma vie avec le Roi ; il fera de moi ce qu’il voudra. »

Enfin, devant la Chambre des pairs, il laissa éclater sa conscience avec une énergie qui fit frissonner toute la salle, en adressant ces paroles au général Bourmont qui avait un commandement sous lui à Lons-le-Saulnier :

« Vous aviez un grand commandement, vous pouviez me faire arrêter... vous auriez bien fait. Oui, si vous m’aviez tué, vous m’auriez rendu un grand service, et peut-être était-ce votre devoir ! »

La question de la culpabilité du maréchal Ney nous semble résolue affirmativement, et par le rapprochement des deux faits que nous avons cités, et par les propres aveux échappés à sa conscience 12.

 

 

 

III.

 

 

Quand les Bourbons rentrèrent pour la seconde fois en France, ne s’engagèrent-ils pas à couvrir d’un pardon général tous les faits qui avaient préparé le retour de Napoléon et qui s’étaient accomplis pendant les Cent-Jours ?

Il existe deux Déclarations royales, antérieures à la seconde Restauration, et datées successivement du Cateau-Cambrésis et de Cambrai.

Voici la première :

« Dès l’époque, – disait le Roi, – où la plus criminelle des entreprises, secondée par la plus inconcevable défection, nous a contraint de quitter momentanément notre royaume, nous vous avons avertis des dangers qui vous menaçaient si vous ne vous hâtiez de secouer le joug du tyran usurpateur.

« Nous n’avons pas voulu unir nos bras ni ceux de notre famille aux instruments dont la Providence s’est servi pour punir la trahison. Mais aujourd’hui que les puissants efforts de nos alliés ont dissipé les satellites du tyran, nous nous hâtons de rentrer dans nos États pour y rétablir la constitution que nous avons donnée à la France, réparer par tous les moyens qui sont en notre pouvoir les maux de la révolte et de la guerre qui en a été la suite nécessaire ; récompenser les bons, mettre à exécution les lois existantes contre les coupables ; enfin pour rappeler autour de notre trône paternel l’immense majorité des Français, dont la fidélité, le courage et le dévouement ont porté de si douces consolations dans notre cœur. »

Voici quelques passages de la seconde :

« Les portes de mon royaume s’ouvrent devant moi. J’accours pour me placer une seconde fois entre les Français et les armées alliées, dans l’espoir que les égards dont je peux être l’objet tourneront au salut de mon peuple.... Dans ce dernier temps, les Français de toutes les classes m’ont donné des preuves égales d’amour et de fidélité ; je veux qu’ils sachent combien j’y ai été sensible, et que c’est parmi tous les Français que j’aimerai à choisir ceux qui doivent approcher de ma personne et de ma famille.

« Je ne veux exclure de ma présence que ces hommes dont la renommée est un sujet de douleur pour la France et d’effroi pour l’Europe. Dans la trame qu’ils ont ourdie, j’aperçois beaucoup de mes sujets égarés et quelques coupables.

« Je promets, moi qui n’ai jamais promis en vain, – l’Europe entière le sait, – de pardonner aux Français égarés tout ce qui s’est passé depuis le jour où j’ai quitté Lille au milieu de tant de larmes jusqu’au jour où je suis entré à Cambrai au milieu de tant d’acclamations.

« Mais le sang de mes enfants a coulé par une trahison dont les annales du monde n’offrent pas d’exemple. Cette trahison a appelé l’étranger au cœur de la France. Chaque jour me révèle un désastre nouveau. Je dois donc, pour la dignité de mon trône, pour l’intérêt de mes peuples, pour le repos de l’Europe, exempter du pardon les instigateurs et les auteurs de cette trame horrible. Ils seront désignés à la vengeance des lois par les deux Chambres que je me propose de rassembler incessamment.

« Français ! tels sont les sentiments que rapporte au milieu de vous celui que le temps n’a pu changer, que le malheur n’a pu fatiguer, que l’injustice n’a pu abattre.

« Le Roi, dont les pères règnent depuis des siècles sur les vôtres, revient pour consacrer ses jours à vous défendre et à vous consoler. »

Ainsi, en fait d’engagements, le gouvernement des Bourbons en avait pris un seul : c’était précisément celui de mettre à exécution les lois existantes contre les hommes dont la trahison avait appelé l’étranger au cœur de la France !

 

 

 

IV.

 

 

Quant à l’opinion publique, il est si vrai qu’elle était implacablement prononcée contre le maréchal Ney, que Benjamin-Constant, qui écrivit à cette époque à M. Decazes une série de lettres destinées à invoquer l’amnistie pour tous les coupables, n’osait pas étendre le bénéfice de cette amnistie jusqu’au plus illustre d’entre eux, c’est-à-dire jusqu’au héros de la Bérézina, et se bornait à appeler l’indulgence des conseils du Roi sur la tête de Labédoyère dont il alléguait « l’emportement, la non-préméditation, la franchise, la jeunesse ». Sans doute quand Benjamin-Constant écrivait ces lettres, Ney n’était pas encore arrêté, et l’écrivain libéral pouvait croire par conséquent ne concéder qu’un nom, et non pas un homme, à la justice ; quoi qu’il en soit, elles n’en traduisaient pas moins fidèlement l’état de l’opinion publique, et, à ce titre, elles restent irrévocablement acquises à l’histoire.

En voici un court extrait :

« M. de Labédoyère est très coupable ; mais il a été rendu tel par le parti qui depuis quinze mois déjoue toutes les intentions du Roi et tient notre pays dans un état de crise continuelle... Quand le Roi est revenu l’année dernière, tous les cœurs étaient à lui... J’affirme que cette sévérité n’est pas le moyen de salut que les circonstances demandent ; que si l’on veut être sévère, il ne faut frapper qu’une seule tête, et que M. de Labédoyère, quelque coupable qu’il soit, n’est pas la tête qu’il faut frapper, si l’on en veut une. Je ne me pardonnerais jamais, à moi qui n’ai pas cette fatale mission, de désigner une victime, et je sens que je ne puis tracer les mots qui l’indiqueraient. Mais M. de Labédoyère peut alléguer l’emportement, la non-préméditation, la franchise, la jeunesse... Je m’arrête, car ma main tremble en pensant que cette insinuation est déjà trop claire, et que je ne dois pas, en plaidant pour la vie de l’un, recommander la mort de l’autre. »

Benjamin-Constant ne nommait pas en effet la victime dont le nom était dans sa pensée comme dans celle de tous, mais il la désignait assez clairement pour que personne ne s’y méprît.

 

 

 

V.

 

 

L’invocation d’un légitime châtiment sur la tête des hommes à qui la France devait les désastres d’une seconde invasion, avait trouvé un écho jusque dans le sein des deux Chambres.

Dans son Adresse, la Chambre des députés s’exprimait ainsi : rendu ici 174

« .... Toutefois, Sire, au milieu des vœux d’une concorde universelle, et même pour la cimenter, c’est notre devoir de solliciter votre justice contre ceux qui ont mis le trône en péril. Votre clémence a été presque sans bornes. Nous ne venons point cependant vous demander de la rétracter ; les promesses des Rois, nous le savons, doivent être sacrées ; mais nous vous supplions, au nom de ce peuple même victime des malheurs dont le poids l’accable, de faire enfin que la justice marche où la clémence s’est arrêtée. Que ceux qui, aujourd’hui encore,  encouragés par l’impunité, ne craignent pas de faire parade de leur rébellion, soient livrés à la juste sévérité des tribunaux. La Chambre concourra avec zèle à la confection des lois nécessaires à l’accomplissement de ce vœu. »

Voici ce que la Chambre des Pairs disait, de sou côté :

« Nous nous presserons tous, d’un commun accord, autour du trône devenu l’autel de la patrie ; nous y porterons sans doute des vœux d’amour, et non des idées de ressentiment ; mais nous sommes dans la parfaite confiance que Votre Majesté saura toujours concilier avec les bienfaits de sa clémence les droits de la justice ; et nous oserons solliciter humblement de son équité la rétribution nécessaire des récompenses et des peines, et l’exécution des lois existantes. »

 

 

 

VI.

 

 

Si le devoir du Roi était de punir, son désir personnel était de sauver les coupables : les deux Déclarations du Cateau et de Cambrai n’autorisent aucun doute à cet égard. En laissant aux Chambres le soin de désigner les traîtres, quel était le but secret de Louis XVIII, sinon de donner à ces derniers le temps de se soustraire à la justice dont il les menaçait, et de se mettre à couvert par une fuite momentanée, en attendant que sa clémence pût parler souverainement ? Aussi la famille royale apprit-elle avec une véritable tristesse l’arrestation du maréchal Ney, qui, muni de passeports, et ayant la possibilité de passer en Suisse, s’était obstiné à rester en France 13. Toutefois, la clémence du Roi ne désespéra pas encore de sauver le maréchal ; Louis XVIII, pensant qu’il trouverait des chances à peu près certaines d’acquittement dans les souvenirs d’une glorieuse fraternité d’armes, lui donna pour juges quatre maréchaux de France et trois lieutenants-généraux : de pareils juges, en effet, devaient plutôt le juger au poids de sa gloire qu’à la gravité de son crime ! Mais, mal conseillé, le maréchal refusa d’être jugé par d’anciens compagnons d’armes qui ne pouvaient que l’absoudre, et réclama la juridiction de la Chambre des Pairs, qui ne pouvait que le condamner.

Chose remarquable ! cette fatale récusation du conseil de guerre avait, quelque temps auparavant, rencontré un contradicteur aussi éclairé que désintéressé dans M. Bellard, qui n’était pas encore procureur-général, et qui se trouva consulté, comme jurisconsulte, dans l’intérêt du maréchal. Voici le propre récit de M. Bellard, que, malgré son étendue, nous croyons devoir mettre en entier sous les yeux de nos lecteurs :

« Ney ne fut pas seulement perfide envers son Roi, à qui il avait juré, quoique rien de pareil ne lui fut demandé, de lui amener Bonaparte dans une cage de fer ; il fut pour la France bien pis que perfide : il fut l’auteur de l’épouvantable discorde qui naquit des Cent-Jours, et qui ne fût pas née sans lui, puisqu’il ne tint qu’à lui de rejeter Bonaparte sur ses vaisseaux, discorde qui a fait plus de mal à la France que tout le règne précédent de Bonaparte. Au reste, c’est une chose assez remarquable que ce soit de moi, qui ai été condamné au malheur d’appeler sur la tête de Ney la juste vengeance des lois, qu’il ait reçu le seul conseil qui eût pu le sauver, s’il eût été assez judicieux pour l’apprécier et pour le suivre ; voici en quelle occasion : – Quand, en 1815, je revins d’Angleterre, où m’avait forcé de me réfugier le décret du 12 mars qui me proscrivait, Ney était traduit, pour désertion en présence de l’ennemi, devant un conseil de guerre. Il y proposa depuis, comme on le sait, le déclinatoire dont l’admission le renvoya devant la Chambre des pairs. Quoi qu’il en soit, la procédure était encore à son commencement. Gamon, son beau-frère, qui avait été préfet à Auxerre, et avec lequel j’avais eu quelques rapports de bienveillance, vint me trouver aussitôt mon arrivée pour me demander de défendre son frère. Je lui répondis que je ne le défendrais pas pour deux raisons, dont la première était que, révolté de sa conduite, je ne trouverais ni idées, ni expressions pour le justifier, et dont la seconde naissait de ma conviction qu’il ne pouvait se sauver ni en chicanant sa vie, ni en recourant à des moyens de Palais. – J’ai horreur, lui dis-je, de la trahison du maréchal, et à cause de sa noirceur, et à cause de ses effets ; mais j’ai pitié de voir tant de gloire périr sous une infâme condamnation. Il y a, je crois, un moyen unique de l’arracher à son destin ; je suis l’ennemi de son crime, je ne suis pas l’ennemi de sa personne. J’éprouve donc quelque douceur à vous indiquer ce moyen de salut. C’est le maréchal seul qui peut se défendre ; il ne le peut qu’en s’abandonnant. À sa  place, je paraîtrais devant le conseil de guerre, et toute ma défense consisterait dans ce peu de mots :

« – Soldats ! en comparaissant devant vous, je dois me souvenir que j’ai l’honneur d’être un soldat : la loyauté est notre première vertu ; même contre nous-mêmes, nous devons la pratiquer toujours. Je ne viens donc pas implorer votre compassion, ni vous demander la vie. Je vous demande la mort ! je l’ai méritée. Mon sang a déjà coulé plus d’une fois pour l’honneur de mon pays, il faut que le reste s’épuise pour son salut ! Il faut qu’un exemple de justice et de sévérité nécessaire soit donné, qui apprenne que lorsque, dans une occasion où il s’agit de la destinée de la patrie, on a trahi ses intérêts, on doit périr ! Je ne viens pas même justifier ma conduite, je viens l’expliquer. J’ai encouru votre blâme et mon sort ; mais je ne veux point paraître plus coupable que je ne le suis. En convenant de mon crime, je ne dois pas le laisser exagérer. J’ai été faible et non perfide. Quand je quittai le Roi, qui avait reçu mes serments, je voulais le sauver ; je ne le trompais pas. J’allai jusqu’à Grenoble dans ce dessein. Là, je reçus un émissaire de celui qui longtemps fut mon ami et mon maître. En son nom, on me rappela notre ancienne fraternité d’armes, tant de périls que nous avions partagés, tant d’occasions d’une gloire commune, nos communs drapeaux, nos communes victoires. Je l’avais aimé, je lui devais tout : des derniers rangs de la société, il m’avait fait monter au faîte des grandeurs humaines ; mon cœur fut séduit ; je ne vis plus que la reconnaissance et l’amitié, ce fut là mon vrai forfait. Il est grand, puisque j’y sacrifiai ma patrie. Que ma patrie se venge, cela est juste ! Mais quand cette justice sera accomplie, que mes anciens camarades, en détestant ma dernière action, ne la jugent pas plus atroce qu’elle ne fut, et qu’ils réservent quelques pleurs à ma mémoire. » –

« Gamon se retira comme persuadé. Un mois s’écoula : je fus nommé procureur-général. Gamon alla chercher d’autres conseils. Ils ne virent dans le procès de Ney qu’un procès ordinaire ; ils lui soufflèrent des arguties ; Ney les adopta et périt. »

 

 

 

VII.

 

 

Comme Henri IV, de Biron, Louis XVIII n’attendait du maréchal Ney qu’un mot qui l’autorisât, en quelque sorte, à désarmer sa justice : au lieu de désavouer hautement son crime et de s’en remettre à la générosité du Roi, Ney laissa sa défense recourir à des sophismes de palais qui peuvent témoigner des ressources d’un avocat vulgaire, mais qui entachaient en lui la dignité du guerrier, en ce qu’ils avaient pour but de défendre moins son caractère que sa vie même devant ses juges. C’est ainsi qu’il prétendit se dérober à l’accusation en se plaçant sous la protection de la convention de Saint-Cloud, relative à la reddition de Paris. Or, cette convention, passée entre les chefs des armées alliées, d’une part, et de l’autre les chefs de l’armée impériale, c’est-à-dire les agents d’un gouvernement qui n’était pas reconnu par la Légitimité ; une pareille convention, que le Roi d’ailleurs n’avait point ratifiée, ne pouvait engager et n’engageait nullement, en effet, Louis XVIII, surtout après sa proclamation du Cateau et de Cambrai.

« Ce moyen désespéré de défense, dit M. de Lamartine dans son Histoire de la Restauration, – qu’on aurait pu opposer devant un tribunal de la coalition, était sans force et sans application devant un tribunal national. La capitulation de Paris, convention purement militaire entre les généraux des alliés et les chefs de l’armée de Paris, n’engageait évidemment que les alliés, et ne protégeait les partisans de Bonaparte que contre les représailles des armées étrangères. Elle laissait aux gouvernements présents ou à venir de la France tous les droits justes ou injustes de clémence ou de poursuite qui appartiennent aux gouvernements d’un pays indépendant. La présentation d’un pareil moyen était aussi inopportune en habileté qu’inconvenante en droit. Elle semblait porter un défi d’indépendance au gouvernement national, et elle plaçait l’accusé comme dans un asile antique, sous la garantie, non de ses pairs et de ses compatriotes, mais des étrangers. L’asile n’était pas digne d’un des premiers soldats de la France. »

On sait, d’un autre côté, que lord Wellington, sollicité par Madame la maréchale Ney d’interpréter cette même convention dans le sens que les défenseurs de son mari faisaient valoir, répondit positivement que l’article 12, invoqué en faveur de l’accusé, « ne regardait pas le roi de France, et n’avait eu d’autre objet que de protéger les habitants de Paris contre toute vengeance de l’armée victorieuse 14 ».

Le ministère public s’opposa naturellement, au nom de la dignité nationale, à ce que la défense introduisît dans les débats un document tout-à-fait étranger au fond du procès, et qui, dans tous les cas, ne pouvait être invoqué contre la justice du Roi, puisque, comme le dit avec raison M. de Lamartine, la convention dont il s’agissait « n’engageait évidemment que les alliés, et ne protégeait les partisans de Bonaparte que contre les représailles des armées étrangères ». On voit si la défense fut fondée à se prévaloir de cet incident pour prétendre qu’elle n’avait pas été libre, et pour présenter la condamnation du maréchal Ney comme un assassinat juridique 15.

L’un des défenseurs, M. Dupin, rapetissant la cause de son client aux proportions d’une affaire de Cour d’assises, et pensant sans doute que le maréchal Ney tenait plus à préserver ses jours que sa dignité de soldat et la gloire de son nom, imagina un nouveau moyen de défense qui ne procédait pas d’une inspiration plus élevée que celui qui avait consisté à chercher pour le maréchal un refuge dans la capitulation de Paris, c’est-à-dire sous les auspices de l’étranger : l’homme du chacun chez soi, du chacun pour soi, se leva donc, et, rappelant que Sarrelouis, la ville natale du maréchal, avait été retranché par les traités de 1813 du territoire de la France, prétendit que l’accusé n’était pas Français !

Le maréchal interrompit avec indignation l’avocat :

« Non, Monsieur, je suis Français, – s’écria-t-il la main sur sa poitrine, – et je saurai mourir en Français ! »

Belle et noble protestation qui mit dignement fin aux débats, en en laissant tout l’honneur à l’accusé !

 

 

 

VIII.

 

 

Si, au lieu de laisser ses avocats parler à sa place, de les laisser s’évertuer à le couvrir par de misérables arguties, et affecter tout à la fois de le soustraire à la justice comme à la clémence royale, en invoquant en sa faveur l’appui de l’étranger plutôt que la bonté de Louis XVIII, le maréchal eût simplement suivi les inspirations de cette loyauté qui lui avait fait si noblement déclarer, à la tribune de la Chambre des pairs, que son zèle l’avait égaré, qui lui avait dicté cet autre aveu dans son premier interrogatoire : « Je suis trop coupable pour marchander ma vie avec le Roi ; il fera de moi ce qu’il voudra », et qui l’avait porté à reprocher devant ses juges au général Bourmont de ne l’avoir point fait arrêter ou même de ne l’avoir point tué avant qu’il ne consommât sa défection ; si, disons-nous, le maréchal Ney, mieux conseillé par sa conscience et son honneur que par ses avocats, s’était renfermé pour toute défense dans un repentir courageusement proclamé, ses juges ne l’en auraient sans doute pas absous davantage, mais au moins la couronne ne se fût pas trouvée désarmée de son droit de grâce, et la clémence royale eût pu s’interposer entre la condamnation et le supplice.

Malheureusement, et encore une fois, le maréchal Ney, en affectant de mettre sa vie sous la protection de l’étranger, avait, par-là même, comme dénié injurieusement au Roi le droit de lui faire grâce.

 

 

 

IX.

 

 

Dans une récente solennité, c’est-à-dire à trente-huit ans de distance, un des avocats du maréchal, celui-là même qui fut assez tristement inspiré pour vouloir le dépouiller de sa qualité de Français, a pu calomnier à ce point l’histoire que de présenter son illustre et malheureux client comme la victime d’une haine antinationale, et comme un holocauste offert en expiation des gloires militaires de l’Empire.

La Guienne du 11 décembre 1853 contient une éloquente réfutation de cette odieuse et lâche calomnie dans un article signé de notre honorable confrère M. Justin Dupuy :

« Quel outrage à la vérité ! quelle insulte à l’histoire ! – s’écrie l’écrivain royaliste. – Qui ne sait en France qu’aucune gloire de l’Empire n’eut rien à expier sous la Restauration ; que tous les hommes qui s’étaient illustrés sous le règne de Napoléon Ier reçurent l’accueil le plus empressé et le plus bienveillant de la part des Bourbons ; que tous les vaillants généraux de Napoléon, y compris l’infortuné maréchal Ney, furent en 1814 maintenus dans leur grade, dans leur dignité, et comblés de faveur par le gouvernement royal ? Qui ne sait que leur gloire fut acceptée et récompensée ; que les vainqueurs d’Iéna, d’Austerlitz, de Wagram, que le héros de la Moskova, trouvèrent sous le drapeau blanc, sous le drapeau de Henri IV et de Louis XIV, sous le drapeau de Condé, de Turenne, de Villars, sous le drapeau de notre gloire ancienne, l’admiration et le respect qu’ils avaient conquis sous le drapeau tricolore ? – Non, il n’est pas vrai que la gloire de l’Empire ait jamais rien souffert auprès de ces princes en qui se personnifiaient toutes les gloires de la vieille France, et qui étaient si fiers de retrouver la France nouvelle toujours à la hauteur de la grande nation que leurs aïeux avaient faite. Rien ne fut immolé en 1814, grâce aux Bourbons qui arrivèrent pour arrêter le bras de l’étranger, vainqueur, non par le courage, mais par le nombre, des invincibles légions de l’Empire. »

Les Bourbons ennemis de notre gloire militaire ! mais, à coup sûr, telle n’était pas l’opinion des maréchaux Lefebvre, Mortier, Macdonald, Moncey, Serrurier, Brune, Berthier, Ney lui-même, qui, en 1814, formaient le cortège enthousiaste de Louis XVIII au château de Compiègne !

Les Bourbons ennemis de notre gloire militaire ! Mais n’est-ce point ce même roi Louis XVIII qui, en 1815, alors que l’orgueil blessé des Prussiens menaçait de faire sauter le pont d’Iéna, adressait au maréchal Blücher cette déclaration si digne d’un Bourbon, si digne d’un roi de France : « J’apprends que votre intention est de faire sauter un pont de la capitale, au mépris d’une convention signée par vous. Si vous ne révoquez pas cet ordre sur-le-champ, je vous préviens que je me ferai transporter au milieu du pont menacé ; et vous pourrez ensuite, si vous l’osez, consommer votre vengeance » ?

Les Bourbons ennemis de notre gloire militaire ! Mais n’est-ce point parmi les illustrations de l’Empire que la Restauration choisit presque toujours ses ministres de la guerre ?

Les Bourbons, enfin, ennemis de notre gloire militaire ! Mais a-t-on oublié qu’au sacre de Charles X, les deux maréchaux désignés pour remplir les fonctions de premiers officiers du Roi furent les maréchaux Soult et Mortier, et que c’est aux mains du doyen de la vieille armée, le maréchal Moncey, que le monarque couronné déposa l’épée de connétable 16 ?

Deux ans après le procès du maréchal Ney, M. Dupin, présidant un collège électoral, se déclarait hautement l’amant de la Légitimité : l’amant de la Légitimité s’est fait l’insulteur de la Restauration ! Une pareille transformation, quelque honteuse qu’elle soit, n’a rien que de naturel de la part d’un homme qui, après s’être affiché comme amant de la Légitimité, a si facilement épousé tour-à-tour l’Usurpation et la République, et qui serait tout prêt à convoler à de nouvelles noces, s’il pouvait encore se rencontrer un gouvernement qui voulût de son serment.

 

 

 

X.

 

 

Qu’elles sont bien plus noblement équitables, ces paroles inspirées à M. le ministre de la guerre dans la même solennité, par les tristes évènements de 1814 et 1815 :

« Je voudrais, Messieurs, – a dit M. le maréchal de Saint-Arnaud, – pouvoir écarter de ma pensée comme de la vôtre le souvenir des discordes civiles qui, en 1814 et 1815, pesèrent sur la France... Émue des divisions de la patrie, l’âme du maréchal Ney se troubla comme s’était troublée à une autre époque l’âme des Turenne et des Condé. Comme eux il a fait des fautes, plus qu’eux il les a expiées. »

En s’exprimant ainsi, M. le ministre de la guerre a tout simplement prononcé le mot de l’histoire même sur le guerrier qui conservera devant la postérité, malgré sa faute, le glorieux surnom de Brave des braves : car s’il fut coupable, et il l’a été incontestablement, son sang répandu a lavé son crime ; et comme le nom de Montmorency n’en est pas moins resté illustre, parce qu’un duc de ce nom fut décapité en 1632 par arrêt du Parlement de Toulouse, ainsi la juste condamnation de Ney par la Chambre des pairs laisse l’héroïque mémoire du guerrier intacte sur son piédestal de gloire.

 

 

 

 

 

 

XIII

 

 

 

ILS N’ONT RIEN APPRIS NI RIEN OUBLIÉ.

 

 

I.

 

 

Ils n’ont rien appris ni rien oublié ! C’est ainsi que, pendant les Cent jours, l’Empereur caractérisait dédaigneusement toute une opinion politique que les évènements venaient de condamner à un second exil : cela voulait dire que les hommes en qui se personnifiait cette opinion, au lieu de marcher avec le temps, s’étaient pétrifiés dans un passé dont le progrès avait fait justice, et que, demeurants stupides d’un autre âge, ils étaient restés d’un quart de siècle en arrière du mouvement social. Le mot, ramassé bientôt après par le Libéralisme, fit une fortune prodigieuse, et demeura, sur le parti qui en avait été frappé, comme un stigmate ineffaçable, comme une impopularité vivante et indélébile.

Le succès du mot, voilà le fait et le fait malheureusement trop incontestable ; mais jusqu’à quel point ce succès ne fut-il pas un contre-sens par rapport à la vérité historique ? Voilà la question ; et c’est cette question que nous allons discuter.

 

 

 

II.

 

 

Non ! les royalistes n’avaient rien oublié ni rien appris ; mais ajoutons bien vite qu’ils n’avaient rien appris, précisément parce qu’ils n’avaient rien oublié.

Ils n’avaient pas oublié que l’ancienne Constitution française reposait sur deux légitimités également inviolables et sacrées : la légitimité royale et la légitimité nationale ; que l’hérédité du pouvoir avait été instituée par nos pères pour consacrer en un principe vivant le droit de tous ; que ces deux légitimités étaient, du reste, si intimement fondues l’une dans l’autre, que le Roi et la France étaient une seule et même chose, à ce point que se dévouer au Roi c’était se dévouer au pays, et que mourir pour le Roi c’était mourir pour la patrie, parce que le Roi c’était la souveraineté publique dans son unité, c’est-à-dire le peuple lui-même personnifié dans un chef héréditaire qui, individuellement, pouvait mourir, mais qui était toujours vivant par la loi inviolable de l’hérédité.

Ils n’avaient pas oublié que c’est par la royauté que la nation fut tirée de la servitude féodale ; que c’est la royauté, en effet, qui a, en quelque sorte, recréé la France, en lui restituant l’unité de son territoire et son indépendance politique.

Ils n’avaient pas oublié que c’est la royauté qui a créé le peuple proprement dit, en l’affranchissant du servage et en l’introduisant dans la représentation du pays de droit égal avec le clergé et la noblesse.

Ils n’avaient pas oublié tout ce que la France doit à la royauté : ses armées régulières, ses colonies, les forteresses qui garantissent son indépendance ; les canaux qui distribuent sur toute sa surface la prospérité et la richesse ; l’agrandissement et l’embellissement de ses cités, les nombreux monuments qui la décorent, ses progrès dans les sciences et dans les arts, en un mot sa puissance et sa gloire.

Ils n’avaient pas oublié, pour arriver de suite à Louis XVI : d’une part, les titres si nombreux de ce prince à la reconnaissance nationale, c’est-à-dire notre marine restaurée, la liberté des mers conquise, l’abolition de la question et de la torture, l’affranchissement du commerce, tant de travaux publics exécutés ou entrepris ; d’autre part, l’initiative prise par ce même prince sur toutes les grandes questions politiques qui allaient être bientôt à l’ordre du jour, et par laquelle il devança la nation dans l’expression solennelle de ses vœux et de ses besoins.

Ils n’avaient pas oublié que, dans sa Déclaration du 23 juin, la royauté avait solennellement reconnu les droits de la nation, indiqué d’elle-même toutes les réformes nécessaires, et consenti d’avance la répression de tous les abus.

Ils n’avaient pas oublié que la nation, de son côté, avait expressément consacré dans ses Cahiers le principe de l’unité monarchique, fondée sur l’hérédité de la couronne et l’inviolabilité de la personne royale.

Ils n’avaient pas oublié que le grand mouvement de 89 se résumait dans cette solennelle reconnaissance par le peuple et par la royauté de l’antique constitution française, reposant sur la double base de l’unité monarchique et du droit commun ; et que, par conséquent, la solution du problème politique, donnée concurremment par les deux grandes légitimités fondamentales, consistait, d’une part, dans le gouvernement par le Roi, et d’autre part dans l’administration par le pays.

Ils n’avaient pas oublié, enfin, que ce programme, tel qu’il était formulé par le peuple et par la royauté, réalisait la monarchie représentative dans toute sa perfection, et que dès-lors la Révolution n’avait eu, ni en droit, ni en fait, aucune raison d’être.

 

 

 

III.

 

 

Non ! les royalistes n’avaient rien oublié, en effet ; et c’est pourquoi ils n’avaient eu rien à apprendre !

Nous nous trompons cependant ; ils avaient quelque chose à apprendre, et cela de la Révolution même.

Ils avaient à apprendre de la Révolution que les mandats impératifs de six millions de Français ne lient point une Assemblée ; qu’une Assemblée, uniquement nommée pour déclarer les lois fondamentales de la monarchie, peut usurper tout à la fois sur les droits de ses commettants et sur ceux de la royauté, pour se déclarer elle-même constituante, et, en s’appuyant sur l’insurrection, imposer au pays une constitution basée sur la destruction même des principes constitutifs de la société française, savoir : le catholicisme, la royauté et la liberté.

Ils avaient à apprendre de la Révolution que ce qu’elle voulait uniquement, en renversant par la violence les lois fondamentales du pays, ce n’étaient pas des réformes sur lesquelles la royauté et la nation étaient d’ailleurs d’accord, mais le pouvoir, c’est-à-dire des places et de l’argent ; que nos libertés lui souciaient si peu, que son premier acte serait de les remplacer par son despotisme à elle, c’est-à-dire par le monopole et la centralisation administrative ; en un mot, que le progrès qu’elle affichait si pompeusement, se réduisait à cette maxime : « Ôte-toi de là que je m’y mette. »

Ils avaient à apprendre de la Révolution que le peuple français est trop ignorant, voire même trop abruti, pour jouir des droits politiques.

Ils avaient à apprendre de la Révolution que la liberté politique n’a qu’à se déclarer satisfaite, quand le vote du double impôt de l’argent et du sang est entre les mains de moins de deux cent mille censitaires.

Ils avaient à apprendre de la Révolution comment l’on joue la comédie pendant quinze ans pour renverser un gouvernement ; comment, pour arriver à ce but, on repousse systématiquement toutes les mesures émanées de l’initiative du gouvernement, alors même que ces mesures seraient le plus utiles au pays, témoin ces paroles prononcées par M. Dupin à la tribune : « Quand même les ministres nous apporteraient de bonnes lois, nous devons les refuser » ; comment, député, militaire, avocat, fonctionnaire, on peut conspirer contre le pouvoir à l’ombre d’un serment de fidélité prêté à ce même pouvoir ; comment, après avoir si bruyamment revendiqué la dignité de la France devant l’étranger, on arrive à personnifier un système que l’indignation publique se charge de flétrir sous le nom d’abaissement continu ; comment l’on crie à l’abus devant un budget de moins d’un milliard, pour élever à son tour les dépenses publiques au chiffre de 1800 millions ; comment on préconise, comment on glorifie l’insurrection, quand il s’agit de renverser, pour la mitrailler sans pitié, quand il s’agit de conserver ; comment, pour couvrir une lâcheté, on déclare superbement à la tribune que la France « est assez riche pour payer sa gloire » ; comment la fidélité aux principes, c’est-à-dire ce qui honore le plus un citoyen, peut être flétrie par une assemblée de législateurs comme un acte infâme ; comment, après avoir, pendant quinze ans, mis chaque jour en question devant le pays la moralité du pouvoir dans la personne de ses agents, on peut s’oublier assez soi-même pour donner le spectacle de ce même pouvoir, dans la personne d’un ministre, traduit devant une Cour d’assises, dégradé par la justice criminelle et retranché de la vie civile ; comment la corruption peut être avouée comme instrument de règne ; comment, après avoir renversé un trône au nom de la liberté, on enferme la capitale dans un cercle de bastilles ; comment on est obligé d’agrandir les palais de justice pour qu’ils puissent contenir les accusés qu’on y envoie ; comment on n’a point assez de prisons pour suffire aux arrestations ; comment on tue les journaux par les amendes ; comment, enfin, les Chartes-vérité ne sont que mensonge, et comment les programmes libéraux ne sont que duperie pour les niais.

Ils avaient, enfin, à apprendre de la Révolution comment une société, arrachée aux principes qui l’ont constituée, est logiquement condamnée à l’anarchie, au despotisme, à l’usurpation, et peut-être à la dissolution.

 

 

 

IV.

 

 

Vraiment ils étaient bien fondés, Messieurs les libéraux de 1815, à traiter de Chevaliers de l’éteignoir ces royalistes si éminemment français qui, n’ayant pas oublié que si la royauté a ses prérogatives inviolables et sacrées, le peuple aussi a ses droits non moins sacrés ni moins inviolables, avaient introduit dans la loi électorale, votée par la Chambre des députés, le principe du vote universel à deux degrés ! Or, ne sont-ce pas eux, ces mêmes libéraux, qui, outrés de voir ainsi restituer au peuple ses droits politiques, firent rejeter cette loi par la Chambre des pairs ?

Il est vrai qu’ils n’en continuèrent pas moins à se poser devant la nation comme les vrais défenseurs de la liberté.

Ajoutons que la nation les crut sur parole !

Quant aux royalistes, qui avaient hautement arboré à la tribune de la Chambre des députés le drapeau de la légitimité nationale, ils restèrent bien et dûment convaincus devant la sottise publique de n’avoir « rien appris ni rien oublié », c’est-à-dire, pour restituer à cette phrase le sens que lui donnaient les libéraux, d’être au moins de vingt-cinq ans en arrière du siècle.

Athéniens ! ô Français !

 

 

 

 

 

 

XIV

 

 

 

LES VRAIS LIBÉRAUX.

 

 

I.

 

 

Il y a des mensonges tellement accrédités par la niaiserie publique, si profondément enracinés dans la crédulité populaire, élevés à une telle hauteur d’inviolabilité par l’habile impudence des partis, qu’au premier abord c’est paraître vouer sa plume à un paradoxe, que de se charger de les confondre devant l’éclat des faits : tel est, entre autres, celui qui présente les royalistes de la Restauration comme les adversaires systématiques de la liberté, et qui montre au contraire ses véritables et sincères partisans dans les hommes qui formaient alors l’opposition.

Nous allons démontrer que la vérité vraie est précisément dans le renversement de cette proposition ; et, pour rendre cette démonstration plus péremptoire, nous l’appuierons, selon notre habitude, sur la plus victorieuse des argumentations, sur une argumentation qui défie toute contradiction, c’est-à-dire sur la simple exposition des faits.

 

 

 

II.

 

 

Dès 1815, les royalistes, reconnaissant que la légitimité n’avait été primitivement placée sur le trône que pour rayonner de là sur toutes les institutions sociales, qu’à côté de la légitimité royale il y avait par conséquent la légitimité nationale, et que les droits du peuple n’étaient pas moins fondamentaux que ceux de la couronne ; les royalistes, non moins attachés au principe de la représentation universelle qu’à celui de l’hérédité monarchique, et jaloux de fonder d’une manière définitive la conciliation de l’autorité et de la liberté, les royalistes de la Chambre des députés firent passer une loi électorale qui, basée sur le vote universel à deux degrés, restituait au peuple ses droits méconnus par la Révolution et l’Empire. Que fit le Libéralisme, représenté alors par les doctrinaires, et par ces hommes que Chateaubriand nommait avec une si juste énergie « les échappés de nos crimes et de nos servitudes » ? Le Libéralisme rejeta cette loi dans la Chambre des pairs. Ce qui n’empêcha pas ces mêmes hommes de se décerner modestement à eux-mêmes la glorieuse épithète de « sauveurs de la France et des libertés publiques », et par contre de faire qualifier dédaigneusement par leurs journaux de Chevaliers de l’éteignoir ces royalistes si éminemment nationaux qui avaient fait triompher à la Chambre des députés la cause de la représentation universelle.

Mais il ne suffisait pas aux ennemis des libertés publiques, c’est-à-dire aux Libéraux, d’avoir ainsi chassé de la loi le principe de représentation : ce qu’ils voulaient, c’était de constituer dans la loi même le principe du monopole. Pour arriver à ce but, ils provoquèrent la dissolution de la Chambre royaliste de 1815, et en firent nommer une autre devant laquelle des ministres, bêtement complices de la réaction révolutionnaire, apportèrent un nouveau projet qui fondait ce monopole sur un cens de cent écus, et qui établissait le suffrage direct.

Ce projet fut combattu par les principaux orateurs de la Droite dans les deux Chambres, ainsi que par les écrivains de la presse royaliste.

Voici un résumé succinct des diverses opinions développées par l’opposition royaliste :

M. de Caumont plaida chaleureusement la cause des deux degrés d’élection, et démontra avec la plus haute évidence que l’article 50 de la Charte ne s’opposait en aucune façon à leur introduction dans la loi.

M. de Villèle protesta contre le projet, d’une part, au nom de la stabilité des institutions que ce même projet compromettait entendant à fonder le gouvernement représentatif en France sur une base qui n’était pas en proportion avec l’étendue, la richesse, l’industrie et la population du royaume ; d’autre part, au nom des garanties que ces mêmes institutions donnaient au pays, et que le projet faisait disparaître en plaçant les élections sous l’influence des ministres, et en mettant à leur disposition le gouvernement tout entier. L’orateur posa en principe la nécessité que chaque Français fût représenté et défendu par les députés de la France, et que chaque contribuable pût regarder comme émanant de lui-même le consentement donné par eux à l’impôt et à la loi. Il terminait en adjurant les ministres, dans le double intérêt du Roi et de la France, de retirer un projet contraire à la liberté des élections, contraire à l’indépendance de la Chambre des députés, contraire aux institutions fondamentales du pays.

M. de Castelbajac évoqua le douloureux tableau des vingt-cinq années de révolution qu’on venait de traverser, pour en faire ressortir la nécessité des deux degrés d’élection, lesquels, en plongeant jusqu’aux entrailles de la nation, ne pouvaient qu’en ramener une chambre royaliste ; témoin celle de 1814 qui, au retour du monarque légitime, s’était montrée l’écho tout à la fois si fidèle et si énergique des sentiments de la France.

M. Josse de Beauvoir était tellement effrayé des dangers qui lui apparaissaient dans le projet de loi sous la forme de monopole, que, pour combattre ce projet, il jugeait ne pouvoir invoquer un argument trop sacré, en faisant intervenir l’ombre même de Louis XVI !

M. Cardonnel, frappé des mêmes dangers, les dénonçait à la sagesse de l’Assemblée avec une égale énergie.

M. de la Bourdonnaie en était à se demander si le gouvernement monarchique de la France avait changé de nature, pour que des ministres osassent proposer à ses représentants une loi qui accusait un tel renversement d’idées.

M. Cornet d’Incourt s’étonnait que ce fût au nom de Louis XVIII qu’on vînt présenter une loi qui enlèverait aux communes une partie des bienfaits de l’affranchissement qu’elles devaient aux ancêtres de ce monarque, et il demandait que la loi électorale eût sa base dans des assemblées primaires.

M. le marquis de Montcalm se faisait l’éloquent interprète de tous les cœurs français, en reprochant au projet de loi d’être né d’une injuste défiance envers la nation, et aux ministres de n’avoir pas encore senti qu’entre la France et son Roi légitime, c’était désormais à la vie et à la mort, comme autrefois entre les Hongrois et leur roi Marie-Thérèse. « Moriamur pro rege nostro Mariâ-Théresâ. »

M. Benoist déclarait repousser de toutes ses forces une loi qui devait avoir pour résultat de diviser les intérêts et les amours-propres, de mécontenter les deux tiers de la France, et d’élever en quelque sorte une barrière légale entre le monarque et son peuple.

M. de Donald, élevant la question à toute sa hauteur philosophique, présenta la Commune comme la pierre angulaire de la monarchie représentative, comme le premier degré nécessaire de la représentation universelle de la nation. L’histoire à la main, il montra la constitution de l’État subordonnée, en quelque sorte, hiérarchiquement à celle de la Commune ; d’où il concluait que le seul moyen de fonder la représentation dans la nation, c’était de lui donner pour base primordiale la Commune, cet élément politique tout à la fois « primitif et indestructible qui a précédé, les gouvernements et qui leur survit ».

M. Piet protesta, avec l’inexorable éloquence des chiffres, contre une loi qui dépouillait du droit électoral quatre millions neuf cent mille Français, en concentrant ce droit dans les citoyens imposés à cent écus.

M. de Corbière, après avoir posé le principe de la représentation de tous, concluait contre un projet qui livrait les élections à une classe excessivement restreinte de la société, en ce qu’il en excluait, de droit, tous les citoyens qui n’atteignaient pas le chiffre d’imposition déterminé, et de fait tous ceux qui dépassaient ce chiffre.

M. Clausel de Coussergues revendiquait les deux degrés d’élection comme étant contemporains de nos États-Généraux, et comme étant appelés par les vœux de toutes les Communes de France.

M. Barthe de la Bastide qualifiait d’inconstitutionnelle l’élection directe basée sur le cens.

Enfin, M. de Marcellus repoussait de tout son patriotisme et de tout son dévouement à la royauté un projet qui, selon lui, défiait la foudre et appelait ses coups sur l’édifice social.

On sait que, malgré toutes ces énergiques protestations, l’ensemble du projet de loi fut adopté : le parti doctrinaire, c’est-à-dire le libéralisme, l’emporta ainsi sur les royalistes, c’est-à-dire sur les hommes de la nation.

Les royalistes de la Chambre des pairs portèrent à la tribune les mêmes idées de droit commun : le premier baron de la chrétienté, Mathieu de Montmorency, et le plus beau génie du siècle, Chateaubriand, unirent leurs voix pour revendiquer en faveur de tous les Français l’égalité devant la loi politique. Jamais l’égalité politique eut-elle, dans une monarchie, deux plus illustres défenseurs que ces deux hommes dont l’un représentait la plus haute noblesse qui fût sous le soleil après celle des Bourbons, et dont l’autre personnifiait la plus grande gloire littéraire de l’époque ? Ce sera l’honneur éternel de la noble Chambre d’avoir donné le spectacle du privilège de la naissance et de la supériorité du génie s’unissant pour demander l’application de ce grand principe d’égalité que la royauté de Clovis apporta avec elle dans les Gaules, et dont le niveau républicain de 93 ne put donner qu’une parodie ignoble et sanglante !

Enfin, les royalistes de la presse ne se montrèrent pas moins hostiles à la loi des cent écus que ceux des Chambres ; témoin les lignes suivantes, dans lesquelles le plus illustre d’entre eux résumait éloquemment leur unanime opposition contre cette loi :

« La loi du monopole électoral est funeste et sotte. Elle veut être populaire, et exclut le peuple ; elle vise à l’égalité, et elle établit une violente distinction électorale ; elle prive de leurs droits l’immense majorité des Français, et, par une bizarrerie sans exemple, elle enrôle la révolution dans un corps aristocratique de 80 mille privilégiés. Les royalistes, toujours justes, toujours conséquents, rejettent une loi qui ne porte pas en elle sa propre vertu ; une loi qui, au lieu de représenter les masses, n’appelle que les individualités, qui ne classe aucun intérêt général, et qui, par cette mesure, est essentiellement destructive du gouvernement royal. La loi actuelle, nous le répétons, perdra la France. Telle est cette loi, qu’elle vous placera entre une révolution inévitable et une prévarication forcée. Une fille sanglante de la Convention sortira de l’urne électorale 17. »

Quelle prophétie !

Deux ans après, la Chambre des pairs adopta une proposition de M. le marquis de Barthélémy, tendant à supplier le roi d’user de sa prérogative constitutionnelle pour présenter aux Chambres un projet de loi modificatif du système électoral en vigueur.

Cette résolution de la noble Chambre, transmise à la Chambre des députés, fut soutenue par la Droite tout entière ; mais elle fut rejetée par la coalition des libéraux et des doctrinaires, parmi lesquels nous citerons MM. Lafayette et de Chauvelin, Manuel et Bignon, Dupont (de l’Eure) et d’Argenson. Dans cette circonstance, l’opposition trouva encore des auxiliaires jusque sur le banc des ministres. M. Lainé, inspiré par des convictions qui unissaient dans le même culte les droits de la couronne et les libertés de la nation, prédit aux ministres qu’ils regretteraient un jour amèrement d’avoir contribué au rejet d’une proposition qui n’était pas moins favorable aux libertés de la nation qu’aux droits de la couronne.

Ici encore, quelle prophétie !

 

 

 

III.

 

 

Franchissons maintenant un intervalle de quatorze années pour arriver à la loi électorale, dite des 200 francs, promulguée par le gouvernement de Juillet.

Dans la Chambre des députés, qui protesta contre le principe de la fixité du cens pour le qualifier d’injustice monstrueuse ? Qui protesta contre un système électoral destiné à représenter, non les intérêts permanents du pays, mais les passions d’une opinion momentanément triomphante ? Qui protesta contre l’arbitraire aussi ridicule qu’odieux qui créait, entre le chiffre de 300 francs et celui de 299 francs 95 cent., une limite légale en deçà de laquelle nul citoyen n’était admis à exercer les droits électoraux ? Qui revendiqua en faveur des Communes de France le droit de se former en assemblées primaires pour concourir à l’élection des députés ? Qui, plus tard, en présence d’un monopole destructeur des libertés publiques, en appela hautement à la nation consultée ? – Deux noms royalistes résument avec éclat cette protestation contre la confiscation de la liberté politique, et cette revendication du droit commun en face d’un monopole légal : Nous avons nommé MM. Berryer et La Rochejaquelein.

N’était-ce pas aussi un royaliste que ce noble et éloquent de Brézé qui, à la tribune de la Chambre des pairs, déclarait ne pouvoir consentir à trouver un principe d’élection dans un cens de contribution ; qui réclamait en faveur de la généralité des Français inscrits au rôle de la contribution le droit de concourir à la nomination de leurs représentants ; qui s’étonnait que tant de sang versé au nom de la liberté ne l’eût été que pour réduire la nation en une sorte d’esclavage politique ; qui, en témoignage de la sincérité des sentiments qu’il apportait dans colle discussion, reconnaissait que la chute du gouvernement qu’il aimait avait été causée « par une loi électorale qui monopolisait les droits politiques dans une classe de Français, en excluant les deux tiers des contribuables du royaume du concours à l’élection » ; qui voulait que la loi électorale eût sa racine jusque dans les profondeurs du sol, et qui demandait que le peuple eût une part dans le choix de ses représentants ?

Dans la presse, quelles plumes se vouèrent à la revendication des libertés nationales sous leur triple forme municipale, provinciale et administrative ? Quelles plumes combattirent chaque jour pour le droit commun politique ? Quelles plumes proclamèrent, par exemple, comme bases principales de notre droit public : le vote libre de l’impôt et des lois par les représentants de la nation, convoqués en assemblées des communes et des provinces ; la nomination de ces représentants par tous les Français âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et compris au rôle des impositions directes, conformément à la Déclaration de Louis XVI du 24 janvier 1789 : la liberté individuelle, la liberté de la presse, la liberté religieuse et de conscience ; la franchise du domicile, l’égalité devant la loi et dans la répartition des charges, l’admissibilité de tous aux fonctions publiques, l’indépendance des tribunaux par l’inamovibilité des juges, l’institution du jury ; l’indépendance administrative des communes et des provinces ; l’abolition du serment en matière d’élection ; la liberté d’association ; la gratuité de l’administration ; la liberté de l’enseignement, etc., etc. ? Enfin, quelles plumes écrivirent les premières ce terrible mot de réforme qui amena la chute de l’usurpation ? – Quelles plumes ? Demandez-le aux parquets de cette même usurpation ! Demandez-le à ces Cours d’assises qui, en condamnations, accumulèrent sur un seul journal 18 plus de 200 mille francs d’amendes et plus de huit années d’emprisonnement ! Demandez-le à cette presse royaliste qui, courageuse interprète de l’opinion nationale, associait dans son programme ce qui est en effet si profondément uni dans la Constitution française, savoir : le droit monarchique héréditaire et le droit commun représentatif !

Maintenant, qui a inventé en France le pays légal ? Qui a créé, parmi les Français, dix millions de parias politiques ? Qui a osé écrire que l’immense majorité de ces mêmes Français était trop abrutie pour jouir des droits électoraux ? Qui a confisqué le droit d’association, écrasé sous le poids des amendes et verrouillé dans les prisons la liberté de la presse ? Qui a violé scandaleusement l’indépendance du jury, en le soumettant à une épuration qui ôtait toute garantie à l’accusé ? Qui a entouré Paris de bastilles, pour le contenir au besoin à coups de canon ? En un mot, qui a escamoté un à un tous les droits essentiels de la nation pendant un règne de dix-huit ans ? – Qu’on le demande à ces hommes qui, pendant quinze ans, ne s’étaient couverts d’un manteau de libéralisme que pour mieux déguiser leur esprit de monopole et d’oppression, et tromper plus sûrement le peuple !

 

 

 

IV.

 

 

Les pièces du procès ainsi mises sous leurs yeux, nous laissons à nos lecteurs le soin de prononcer quels sont les vrais libéraux de ceux qui s’adjugèrent si effrontément eux-mêmes cette qualification, ou de ces royalistes qui n’ont jamais séparé dans leur programme la légitimité nationale de la légitimité royale.

 

 

 

 

 

 

XV

 

 

 

EXCLUSION DE L’ABBÉ GRÉGOIRE.

 

 

I.

 

 

Il ne suffisait pas, il ne pouvait suffire à la faction libérale ou révolutionnaire d’avoir, par l’élection des Lambrechtz, des Lecarlier, des Labbey de Pompières, etc., relevé le drapeau de 91 : encouragée par les progrès de la conspiration générale contre les trônes, qui avait son foyer dans les sociétés secrètes de l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie, et dont le but hautement proclamé était un bouleversement social universel, elle ne visa à rien moins qu’à exhumer des décombres sanglants de 93, pour le planter triomphalement dans le sein de la représentation nationale, dans le sanctuaire de la législation, le drapeau même qui cachait dans ses plis la tête d’un roi tombée sous le couteau de la guillotine ! Les comités libéraux de Paris s’appliquèrent donc à créer des candidatures qui, par leur signification provocatrice, par leur éclat sinistrement révolutionnaire, fussent comme un vivant défi jeté aux Bourbons en particulier, et à tous les rois en général.

Or, il y avait précisément en France un homme dont le nom était particulièrement néfaste à la royauté, un homme dont le nom seul, remis en lumière, était comme l’exhumation des plus hideuses théories révolutionnaires : cet homme (ancien évêque constitutionnel, par parenthèse) était le premier qui eût proposé de créer une Convention pour juger Louis XVI ; il était aussi le premier qui eût demandé l’abolition de la royauté, en appuyant cette motion sur ces considérations textuelles : « Que les dynasties royales n’avaient jamais été que des races dévorantes ne vivant que de chair humaine.... Que les rois sont dans l’ordre moral ce que les monstres sont dans l’ordre physique, et que leur histoire est le martyrologe des nations » ; enfin, de tous les juges iniques de Louis XVI il était le seul qui eût trouvé moyen d’ajouter encore, s’il est possible, au crime de son vote régicide, par les plus ignobles invectives.

Cet homme, ce candidat libéral par excellence, c’était le fameux abbé Grégoire.

Certes, l’opposition ne pouvait trouver un nom qui exprimât plus énergiquement la haine contre la royauté, un nom qui personnifiât d’une manière plus éclatante les doctrines de 93, un nom qui frappât plus audacieusement au visage la majesté royale, et qui en même temps frappât plus cruellement au cœur l’auguste famille des Bourbons !

L’abbé Grégoire fut élu par l’un des collèges électoraux de Grenoble.

 

 

 

II.

 

 

À la réapparition de ce nom sur la scène politique, l’opinion, justement épouvantée, crut voir le fantôme de la Terreur se lever de son tombeau, et venir mettre de nouveau sur la France sa main chargée de crimes et pleine de sang.

Ainsi se trouvaient déplorablement justifiées les alarmes prophétiques échappées à l’opposition royaliste dans la discussion de la loi électorale de 1819 ! Chateaubriand avait prédit qu’une fille sanglante de la Convention sortirait du monopole électoral : la loi tout à la fois liberticide et destructive du gouvernement royal venait d’enfanter le monstre ! M. Josse de Beauvoir n’avait pas hésité, tant le péril lui paraissait grave ! à évoquer solennellement contre cette même loi l’ombre même de Louis XVI : l’ombre auguste n’avait plus qu’à rentrer, en soupirant, dans son sanglant linceul !

 

 

 

III.

 

 

Toutefois, l’élection de l’abbé Grégoire devait, pour être validée, passer par l’épreuve de la vérification des pouvoirs. Or, cette épreuve ne lui fut pas favorable : la Commission, par l’organe de son rapporteur, conclut à la nullité de l’élection du quatrième député de l’Isère, en la motivant sur l’article 42 de la Charte, qui voulait que la moitié au moins des députés appartînt domiciliairement au département qui les avait élus, et en la faisant résulter de ce fait que, sur les quatre représentants nommés par celui de l’Isère, un seul y avait son domicile.

Au point de vue de ce que la lâcheté de nos mœurs politiques avait inauguré dans les dernières Assemblées parlementaires sous le nom de stratégie ou d’habileté, il pouvait être adroit de trancher ainsi, sous le couvert d’une irrégularité constitutionnelle, le conflit posé si hardiment et si crûment entre la royauté et la révolution : c’était, en effet, le meilleur moyen de rejeter de la Chambre un homme dont la présence n’eût pu y être qu’un juste sujet d’horreur et d’épouvante, tout en épargnant à l’Assemblée une de ces orageuses discussions où les passions, en se heurtant les unes contre les autres, font nécessairement explosion. Ce moyen terme avait été convenu entre le ministère et ses amis pour éluder la question brûlante de l’indignité du régicide.

Un député royaliste déjoua cette conspiration de la peur ou, si l’on aime mieux, de la prudence.

– Point de régicides dans cette Chambre ! s’écria M. de Marcellus.

Cette exclamation fut l’étincelle mise aux poudres.

La Chambre tout entière se leva et répéta d’une seule voix :

– Non ! point de régicides !

Le cratère ainsi ouvert, il n’était plus au pouvoir de personne de le fermer.

 

 

 

IV.

 

 

Les royalistes, évoquant le crime du 21 JANVIER, posèrent nettement à la tribune le principe de l’indignité du régicide.

Sans doute il n’existait aucune disposition légale qui prononçât textuellement cette indignité ; mais ce silence même du législateur pouvait-il être interprété autrement que comme un hommage implicite à la dignité d’une nation se respectant trop elle-même pour pouvoir jamais envoyer dans les Assemblées représentatives un homme dont les mains seraient couvertes du sang de ses rois ? Il y a plus ! quel plus éclatant argument pouvait-on invoquer contre l’élection de l’abbé Grégoire que le fait même de cette absence d’une sanction législative à l’exclusion du régicide ? Si la loi s’était abstenue de consacrer expressément cette exclusion, c’est qu’il y a des indignités qui éclatent et se décrètent, pour ainsi dire, d’elles-mêmes. Mais, à défaut d’une loi écrite dans les Codes, n’en existait-il pas une qu’on pouvait trouver gravée dans la conscience de chaque homme, et qui, reconnue partout sous le nom de raison et de justice, porte plus spécialement en France celui d’honneur ? Est-ce donc que cette loi instinctive, mais surtout si éminemment française, ne parlait pas au cœur des électeurs de l’Isère ? Est-ce donc que rien ne leur avait dit qu’en France les mœurs publiques, dans le silence assez éloquemment répulsif d’ailleurs de la législation, protestaient, au nom même de l’honneur national, contre l’admission sacrilège d’un régicide dans le sein de la représentation ? Est-ce donc que l’outrage direct à la royauté avait jamais été et pouvait être jamais de droit public en France ? Quand les partis s’oubliaient assez dans les aveugles inspirations de leur haine, dans le délire de leurs passions destructives, pour vouloir dresser dans le sanctuaire même de la législation un trône au régicide, et pour insulter si audacieusement à l’inviolabilité royale, qui donc pouvait oser invoquer l’inviolabilité des électeurs ?

Un autre argument venait encore trancher souverainement la question, en tombant de toute la hauteur d’un grand sentiment politique sur les Comités directeurs qui avaient organisé le scandale de la candidature de l’abbé Grégoire : cet argument souverain se déduisait de l’oubli général dont la clémence royale avait récemment amnistié le passé, et se formula dans la bouche de M. Lainé sous la forme de cette foudroyante apostrophe :

– « Par une clémence toute divine, ou, si vous l’aimez mieux, pour le besoin et pour l’apaisement de la société, il fut promis que nul ne serait recherché pour ses votes, et l’oubli fut commandé à tous les citoyens. Qui donc, en effet, se souvenait du quatrième député de l’Isère ? Qui donc le recherchait pour ses opinions et pour ses votes ? L’oubli n’a-t-il donc été imposé qu’aux victimes ? Et ceux-là seuls qui avaient besoin d’en être couverts ont-ils seuls conservé le triste droit de se souvenir ? »

L’opposition, reculant devant la publique justification du régicide, se borna à invoquer assez piteusement en faveur du choix que les électeurs de l’Isère avaient cru pouvoir faire, l’exemple de Fouché, qui, lui aussi, était un régicide avéré, et que cependant la volonté du roi avait appelé dans ses conseils.

C’était, comme on le voit, vouloir s’armer contre la couronne de sa propre magnanimité, et tirer d’un acte de pardon, émané spontanément de la prérogative royale, comme un droit d’outrage même à la royauté ! Un des ministres, M. Pasquier, enleva ainsi à l’opposition ce triste bénéfice d’un rapprochement aussi perfide que sophistique :

« – Je n’ai point, dit-il, entendu sans une surprise douloureuse l’allusion qui a été faite à l’un des actes les plus mémorables de la volonté et de la magnanimité de notre souverain. Eh quoi ! lorsque Louis XVIII, mu par tous ces sentiments qui l’ont si bien caractérisé, mû peut-être encore par des idées d’une haute politique que l’orateur ne connaissait peut-être pas, a cru devoir à son peuple le grand sacrifice d’appeler à son conseil l’homme qui vous a été désigné, ne devait-on pas voir qu’en faisant cet acte, il imposait à la nation le devoir le plus sacré de reconnaître une telle conduite par le plus profond respect ? N’avait-il pas le droit de penser que la nation, plus que satisfaite de ce gage, ne demanderait pas plus, et que le député de l’Isère n’avait pas le droit d’exiger du roi de France ce que le roi de France a cru devoir faire une fois, ce qu’il n’appartient qu’à lui seul de faire ? »

Cette réplique réduisait au silence les sophistes de l’opposition. Toutefois, ils voulurent encore dire un mot :

« – La Chambre est destinée à représenter toutes les opinions », s’écria malencontreusement l’avocat Manuel, « et il faut que l’entrée en soit ouverte à tous ceux qui ont obtenu la confiance de leurs concitoyens ! »

Une pareille théorie n’aboutissait à rien moins qu’à conférer au crime même l’inviolabilité représentative. M. de Corbière en fit facilement justice :

« – On prétend », répondit-il, « que toutes les opinions doivent être représentées. Il ne s’agit pas ici d’opinions, mais de crime. Or, jusqu’ici, le crime n’avait pas demandé à être représenté dans cette enceinte. »

L’exclusion de l’abbé Grégoire fat prononcée à l’unanimité, moins une voix.

Ainsi, au moment de voter, l’opposition recula elle-même devant le spectre de la Terreur qu’elle n’avait pas craint d’évoquer !

Si la Chambre avait, conformément aux conclusions du rapport, voté l’exclusion du député de l’Isère pour cause pure et simple d’irrégularité dans les formes de l’élection, elle aurait, par là même, innocenté au moins facilement le régicide ; tandis qu’en prononçant l’indignité de l’élu, c’est le régicide même qu’elle exclut de la représentation.

 

 

 

V.

 

 

La presse libérale affectant, en dépit de l’unanimité du vote, de voir dans la décision de la Chambre une atteinte portée au droit souverain des électeurs, cria à la violation de la Constitution ; comme si ce n’était pas au contraire les électeurs qui avaient commis cette violation, en entamant autant qu’il était en eux le principe de l’inviolabilité royale ! La France tout entière y applaudit comme à une nouvelle consécration d’un des principes fondamentaux de son antique Constitution.

 

 

 

 

 

 

XVI

 

 

 

EXPULSION DU DÉPUTÉ MANUEL.

 

 

I.

 

 

L’élection de l’abbé Grégoire n’avait été, de la part des Libéraux, qu’une audacieuse tentative de réhabilitation du régicide, et par conséquent une violation flagrante de la Constitution, laquelle consacrait le principe de l’inviolabilité royale : l’exclusion du député de l’Isère fut un solennel et éclatant hommage rendu par les représentants de la nation à notre constitution monarchique, et comme une nouvelle consécration législative d’un de ses principes fondamentaux. Ainsi la France avait, par ses députés, unanimement repoussé le drapeau de 93, et par là même signifié à la Révolution qu’elle n’était point disposée à subir une seconde édition de la Terreur.

La Révolution, n’ayant pu obtenir l’entrée du régicide dans le sein de la représentation, voulut du moins en porter audacieusement l’apologie à la tribune ; et, pour cela, elle choisit parmi ses orateurs celui qui était plus particulièrement odieux à la majorité.

Il y avait en effet, dans les rangs de l’opposition, un homme qui personnifiait et résumait tout ensemble, dans sa haine contre la légitimité, le républicanisme, le jacobinisme, le bonapartisme et l’orléanisme ; un homme qui avait pu trouver dans l’esprit de parti le triste courage de calomnier la France même, en osant dire qu’elle avait accueilli avec répugnance le retour des Bourbons ; un homme qui avait trempé et qui trempait chaque jour dans tous les complots contre la Royauté, car il était un des membres les plus ardents du carbonarisme ; un homme, enfin, pour qui la tribune n’était qu’une espèce de pugilat corps-à-corps contre la Restauration, et qui n’avait jamais manqué d’abuser de son inviolabilité pour jeter à pleines mains l’outrage aux Bourbons et la menace à la monarchie : c’est à cet homme que la Révolution confia la mission de prononcera la tribune la justification du régicide !

Le terrain choisi par l’avocat Manuel, pour cette nouvelle manifestation révolutionnaire, fut la discussion du rapport sur les crédits extraordinaires demandés pour la guerre d’Espagne.

 

 

 

II.

 

 

M. de Chateaubriand, qui avait été l’un des plénipotentiaires du congrès de Vérone, et qui dirigeait alors les affaires étrangères, était monté à la tribune pour exposer avec la puissance de son talent ce qu’on a pu appeler le Manifeste du royalisme devant l’Europe.

L’illustre orateur s’était donné pour tâche d’établir la justice de l’intervention française, en démontrant que cette intervention était autant dans les devoirs que dans les intérêts de la France monarchique. Cela fait, il aborda de front l’objection tirée contre le droit d’intervention de la protection accordée par l’Angleterre à l’indépendance des nations, et n’eut besoin, pour renverser cette objection purement relative d’ailleurs, que de lui opposer un fait sans réplique, c’est-à-dire d’opposer tout simplement l’Angleterre à elle-même, en rappelant la Déclaration publiée par cette puissance en novembre 1793. Cette Déclaration prouvait, en effet, combien l’Angleterre faisait bon marché du principe actuellement invoqué en son nom, quand il était contraire à ses intérêts essentiels. Or, quand l’Angleterre avait revendiqué le droit d’intervenir dans les affaires de la France pour se sauver, elle et l’Europe, des maux qui désolaient à cette époque notre pays, pouvait-il donc nous être interdit, à nous, de nous préserver de la contagion espagnole ? Quand l’Angleterre avait cru pouvoir promettre publiquement secours aux royalistes français, pouvait-on être fondé à trouver mauvais que nous protégeassions les royalistes espagnols ? Quand l’Angleterre, enfin, comme pour couper court à toute objection, avait déclaré qu’elle agissait de concert avec ses alliés, pouvait-on donc nous faire un reproche d’avoir aussi des alliés ? Mais il faut être juste : quand l’Angleterre publiait sa Déclaration, Louis XVI n’était plus ; et il est vrai qu’au moment où il s’agissait d’intervenir en Espagne, le roi Ferdinand n’était encore que prisonnier dans son propre palais, comme Louis XVI l’avait aussi été dans le sien avant d’aller au Temple et de là à l’échafaud. Or, sans calomnier les Espagnols, l’orateur ne voulait pas les estimer plus que ses compatriotes ; si la France révolutionnaire enfanta une Convention, pourquoi donc l’Espagne révolutionnaire ne produirait-elle pas aussi la sienne ? Dirait-on qu’avancer le moment de l’intervention c’était rendre plus périlleuse la position de Ferdinand ? Mais est-ce que l’Angleterre avait sauvé Louis XVI en refusant de se déclarer plus tôt ? Et l’intervention qui prévient le mal, n’est-elle pas plus utile que celle qui le venge seulement ? N’était-ce pas déjà trop dans le monde que le procès de Charles Ier et celui de Louis XVI ? et fallait-il attendre qu’un nouvel assassinat juridique vînt établir, par l’autorité des précédents, une espèce de droit de crime, et comme un corps de jurisprudence à l’usage des peuples contre les rois ? Qui pouvait ignorer, d’un autre côté, que les révolutionnaires d’Espagne étaient en correspondance avec ceux de France ? Est-ce qu’on ne menaçait pas hautement le gouvernement français de faire descendre le drapeau tricolore du haut des Pyrénées ?... Que si la France se trouvait forcée de recourir aux armes, c’était donc pour sa propre sûreté, et non, quoi qu’en dît une opposition systématique, pour rétablir en Espagne l’inquisition elle despotisme : elle ne déclarait point la guerre à ses institutions, c’était ces institutions qui la lui faisaient ; c’était sa vieille ennemie qui la provoquait sous le manteau espagnol ; c’était la Révolution qui, s’attachant aux pas des Bourbons, cherchait une seconde victime royale ! « N’oublions pas, – ajoutait l’orateur en finissant, – que si la guerre avec l’Espagne a, comme toute guerre, ses inconvénients et ses périls, elle aura pour nous un immense avantage : elle nous aura créé une armée ; elle nous aura fait remonter à notre rang militaire parmi les nations. Il manquait peut-être quelque chose à la réconciliation complète des Français, elle s’achèvera sous la tente : les compagnons d’armes sont bientôt amis, et tous les souvenirs se perdent dans la pensée d’une commune gloire. »

Un tel langage n’était pas seulement celui de la plus haute éloquence, c’était surtout celui de la raison et du patriotisme ; aussi l’effet en fut-il immense sur la Chambre, dont les applaudissements, en se prolongeant jusqu’à la fin de la séance, ne permirent plus à aucun autre orateur de se faire entendre ce jour-là.

M. Manuel dut donc ajourner sa réplique au lendemain, quelque jalouse qu’eût été la Gauche de ne pas laisser l’impression de ce discours arriver jusqu’à la nation sans le contrepoids et sans l’atténuation de cette réplique.

 

 

 

III.

 

 

Le lendemain, M. Manuel, qui avait eu le temps de la réflexion, se présenta à la tribune pour répondre au ministre.

L’orateur de la Révolution, comme s’il se fût fait d’avance une loi de sortir de toute mesure, évoquant froidement les souvenirs les plus douloureux de l’histoire, osa présenter l’assassinat juridique de deux monarques comme la conséquence presque légitime des efforts mêmes qui avaient pu être faits pour le prévenir, et s’oublia devant une Chambre royaliste jusqu’à montrer l’échafaud de Charles Ier et celui de Louis XVI comme la dernière raison de deux peuples acculés à la plus légitime défense. Mais laissons-le parler lui-même, afin que nos lecteurs entendent de leurs propres oreilles :

« Vous voulez, – s’écria-t-il, – sauver les jours de Ferdinand ? Eh bien ! ne renouvelez donc pas les circonstances qui ont conduit à l’échafaud ceux qui vous inspirent un si vif intérêt ! Eh quoi ! Messieurs, auriez vous donc oublié que ce fut parce que les Stuarts cherchèrent un appui à l’étranger, qu’ils furent renversés de leur trône, et que ce fut parce que les puissances étrangères survinrent en France que Louis XVI fut décapité ?... Ai-je besoin de dire que le moment où les dangers de la famille royale en France sont devenus plus graves, c’est lorsque la France, la France révolutionnaire, a senti qu’elle avait besoin de se défendre par DES FORCES NOUVELLES ET UNE ÉNERGIE TOUTE NOUVELLE !... »

À cette justification du régicide, la majorité tout entière se leva comme un seul homme ; un immense cri : à l’ordre ! fit explosion sur tous les bancs, et la droite demanda d’une seule voix l’expulsion de l’orateur.

Cependant l’auteur de cette universelle indignation, ajoutant l’indécence provocatrice de son maintien à l’horreur de ses paroles, promenait dédaigneusement son lorgnon sur l’assemblée.

Une telle indécence et une telle provocation d’attitude eut pour effet d’élever au plus haut degré l’exaspération générale, et de raviver avec une nouvelle énergie les cris de : l’expulsion ! l’expulsion !

M. Forbin des Essarts, se faisant l’interprète du sentiment qui animait la majorité de la Chambre, monta à la tribune pour demander l’expulsion de l’orateur qui avait prononcé « des paroles aussi infâmes », en se fondant sur ce « qu’aucun règlement ne peut condamner une assemblée au supplice d’entendre un homme dont les maximes ou les discours appellent ou justifient le régicide ».

Les amis de M. Manuel, épouvantés de l’orage qu’il avait soulevé, et voulant à tout prix écarter la question d’indignité, entourèrent leur collègue pour concerter avec lui un moyen de calmer la majorité ; le résultat de ce conseil de famille fut une lettre adressée au Président, dans laquelle l’orateur prétendait expliquer ce qui, d’après lui, avait été mal interprété par la Chambre. Mais sa justification reposait surtout dans un remaniement auquel il avait soumis la dernière phrase de son discours, et dans un complément qu’il lui donnait : ainsi, par exemple, il la reprenait à ces mots : « la France révolutionnaire a senti », la suspendait à cet endroit en menant le verbe sentir au participe présent, et la complétait par quelques lignes destinées à en affaiblir la portée.

Voici, au surplus, le texte de cette phrase, tel qu’il se trouvait rétabli dans sa lettre ;

« .... Alors la France révolutionnaire, sentant le besoin de se défendre par des forces et une énergie nouvelle, mit en mouvement toutes les masses, exalta toutes les passions populaires, et amena ainsi de terribles excès et une déplorable catastrophe au milieu d’une généreuse résistance. »

On voit si cette modification après coup changeait beaucoup le sens de la phrase primitive.

Quoi qu’il en soit, la Chambre n’en voulut pas même entendre la lecture ; et tout ce que le Président put obtenir de la majorité, ce fut que la proposition d’exclusion, portée à la tribune par M. Forbin des Essarts, serait ajournée au lendemain.

 

 

 

IV.

 

 

Le lendemain, M. de Labourdonnaye renouvela, aux termes du règlement, la proposition de son honorable collègue.

« Jamais, – dit l’honorable membre, – je n’ai senti davantage combien peut être quelquefois  pénible l’accomplissement d’un devoir rigoureux. Conduit à cette tribune par la nécessité d’opposer à un grand scandale une réparation éclatante, ce n’est que malgré moi que je vous rappellerai des expressions d’autant plus affligeantes qu’elles ne nous ramènent à l’époque la plus douloureuse de notre histoire que pour nous en présenter l’apologie. Une haute juridiction sur ses membres appartient à la Chambre ; elle a le droit de punir les fautes graves, les délits ou les crimes commis dans son enceinte. C’est à raison de cette juridiction que je crois de mon devoir de traduire devant vous M. Manuel, député de la Vendée, pour le discours qu’il a prononcé dans la dernière séance. Défenseurs des pouvoirs, de la société, vous ne souffrirez pas qu’une attaque contre le premier, contre le plus auguste de ces pouvoirs, demeure impunie ; défenseurs des libertés publiques, vous ne souffrirez pas qu’on abuse à ce point de la première de toutes, de celle qui protège les autres, de la tribune nationale. Convaincus des funestes effets d’une trop longue indulgence, vous éloignerez de la tribune celui qui, n’y ayant été envoyé que sur la foi du serment d’être fidèle et loyal député, et d’obéir aux lois du royaume, n’y monte jamais que pour les attaquer et les rendre odieuses ; celui qui n’a pas craint de faire devant vous l’apologie du régicide, de ce forfait qui, soulevant en un instant la Vendée, enfanta une armée de héros. Qu’il cesse d’être le représentant de cette contrée à jamais célèbre par sa fidélité ; qu’il jouisse à ce prix pour la dernière fois de l’inviolabilité que le titre de député lui assure, et que votre décision reste à jamais déposée dans vos archives comme un monument élevé pour prévenir le retour de pareils attentats. »

La Gauche combattit la prise en considération de cette proposition, en contestant le droit de juridiction des corps politiques sur leurs membres ; comme si ce droit n’était pas de principe élémentaire ! comme si, par exemple, la jurisprudence invoquée par M. de Labourdonnaye n’existait pas dans le parlement anglais ! comme si elle n’avait pas été constamment en vigueur dans toutes les Assemblées politiques ! comme si elle n’avait pas eu une sanction quelquefois même sanglante jusque dans le sein de la Constituante, de la Législative et de la Convention ! Par cela seul qu’un corps politique est inviolable, il a nécessairement droit de juridiction sur ses membres ; car qui les jugerait ? Qu’une majorité passionnée abuse de ce droit, cela est sans doute possible ; mais cette majorité, en fin de compte, ne relève-t-elle pas elle-même des électeurs ?

Que, dans le cas spécial qui nous occupe, la majorité ait peut-être fait une faute en laissant l’indignation l’emporter sur la prudence politique dans la balance de sa décision, nous n’avons pas à discuter ici cette question ; mais ce qu’on ne saurait contester, c’est que s’il était politiquement dangereux pour elle de se montrer inflexible, les principes n’en étaient pas moins rigoureusement de son côté, et la faute, pour ne pas dire le délit ou même le crime, du côté de Manuel.

L’avocat du régicide, résolu à braver jusqu’à la fin l’autorité de la Chambre, protesta en ces termes contre le droit de juridiction revendiqué contre lui :

« Je déclare que je ne reconnais point de juges dans cette Chambre ; je n’y vois que des accusateurs : ce n’est pas un acte de justice que j’éprouve, c’est un acte de vengeance. Appelé dans cette enceinte par la volonté de ceux qui avaient le droit de m’y envoyer, je ne puis en sortir par la volonté de ceux qui n’ont pas le droit de m’en exclure. »

Dans cette protestation, l’avocat libéral avait trouvé moyen de parodier tout-à-la-fois la sublime apostrophe du défenseur du Roi martyr à ses juges iniques, et la réponse grandiosement insolente de Mirabeau à M. de Dreux-Brézé : c’était fort prétentieux, et ce ne fut que ridicule.

Son exclusion fut votée en masse, toutefois avec un amendement qui la limitait à la durée de la session.

 

 

 

V.

 

 

Manuel obéirait-il ou n’obéirait-il pas au vote de l’Assemblée ?

Le lendemain, à l’ouverture de la séance, le député exclu, revêtu de son costume, se montra assis à son banc entre le général Demarçay et Casimir Périer. Il avait trompé la consigne des postes et la vigilance même des huissiers, en entrant au milieu d’un groupe de ses amis qui l’enveloppaient de manière à ne pas le laisser reconnaître.

C’était, comme on le voit, un parti froidement pris de faire un grand scandale, et il n’était pas impossible qu’à cette détermination il se mêlât en outre quelque arrière-pensée de retentissement au dehors : l’opposition s’entendait fort bien avec la rue.

– J’invite M. Manuel à se retirer, dit le président.

Manuel se leva.

– J’ai annoncé hier, répondit-il, que je ne céderais qu’à la force, je viens aujourd’hui tenir ma parole.

Et il se rassit.

Dans le but de prévenir le scandale que l’on ne cherchait que trop évidemment, le président suspendit la séance pour une heure, et invita la Chambre à se retirer dans ses bureaux ; puis il se retira lui-même, suivi des ministres.

L’opposition était restée en place.

Le chef des huissiers, rentrant bientôt, vint sommer Manuel de se retirer, en lui déclarant qu’en cas de refus de sa part, il était autorisé à se faire assister par la force armée.

– Votre ordre est illégal, dit Manuel, je n’y obéirai pas.

Un piquet de gardes nationaux pénétra dans l’enceinte.

– Quoi ! s’écria le général Lafayette, la garde nationale se déshonorera-t-elle jusqu’à mettre la main sur un représentant du peuple ?

Lafayette, provoquant ainsi à la désobéissance la force armée, était dans son rôle éternellement révolutionnaire.

Le chef du détachement, nommé Mercier, intimidé par cette apostrophe du patriarche de la Révolution, qu’il avait d’ailleurs appris à vénérer par la lecture du Constitutionnel, n’osa commander à ses hommes de saisir Manuel. Une salve d’applaudissements, poussée par la Gauche, accueillit cette défaillance de M. Mercier ; et, à partir de ce moment, l’honnête sergent passa, sans trop s’en rendre compte, à l’état de grand citoyen et de héros civique !

À la garde nationale succéda la gendarmerie.

– Quoi ! des gendarmes dans cette enceinte ! s’écria la Gauche se drapant dramatiquement dans son hypocrisie de résistance légale.

Mais la gendarmerie était un corps d’élite chez qui le sentiment de l’obéissance militaire était trop prononcé pour qu’elle se laissât intimider, comme la garde nationale, par l’attitude faussement théâtrale des comédiens du Libéralisme.

– Je fais une dernière sommation à M. Manuel, dit son chef M. de Foucauld, avec le ton de la plus parfaite convenance, mais aussi avec fermeté. Je serais désolé d’employer la force contre un député ; mais enfin je le ferai, car c’est mon devoir.

– Employez donc la force ! répliqua M. Manuel.

– Eh bien ! donc, dit M. de Foucauld à ses gendarmes, emparez-vous 19 de M. Manuel.

Un brigadier et quatre hommes se dirigèrent vers Manuel, le saisirent et l’emmenèrent.

– Nous le suivrons tous ! s’écria la Gauche en masse.

Et, en effet, elle sortit de la salle avec le député exclu, en affectant de donner à cette sortie une solennité théâtrale évidemment calculée pour agir sur la masse des curieux qui stationnaient aux abords du Palais-Bourbon.

Mais cette comédie de résistance légale, cette parodie de Pères-Conscrits chassés de leurs chaises curules, cette mise en scène révolutionnaire, ne réussit nullement à soulever le peuple ; et l’opposition, pour consacrer le souvenir de cette grande journée dans les fastes du Libéralisme, en fut réduite à décerner ridiculement un sabre d’honneur au sergent Mercier comme récompense de sa belle conduite civique, et à rédiger une protestation qui présentait non moins ridiculement M. Manuel comme la victime « d’un acte attentatoire à la Charte, à la prérogative royale et à tous les principes du gouvernement représentatif ».

 

 

 

VI.

 

 

Cette expulsion du député Manuel fut considérée tout autrement par la France ; elle n’y vit que ce que l’histoire y verra, ou plutôt y a déjà vu elle-même, c’est-à-dire le régicide chassé pour la seconde fois, et avec la plus éclatante réprobation, du sein de l’assemblée des représentants du pays.

 

 

 

 

 

 

XVII

 

 

 

ATTENTAT DE LOUVEL.

 

 

I.

 

 

Le 14 février 1820, il y eut en France, selon l’expression de Chateaubriand, quelque chose de ces ténèbres qui couvrirent Jérusalem à la mort du Juste : le poignard d’un assassin venait de frapper, – tel était du moins l’espoir impie des factions, – l’arbre de la légitimité monarchique dans son dernier rameau ; la Révolution, que l’on devait croire rassasiée du sang des Bourbons, – car elle avait bu successivement celui de Louis XVI, de Marie-Antoinette, de Madame Élisabeth, de Louis XVII et du duc d’Enghien, – mais qui n’en était au contraire qu’enivrée, et par conséquent plus altérée que jamais, – la Révolution avait voulu eu finir irrévocablement et dans le passé et dans l’avenir avec ce sang glorieux, en immolant le dernier descendant de Louis XIV : le duc de Berry avait été assassiné par Louvel !

La Révolution, croyant avoir répandu la dernière goutte du sang de Robert-le-Fort, triomphait : le duc de Berry, mourant, emportait en effet avec lui toute une monarchie, et entraînait la chute de l’empire de Clovis ! Mais voilà que la victime, après avoir à plusieurs reprises demandé la grâce de l’homme, et au moment de rendre le dernier soupir, semble tout-à-coup revenir à la vie pour rassurer la France consternée : le ciel rend la voix à celui qui meurt, mais qui ne veut pas mourir sans laisser à sa patrie éplorée comme dernier adieu une espérance consolatrice ; et le martyr qui va partir pour les cieux adresse du fond de son agonie à l’héroïque princesse, qui dans quelques instants sera veuve, ces paroles révélatrices qui provoquent, au milieu de la douleur universelle, une universelle acclamation de joie : « Mon amie, ne vous laissez pas accabler par la douleur ; ménagez-vous pour l’enfant que vous portez dans votre sein ! »

Au cri de bonheur de la France entière, la Révolution, trompée, répondit par un cri de rage : le nouveau sang versé par elle l’était inutilement ; sous son couteau, le dernier fils de saint Louis avait bien rendu le dernier soupir, mais de ce dernier soupir devait naître, pour ainsi parler, un nouvel héritier du trône qu’elle voulait anéantir ; du flambeau qu’elle comptait avoir éteint pour jamais, surgissait une flamme nouvelle ; et un berceau plein d’avenir apparaissait, radieux comme une céleste promesse, au-dessus d’une tombe où l’on avait espéré engloutir le dernier rejeton de la race de saint Louis !

Quelques mois après, le 29 septembre, tel qu’un jeune lys sortant d’un tombeau, naissait en effet à la France l’ENFANT DU MIRACLE, le nouveau Joas échappé dès le sein de sa mère au fer d’une autre Athalie, le royal enfant appelé à renouer les antiques gloires du passé aux espérances radieuses de l’avenir ; et la France pouvait, triomphante à son tour, dire à la Révolution ce que le Roi-prophète dit à la mort : « Mors, ubi est victoria tua ? Ô Révolution ! où est ta victoire ? »

 

 

 

II.

 

 

L’opinion publique n’eut qu’une voix pour donner à l’assassin du duc de Berry le nom de la faction qui avait audacieusement inscrit dans son programme le régicide et la révolte ; et la France, consternée, se serra, pour ainsi dire, tout entière autour de la famille royale, en suppliant le roi de veiller sur sa dynastie et sur le pays. De toutes parts vinrent des adresses, qui réclamaient à grands cris des mesures hautement protectrices de la monarchie et sévèrement compressives de l’esprit révolutionnaire. Ce fut comme une immense manifestation nationale, à laquelle concoururent les tribunaux, l’armée, les gardes-nationales et les conseils municipaux. La terreur publique, ne pouvant se rendre compte de l’impéritie d’une police qui avait laissé le crime épier librement sa victime pendant trois heures en pleine rue, et frapper le prince, dernier espoir du trône, sans qu’elle fût là pour préserver une vie si précieuse ; la terreur publique qui, d’un autre côté, voyait dans l’attentat de Louvel la main, pour ainsi dire, collective de toutes les factions conjurées contre la Légitimité, osa chercher un complice à l’assassin jusque dans le ministre à qui était plus particulièrement dévolu le soin de veiller à la sûreté des membres de la Famille royale, et accusa hautement ce ministre de n’avoir été si déplorablement imprévoyant qu’afin de faire glisser, par l’extinction de l’hérédité directe, la couronne sur la tête d’un collatéral ambitieux.

L’impression d’épouvante et de pitié, produite universellement par un crime qui venait de frapper d’une manière si horriblement intelligente la race de saint Louis dans son dernier espoir vivant, dans le dernier gage présumé de sa perpétuité, se trouve consignée au Moniteur dans la proposition portée dès le lendemain à la tribune de la Chambre des députés par M. Clausel de Coussergues, dans l’adresse des deux Chambres et dans celle de la Cour Royale de Paris.

« Messieurs, – s’écria M. de Coussergues, en s’élançant à la tribune aussitôt après la lecture du procès-verbal, – il n’y a point de loi qui fixe le mode d’accusation des ministres ; mais il est de la nature d’une telle délibération qu’elle ait lieu en séance publique à la face de la France. Je propose à la Chambre de porter un acte d’accusation contre M. Decazes, ministre de l’intérieur, comme complice de l’assassinat de Monseigneur le duc de Berry, et je demande à développer ma proposition. »

Cette proposition fut accueillie par une explosion de cris à l’ordre ! partis tout à la fois de la Gauche et des bancs ministériels avec une émulation de peur qui prouva que l’opinion publique ne s’était pas laissé entraîner trop loin dans sa recherche et dans sa désignation des complices de Louvel.

Les royalistes, sans se rallier à une mise en accusation qui aurait eu pour effet d’aller chercher des coupables dans une région trop voisine de la couronne, voulurent du moins que l’Adresse au Roi exprimât, avec la profonde douleur dont ils étaient pénétrés, la ferme volonté de la Chambre de coopérer énergiquement aux mesures nécessaires que le gouvernement aurait à prendre pour comprimer les doctrines pernicieuses qui, ainsi que le disait avec tant de vérité M. de La Bourdonnaye, « sapant à la fois toutes les autorités, s’attaquaient à la civilisation tout entière et menaçaient le monde de bouleversements nouveaux ».

La Gauche demandait que l’Adresse se bornât à exprimer l’affliction de la Chambre, en excluant toute considération politique ; et comme elle voulait surtout échapper à l’impression du moment, elle n’hésita pas à faire, par l’organe du général Foy, toutes les concessions de langage qui lui parurent utiles pour écarter une rédaction trop accentuée. Tout en tenant compte de protestations qui formaient, il faut bien le dire, un édifiant contraste avec les déclamations si hostilement provocatrices qu’elle portait habituellement à la tribune, les royalistes tinrent à offrir au Roi, avec l’expression de la douleur de la Chambre, « le vœu de resserrer les liens qui unissaient le peuple français à l’auguste maison de Bourbon, et l’assurance que les députés étaient prêts à concourir avec autant d’énergie que de dévouement aux mesures que la sagesse de Sa Majesté jugerait nécessaires en de si graves circonstances ».

L’Adresse de la Chambre des pairs, plus expressive, disait « que les pairs détestaient, dans le crime qui condamnait la France à de si longues douleurs, le fruit des doctrines perverses dont on voulait empoisonner l’Europe, et qui, arrivant de l’égarement des esprits à la dépravation des âmes, en étaient venues à ce point de consacrer l’impiété, la trahison, l’assassinat et le parricide » ; elle finissait en offrant le concours de la Chambre à toutes les mesures législatives qui pourraient être prises par le gouvernement pour arrêter « ce fléau universel qui menaçait d’une subversion entière la religion, la morale, la monarchie et la liberté ».

L’Adresse de la Cour royale mit hardiment la main sur l’implacable conjuration qui menaçait d’ouvrir un abîme sous le trône légitime :

« Oui Sire, – disait M. le président Séguier, – il existe une conspiration permanente contre les Bourbons ; et, dans la consternation générale, on a vu des joies féroces. Le sang si pur qui a déjà tant coulé, n’aurait-il qu’irrité la soif ? Ah ! Sire, veillez sur vous, veillez sur tout ce qui vous entoure ! nous vous en conjurons au nom de la société, désolée du présent, épouvantée de l’avenir. Daignez songer sans cesse à la conservation de ce qui nous reste d’une race si précieuse, si nécessaire au repos de la France et de l’Europe !... Si Votre Majesté pensait que les magistrats peuvent la servir encore efficacement, rendez-leur des moyens dont l’utilité n’est point oubliée ; et quelque périlleuse que devienne leur condition, rien ne les rebutera, rien ne les arrêtera.... »

Dans les deux Chambres, la majorité était donc disposée à voter toutes les mesures d’exception nécessaires pour arrêter les progrès de la Révolution ; mais, d’un autre côté, elle n’était pas moins résolue à les refuser personnellement au ministre à qui il appartenait de les présenter : le fer de Louvel était désormais entre les royalistes et M. Decazes ! Ce dernier n’avait plus donc que le choix entre sa retraite et la dissolution de la Chambre : il déposa son portefeuille. C’est ainsi que, suivant un mot terrible de Chateaubriand, qui restera pour caractériser cette chute, « le pied lui glissa dans le sang ».

 

 

 

III.

 

 

Le 13 février, à minuit, la presse libérale connaissait l’assassinat de M. le duc de Berry.

Par suite d’un mot d’ordre adressé à tous les rédacteurs en chef, les premiers-Paris, déjà composés ou même mis en pages, furent rapidement remplacés par des articles où les organes de l’opposition s’associèrent aux manifestations de la douleur publique dans des termes qui étaient assurément plutôt calculés par la crainte qu’inspirés par la bonne foi.

Sous le coup de l’indignation déchaînée de toutes parts contre les doctrines qui avaient armé la main de Louvel, le parti libéral avait compris que c’était pour lui une nécessité de position de ne pas heurter de front le sentiment public : il sentait trop que le crime qui venait de consterner la capitale retombait de toute son horreur sur le parti qui en était, au moins moralement, l’odieux instigateur !

 

 

 

IV.

 

 

Cependant l’assassin avait été arrêté et interrogé.

Il avait nié avoir aucun complice, et avait affecté de dire qu’il portait, depuis plus de six ans, dans sa tête la pensée d’un meurtre contre un des princes de la maison de Bourbon. Ainsi il prétendait s’être rendu, dès 1814, à Calais où le roi et sa famille devaient débarquer, dans l’intention d’assassiner Louis XVIII ou tel autre prince qui lui serait tombé sous la main ; mais il avouait que sa main s’était sentie désarmée devant l’enthousiasme populaire qu’il avait vu éclater à l’aspect de la famille royale. Il prétendait pareillement qu’il aurait tué le comte d’Artois, si ce prince se fut trouvé à Lyon quand il était lui-même passé dans cette ville quelque temps après, en revenant de Chambéry ; qu’il n’avait, depuis, cessé de s’occuper des moyens d’accomplir un projet implacablement arrêté chez lui, soit à Versailles, à Saint-Germain, à Saint-Cloud ou à Fontainebleau, où il suivait assidûment les chasses des princes ; qu’il avait toujours soin de se munir d’un poignard quand il supposait pouvoir rencontrer un Bourbon, mais qu’il avait résolu de commencer par le duc de Berry, parce que c’était la souche ; qu’après ce prince, il voulait tuer le duc d’Angoulême, puis le comte d’Artois, puis le roi, puis TOUS ; que, depuis trois ans, il rôdait presque tous les soirs autour des spectacles où il supposait que le duc de Berry pourrait assister, et qu’il suivait ce prince jusque dans les églises, dans l’espoir de l’approcher et de le frapper....

Ce système d’aveux évidemment calculés ne pouvait avoir pour but que d’écarter tout soupçon de complicité dans le crime. Le parti libéral, de son côté, s’attacha à donner le change à l’opinion, en présentant Louvel comme un homme obsédé depuis six ans d’une pensée de meurtre, née d’une maladie de sa raison, et par suite son forfait comme l’acte monstrueux, mais solitaire, d’une intelligence qui n’avait d’autre complice que son propre fanatisme.

L’assassin, en concentrant toute l’horreur de son crime sur sa propre tête, et la presse libérale en cherchant à expliquer ce crime par ce qu’elle appelait une féroce monomanie, étaient respectivement dans leur rôle : le premier couvrait ses complices ; celle-ci s’efforçait d’atténuer l’horreur d’un forfait dont la responsabilité rejaillissait sur elle.

Mais si une pareille interprétation s’expliquait dans les journaux de la Révolution, l’opinion publique pouvait-elle s’attendre à la rencontrer dans les feuilles ministérielles ? Et M. Decazes, en donnant à celles-ci l’ordre de dénaturer ainsi l’attentat de Louvel, n’accréditait-il point par là même l’accusation portée contre lui à la Chambre des Députés ?

 

 

 

V.

 

 

Rien n’est plus facile de prouver que le crime de Louvel ne fut pas un crime isolé.

Dès le commencement de 1820, M. de Labourdonnaye, faisant allusion à un système de correspondances privées, adressées de Paris aux journaux anglais, dont la notoriété publique plaçait la fabrication dans le cabinet même du premier ministre, et qui avaient pour objet de calomnier les royalistes, dénonçait en ces termes la conspiration à laquelle se rattachait cette guerre lâche faite aux plus fidèles serviteurs de la royauté avec une impunité toute puissante :

« Un plan d’attaque, – disait le courageux royaliste, – se suit avec constance contre la monarchie légitime ; de grandes ambitions arrêtées dans leur cours, de grandes espérances déçues, se sont coalisées ; une vaste conspiration s’est formée : elle ébranle aujourd’hui les fondements du trône, et bientôt elle les aura détruits. »

Les faits n’ont que trop bien justifié la prophétie.

À cette même époque, des lettres anonymes apportaient périodiquement au roi les plus ignobles outrages et les plus atroces menaces contre sa vie et celle des princes : sur plusieurs de ces lettres était dessiné un poignard, avec le nom de la victime qu’il devait frapper ! Elles étaient exactement renvoyées à la police, qui se trouvait ainsi naturellement provoquée à redoubler de zèle, pour en découvrir les auteurs, et de vigilance pour protéger les membres de la famille royale si audacieusement menacés. Des avis multipliés lui furent aussi donnés, relativement au danger que courait plus particulièrement le duc de Berry.

Après la consommation de l’attentat, les mêmes envois anonymes parvinrent aux Tuileries ; seulement, au lieu de menaces comme précédemment, ils ne portaient plus que l’horrible expression de la plus horrible joie !

Serait-ce donc accorder à ces faits tant généraux que particuliers une portée trop grande, que d’en déduire une présomption de complicité dans le crime de Louvel ?

Mais nous avons encore un autre ordre de preuves à invoquer à l’appui de cette complicité ; et ces preuves plus directes, personnelles en quelque sorte à l’assassin, c’est ce dernier lui-même qui va nous les fournir :

Si Louvel n’avait pas de complices, d’où vient qu’un courrier passant à Compiègne le 13 février, à neuf heures du soir, annonçait à la poste l’assassinat du duc de Berry qui n’eut lieu que deux heures plus lard ? – Le projet d’assassiner le duc de Berry avait donc transpiré, et il n’était donc point par conséquent le secret exclusif de celui qui s’était chargé de l’exécuter.

Si Louvel n’avait point de complices, quel pouvait être le sens de ces paroles sorties de sa bouche : « J’avais envie de renoncer à mon projet : mais j’avais peur de passer pour un lâche » ? – Louvel s’était donc lié vis-à-vis d’un parti ou de quelqu’un !

Si Louvel n’avait point de complices, d’où vient que, conduit dans la pièce où il devait subir son premier interrogatoire, il tressaillit brusquement au bruit sourd d’une porte qu’on fermait dans un corridor éloigné, en laissant échapper ces mots imprudemment significatifs : « N’est-ce pas le canon ?.... » – Il s’attendait donc à quelque mouvement insurrectionnel dont le plan aurait été lié à l’exécution de son forfait ?

Si Louvel n’avait point de complices, d’où vient que quand on lui dit qu’on espérait sauver le prince, il répondit : « Oh ! je suis bien tranquille, il mourra avant moi ; et si vous voulez que je meure, faites-moi exécuter dans les vingt-quatre heures : vous ne savez ce qui peut arriver » ? – Il avait donc une foi bien absolue dans le triomphe de l’insurrection dont nous venons de parler ?

Si Louvel n’avait point de complices, d’où vient que, mis en présence du cadavre de sa victime, et après avoir répondu négativement à la question de savoir s’il avait des complices, il ajouta : « Au surplus, la justice est là ; qu’elle fasse son devoir, et qu’elle découvre ceux qu’elle présume être mes complices » ? – Si, en parlant ainsi, il n’avouait pas positivement avoir des complices, il faut reconnaître qu’il ne niait pas non plus absolument en avoir.

Si Louvel n’avait point de complices, d’où vient qu’à la Conciergerie il s’abstenait de boire du vin, par la crainte, – disait-il lui-même, – de laisser échapper son secret ? – Ainsi il avouait avoir un secret ! Il reconnaissait donc enfin qu’il avait des complices ?

Si Louvel n’avait point de complices, d’où vient que, dans un de ses retours sur le rôle qu’on lui avait fait jouer, il se plaignait en ces termes : « Je voudrais ne les avoir jamais connus ; j’aurais continué à exister dans la société ; j’aurais pu être bon père, bon époux » ? – N’est-ce point là un nouvel aveu ?

Si Louvel, enfin, n’avait point de complices, d’où vient qu’en quittant son confesseur pour passer dans les mains de l’exécuteur, il laissa échapper, sous forme de regret, cet autre aveu qui ne laisse, ce nous semble, rien à désirer : « Je ne croyais pas qu’ils m’eussent laissé mourir ! » – Ce dernier et suprême aveu est-il assez clair ?

Mais n’est-ce point encore assez ?

Faut-il que nous allions prendre sur le fait les complices de Louvel même au-delà de l’échafaud où il laissa sa tête ?

Quelque temps après son exécution, des barils de poudre, placés sous les fenêtres de la courageuse princesse qui portait dans son sein l’espérance de la monarchie, éclatèrent tout d’un coup et ébranlèrent jusqu’aux voûtes du palais. Quels étaient donc les hommes qui voulaient ainsi tuer le royal enfant dans le sein même de sa mère, si ce n’est les complices de l’assassin du père ? Est-ce qu’en effet les deux attentats ne procédaient pas manifestement de la même pensée et ne tendaient pas au même but ?

Cette odieuse tentative mit dans le plus touchant relief la générosité de l’auguste mère sur la frayeur de laquelle le crime avait si atrocement spéculé : – J’aurai, dit-elle, plus de courage qu’ils n’ont de méchanceté.

Les mêmes hommes, comptant sans doute sur l’impunité qui avait couvert cette tentative, osèrent la renouveler, mais en augmentant la charge de poudre. Heureusement, le complot fut cette fois éventé ; et les deux complices chargés de l’exécution furent traduits devant la Cour d’assises et condamnés à mort.

La duchesse de Berry les sauva par sa généreuse intervention.

« Mon oncle, – écrivit-elle au Roi, – je serais au désespoir qu’il pût y avoir des Français qui mourussent à cause de moi. L’ange que je pleure en ce moment demandait la grâce de son meurtrier : il sera l’arbitre de ma vie. Me permettez-vous, mon cher oncle, de l’imiter, et de supplier Votre Majesté d’accorder la grâce de la vie à ces deux infortunés ? L’exemple du Roi nous a accoutumés à la clémence. »

Le Roi leur fit grâce de la peine de mort.

Quand le procureur-général fit lecture des lettres de grâce devant la Cour royale :

« Voici encore, – dit ce magistrat, – une vengeance des Bourbons. Un crime de plus a été commis contre eux... un crime de plus a été pardonné. On dirait que leur longanimité a fait à la perversité du siècle le défi héroïque de voir qui l’emporterait à la fin de ses efforts impies ou de leur clémence. »

Hélas ! la clémence des Bourbons ne devait pas, même en se multipliant jusqu’à l’aveuglement, désarmer la haine des partis.

 

 

 

VI.

 

 

Nous ne croyons pas qu’il reste dans l’esprit de nos lecteurs aucun doute sur la complicité directe des partis dans le crime de Louvel. Dans tous les cas, ces mêmes partis ont accepté hautement la responsabilité de ce crime, en continuant à défendre les doctrines qui armèrent le bras de l’assassin du duc de Berry ; et, sous ce dernier rapport, il n’est que rigoureusement juste de dire que le forfait de Louvel est resté celui de la Révolution.

 

 

 

 

 

 

XVIII

 

 

 

LE MILLIARD DE L’INDEMNITÉ.

 

 

I.

 

 

Une des plus grandes plaies léguées à la France par la Révolution, ce fut sans contredit cette masse de confiscations qui, de 1793 à 1803, atteignirent le chiffre monstrueux d’un milliard : après avoir payé toutes les dettes de la République et de l’Empire, la Restauration, fidèle à la mission réparatrice qu’elle avait été appelée à remplir, conçut et réalisa une mesure qui est considérée à bon droit comme un miracle de sagesse et de politique, comme une des plus hautes pensées d’État qui aient jamais illustré un gouvernement, en un mot comme un immense bienfait national ; nous voulons parler de l’indemnité que, selon les belles expressions de M. de Lamartine, la France réconciliée se vota à elle-même pour fermer sa plus saignante blessure.

Mais, comme nous venons de le dire, cette grande réparation émanait de l’initiative royale : à ce titre, la loi tout à la fois si libérale et si magnanime qui venait la soumettre à la discussion des Chambres, ne pouvait manquer de rencontrer sur ce terrain une opposition aussi aveugle que passionnée. Celle opposition éclata, en effet, dans les rangs du Libéralisme.

Qu’importait au Libéralisme l’iniquité que traînait, pour ainsi dire, après elle cette longue chaîne de confiscations, qui dans l’espace de dix années, avaient successivement frappé tant de familles, tant d’innocents de tout âge et de toute condition, vieillards, veuves, enfants, héritiers directs ou collatéraux ! Qu’importaient au Libéralisme les larmes, les souffrances, la mendicité même, représentées par des années de proscription sur une terre étrangère ! Qu’importaient au Libéralisme les incalculables avantages que la Fiance devait recueillir d’une mesure qui ne consacrait pas seulement une grande réparation sociale, en indemnisant les anciens possesseurs des biens confisqués, mais qui, en lavant la tache de leur origine sur les titres de leurs acquéreurs, en restituant au droit commun de propriété et par suite à la circulation ces mêmes biens que la conscience publique avait frappés d’une espèce d’interdit, et en les relevant ainsi à leur valeur intrinsèque, devait avoir pour résultat d’augmenter de deux ou trois milliards le chiffre de la richesse publique ! Cette mesure était présentée par la main du roi légitime : c’était assez pour que le Libéralisme en méconnût systématiquement le double bienfait politique et financier ! Et puis, est-ce que ces confiscations, en passant à l’état de fait accompli, et en acquérant ainsi droit de cité dans notre droit public, ne constituaient pas sous les yeux du peuple comme une magnifique prime d’encouragement à de nouvelles révolutions ?

L’opposition libérale, dans les deux Chambres, combattit donc, à l’aide de tous les sophismes qu’elle put ramasser, une loi dont la France devait à jamais bénéficier, sous le rapport politique, par la réconciliation des acquéreurs et des indemnisés, et financièrement, par une plus-value de deux ou trois milliards dans la fortune publique.

L’argumentation du Libéralisme ne fut, en effet, qu’un triste et déplorable appel à des susceptibilités nationales invoquées à faux, et à des intérêts généraux que la loi ne songeait nullement à léser : elle consista à présenter l’indemnité, d’une part, comme une vengeance de parti, et d’autre part comme une dîme qui devait être prélevée sur l’épargne ou le crédit des contribuables au profit d’une classe privilégiée. On devine de suite tous les développements qu’un pareil thème fournit aux orateurs de l’opposition, tous les sophismes qu’ils étalèrent à la tribune pour établir le crime de l’émigration, tous les lieux communs qu’ils entassèrent pour démontrer la légitimité des confiscations, toutes les déclamations antisociales par lesquelles ils s’efforcèrent de prouver que la propriété territoriale, qui domine le droit commun chez tous les peuples, peut être violée sans ébranler l’édifice même des lois.

Nous avons déjà eu occasion de justifier l’émigration au triple point de vue de l’équité, de la logique et de l’histoire ; toutefois, nous demandons à nos lecteurs la permission de reprendre la question, et de la traiter à un nouveau point de vue, en traduisant la Révolution à son propre tribunal, et en obtenant de sa bouche même sa condamnation, à elle, et la justification de ses victimes.

 

 

 

II.

 

 

Un fait incontestable et incontesté, c’est que la Révolution a exilé, emprisonné, dépouillé et guillotiné un nombre considérable de Français : nous venons d’énumérer les crimes généraux de la Révolution ; mais quel fut le mobile de ces crimes ? L’histoire répond qu’il faut le chercher dans un double sentiment de cupidité, ayant pour objet la puissance et les richesses. La Révolution, victorieuse, se résume en effet dans une usurpation du pouvoir et dans une usurpation des propriétés. À l’appui de cette définition, nous citerons un mot de M. Royer-Collard et un mot de Collot-d’Herbois : le premier a dit que « les hommes sont amis de la liberté et amants de la puissance » ; le second, que « celui qui ne sent pas son sang bouillonner au seul nom d’opulence, a menti à la nature ».

La cupidité est donc la cause première, la cause morale de la Révolution.

Mais les révolutionnaires ont eux-mêmes pris soin de dégager cette cause de ses profondeurs métaphysiques, pour l’exposer, si nous pouvons parler ainsi, au grand soleil de leurs propres aveux. Dès 1788, l’un d’eux, Dupot, disait des personnages de la Cour : « Ils viennent d’ouvrir une mine riche ; ils s’y ruineront, mais nous y trouverons de l’or. » Un des plus renommés apôtres du Jacobinisme, Marat, avait, comme l’on sait, pris pour devise « le dépouillement des grands et l’enrichissement des petits ». Danton, de son côté, disait cyniquement au jeune Royer-Collard : « Venez avec nous ; quand vous aurez fait fortune, vous embrasserez plus à votre aise le parti qui vous conviendra. » Enfin un quatrième, Javoque, déclarait que « les propriétés étaient une usurpation faite sur les révolutionnaires ».

Voyons maintenant comment la Révolution, après avoir ainsi réduit le crime en principe, passa à son exécution :

Il lui fallait un appât et un prétexte : elle trouva le premier dans le mot liberté, et saisit le second dans un puéril déficit de finances ; puis, pendant trois années, chacun de ses pas fut désormais marqué par un attentat sur le pouvoir, jusqu’au régicide inclusivement, et par un attentat sur la propriété par l’incendie et le pillage.

Quand la populace règne, le crime entre nécessairement dans les prérogatives de sa souveraineté : l’impunité fut donc acquise de droit à tous les excès révolutionnaires. Dénonçait-on des incendiaires à l’Assemblée constituante ? Robespierre montait à la tribune pour inviter l’Assemblée « à traiter avec douceur le peuple qui brûlait les châteaux ». Était-ce des assassins ? Mirabeau faisait décider « qu’il n’y avait pas lieu de délibérer ». Une procédure avait été dressée par quelques magistrats courageux sur des scènes d’horreur dont la Provence avait été le théâtre : elle fut mise à néant par un décret. Un grand nombre de châteaux avaient été pillés et brûlés en Bretagne : un décret qualifia ces actes d’égarement momentané, et rendit les coupables à la liberté. Avignon avait envoyé une députation à Paris pour demander à l’Assemblée la mise en jugement de Jourdan Coupe-tête : l’Assemblée ordonna que l’horrible meurtrier fût relâché, et décida qu’il avait bien mérité de la patrie.

De l’impunité légale du crime à sa sanctification, puis à sa déification, il n’y a d’autre intervalle que celui qui sépare les conséquences successives d’un principe ou d’un fait. On sait que cet intervalle ne tarda point à être franchi par la Révolution, et qu’elle en vint en effet à décerner au crime des apothéoses publiques.

Ce progrès dans le mal est une loi même de la nature : c’est pourquoi Danton a pu dire avec une rigoureuse vérité que « en révolution, le pouvoir reste toujours aux plus scélérats » ; c’est pourquoi un autre conventionnel, Bourdon (de l’Oise), a pu dire aussi : « Depuis six ans, le crime a toujours été croissant ; chaque époque de la révolution, chaque nouvel évènement a ajouté à la férocité de ces scélérats. Quiconque a trempé ses mains dans le sang, quiconque a pillé, égorgé, voudra toujours égorger et piller. En révolution comme à table l’appétit vient en mangeant. » Au surplus, cette loi naturelle est attestée par l’histoire de toutes les révolutions : celles d’Angleterre et de France ont, en effet, montré cette progression fatale du mal au pire ; et, assurément, si la révolution anglaise et la révolution française n’ont pas élevé le meurtre plus haut qu’une tête royale, c’est que, dans l’ordre providentiel, le sang d’un Dieu ne devait couler qu’une fois sur la terre !

Le règne souverain du crime, avec l’impunité légale pour prérogative de cette souveraineté : voilà ce qu’était la Révolution. Une pareille situation politique et sociale étant donnée, y a-t-il un droit d’émigration pour les victimes, et jusqu’où ce droit s’étend-il ?

 

 

 

III.

 

 

Le droit pour l’homme de fixer sa demeure où il veut, est un droit éminemment naturel qu’on trouve écrit dans toutes les législations, et qui a été exercé dans tous les temps avec le consentement universel. Chose curieuse ! il se trouve consacré par la Révolution elle-même, soit dans la Déclaration des Droits de l’homme, soit dans toutes les Constitutions républicaines postérieures, soit dans les écrits des plus fameux républicains. D’après Condorcet, « tout citoyen est libre de choisir son domicile, soit dans l’État, soit hors de l’État, sans être assujetti à aucune gêne et sans perdre aucun de ses droits ». D’après Syciès, « tout citoyen est le maître d’aller ou de rester, d’entrer ou de sortir du royaume, et d’y rentrer quand et comme bon lui semble ». La même doctrine fut formulée par Mirabeau, par Target, par Bouche et par Carnot. L’Assemblée constituante consacra de son côté, dans la Constitution de 1791, comme « un droit naturel, inaliénable et sacré, la liberté pour tout homme d’aller, de rester, de partir ». Cette liberté, ce droit, elle les proclama à nouveau, avant de se séparer, dans son décret du 14 septembre 91.

Or, c’est sous la foi de cette solennelle déclaration de principes qu’une grande partie de l’émigration s’effectua.

Mais il y a plus ; ce même droit, cette même liberté, qui furent si monstrueusement violés par la Convention, eh bien ! la Convention les a formellement reconnus : le 9 février 92, le rapporteur de son Comité de législation déclara à la tribune que l’homme est libre, qu’il est citoyen de l’univers, qu’il choisit sa patrie ; que si son choix est mauvais, il peut changer ; que comme elle peut le repousser, il a le droit de la répudier.

Le crime se jugeant ou plutôt se condamnant ainsi lui-même ! Toute l’histoire de la Révolution est là.

L’émigration volontaire a donc sa sanction dans la loi naturelle. Elle peut, en outre, tirer comme une justification surabondante de certaines circonstances sociales.

Ainsi, sous la Révolution, il y avait des hommes dont la liberté et la vie étaient destituées de la protection des lois : évidemment, ces hommes n’avaient pas le devoir de se condamner à rester là où la prison et l’échafaud étaient leur seule perspective ; ces hommes, au contraire, avaient manifestement le droit de se dérober par une volontaire proscription à une mort à peu près certaine. Sous la Terreur, la fuite ne fut donc autre chose que la légitime application du droit naturel de conservation.

Le droit d’émigration se présente d’ailleurs, dans l’histoire des peuples, avec toute l’autorité d’un fait universel : de tout temps et chez toutes les nations, en effet, l’hospitalité fut considérée et pratiquée comme un devoir sacré. L’antiquité nous fournit, à ce sujet, deux exemples classiques : celui des Troyens, qui trouvèrent un refuge dans le Latium ; celui des Messéniens qui, chassés par les Spartiates, furent reçus dans l’Arcadie et à Athènes. L’ère nouvelle abonde en cas d’hospitalité de ce genre : les lois Franques et les Capitulaires de Charlemagne sont remplis de dispositions spéciales qui témoignent du grand mouvement d’émigrations qui sillonnaient alors l’Europe ; Louis-le-Débonnaire concéda des terres à des Espagnols fugitifs et les traita sur le même pied que les Français, sicut alii Franci ; Louis XIV donna des lettres de naturalisation à plus de vingt mille étrangers qui avaient suivi les Stuarts dans leur exil ; à la révocation de l’édit de Nantes, la Hollande, l’Allemagne et l’Angleterre, disputèrent en quelque sorte de générosité dans l’accueil qu’elles firent aux proscrits ; dans le milieu du 18e siècle, un roi protestant et un roi catholique accordèrent un refuge également honorable aux restes d’un Ordre célèbre chassé de France ; quelque temps après, c’est la France qui, à son tour, recueillit les Carmélites des Pays-Bas, persécutées par Joseph II ; enfin, et pour finir par l’émigration française, quelle monarchie, quelle république même, refusèrent un asile à nos malheureux compatriotes ?

Voilà donc le droit d’émigrer démontré par des faits constants et universels d’hospitalité, empruntés soit à l’antiquité, soit à l’ère moderne. Mais il nous paraît piquant de compléter cette démonstration par l’autorité et l’exemple mêmes de la Convention : la Convention promulgua, en effet, la déclaration suivante : « Le peuple Français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie » ; et quelques mois après, elle accordait 150,000 livres aux réfugiés belges. Or, si la Convention reconnaissait aux étrangers le droit d’émigrer, nous ne voyons pas comment elle pouvait être logiquement fondée à le dénier à des Français.

L’émigration, considérée en elle-même, ne fut donc pas un crime, puisque, comme déjà nous l’avons dit, elle ne fut que l’exercice d’un droit légitime, reconnu dans tous les temps et par tous les peuples. Dans tous les cas, elle ne pouvait être déclarée criminelle par la Convention, puisque cette dernière l’avait implicitement consacrée en principe par son appel aux bannis étrangers.

 

 

 

IV.

 

 

Cependant, ne pourrait-on pas prétendre que la désertion du sol de la patrie constitue et emporte comme un divorce réel avec cette patrie ? Cette prétention a été, en effet, soulevée contre les émigrés français : discutons-la donc.

D’abord, qu’est-ce que c’est que la patrie ?

La vraie patrie peut fort bien n’être pas celle du sol. Elle cesse, par exemple, d’être liée au sol, quand ce dernier, sous l’effort des factions, a secoué et rejeté la souveraineté légitime : dans ce cas, la patrie, devenue nomade, est partout où flotte le drapeau du droit. Inféoder la patrie au sol, ce serait souvent risquer de l’inféoder à l’usurpation : ce serait nécessairement dire qu’à l’époque désastreuse de l’invasion anglaise, alors que nos ennemis étaient maîtres de la totalité du sol français, moins une ville demeurée fidèle au roi légitime, la patrie se trouvait là où régnait l’étranger ; ce serait, par conséquent, être amené à taxer de trahison Dunois, Lahire et Jeanne d’Arc, dont l’épée avait fidèlement suivi la fortune de la France ! N’est-ce pas aussi cette patrie impérissable du droit que Napoléon croyait proclamer, quand, à la distribution des aigles au Champ-de-Mars, il s’exprimait ainsi : « Soldats ! voilà vos drapeaux ; ces aigles, qui vous serviront toujours de point de ralliement, seront partout où votre empereur les jugera nécessaires pour la défense de son trône et de son peuple : jurez donc de sacrifier votre vie pour les défendre ! » Quand la Révolution eut violemment détrôné l’autorité légitime, la patrie elle-même déserta donc le sol français pour se porter partout où s’était réfugié ce que nous appellerons l’honneur, c’est-à-dire le serment et la fidélité au droit ; et l’honneur national, s’appliquant le mot de César, put dire à la face de l’Europe :

 

          « La France n’est plus en France, elle est toute où je suis. »

 

Toutefois, sous le règne de la Révolution, c’est-à-dire de la violation légale de toutes les légitimités sociales, l’émigration dut logiquement être considérée comme un crime, et, à ce titre, provoquer, avec l’horreur qui s’attache au crime, le châtiment qui lui est dû. Telle était, en effet, la théorie du gouvernement révolutionnaire, d’après Robespierre : « Le gouvernement révolutionnaire ne doit aux ennemis du peuple que la mort. » Cette théorie, Carrier la confirmait et la motivait ainsi : « Il faut commencer par exterminer les prêtres, les nobles, les banquiers, les négociants, parce qu’aucun de ces hommes ne peut aimer la République. » (Au moins, et c’est justice à lui rendre, ce dernier comprenait-il bien que la victime ne peut aimer son bourreau !) Un autre conventionnel, Collot d’Herbois, disait aussi des émigrés : « Non, la patrie ne les recevra pas, ou elle ne les recevra que pour les dévorer ! » Tallien s’écriait à son tour : « Les émigrés ont osé remettre le pied sur la terre natale, et cette terre les dévorera ! » Cette expression dévorer, appliquée d’hommes à hommes, se rencontre à chaque page du Moniteur : il est naturel que l’homme, dégénéré en animal féroce, en ait le langage en même temps que les appétits.

Une fois convertie en crime, l’émigration appelait logiquement le châtiment : la déportation et la mort civile, tel fut son lot, mais en même temps qu’on frappait ses membres de cette dernière peine, on décrétait que les successions qui leur écheraient pendant cinquante ans, appartiendraient à l’État ; en sorte que, selon la remarque aussi juste qu’ingénieuse d’un anonyme, on les faisait morts de leur vivant pour prendre leurs biens, et vifs après leur mort pour prendre ceux de leurs parents !

La logique du mal voulait que le bienfaiteur de l’émigré fût déclaré son complice et puni comme lui : une loi, celle du 18 novembre 94, étendit donc au bienfaiteur de l’émigré les peines portées contre celui-ci, depuis la spoliation jusqu’à la mort. Ainsi, aux termes de cette loi, le frère, le père, l’enfant, l’épouse, qui avaient procuré des secours à un émigré, étaient dévolus à la guillotine ! Nous ne citerons que deux exemples : parmi les quatorze vierges de Verdun, l’unique crime des trois sœurs Watrin était d’avoir prêté quelque argent à des proscrits ; M. Delaunay expia pareillement sur l’échafaud celui d’avoir procuré des vêtements à son frère.

Mais l’on comprend bien qu’en matière de complicité, la Révolution devait, si nous pouvons parler ainsi, exprimer la loi jusqu’à sa dernière victime possible : elle incrimina donc la parenté, les alliances, l’amitié, à titre de présomptions naturelles et légitimes ; et Marat alla jusqu’à demander « que cent mille des parents et des amis des émigrés fussent arrêtés comme otages, et que leurs têtes tombassent pour le salut de la République » !

Non contente d’envoyer à la mort les émigrés qui étaient arrêtés sur le territoire français, la Révolution les poursuivait de sa vengeance jusque chez les peuples où ils trouvaient hospitalité : c’est ainsi qu’à l’aide des victoires des armées républicaines, elle exigea de deux de ces peuples leur expulsion et même leur extradition. Dans les mains de la Révolution, la gloire était rabaissée au rôle d’auxiliaire du crime et de recruteur de la guillotine.

 

 

 

V.

 

 

Pour nous résumer, voici donc quelle était la situation faite aux émigrés par la Révolution :

À l’intérieur, mise hors la loi ;

À l’extérieur, encore mise hors la loi par voie d’expulsion et d’extradition.

Maintenant nous demanderons si, alors qu’ils se trouvaient ainsi rejetés partout hors du droit des gens par la Révolution, les émigrés ne pouvaient pas se croire fondés à revendiquer et exercer contre une aussi implacable ennemie un droit de guerre reconnu même par la démocratie comme la dernière raison des citoyens opprimés ?

Ici encore nous laisserons la Révolution prononcer contre elle-même :

Nous lisons dans le projet de Déclaration des droits, rédigé par Target : « Les droits de l’homme sont inaliénables et imprescriptibles. Tout corps politique dans lequel ces droits sont en péril est un brigandage et non un gouvernement. »

La Constitution de 95 porte : « Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. »

D’après Condorcet, « l’un des droits naturels, civils et politique des hommes, est la résistance à l’oppression. »

Robespierre est encore plus explicite : « Tout acte contre la liberté, la sûreté ou la propriété d’un homme, exercé par qui que ce soit, même au nom de la loi, est arbitraire et nul ; le respect même de la loi défend de s’y soumettre, et si on veut l’exécuter par violence, il est permis de le repousser PAR LA FORCE. »

Enfin, cette résistance ouverte contre l’oppression, la Constitution de 93, que nous avons déjà citée, en fait, dans ses articles 33, 34 et 35, non-seulement un droit, mais encore un devoir, et LE PLUS INDISPENSABLE ET LE PLUS SACRÉ DES DEVOIRS.

Ainsi, d’après les doctrines professées au nom de la démocratie, et réduites en principes dans la Constitution de 93, l’émigration, par cela seul qu’elle était frappée par la Révolution dans ses droits naturels, civils et politiques, se trouvait armée contre celle-ci d’un droit de résistance ou plutôt de guerre auquel la loi républicaine elle-même n’assignait aucune limite.

Nous avons dit, en commençant, que nous traduirions la Révolution à son propre tribunal, et que nous obtiendrions de sa bouche même, avec sa condamnation à elle, la justification de ses victimes : si nous ne nous abusons, nous avons tenu notre parole.

 

 

 

VI.

 

 

Alors que nous avons ainsi obtenu gain de cause pour l’émigration devant la Révolution elle-même, nos lecteurs comprendront de reste que nous n’avons plus à nous occuper des déclamations, des lieux communs et des sophismes si pitoyablement ramassés par l’opposition libérale contre la mesure réparatrice de l’indemnité. Disons seulement que le paiement du milliard voté par les chambres put s’effectuer sans justifier les alarmes que le Libéralisme s’était efforcé de répandre dans l’esprit des contribuables, relativement à une aggravation de l’impôt : ce paiement fut distribué en cinq années, et réalisé au moyen d’une création de rentes 3 pour 100. « En cinq années, dit M. de Lamartine dans son Histoire de la Restauration, la grande plaie de la Révolution fut fermée ; et le milliard, réparti entre des millions de victimes ou d’héritiers des victimes, rendit la paix aux consciences, la sécurité aux acquéreurs, l’aisance aux indemnisés, la valeur aux terres, la solidité au crédit public, la circulation au sol. »

Une chose à noter pour l’édification des croyants au Libéralisme, c’est qu’aucun des membres de l’opposition qui furent appelés à la répartition de l’indemnité, ne rejeta avec une patriotique indignation les titres de rentes qui lui furent délivrés : et cependant, que n’avaient-ils pas dit contre une mesure dans laquelle ils ne voulaient voir qu’une spoliation de la fortune publique ! Ainsi M. le duc de Choiseul reçut pour sa part plus de 1,100,000 francs ; M. de Liancourt, 1,400,000 fr. ; M. de Lafayette, 450,862 fr. ; M. Gaëtan de La Rochefoucauld, 428,206 fr. ; M. de Thiars, 357,850 fr. ; enfin M. Ch. de Lameth, 201,696 fr.

Ô comédiens de patriotisme et de désintéressement !

 

 

 

 

 

 

XIX

 

 

 

LES ULTRA.

 

 

I.

 

 

La faute de la Restauration fut de se laisser persuader que la France voulait être gouvernée dans le sens des intérêts révolutionnaires, tandis qu’au contraire le pays ne demandait qu’à en finir avec la Révolution : de là, d’une part, l’inauguration d’un système gouvernemental dirigé contre les intérêts également légitimes et également sacrés de la royauté, de la religion et de la liberté ; et d’autre part, la formation d’une opposition royaliste dans les rangs de laquelle se réfugia, pour ainsi dire, la cause de la monarchie, du catholicisme et de la nation.

Ce système gouvernemental, conçu par des ambitions personnelles qui visaient à un changement de règne, eut, comme l’on sait, pour conseillers et pour metteurs en œuvre deux hommes qui étaient tout ensemble l’effroi et le mépris de la France monarchique et catholique : le premier de ces deux hommes, grand-seigneur révolutionnaire, prêtre sacrilège et renégat, courtisan alternatif de tous les régimes, était Talleyrand ; l’autre, proconsul de la Terreur, régicide de Louis XVI, conspirateur du 20 mars, était Fouché.

 

 

 

II.

 

 

La pensée de ce système se fit jour pour la première fois dans la prétention du gouvernement provisoire, en 1814, à imposer au roi légitime les constitutions de l’empire, la répudiation de ses droits héréditaires et l’adoption de la cocarde tricolore.

Elle se manifesta pour la seconde fois dans la Déclaration de Saint-Ouen, rédigée en quelque sorte sous la dictée du Sénat, signée par Louis XVIII sous la pression de l’empereur Alexandre, et qui n’était autre chose que l’abandon à peu près complet des principes constitutifs de la monarchie.

Enfin, elle s’incarna dans la Charte, en imposant à la France un système de gouvernement qui détruisait radicalement notre ancienne constitution monarchique.

M. Lubis, dans son excellente Histoire de la Restauration, apprécie en ces termes la constitution anglaise de 1814 :

« .... Les royalistes étaient consternés. Ils ne pouvaient attacher une idée de durée à un acte qui dépouillait à ce point la nation et la royauté. Car ils ne se faisaient point illusion sur les motifs qui avaient déterminé le roi à s’emparer du pouvoir constituant pour détruire la constitution monarchique. Ils voyaient dans cet acte une révolution nouvelle et une sorte de suicide de la royauté, qui ruinait elle-même l’œuvre du temps, l’œuvre de Dieu, et portait une main coupable sur l’édifice sacré dont elle était la clé de voûte et la gardienne immuable. Cet acte présentait d’ailleurs un caractère de contradiction si marqué, qu’il était difficile de ne pas le considérer comme un simple moyen de concilier pour le moment les opinions opposées. Par le préambule on voulait séduire les royalistes, et par le reste les libéraux. La Charte acceptait ainsi, et de prime abord, une position fausse entre deux partis ; elle condamnait le gouvernement à faire de la bascule. Établi sur une combinaison mixte, ce gouvernement, mélange bizarre de systèmes opposés, empruntés à l’Angleterre, à la Constituante et à l’Empire, empreint à la fois des souvenirs de la monarchie et de ceux de la Révolution, paraissait dès-lors destiné à ne marcher jamais qu’à tâtons, s’appuyant tantôt à droite, tantôt à gauche, et s’exposant à encourir le reproche de pencher toujours trop de l’un ou de l’autre côté. »

L’œuvre des Jacobins de 1814 n’était donc qu’un piège tendu sous les pas de la Légitimité.

 

 

 

III.

 

 

Avant de suivre dans la pratique le système gouvernemental sous lequel devait périr et périt en effet la Restauration, il nous paraît curieux et utile à la fois de rappeler comment le chef du premier ministère de Louis XVIII, M. de Talleyrand, avait été amené à se rapprocher de Fouché, et à présenter au Roi la présence de cet homme dans les conseils de la Couronne comme une nécessité de la situation. Écoutons M. de Lamartine 20 :

« .... M. de Talleyrand n’avait jamais regardé Fouché que comme un Talleyrand subalterne, révolutionnaire sorti de la lie des factions, taché de sang et marqué de ce sceau du régicide qui le rendait à jamais impropre à négocier avec les cours, et à commander, au nom d’une monarchie, le respect des rois aux peuples. Il n’honorait pas sa basse et vulgaire intrigue du nom de politique : il le regardait du haut de sa naissance comme un parvenu, il le dédaignait comme son égal, il le haïssait comme son rival, il daignait seulement l’accepter comme son instrument. – M. de Talleyrand, à titre de grand seigneur révolutionnaire, de courtisan longtemps transfuge dans la cour de Bonaparte, de prêtre ayant répudié son sacerdoce et sa foi, avait paru un scandale de la fortune à la cour et à la tête des conseils de Louis XVIII en 1814. Il avait été imposé par les évènements plus qu’accepté par le Roi, par les princes, les princesses, les courtisans, et par l’Europe elle-même. Pénétrant, quoique impassible, l’embarras de cette situation lui pesait et l’inquiétait sur la continuation de son ascendant à venir. Il était trop intelligent pour croire Fouché indispensable à la couronne après Waterloo, et devant Paris déjà évacué par nos troupes et entouré par cinq armées formant ensemble un million d’hommes. Mais, en affectant de croire à la nécessité de Fouché, et en déclarant tous les jours au Roi qu’il ne répondait de rien sans ce collègue, il se vengeait habilement du roi, des princes, des princesses, des courtisans, des émigrés. Il les forçait à élever de leurs propres mains, dans leur propre cœur, un scandale devant lequel l’inconvenance de sa propre élévation disparaissait. Qu’était-ce, en effet, que M. de Talleyrand, évêque affranchi de ses vœux par le souverain Pontife, constitutionnel modéré et ami de Mirabeau en 1790, émigré en Amérique en 1793, pur de sang, grand de naissance, éclatant de négociations et de talents pendant l’Empire, auprès de Fouché, proconsul et régicide, meurtrier du frère et du père des princes et des princesses qui allaient lui ouvrir leur cour et leur cœur ? Après un tel sacrifice volontairement fait à l’utilité d’un pareil homme, de quoi les Bourbons et leurs amis auraient-ils à se plaindre en voyant M. de Talleyrand régner dans leurs conseils ? Il leur ôtait, en les entachant eux-mêmes, tout droit de s’étonner de sa présence et de le flétrir dans l’avenir ; il rendait Louis XVIII plus complice mille fois que lui-même de la révolution ; il le ravalait au-dessous de Fouché ; et une fois que le cri public se serait élevé contre le scandale de ce ministre contre-nature, et que Fouché serait congédié, le roi et sa cour n’auraient plus rien à opposer à sa propre domination dans le gouvernement. Le contact avec Fouché leur aurait enlevé le droit d’affecter toute autre pudeur. – Telles étaient, sans aucun doute, les vraies pensées de M. de Talleyrand quand il reçut Fouché dans ses bras à Arnouville pour conduire lui-même son rival d’ambition aux pieds du roi vaincu. »

D’un autre côté, le même historien rend ainsi compte de la démarche faite auprès de Louis XVIII par M. de Chateaubriand pour essayer de prévenir la dégradation que l’entrée de Fouché dans les conseils du Roi devait imprimer à la royauté :

« À peine eut-il appris que Fouché venait de disparaître en présence de Louis XVIII, présenté par M. de Talleyrand, et qu’il emportait sa nomination confidentielle au ministère de la police, qu’il se présenta à la porte du cabinet et demanda avec instance à être introduit. Le Roi, qui n’aimait pas l’écrivain et qui redoutait sa présence, de peur d’avoir à rougir devant lui de la parole qu’il venait de donner, refusa longtemps de le recevoir. Cependant, l’importune obstination de M. de Chateaubriand, son titre de membre du Conseil du prince, sa fidélité, son exil volontaire et ses services à Gand, commandant au Roi de derniers égards envers ce serviteur illustre, il lui ouvrit enfin son appartement. – M. de Chateaubriand, avec toutes les marques de respectueux attachement à sa personne et à sa maison, lui dit ce qu’il venait d’apprendre et ce qu’il se refusait à croire. Il le supplia, par les mânes de son frère, par l’honneur de sa maison, par le soin de sa mémoire, de préserver l’histoire de son règne d’une concession que ses ennemis appelleraient une ignominie. Il lui représenta la consternation des royalistes, apprenant que le juge qui avait condamné Louis XVI à l’échafaud siégerait en face du Roi, frère de Louis XVI, dans les conseils et dans les palais même de sa victime. Il ouvrit devant lui le cœur de Madame la duchesse d’Angoulême, pour en arracher les cris d’indignation et de douleur que le respect y contiendrait sans doute devant lui, mais qui éclateraient devant l’ombre de son père et devant Dieu ! – Il n’obtint qu’un impassible silence et des signes de résolution arrêtée sur les traits et dans les gestes du Roi. – Cela est nécessaire, Monsieur, dit sévèrement le prince ; aucun bon Français ne peut avoir la prétention de sentir plus fortement la nécessité et la douleur vaincue par le devoir envers son peuple, que le roi ! – Ah ! s’écria Chateaubriand, si le trône lui-même était, en effet, le prix d’un tel sacrifice, il conviendrait surtout à un prince si éclairé et si noble que vous de sacrifier un trône à la vertu ! – Il voulait insister encore ; le Roi, poussé par l’importunité et l’impatience, et aussi embarrassé de refuser que de répondre, lui montra la porte du geste en s’écriant : « Sortez, Monsieur ! » – Chateaubriand s’inclina avec douleur, et sortit en emportant dans son cœur un murmure qui ne s’y apaisa jamais. »

Dans la Monarchie selon la Charte, la piété royaliste de l’immortel écrivain, se taisant sur cette démarche, se contente d’exprimer ainsi l’impression produite sur lui par cette entrevue entre le Roi et le régicide de Louis XVI :

« Je me rappellerai toute ma vie la douleur que j’éprouvai à Saint-Denis. Il était à peu près neuf heures du soir ; j’étais resté dans une des chambres qui précédaient celle du Roi. Tout-à-coup la porte s’ouvre : je vois entrer le président du Conseil, s’appuyant sur le bras du nouveau ministre Louis-le-Désiré ! ô mon malheureux maître ! vous avez prouvé qu’il n’y a point de sacrifice que votre peuple ne puisse attendre de votre cœur paternel ! »

Vive le Roi quand même ! tel fut, pendant toute la Restauration, le cri de vengeance des fidèles sujets du Roi contre l’aveuglement, les préventions ou l’ingratitude royale.

Voyons maintenant à l’œuvre le système des intérêts révolutionnaires substitué, dans la sphère gouvernementale, à l’action légitime et naturelle des principes constitutifs de la société française.

 

 

 

IV.

 

 

Le premier soin du système fut de proclamer qu’il n’y avait point de royalistes en France ; que, dans tous les cas, les royalistes étaient essentiellement incapables ; que la Chambre des députés, qui donna tant de gages de dévouement au Roi et défendit si énergiquement les droits du peuple, n’avait pas été nommée dans le sens de l’opinion générale, et que par conséquent le gouvernement du Roi devait se séparer de la majorité de cette même Chambre. Partant de là, le système eut bientôt créé, à l’ombre même du pouvoir, cette vaste conjuration de tous les intérêts révolutionnaires contre le trône, la morale, la justice et l’honneur, en un mot cette conspiration flagrante de toutes les illégitimités contre la Légitimité, qui se proposait audacieusement pour but un changement de dynastie ou au moins un changement dans l’ordre de successibilité à la couronne : l’exemple des Stuarts, offert par l’Angleterre, était là, non pas seulement pour justifier l’échafaud de Louis XVI par celui de Charles Ier, mais pour provoquer la dépossession de la famille légitime au profit d’une branche usurpatrice.

La conspiration marchait en plein soleil.

Ses premiers efforts tendirent à isoler le Roi de sa famille ; et, en attendant qu’on pût oser lui imposer l’exil des princes, on commença par éloigner ceux-ci du Conseil, et par leur disputer, sinon même leur ôter, toutes les grandes situations politiques ou militaires qui, en les mettant en vue, eussent habitué le peuple à les confondre dans son dévouement et son amour pour le monarque.

Le second moyen consista à écarter les royalistes de tous les emplois de l’administration, pour donner ces mêmes emplois aux hommes qui avaient passé leur vie à violer la foi jurée en transportant régulièrement leur dévouement et leur fidélité à tous les gouvernements qui se succédaient, et dont on aurait pu compter les places diverses qu’ils avaient ainsi occupées par le nombre de leurs serments prêtés.

Mais ce n’était pas assez pour la faction d’établir ainsi ses créatures dans toutes les positions administratives, en vue d’éventualités plus ou moins prochaines : il lui fallait surtout décourager les royalistes dans la source même de leur dévouement ; elle s’attacha donc à jeter le ridicule sur des hommes qu’elle présentait comme étant plus royalistes que le Roi ; et, afin de vulgariser ce ridicule, elle en fit un type au bas duquel elle écrivit le mot Ultra. En ceci, du reste, elle n’inventait rien : le mot Ultra n’était qu’une variante de celui d’aristocrate ; seulement, en 93, on mettait les amis du trône à la lanterne, tandis qu’en 1815 on se contentait de les vouer à la dérision publique.

Elle se moquait avec le même esprit du voyage de Gand, qu’elle appelait le voyage sentimental.

En même temps qu’elle n’avait aucune faveur à refuser à l’officier à demi-solde, chevalier de la Légion d’Honneur, elle n’avait qu’une aumône ou un billet d’hôpital à accorder au vieux soldat de l’armée de Condé, chevalier de l’Ordre de Saint-Louis. Une recommandation d’un des membres de la famille royale, appuyée sur des certificats de vingt-cinq années de dévouement à la cause du Roi, ne servait qu’à faire éconduire plus sûrement le solliciteur ; tandis qu’il suffisait à un homme des Cent-Jours d’avoir servi dans la police de M. Fouché pour voir toutes les portes s’ouvrir devant lui.

Elle avait trouvé un ingénieux moyen de justifier ce déni de justice envers les royalistes : c’était de systématiser cyniquement l’ingratitude. – Quel risque court-on avec eux ? disait-elle ; n’est-on pas sûr de les retrouver toujours, si l’on avait besoin d’eux ! – Quel magnifique hommage rendu par la bouche même de leurs ennemis à ces fidèles serviteurs dont la patience était, en effet, aussi inépuisable que leur amour pour le Roi !

Pour être conséquente jusqu’au bout, la faction, aussi ennemie de la Religion que de la Royauté, ne devait pas plus ménager les ministres de l’autel que les serviteurs du trône : aussi ne se fit-elle faute de blâmer hautement les honneurs funèbres rendus aux royales victimes de 93 ; aussi se plaça-t-elle en travers de tous les projets des Chambres, ayant pour objet le rétablissement des institutions chrétiennes ; aussi s’opposa-t-elle à ce qu’on restituât au clergé ce qui n’avait point été vendu des biens de l’Église ; aussi tint-elle plutôt à ce que le prêtre marié continuât à toucher exactement sa pension, qu’à ce que le pauvre curé fidèle à sa foi ne mourût pas de faim ; aussi s’ingénia-t-elle de toutes les façons pour paralyser la renaissance du culte, en écartant toutes les mesures réparatrices qui n’auraient été envers la religion catholique que des actes de stricte justice, et pour réduire à leur plus simple expression les moyens d’existence des vicaires de campagne, en les inscrivant, par exemple, au budget pour un traitement annuel de cent cinquante francs ; aussi affecta-telle, enfin, de ne voir que des calotins dans ces hommes qui avaient passé par le massacre des Carmes, par les déportations à la Guyane, par les mitraillades de Lyon, par les noyades de Nantes, et qui, sous le feu de la persécution révolutionnaire, avaient édifié la France et l’Europe du spectacle de leur foi, de leurs vertus et de leur fidélité à leur Dieu !

Mais il fallait surtout l’entendre traiter dédaigneusement d’esprits bornés et d’ennemis des lumières les membres de cette majorité royaliste qui voulait à la fois le roi légitime, le catholicisme et la liberté, et qui deux fois, en bannissant les régicides et en empêchant la vente des domaines nationaux, avait si énergiquement dit à la Révolution : On ne passe pas ! Le rêve caressé de la faction, son idéal, était une chambre de bons Jacobins, souples et rampants comme le sont en général les révolutionnaires, comme l’avaient été sous l’empire les échappés de la Convention dans le Sénat et le Corps législatif, ne connaissant en fait d’opposition qu’une passive obéissance aux volontés ministérielles, et aussi partisans de la police qu’ennemis de la liberté de la presse. À la bonne heure, une Chambre avec laquelle on n’eût pas à craindre le rétablissement des autels, et qui, quand le moment serait venu, fût toute prête à déclarer, au nom du peuple souverain, la déchéance de la Légitimité ! Mais que faire d’une Chambre si obstinément attachée, si ridiculement dévouée au Roi, à la liberté et à la religion ? Qu’en faire ? Ce que la faction en fit : la dissoudre, ou se séparer hautement de la majorité pour gouverner dans le sens de la minorité !

Enfin, et pour résumer en quelques traits l’esprit de la faction, elle n’admettait le cri de Vive le Roi ! que sous bénéfice d’attaques, d’injures ou de calomnies contre tout ce qui tenait à la personne du monarque par les liens de la nature, de l’affection, du devoir et de l’honneur ; dépouillant notre gloire militaire d’une auréole de quatorze siècles, elle ne lui reconnaissait, pour ainsi dire, d’existence légale que pendant les vingt années d’exil du roi légitime ; elle admettait la royauté, mais à la condition d’insulter et de calomnier la France en disant que celle-ci était révolutionnaire ; elle voulait bien concéder au petit-fils de Saint Louis sur le trône le titre de roi très-chrétien et de fils aîné de l’Église, mais à la condition d’outrager et de persécuter à son aise la religion et ses ministres ; elle voulait bien admettre l’inviolabilité royale en principe, mais à la condition de faire impunément entendre l’apologie des régicides de 1793, de transformer la révolte en un droit et même en un devoir, de faire une vertu patriotique de la trahison et de la félonie, et un crime contre la patrie du dévouement et de la fidélité au monarque ; elle voulait bien admettre la nécessité de la Restauration, mais à la condition que celle-ci n’eût d’autres serviteurs que les hommes de la République et de l’Empire ; enfin, elle voulait bien accepter le rétablissement de la monarchie légitime, mais sous la réserve expresse d’une traduction française du tome deuxième de l’histoire des Stuarts.

Voilà ce qu’étaient les hommes qui s’emparèrent du gouvernement de la Restauration pour le fausser, c’est-à-dire pour perdre la Légitimité, et qui appliquèrent comme un stigmate de ridicule la qualification d’ultra à une catégorie de français qu’ils accusaient d’êre plus royalistes que le roi. Il nous reste à examiner si cette dénomination d’ultra comportait en effet le ridicule qu’on voulait y attacher, et si, contre l’intention de ses auteurs, elle ne serait pas au contraire, pour ceux à qui elle fut donnée, un brevet d’honneur, de fidélité et de dévouement.

 

 

 

V.

 

 

C’était à coup sûr des ultra que ces paysans vendéens sur la poitrine desquels les républicains, en les dépouillant, trouvaient toujours cette double devise inscrite sur une amulette bénie : Dieu et le Roi ; Vive le Roi quand même ! – Vive le Roi quand même ! c’est-à-dire dût notre dévouement n’avoir pour horizon que l’échafaud ou le champ de bataille ! dût notre mort réduire nos enfants pour tout héritage à notre nom, à l’exemple que nous leur donnons, au cri que nous leur léguons ! dut le Roi, rétabli un jour sur le trône de ses pères, nous oublier dans nos fils, ou, si nous vivons encore nous-mêmes, nous laisser mendier notre pain, tandis que les hommes des Gent-Jours seraient comblés de récompenses et d’honneurs !

C’était à coup sûr des ultra que ces héros qui mouraient si intrépidement pour le Roi, et que l’histoire, sans distinguer le noble de l’homme du peuple, nomme avec une glorieuse égalité La Rochejaquelein, Cadoudal, Lescure, Stofflet, Bonchamps, Cathelineau !

C’était à coup sûr des ultra que ces gardes-françaises qui, pour obéir au Roi, se laissaient massacrer, le 6 octobre, sans se défendre, la main sur la poignée de leur épée !

C’était à coup sûr des ultra que ces gardes-du-corps qui, sous une livrée ennoblie par le dévouement, servaient de domestiques à la famille royale dans le voyage de Varennes, et qui partagèrent avec les augustes victimes tous les outrages du retour à travers une populace fanatisée !

C’était à coup sûr des ultra que ces royalistes dévoués jusqu’à l’exil, jusqu’au dépouillement volontaire de tout ce qu’ils possédaient, et qui, quand leurs princes recouvrèrent le trône de leurs aïeux, retrouvèrent bien, de leur côté, le foyer de leurs pères, mais occupé par de nouveaux maîtres pour qui ils n’étaient eux-mêmes que des étrangers !

C’était à coup sûr un ultra que ce vieux chevalier de Saint-Louis qui savait mendier ou mourir à l’hôpital, plutôt que de songer seulement à accuser son Roi d’injustice ou d’ingratitude !

Enfin, c’était à coup sûr des ultra que ces royalistes qui, alors que toutes les faveurs royales étaient pour le crime, la trahison et l’infamie, n’en avaient pas moins dans le cœur et sur les lèvres ce cri si noblement touchant, si sublimement obstiné : Vive le Roi quand même !

 

 

 

VI.

 

 

Fidélité et dévouement quand même : voilà donc ce qu’il y avait au fond de cette épithète d’Ultra, donnée par les jacobins de 1815 aux hommes qui avaient pris pour devise ces trois mots : le Roi, la religion et la liberté.

Une pareille épithète peut donc être acceptée fièrement par les royalistes de la Restauration : car elle sera leur titre de gloire devant la France !

 

 

 

 

 

 

XX

 

 

 

LE PARTI-PRÊTRE.

 

 

I.

 

 

Le même homme qui, en 1789, se faisant l’avocat si éloquemment inspiré du clergé, s’écriait à la tribune de l’Assemblée constituante : « Vous leur enlevez une croix d’or ? Ils prendront une croix de bois : c’est une croix de bois qui a sauvé le monde ! », le même homme qui, pendant l’émigration, rêvait sérieusement une croisade de tous les capucins de l’Europe, sous l’étendard de la croix, contre les armées de la République et de l’Empire ; M. de Montlosier, se séparant tout-à-coup d’une cause qu’il avait défendue tour-à-tour avec éloquence et avec ridicule, mais enfin qu’il avait fidèlement défendue pendant quarante ans, publia en 1825 un Mémoire qui dénonçait les prétendus envahissements du parti-prêtre dans la sphère politique. Le Libéralisme accueillit ce manifeste avec des acclamations frénétiques, lui prodigua la publicité de ses feuilles, le découpa par morceaux qu’il encadra dans des brochures destinées au peuple, et répandit parmi les masses le portrait de l’auteur, gravé, lithographie, et reproduit sous toutes les formes.

Le Libéralisme avait besoin d’un épouvantait contre le catholicisme, et d’un cri de guerre contre le clergé : il jeta le mot de parti-prêtre aux passions révolutionnaires. Or, c’est avec ces deux mots de parti-prêtre et d’ultra qu’il marcha hardiment à l’assaut de l’autel et du trône, et qu’il précipita de nouveau la France dans la carrière des révolutions.

Pour apprécier à sa juste valeur cette accusation d’envahissement, dirigée contre le clergé sous la Restauration, il importe d’établir sa situation comparative avant la Révolution, sous l’Empire et sous la Monarchie légitime.

 

 

 

II.

 

 

Commençons par rappeler en deux mots ce que la France doit au Catholicisme :

Historiquement parlant, il n’est pas plus possible de concevoir une France non-catholique qu’une France non-monarchique : le catholicisme est, au même titre que la royauté, un principe constitutif de la société française ; et quant à son influence sur les développements de notre civilisation, cette influence est écrite dans tous les monuments de notre législation politique et civile, c’est-à-dire à chaque page de notre histoire, « Depuis ce premier évêque qui baptisa Clovis jusqu’à ces derniers évêques qui suivirent Louis XVI à son baptême de sang, – dit Chateaubriand, – le clergé n’a cessé de travailler à la grandeur ou de s’associer aux malheurs de la France. » N’est-ce pas lui, en effet, qui a adouci la férocité des mœurs franques, qui a défriché les vieilles forêts gauloises, qui a creusé nos premiers canaux, percé nos premières routes, jeté les premiers ponts sur nos fleuves ? N’est-ce pas lui qui nous a transmis, à travers les invasions de la barbarie, le dépôt des lumières de Rome et de la Grèce ? N’est-ce pas lui qui avait le glorieux privilège de payer la rançon de nos Rois, quand les chances de la guerre, trompant leur valeur, les faisaient tomber au pouvoir de l’ennemi, et qui, dans les calamités publiques, avait pareillement celui de remplir les trésors de l’État, payant ainsi avec usure quelques exemptions dont il pouvait être favorisé comme ordre politique ? N’est-ce pas lui, enfin, de qui l’on a pu dire avec tant de vérité que la France est l’ouvrage de ses mains ? Or, s’il a, pour ainsi dire, créé la monarchie française, quelle peut donc être envers lui la mesure de la reconnaissance nationale ?

 

 

 

III.

 

 

En 1789, les revenus des biens ecclésiastiques étaient de 150 millions. Mais hâtons-nous de dire que le clergé était moins le propriétaire que l’administrateur d’un patrimoine dont un tiers appartenait à l’autel, un tiers aux pauvres, et dont l’autre tiers était affecté à l’entretien des ministres. En mettant ces biens à la disposition de la nation, l’Assemblée constituante prit l’engagement de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres ; et cet engagement, elle le régularisa sous la forme d’une dotation annuelle correspondante au revenu des biens confisqués, en déclarant sacrée et inviolable ce qu’elle appelait littéralement la dette de la nation envers l’Église. Nous avons dit ailleurs que le caissier chargé de payer cette dotation ne fut autre que l’assassinat, l’exil et la déportation.

 

 

 

IV.

 

 

Nous ne prétendons pas contester à Napoléon le mérite d’avoir rétabli en France la religion nationale, c’est-à-dire le Catholicisme ; mais il ne faudrait pas non plus accorder aux lois organiques du Concordat une portée réparatrice plus étendue que celle qui leur appartient réellement, et dissimuler les restrictions qu’elles apportaient à une complète restauration du culte. Ces restrictions étaient assez graves, en effet, pour que la Cour de Rome ait toujours cru devoir se refuser à reconnaître les lois organiques du Concordat ; on sait, par exemple, que si elles reconnaissaient la religion catholique, apostolique et romaine, comme étant la religion de la grande majorité des Français, elles se montraient inconséquentes à ce principe posé, en refusant à l’Église la liberté de développement qui lui appartient à si juste titre, et en subordonnant sa discipline intérieure au despotisme de l’administration ; c’est ainsi qu’elles n’admettaient que dans de certaines limites les églises au droit de posséder, en n’autorisant que sous la forme de rentes sur l’État les fondations ayant pour objet l’entretien des ministres et l’exercice du culte, qu’elles enlevaient aux évêques l’organisation de leurs séminaires, qu’elles établissaient, selon la belle et énergique expression de Chateaubriand, la circonscription jusque dans le Saint des Saints, et l’introduisaient même comme un article de foi dans le Catéchisme.

Quoi qu’il en soit, et pour résumer par un chiffre la situation du clergé à la rentrée des Bourbons, l’État lui payait une rente viagère de 20 millions 600 mille francs, c’est-à-dire que le traitement alloué aux dignitaires de l’Église suffisait à peine à la décence ou même aux premiers besoins de la vie ; que les succursalistes, salariés à raison de 500 francs, étaient à peu près dans la misère, et que les vicaires, déshérités du budget, mouraient de faim ou vivaient d’aumônes. Or, les prêtres n’étant plus que des mercenaires ou, si l’on aime mieux, des fonctionnaires gagés par l’État, la religion, ainsi dépouillée de toute indépendance dans la personne de ses ministres, n’était plus elle-même qu’une institution humaine soumise à l’arbitraire du gouvernement.

 

 

 

V.

 

 

Le rétablissement de la monarchie légitime améliora-t-il la situation du catholicisme et du clergé, en restituant au premier la place qui lui appartenait dans la constitution comme religion nationale, et en relevant celui-ci d’une dépendance incompatible avec la dignité et la sainteté de ses fondions ?

Il était, du moins, assez naturel de penser qu’il en serait ainsi, et que le successeur des fils aînés de l’Église, en remontant sur le trône de ses pères, ne croirait avoir renoué complètement la chaîne des temps qu’autant que le catholicisme serait replacé à la base de l’édifice monarchique. Malheureusement, les préjugés et les intérêts révolutionnaires étaient là pour s’opposer à l’accomplissement de cet acte ou plutôt de ce grand devoir de réparation sociale : la Révolution obtint, en effet, que le texte du projet de Charte, tel qu’il avait été rédigé par le descendant de Saint Louis, et qui se bornait du reste à reconnaître en principe la religion catholique comme la religion de l’État, tout en consacrant par une exception expresse l’égalité des cultes, fût modifié de manière à ce que l’égalité des cultes devînt le principe, et la prééminence du catholicisme, l’exception ; une pareille interversion, acceptée ou subie par un Bourbon, équivalait presque de sa part à une apostasie du titre de Roi très-chrétien.

Une autre disposition de la Charte eut pour objet de régulariser, pour ainsi dire, cette assimilation entre les divers cultes chrétiens, en faisant participer également au budget de l’État, à titre de traitement, les ministres du culte catholique et les pasteurs des églises consistoriales. Cette assimilation ne consacrait pas seulement la violation d’un des principes constitutifs de la monarchie française, mais blessait profondément les droits acquis du clergé catholique, tels qu’ils résultaient du décret de l’Assemblée constituante qui avait converti en une dotation annuelle le revenu des biens de l’Église confisqués au profit de la nation.

En présence d’une aussi grave altération portée à notre constitution nationale, on ne peut plus que constater pour mémoire l’absence, dans la Charte, d’une disposition réclamée par la plus stricte justice, laquelle aurait consisté à restituer au clergé ses domaines non vendus, et à le rétablir dans le droit commun en lui rendant la faculté d’acquérir.

Tout ce que le gouvernement de la Restauration fit postérieurement en faveur du Clergé, se borna à présenter une loi qui affectait le produit des extinctions des rentes viagères et des pensions ecclésiastiques à l’amélioration du sort des prêtres en activité et des institutions religieuses, à porter au budget des dépenses relatives aux traitements une augmentation de cinq millions, et enfin à autoriser les dotations au profit des Églises.

Du reste, la loi sur la presse de 1819 donne la double mesure du défaut d’initiative du gouvernement en faveur de la Religion, et de l’hostilité violente dont le Libéralisme la poursuivait ouvertement : cette loi prévoyait tous les crimes ou délits, excepté l’offense envers la Religion ; elle s’arrêtait lâchement au délit d’outrage à la morale publique : c’était effacer substantivement la Religion de notre code pour ne l’y admettre par une insultante timidité que sous la forme adjective, c’est-à-dire dans une mesure calculée pour le tempérament des déistes ou des athées de l’assemblée au vote de laquelle cette loi était soumise. Les royalistes, honteux et scandalisés d’une pareille capitulation, proposèrent un amendement qui restituait au catholicisme sa place légitime dans la loi, en y inscrivant expressément le délit d’outrage à la religion en place de cette vague formule de morale publique qui ne pouvait être acceptée que par l’indifférentisme philosophique. Cette proposition fut le point de départ d’une discussion qui permit au déisme, à l’athéisme, à toutes les doctrines antireligieuses, d’occuper tour-à-tour la tribune, et de blasphémer à l’envi la religion nationale, en affectant de n’y voir, celui-ci qu’un sentiment, un autre qu’une opinion, celui-là qu’une institution politique, quelques-uns même qu’un masque incommode ou une entrave illibérale. On put même entendre un commissaire du Roi, M. le baron Cuvier, s’autoriser de son indifférence pratique en matière de religion, pour formuler, par voie de concession, le vœu d’une uniformité légale de culte, et pour déclarer avec une grotesque prétention qu’il était tenté de PARDONNER à Saint Louis ses efforts pour établir cette désirable uniformité ! Cette indulgence si superbement philosophique d’un commissaire du Roi envers un coupable tel que Saint Louis, avait, il faut le reconnaître, quelque chose de bouffonnement scandaleux. Mais un scandale plus sérieux fut celui que le garde-des-sceaux donna lui-même du haut de la tribune, en proclamant que « la Religion n’a rien de commun avec la morale ». Enfin, tout ce que les efforts des royalistes purent gagner fut l’insertion, dans la loi, du mot religieuse à la suite de ceux de morale publique ; et c’est ainsi que, sous le gouvernement d’un descendant des fils aînés de l’Église, dans cette France sortie des mains du catholicisme, une assemblée législative put bannir le christianisme de la loi, et, selon l’expression de M. de Bonald, légaliser la religion du déisme.

La discussion du budget, pour cette même année 1819, fournit au Libéralisme un texte de fougueuses déclamations contre les missions catholiques, tant à l’intérieur que dans les pays lointains. Certes, on ne pouvait méconnaître les services de ces missions qui, en France, suppléaient à l’insuffisance des desservants décimés ou affaiblis par l’exil, par l’âge et les infirmités, et qui, à l’extérieur, étaient si utiles au développement de nos relations politiques et commerciales ! Cela n’empêcha point la Gauche de crier au scandale, au fanatisme, à l’intolérance, et de réclamer, sous prétexte de liberté des cultes, la suppression du secours qui leur était alloué dans le budget, se montrant ainsi elle-même intolérante jusqu’à l’oubli des intérêts nationaux, et cela au nom de cette liberté même qu’elle invoquait dans un esprit si misérablement exclusif !

L’instruction élémentaire était distribuée concurremment aux enfants du peuple par les Frères ignorantins et par les professeurs d’enseignement mutuel. C’était bien le moins que le gouvernement tînt la balance égale entre deux systèmes dont l’un faisait hautement de la religion la base de l’éducation, et dont l’autre en excluait le nom même de Dieu. Il va sans dire que toutes les sympathies du Libéralisme étaient pour l’enseignement mutuel. Que fit le ministère ? Il soumit les frères des écoles chrétiennes à la juridiction de la Commission d’instruction publique, et appela à la présidence de cette commission un membre de la religion réformée, M. le baron Cuvier, ce même orateur qui, dans la discussion de la loi sur la presse, s’était si bouffonnement déclaré tenté de PARDONNER à Saint Louis !

Nous avons, cependant, à constater de la part du gouvernement un premier acte d’initiative en faveur des institutions religieuses. Depuis l’empire, qui leur avait du reste accordé une protection spéciale, près de deux mille communautés, consacrées soit à l’instruction de l’enfance, soit au soulagement de l’humanité, s’étaient établies en France : en mars 1825, le gouvernement du Roi proposa une loi ayant pour objet de régulariser l’existence, non d’une institution nouvelle, mais d’une institution passée dans les mœurs du pays, et qui, à la satisfaction universelle des pères de famille, distribuait à plus de 100 mille élèves une éducation toute chrétienne, et par conséquent essentiellement morale. La Gauche, pour combattre cette loi, tira ses arguments des abus éventuels qui pouvaient naître d’un excès de générosité de la part des testateurs ou donateurs en faveur de ces établissements enseignants ou simplement hospitaliers. Le ministre des cultes n’eut pas de peine à réfuter une objection qui d’ailleurs n’existait même pas sous la forme dans laquelle elle se produisait, c’est-à-dire à l’état hypothétique : il rappela en effet, d’une part, que la loi réglait la proportion dans laquelle un père de famille pouvait disposer de ses biens ; en second lieu, qu’il ne pouvait disposer même de cette portion légale sans le consentement formel du Roi ; enfin, que la division des fortunes avait singulièrement affaibli les sources de libéralité, et qu’en 1824, par exemple, les donations en faveur de 1500 maisons n’avaient point dépassé le chiffre de 88 mille francs, ce qui donnait environ 60 francs par chaque établissement. Le but du gouvernement, bien franchement intentionné cette fois, était que les communautés religieuses pussent être autorisées par simple ordonnance royale. Le vote de la Chambre ne lui donna qu’à moitié gain de cause : elle décida que les communautés existantes seraient régularisées par ordonnance, mais qu’il ne pourrait s’en établir de nouvelles que par une loi.

Le gouvernement eut encore le mérite d’une autre initiative dans un projet de loi tendant à honorer notre Code de la présence du nom de la divinité. On ne pourrait citer un peuple civilisé qui n’ait affecté des peines légales aux outrages envers la Divinité : l’Égypte, la Grèce, Rome, punissaient du dernier supplice le parjure et le blasphème ; et les tourments infligés aux martyrs chrétiens sont là pour attester la sévérité barbare que le paganisme apportait dans la répression des crimes ou délits religieux. Or, à dater de la chute de la royauté, la religion avait été exilée de nos Codes, et l’impunité du sacrilège était consacrée par le silence de la législation. C’est dans cette situation que le gouvernement présenta une loi contre le sacrilège, défini sous la forme de profanation des hosties et des vases sacrés. Ainsi caractérisé, le sacrilège échappait à toute interprétation arbitraire et abusive : il constituait un acte positif, extérieur et sensible, un attentat matériel contre les choses saintes. Ce genre d’attentat était d’ailleurs déféré à l’appréciation du jury ; et le texte de la loi était, d’un autre côté, combiné de manière à rendre souvent possible l’acquittement du coupable, et impossible toujours la condamnation de l’innocent. Ce que les auteurs de la loi se proposaient surtout, c’était de faire sortir l’athéisme de nos codes pour y réintégrer le nom de Dieu. La peine édictée était, il est vrai, la peine capitale ; mais dès-lors que la peine de mort était écrite dans le Code pénal, il n’était pas moralement possible de punir les crimes envers Dieu moins sévèrement que les crimes envers les hommes. Comme M. de Bonald le dit à la tribune, il était impossible de concevoir que la profanation des choses saintes fût frappée d’une peine moins grave, par exemple, que l’émission d’une pièce de fausse monnaie.

La loi sur le sacrilège, ainsi commentée ou plutôt ainsi ramenée à son véritable esprit, justifiait-elle donc les diatribes du Libéralisme ?

La discussion du budget de 1824 révéla à la France la triste situation où se trouvait encore, sous le règne d’un petit-fils de Saint Louis, cette Église si cruellement frappée par la Révolution, que l’Empire n’avait commencé de relever de ses ruines que dans le but d’en faire un instrument de règne, et qui avait tant à attendre de la Restauration. Monseigneur d’Hermopolis, ministre des affaires ecclésiastiques, présenta un état exact des églises de France à cette époque. Il en résultait que, sur 39,000 paroisses qui existaient avant la Révolution, 10,000 étaient tombées en ruine, et 4,000 étaient vacantes, faute de prêtres pour les desservir ; qu’un grand nombre d’ecclésiastiques, courbés sous les infirmités de la vieillesse, se trouvaient presque sans moyens de subsistance, et que la modicité du traitement des desservants de campagne les plaçait dans un état voisin de la misère. Voilà où en était réduit un clergé qu’on accusait d’envahissement !

Mgr d’Hermopolis profita de cette occasion pour laver l’Église catholique de ces vagues accusations d’empiétement sur l’autorité du souverain, que des hommes qui n’en connaissaient ni l’esprit, ni les maximes, ou qui les méconnaissaient systématiquement, affectaient de faire peser sur elle aux yeux des peuples :

« Messieurs, – dit-il, – la loi de Dieu fut toujours ennemie de l’arbitraire. Cette liberté que nous voulons pour nous, que nous voulons pour les autres, ce n’est pas dans les temps anciens que vous la trouverez aussi complète que sous les fils de Saint Louis. Le paganisme et la servitude étaient, pour ainsi dire, liés ensemble. À Sparte, à Athènes, à Rome, on voyait la servitude à côté de la liberté. Il était réservé à l’Évangile de proclamer la liberté universelle. Au christianisme seul appartient la gloire d’avoir donné plus de stabilité aux gouvernements, plus de liberté aux peuples. Peut-être voudra-ton combattre cette opinion avec des sophismes ; mais on trouvera l’avis que je soutiens, dans l’immortel auteur de l’Esprit des lois. – La religion, – ajouta-t-il, – est le premier besoin des peuples, et le premier devoir de ceux qui gouvernent. Jamais, sans la religion, une nation n’aurait pu être civilisée ni perpétuée. La garantie la plus ferme des engagements par lesquels se lient et les membres et les chefs de l’État, c’est le serment, et la religion seule peut le consacrer. »

De telles paroles, prononcées à la tribune législative, étaient dignes de l’orateur chrétien qui, dans la chaire de Notre-Dame, avait si éloquemment étonné une jeunesse incrédule, en lui disant : « Examinez avant de croire : la religion veut le grand jour ; elle le demande, elle l’exige. »

Dans la session de 1826, le même prélat fit solennellement justice de toutes les niaises attaques dirigées par le Libéralisme contre les congrégations et les jésuites :

« Craignons, – dit-il, – de prendre pour la réalité un fantôme qui s’enfuit et qui s’échappe de nos mains, à mesure qu’on veut le saisir. Oui, Messieurs, il existe depuis vingt-huit ans, au sein de cette capitale, une réunion pieuse qui n’a pas cessé un jour d’exister. J’en parle avec d’autant plus de désintéressement que je n’en ai jamais été membre. »

Mais qu’était-ce, enfin, que cette tant redoutable congrégation ? Le ministre des affaires ecclésiastiques n’éprouva aucun embarras à en faire connaître l’origine et à en retracer l’histoire. Cette société s’était formée pendant la période révolutionnaire, c’est-à-dire à l’époque où la plupart des églises étaient fermées. Elle avait à sa tête les hommes les plus recommandables, entre autres l’abbé Legris-Duval, ce prêtre si pur, et que son caractère rendait si étranger à toute intrigue comme à toute cabale. C’est ce dernier qui, dans les réunions, prononçait l’instruction religieuse. La police, du reste, était instruite de ces réunions, et n’eut jamais la pensée de les inquiéter. Les membres de la société n’étaient astreints à aucun serment politique ou autre. Cette pieuse association comptant dans son sein des fils de famille, des hommes de mérite, pouvait-on s’étonner que plusieurs d’entre eux fussent parvenus à des emplois élevés ? Le ministre, après avoir sondé sa conscience, et s’être interrogé lui-même, affirmait qu’à sa connaissance aucun emploi n’avait jamais été accordé par l’entremise de cette congrégation ; il défiait qu’on nommât un évêque dont la présentation eût été faite par lui sur sa désignation ou même sous sa recommandation ; enfin, il attestait que jamais l’influence occulte de cette société ne s’était révélée à ses yeux dans les conseils du Roi.

Mais les jésuites ! Le ministre rappela qu’ils avaient reparu en France en 1800, qu’ils avaient d’abord exercé leurs fonctions apostoliques dans quelques hospices, et que quelque temps après ils avaient pris ostensiblement la direction d’une maison d’éducation, mais que Bonaparte les avait laissée tranquilles. Il est vrai qu’en 1804, un décret fut rendu contre eux : mais sur les réclamations qui s’élevèrent de toutes parts, l’empereur revint à sa première tolérance, et bientôt on put voir le cardinal Fesch les installer solennellement dans son diocèse. Cette tolérance était donc pour les jésuites un fait acquis quand arriva la Restauration. Or, le gouvernement de la Légitimité pouvait-il se montrer plus sévère que l’Empire envers un ordre religieux dont l’enseignement était en si haute réputation, et dont la conduite d’ailleurs n’avait jamais provoqué aucune plainte ? Sur la demande des évêques, le gouvernement n’avait donc pas cru devoir leur refuser l’autorisation d’établir des petits séminaires. Le ministre reconnut que, sur 1,200 établissements d’instruction publique, les Jésuites en avaient sept. « Dans ces écoles, – ajouta-t-il, – on n’enseigne que les humanités, le grec, le latin, les sciences profanes ; je ne puis donc comprendre comment cette société serait si singulièrement redoutable pour la France et pour nos libertés. »

Enfin les calomnies et les outrages dont le clergé était quotidiennement l’objet, inspiraient au vénérable ministre cette éloquente péroraison :

« Que les leçons de l’expérience ne soient pas perdues pour nous ; j’ai vu, et beaucoup d’entre vous ont vu comme moi, les jours qui ont précédé les effroyables bouleversements de la Révolution française : eh bien ! dans ces jours, on se permettait aussi de violentes déclamations contre les ministres du culte catholique. Craignons, Messieurs, que les mêmes causes ne ramènent les mêmes effets. Aujourd’hui s’élèvent de toutes parts des paroles contre le clergé.... Comme au temps de la Révolution, les ministres des autels sont insultés et assaillis sur les places publiques. Que le passé nous éclaire ; c’est en enlevant au sacerdoce le respect des peuples qu’on anéantit la religion ; il n’est pas plus possible d’avoir une religion sans sacerdoce, que d’avoir une justice sans magistrats. »

C’est quelque temps après que parut la fameuse dénonciation de M. de Montlosier contre les jésuites. Cette dénonciation, portée devant la Chambre des pairs, aboutit à la solennelle confusion de l’accusateur par l’éloge le plus magnifique de l’ordre accusé. Nous nous bornons à reproduire ici un passage du discours de M. de Fitz-James :

« Si dans les attaques auxquelles les jésuites sont en butte, – dit le noble pair, – on voit partout le langage de la passion substitué à celui de la raison, de la justice et d’un sage examen ; si, à côté d’hommes, très respectables sans doute, qui paraissent dans les rangs de leurs ennemis, je vois aussi tout ce que la France compte d’hommes abjects, toute la basse littérature, toute l’écume de la Révolution, tous les échappés aux jugements des tribunaux, former contre les jésuites un chorus universel de haine et de proscription, des hommes roulés dans la fange de la débauche les accuser d’immoralité, des charlatans de place les accuser d’hypocrisie, des régicides les signaler comme ennemis des Rois ; si j’entends les injures les plus dégoûtantes prodiguées à des hommes paisibles qui ont au moins le mérite de ne pas répondre, injures suivies de scandales dans les églises, d’émeutes populaires, de tentatives d’assassinat contre des vieillards.... à ce spectacle hideux je m’arrête involontairement, et je me demande si c’est bien la raison et la véritable opinion publique qui s’expriment ainsi, et si ce cri au jésuite ! n’est pas un mot de ralliement comme tant d’autres qui l’ont précédé. »

Cependant, en 1828, la faction libérale avait assez acculé le gouvernement pour qu’un membre de la Gauche pût dire aux ministres : « Abandonnez-nous les jésuites, et nous vous tenons quittes pour cette session 21. » Le marché fut accepté : et bientôt des ordonnances parurent, qui, sous le prétexte d’assurer l’exécution des lois du royaume, soumettaient au régime de l’Université les huit écoles secondaires ecclésiastiques dirigées par les jésuites, et excluaient les membres des congrégations religieuses des fonctions de l’enseignement public.

Chose remarquable ! ces ordonnances étaient si manifestement violatrices de la liberté de conscience, que, tout en y applaudissant en secret, la presse de l’opposition dut, pour ne point paraître s’associer par esprit de parti à cette violation d’un principe fondamental, les désapprouver sous forme de protestation contre le monopole de l’enseignement 22.

Plusieurs jurisconsultes, entre autres M. Berryer, démontrèrent que ces ordonnances constituaient contre la liberté de conscience un attentat que n’avait pas osé essayer le despotisme même de l’Empire, et qui ne pouvait être comparé qu’au décret du 18 août 1792, par lequel la Révolution prétendit faire jurer aux prêtres la Constitution civile du clergé.

Mais c’est dans un membre de l’épiscopat, Mgr l’évêque de Chartres, que la liberté de conscience, c’est-à-dire la cause des jésuites, trouva son plus brillant défenseur :

« Vous trouvez constitutionnel et juste, – écrivait ce prélat au ministre des affaires ecclésiastiques, – qu’on oblige quiconque voudra entrer dans l’enseignement à signer au préalable qu’il n’appartient à aucune congrégation ou association religieuse non reconnue. Mais quand ou lit la Charte, on ne comprend pas qu’une pareille mesure puisse être prise sous son empire. La Charte ne fouille point dans les cœurs ; elle déclare tous les Français admissibles à tous les emplois ; elle n’autorise pas à les en exclure pour des opinions ou des engagements innocents : elle n’en écarte que les indignes. – Remarquez de plus, Monseigneur, ce qu’un tel droit implique dans les termes. Du moment qu’une association religieuse n’est pas reconnue par l’État, l’État est donc censé l’ignorer. Mais, dites-vous, Monseigneur, le gouvernement ne peut perdre son droit de surveillance ; j’en conviens sans peine : aussi peut-il surveiller les membres de cette association, mais non pas les repousser, mais non pas les flétrir, mais non pas les déclarer suspects, mais non pas créer contre eux des incapacités légales. Cette conséquence est si évidente que, si on la rejette, il semble qu’il n’y ait plus de Charte, du moins pour les chrétiens.

« Qu’on proposât, – ajoutait l’éloquent évêque, – qu’on proposât aux professeurs protestants de Strasbourg de signer qu’ils n’appartiennent pas à la congrégation des Frères Moraves, ou à telle autre association semblable, quel cris ! quel soulèvement ! Que vous importe ? dira-t-on ; où sont donc la Charte et la liberté de conscience ? Convenez, Monseigneur, que vous respecteriez ces réclamations, ou plutôt qu’il ne vous viendrait jamais dans l’esprit d’y donner lieu. Vous ne tenteriez pas non plus de présenter un pareil formulaire à souscrire aux francs-maçons ou aux illuminés. N’est-il donc pas visible que le Code de la liberté n’est muet ou voilé que pour le culte catholique ? »

Il était incontestable, en effet, que le gouvernement avait, pour ainsi dire, une préférence de persécution, et que cette préférence était pour la religion catholique.

Quoi qu’il en soit, les jésuites refusèrent de se soumettre au régime de l’Université, protestèrent contre l’injustice et la violence dont ils étaient victimes, secouèrent la poussière de leurs sandales, et quittèrent la France en emportant, avec les regrets des familles, la tendre et respectueuse affection de tous leurs anciens élèves.

 

 

 

VI.

 

 

Trois points principaux nous semblent établis par l’exposé que nous venons de mettre sous les yeux des lecteurs :

Le premier, c’est que, sous le gouvernement de la Légitimité, le Catholicisme, au lieu de reprendre la place qui lui appartenait essentiellement dans la Constitution de l’État, comme principe fondamental de la monarchie française, n’y fut admis en principe que sur le pied d’égalité avec les autres cultes, la préséance qui lui était reconnue par exception ne constituant, en réalité, qu’une lettre morte ;

Le second, c’est que la Restauration, dominée par un vice d’origine qui avait son siège dans une Charte imposée, ne put pas ou n’osa point soustraire le clergé catholique à la position dépendante où Bonaparte l’avait réduit, en le salariant arbitrairement sur le budget, au lieu de lui payer la dotation fixée par la Constituante et qui n’était que l’équivalent rigoureux de ses anciennes propriétés confisquées ;

Le troisième, c’est que le bon vouloir incontestable du gouvernement de la Restauration, manifesté d’ailleurs par quelques actes d’initiative, n’aboutit, sous la pression des passions révolutionnaires, qu’à un système de persécution exclusive contre le catholicisme et contre le clergé catholique, par le fait du monopole de l’instruction publique dans les mains de l’Université, et de l’exclusion légale des congrégations religieuses des fonctions de l’enseignement.

Dans cette situation d’un clergé pauvre, dépendant et persécuté, nous demandons à tout homme de bonne foi où sont les éléments de cette formidable organisation politique que le parti révolutionnaire dénonçait sous le nom de parti-prêtre, et qui, par une série d’empiétements continus sur l’autorité civile, aurait sérieusement menacé l’existence même de l’ordre politique basé sur la Charte.

Concluons plutôt, – et en ceci nous ne ferons que nous mettre d’accord avec l’histoire, – que cette dénomination de parti-prêtre ne fut autre chose qu’un mot de guerre adopté contre le catholicisme par le parti libéral, comme il avait inventé celle d’ultra pour lui servir de mot de ralliement contre la royauté légitime.

 

 

 

 

 

 

XXI

 

 

 

SITUATION FINANCIÈRE DE LA RESTAURATION.

 

 

I.

 

 

Dans la série des mensonges révolutionnaires que nous nous sommes proposé de confondre, il en est un dont le Libéralisme s’est servi avec une impudence toute particulière pour motiver et justifier la Révolution de 1830 à un point de vue spécial, nous voulons dire par rapport aux dépenses publiques : on sait, en effet, avec quelle ostentation les usurpateurs de juillet placèrent en tête de leur programme la promesse d’un gouvernement à bon marché ; or, une pareille promesse équivalait à une accusation directe contre le gouvernement de la Restauration, et voulait nécessairement dire que ce gouvernement avait mal mené les finances du pays, surchargé les contribuables, porté les dépenses au-delà de certaines limites, en un mot créé une situation financière dont la France avait eu assez à se plaindre pour avoir le droit de chercher dans un autre gouvernement les garanties d’économie que la Légitimité ne lui offrait pas.

Pour confondre l’usurpation de Juillet, il nous suffirait d’opposer purement et simplement son bilan en 1848 à celui de la Restauration en 1830, c’est-à-dire de rappeler qu’elle prit les affaires dans une situation de prospérité incontestable pour aboutir au plus désastreux déficit 23. Établir ce seul point, ce serait sans doute assez pour la justification relative de la Restauration : mais nous voulons davantage ; nous voulons que cette justification soit entière, c’est-à-dire ne se réduise pas à un simple verdict d’acquittement, mais emporte avec elle la glorification d’un système de finances qui fut littéralement un miracle de sagesse et d’habileté. En conséquence, nous allons démontrer que non seulement le gouvernement de la Légitimité ne greva point la fortune publique, mais qu’il la reconstitua en quelque sorte, et l’éleva à un degré qui n’a pas encore été atteint par aucun des gouvernements qui lui ont succédé.

 

 

 

II.

 

 

Quelle était la situation financière de la France au moment où les Bourbons furent rappelés sur le trône de leurs pères ?

Cette situation était représentée par un passif se composant :

1o De 700 millions de contributions de guerre ;

2o Des frais d’occupation d’une armée de 150 mille hommes pendant cinq ans ;

3o D’un milliard 600 mille francs d’indemnités particulières réclamées par les puissances étrangères ;

4o Enfin, d’arriérés divers s’élevant à 600 millions.

Tel était l’abîme creusé par vingt-cinq années de révolution et par deux invasions, et que le gouvernement de la Légitimité entreprit de combler, en acceptant purement et simplement la succession de l’Empire.

Il est vrai que les alliés, ayant devant eux un gouvernement qui était une garantie de paix pour la société européenne, consentirent à relâcher quelque chose de leurs premières exigences, en réduisant de cinq ans à trois l’occupation de l’armée de 150 mille hommes, et en abaissant à 250 millions le chiffre des réclamations particulières porté primitivement à 1,600 millions.

Toutefois, le bilan financier de l’Empire n’en resta pas moins présenter un passif de plusieurs milliards.

Pour liquider ce formidable passif, le gouvernement de la Restauration n’eut recours à aucune mesure extraordinaire, et ne fit appel qu’aux ressources régulières de l’impôt, combiné avec la puissance d’un crédit qui fut, on peut le dire, son œuvre propre, car il reposait sur la triple base de la fidélité aux engagements, de la sécurité intérieure et de la paix au dehors.

Ajoutons que quelques années suffirent à la Restauration pour accomplir le miracle de cette liquidation.

Une fois la situation financière ainsi mise au pair, le gouvernement de la Légitimité, entrant résolument dans la voie des améliorations, s’occupa de réaliser trois grandes mesures dont l’action féconde sur la prospérité publique ne peut être méconnue.

Partant de ce principe que l’impôt direct, qui constitue plus spécialement les ressources de l’État en temps de guerre, doit être ménagé pendant la paix, il dégreva la propriété proportionnellement à l’accroissement du produit de l’impôt indirect, lequel porte principalement sur le commerce et l’industrie, et dont le mouvement progressif en temps de paix est égal à son mouvement décroissant en temps de guerre. De ce dégrèvement successif opéré, de budget en budget, sur l’impôt direct, était résulté en 1830 un soulagement de près de cent millions au profit de la propriété foncière ; tandis que, d’un autre côté, l’accroissement annuel des produits des taxes indirectes en était venu, à cette même époque, à se résumer dans un chiffre de plus de 200 millions.

La loi de la conversion des rentes, basée sur le principe fécond de l’abaissement du prix de l’argent, devait avoir pour résultat, non seulement d’introduire dans le budget ordinaire une économie annuelle de plus de 30 millions, mais d’exercer la plus heureuse influence sur les intérêts de l’industrie et du commerce, en rapprochant des producteurs les capitaux par le bon marché, et en leur donnant ainsi les moyens de lutter plus avantageusement contre la concurrence étrangère. Il est vrai que cette loi, mutilée dans ses principales dispositions par une opposition exclusivement politique, ne réalisa point complètement le but que le gouvernement s’était proposé ; mais le principe était jeté dans les esprits, et l’intérêt public devait tôt ou tard finir par le faire prévaloir dans la législation.

La troisième grande mesure financière due à l’initiative de la Restauration fut la loi de l’indemnité. Nous avons déjà exposé les considérations de justice et d’équité qui commandaient cette mesure ; nous n’avons à constater ici que son heureux effet au point de vue de l’intérêt national et public : d’une part, en effet, elle reconstitua l’unité du sol, si déplorablement détruite par la confiscation et la vente des biens dits nationaux, en replaçant dans les mêmes conditions de droit commun deux classes de propriétés auxquelles l’opinion donnait deux titres différents ; en second lieu, elle augmenta de deux ou trois milliards la richesse publique en relevant à leur valeur  naturelle des biens jusque-là frappés de discrédit en raison de la tache originelle qui était comme empreinte sur les titres de leurs acquéreurs, et elle ouvrit en même temps au Trésor une nouvelle source d’impôts en rendant ces mêmes biens à une circulation féconde en mutations de toutes sortes, telles que ventes, échanges, etc., et dont chacune bénéficiait à l’État par les droits d’enregistrement qui y étaient attachés.

Parmi les bienfaits financiers de la Restauration, nous ne pouvons omettre la création de la Caisse d’amortissement, combinée pour permettre à l’État de racheter, dans un temps donné, la dette publique, en devenant lui-même son propre créancier, et dont la dotation primitive de 40 millions, augmentée annuellement par des rachats de rentes au pair, était arrivée à représenter en 1830 un capital de près de 800 millions, soit une réduction égale à ce chiffre sur le passif dont le gouvernement n’avait pas craint d’accepter la succession.

Ainsi, le passif de l’Empire liquidé ; un accroissement de 212 millions dans le produit des taxes indirectes, marchant parallèlement avec un dégrèvement de 92 millions sur l’impôt foncier ; une économie annuelle de plus de 30 millions tentée par une intelligente initiative au moyen de l’abaissement de l’intérêt de la rente, et qui, ajournée seulement par le fait de passions politiques, aurait fini par obtenir de l’apaisement de ces mêmes passions sa réalisation dans le budget ordinaire ; la fortune publique augmentée de deux à trois milliards par le rehaussement de prix que la loi de l’indemnité donna aux propriétés dites nationales, sans compter les nombreux impôts que ces mêmes propriétés, rendues à la circulation, versèrent dans le Trésor public en droits d’enregistrement perçus sur chaque mutation ; une réserve de 40 millions de rentes, soit un capital au pair de 800 millions, opérée par l’action journalière de l’amortissement ; la dette flottante réduite à 75 millions ; enfin, le budget ordinaire des dépenses ne dépassant pas, en moyenne, le chiffre annuel de 900 millions : tel est le tableau exact de la situation financière laissée par le gouvernement de la Restauration.

 

 

 

III.

 

 

Cette situation se trouve, du reste, résumée officiellement dans un rapport présenté au Roi par le ministre des finances du dernier cabinet de la Restauration, – rapport qui était en même temps un magnifique programme d’avenir, et qui, par le fait de la Révolution de 1830, ne fut, hélas î que le testament financier du gouvernement de la Légitimité.

Voici un passage de cet exposé, qui n’est autre chose que l’histoire même de l’administration financière de la Restauration, écrite avec l’irrécusable autorité des chiffres :

« Toutes les dettes sur les anciens exercices, – disait le ministre, – sont soldées ou couvertes par des moyens suffisants, et les budgets courants ou futurs offrent dès à présent des fonds libres et de grandes espérances d’amélioration.

« Le régime d’ordre et d’économie qui s’est établi dans les diverses parties du service a déjà produit de nombreuses épargnes qui ont allégé le poids de nos souffrances : j’ai la satisfaction d’avoir pu montrer à Votre Majesté que l’administration des finances était entrée franchement dans cette carrière, et qu’elle y avait déjà recueilli plus de 30,000,000, par des perfectionnements successifs dans les différentes branches de son travail ; j’espère aussi avoir démontré, par les développements que je viens de présenter sur le système de nos contributions publiques, qu’il sera possible incessamment d’en améliorer les tarifs, et d’en obtenir des tributs non moins abondants et plus faciles à supporter.

« L’espérance d’un nouvel accroissement de nos revenus ne se change-t-elle pas en certitude, lorsque l’on suit les progrès de cette augmentation rapide et soutenue qui a élevé nos impôts indirects de 212,000,000, pendant les quinze années de prospérité qui sont dues au retour de la paix et à la paternelle sollicitude de nos rois ; et que ne devons-nous pas attendre de l’activité industrieuse d’une population dont les efforts sont tous dirigés vers l’intérêt général ? Nous pouvons retrancher aussi de nos dépenses les utiles économies que l’ordre et la simplification du système administratif nous permettraient de réaliser avec une sage lenteur, et sans nuire à la bonne exécution des services. Nous verrons s’affaiblir, chaque année, les charges temporaires que nous imposent encore la dette viagère, les pensions, les secours, les demi-soldes des militaires. Une épargne de plus de 40,000,000 nous est assurée par l’extinction graduelle de ces divers articles. Nous n’obtiendrons pas moins de la conversion de nos rentes 5 p. 00, et des fonds que l’élévation du cours rendrait disponibles sur l’amortissement de notre dette fondée. Nous avons enfin surmonté les circonstances les plus difficiles, nous sommes entièrement quittes de toutes les obligations qu’elles avaient fait contracter à la France, et nous sommes appelés à recevoir aujourd’hui le prix de tant d’efforts et de tant de persévérance.

« Pour seconder les heureuses conséquences des principes de justice et des règles d’administration que nous avons suivis jusqu’à ce jour, Votre Majesté a reconnu qu’il restait encore à entreprendre des travaux importants et propres à donner un nouvel essor aux forces productives de l’agriculture, du commerce et de l’industrie. La prospérité d’un grand peuple dépend presque toujours des moyens qui lui sont offerts pour agrandir le cercle de ses relations, pour multiplier les produits de son travail et pour exciter à des consommations plus abondantes. Déjà cet esprit actif, qui anime en France toutes les classes de la société, est parvenu à créer de nouvelles sources à la richesse publique, et commence à répandre les bienfaits d’une aisance générale dans toutes les familles.

« Cette précieuse tendance doit être constamment soutenue et encouragée par la prévoyance du gouvernement, et il est de son devoir d’ouvrir et d’aplanir les voies aux continuelles entreprises qui contribuent à l’amélioration de toutes les conditions sociales. Il est prudent, sans doute, d’éviter les dépenses abusives ; mais il n’est pas moins sage de remplacer de stériles épargnes par des emplois qui doivent augmenter les ressources du Trésor et celles des particuliers.

« Je ne crois donc pas que l’intérêt bien entendu des contribuables conseille de réserver exclusivement à des dégrèvements d’impôts les importants résultats de la réduction et de l’extinction de nos dettes anciennes, surtout après l’allégement de 92,000,000, qui a déjà été accordé à la propriété ; et je pense qu’il sera plus utile de les consacrer à la dotation, jusqu’à présent trop insuffisante, de plusieurs services qui ont pour but d’enrichir et d’honorer la France. C’est ainsi qu’on satisferait au besoin, chaque jour plus pressant, de compléter les établissements civils et hydrauliques de la marine ; de fournir à la défense de nos frontières tous les fonds nécessaires pour garantir la sécurité et l’indépendance du pays ; c’est ainsi qu’on pourrait appliquer à l’achèvement de nos routes et de nos canaux les subsides indispensables pour établir, entre toutes les parties de la France, des communications faciles qui favoriseraient le travail, ouvriraient de nouveaux débouchés à ses produits, et réaliseraient pour l’avenir toutes les espérances de la Restauration. Ces fertiles emplois des épargnes, dus au crédit de l’État, élèveraient nos revenus dans une proportion incalculable, et nous procureraient un ample dédommagement des sacrifices temporaires qu’ils nous auraient demandés. »

 

 

 

IV.

 

 

La restauration de nos finances, anéanties par vingt-cinq années de révolution et acculées à la banqueroute par les désastres de deux invasions, est donc l’œuvre du gouvernement de la Légitimité. Cela étant reconnu, nous n’avons plus à nous occuper du fameux programme d’un gouvernement à bon marché, formulé par les usurpateurs de 1830, que pour l’opposer, non pas à la Restauration, mais au gouvernement même qui devait le réaliser. Or, si nous comparons le bilan de ce gouvernement avec celui de la Restauration, nous trouvons que l’histoire financière de la France se résume, sous le gouvernement de la Légitimité, en une amélioration progressive de la fortune publique, et, sous celui de l’usurpation de juillet, en un accroissement de charges qui, dans un espace de dix-huit années, a presque atteint le chiffre de six milliards.

On voit, par ce tableau comparatif de la situation financière de chacun des deux gouvernements, si nous avons eu tort de ranger parmi les mensonges révolutionnaires la promesse d’un gouvernement à bon marché jetée à la crédulité publique par les libéraux de 1830.

 

 

 

 

 

 

XXII

 

 

 

RÉSUMÉ.

 

 

I.

 

 

Dans la croisade que nous avons entreprise contre les mensonges révolutionnaires qui constituèrent pendant quinze ans le fonds de l’opposition libérale, on nous rendra, l’espérons-nous du moins, ce témoignage que nous n’avons reculé devant aucun des prétendus griefs du Libéralisme contre la Restauration ; que nous les avons, au contraire, franchement abordés tels qu’ils se présentaient à nous dans leur formule la plus populaire, et que, pour les réduire à leur juste valeur, nous n’avons eu besoin que de les confronter avec les faits mêmes, c’est-à-dire de leur opposer la simple vérité historique.

Arrivé au terme de notre tâche, il nous a semblé que ce serait la compléter utilement que de rappeler et fixer cette vérité historique dans un résumé où, sans rentrer dans les développements d’une discussion qui est maintenant consommée, nous nous bornerions à en constater les résultats acquis devant la conscience de nos lecteurs.

 

 

 

II.

 

 

Premièrement, le Libéralisme a prétendu que chacune de ces formules ou maximes de notre ancien droit monarchique : Car tel est notre bon plaisir, – Si veut le Roi, si veut la loi, – Le Roi ne tient que de Dieu et de son épée – Roi par la grâce de Dieu, – dérivait d’un principe de gouvernement fondé sur le droit divin, et se traduisant en fait par la volonté arbitraire et despotique du monarque.

Nous avons prouvé :

1o Que la formule : Car tel est notre bon plaisir, avait son origine dans le berceau même des libertés nationales, et ne désignait rien autre chose que la souveraineté publique, formée de l’accord du roi et de la nation, et se résumant dans le pouvoir royal par la sanction et l’exécution ;

2o Que la maxime : Si veut le roi, si veut la loi, devait être traduite non par ces mots : La volonté du roi est la loi, mais bien par ceux-ci : La loi est la volonté du roi, – ce qui veut dire que le Roi ne voulait rien et ne pouvait rien vouloir que ce que voulait la loi, dont il était la représentation vivante et souveraine ;

3o Que cette autre maxime : Le Roi ne tient que de Dieu et de son épée, était une formule d’origine féodale, purement et simplement déclarative de l’indépendance temporelle de nos Rois ;

4o Enfin, que la formule : Roi par la grâce de Dieu, expliquée à la lumière du principe d’hérédité, n’entamait en rien et laissait subsister dans toute sa vérité historique le principe de droit national d’où dérivait primitivement la royauté.

 

 

 

III.

 

 

Deuxièmement, le Libéralisme a prétendu que l’antique et traditionnelle cérémonie du sacre de nos rois était l’expression flagrante et comme la consécration solennelle du principe de droit divin qui, suivant lui, constituait le pouvoir royal.

Nous avons prouvé que le sacre, considéré exclusivement dans son économie politique, était une cérémonie représentative de l’inauguration du premier roi de France, impliquant et réunissant d’une part l’exercice du droit primitif de la nation sous la forme de consentement, et de l’autre la confirmation nationale périodique du droit royal ou du principe d’hérédité.

 

 

 

IV.

 

 

Troisièmement, le Libéralisme a prétendu que la Monarchie française était une monarchie de droit divin.

Nous avons prouvé que le principe du droit divin ne se trouve sous aucune forme dans l’ancienne Constitution française, qu’il a toujours été combattu et repoussé par l’Église gallicane, et que nos Rois eux-mêmes n’ont jamais revendiqué d’autre droit à posséder la couronne que celui qu’ils tenaient des lois fondamentales de la monarchie, à titre national, héréditaire et inviolable.

 

 

 

V.

 

 

Quatrièmement, le Libéralisme a prétendu qu’en 1789 la troisième race de nos Rois avait, par le fait et dans la personne de Louis XVI, perdu le caractère de légitimité qu’elle tenait de son origine et du temps, en refusant à la nation les réformes que le progrès avait rendu nécessaires.

Nous avons prouvé qu’en parlant ainsi, le Libéralisme faussait impudemment l’histoire, et calomniait systématiquement notre ancienne royauté dans la personne d’un monarque à qui l’Assemblée constituante décerna le titre de Restaurateur des libertés françaises ; nous l’avons prouvé en rapprochant la Déclaration royale, du 23 juin 1789, des Cahiers des députés aux États-Généraux, c’est-à-dire en montrant que la Royauté avait sanctionné d’avance les droits et les réformes revendiqués par la France, et que, bien loin qu’il y ait eu à cette date divorce entre la nation et son Roi, jamais au contraire le Roi et la nation n’avaient été si complètement d’accord et si sincèrement unis.

 

 

 

VI.

 

 

Cinquièmement, le Libéralisme a prétendu que la Révolution avait été faite par et pour le peuple, et qu’elle marquait un progrès dans la marche de la société.

Nous avons prouvé, d’abord, que la Révolution n’a été faite ni par ni pour la France, puisque d’une part, en abolissant notre ancienne Constitution qui se composait solidairement de la royauté, de la liberté et du catholicisme, elle a précisément détruit ce que la nation avait déclaré par ses Cahiers vouloir expressément maintenir, et puisque, d’un autre côté, ce qu’elle a détruit ainsi représentait précisément aussi les conditions mêmes d’existence de la France comme nation ; nous avons prouvé ensuite que la Révolution, n’ayant respecté ni la religion, ni l’humanité, ni les propriétés, ni les lois, ni les mœurs, ni le serment juré, ni les monuments publics, mais ayant au contraire exercé systématiquement une action destructive sur chacun de ces grands principes de toute société, sur chacune de ces conditions essentielles de la grandeur et de la prospérité d’un empire, marque plutôt un pas rétrograde qu’un progrès dans la marche de la civilisation : d’où nous avons conclu que la Révolution est, dans notre histoire, un fait tout ensemble anti-national et anti-social.

 

 

 

VII.

 

 

Sixièmement, le Libéralisme a prétendu que les Royalistes étaient les hommes de l’étranger.

Nous avons examiné cette imputation au quadruple point de vue de l’émigration, des deux invasions, de la politique extérieure de la Restauration, et de l’opposition légitimiste contre l’usurpation de 1830, soit armée, soit parlementaire ou par la voie de la presse. Or, nous avons prouvé :

1o Que l’action armée de l’émigration, n’ayant pas été dirigée contre la France, mais contre la Révolution, ne saurait être imputée à crime aux royalistes, et que, dans tous les cas, s’il y eut crime en effet, ce fut celui de la situation qui leur avait été faite par la Révolution, et par conséquent celui de cette Révolution même ;

2o Que les Royalistes ne furent pour rien dans les deux invasions ; que la Restauration ne fut pas imposée à la France par les baïonnettes étrangères ; que, loin de là, la Restauration fut une œuvre doublement nationale en ce sens qu’elle fut manifestement appelée par la volonté et par l’intérêt de la France, et que c’est à elle que notre pays doit de n’avoir pas été démembré ;

3o Que la politique extérieure de la Restauration fut une politique éminemment nationale, éminemment française, puisqu’elle se résume dans des actes tels que ceux-ci, savoir : conservation de l’unité nationale par l’interposition du principe de la légitimité entre la France envahie et l’Europe victorieuse ; rejet d’un traité humiliant pour notre pavillon, et cela sous les baïonnettes mêmes des armées coalisées ; évacuation de notre territoire deux années avant le terme fixé par les traités ; réintégration de la France dans le conseil des Cabinets ; émancipation extérieure de la France par la guerre d’Espagne, laquelle fut faite malgré l’Angleterre ; prépondérance de la France dans la question de la Grèce ; conquête d’Alger malgré l’Angleterre ; enfin, la France près de reconquérir sa frontière naturelle soit par les voies diplomatiques, soit par son épée ;

4o Que tous les actes qui constituèrent l’opposition des légitimistes contre l’usurpation de 1830, sont marqués au coin du plus pur patriotisme, et font ressortir de la manière la plus éclatante l’esprit de nationalité dont ils étaient animés : témoin cette belle devise adoptée par leurs journaux : Tout pour la France et par la France, Rien pour l’étranger ni par l’étranger ; témoin cette parole de Chateaubriand : Je rallierais la France contre Henri V revenant dans les bras de l’étranger ; témoin la proclamation par laquelle Madame la duchesse de Berry engageait hautement sa parole, comme mère et comme régente, que son fils ne serait jamais Roi plutôt que d’acheter son trône de l’appui de l’étranger ; témoin la lutte parlementaire soutenue avec tant d’éclat, pendant dix-huit ans, contre une politique qui faisait si lâchement bon marché de la grandeur et de la dignité du pays ; témoin toute la Droite se levant comme un seul homme pour protester avec indignation contre une insinuation de M. Thiers qui tendait à accuser les royalistes d’une secrète complicité avec l’ennemi du dehors ; témoin ce brave légitimiste du peuple déclarant, dans les salons d’Ems, que « si Henri V revenait en France avec les Russes, son premier coup de fusil serait pour lui » ; témoin, enfin, l’auguste représentant même du principe de la légitimité, prenant vivement la main de l’ouvrier si véritablement français qui venait de s’exprimer ainsi, pour lui dire devant tous : « Monsieur T..., vous êtes un bon Français ! »

Rien donc, soit dans l’émigration, soit dans les deux invasions, soit dans la politique extérieure de la Restauration, soit dans l’opposition légitimiste après 1830, rien ne justifie l’odieuse épithète de parti de l’étranger, appliquée par les libéraux aux hommes du droit monarchique.

 

 

 

VIII.

 

 

Septièmement, les Libéraux ont fait un grief à Louis XVIII de s’être refusé à recevoir la couronne de saint Louis des mains du Sénat pour la reprendre purement et simplement comme un héritage de famille, d’avoir repoussé le titre de Roi des Français pour prendre celui de Roi de France, d’avoir comme effacé vingt-cinq années de notre histoire par la date donnée à sa prise de règne, et enfin de n’avoir pas conservé le drapeau tricolore.

Nous avons démontré que les Bourbons ne pouvaient, sans renier leur sang et le principe même de la légitimité, accepter comme un don de la Révolution une couronne qu’ils tenaient de la loi fondamentale de l’État ; troquer cette couronne contre le bonnet rouge en échangeant le titre de Roi de France, porté dans leur famille depuis huit siècles, contre celui de Roi des Français inauguré par la Constitution démocratique de 91 ; signer la déchéance de l’hérédité royale, en reconnaissant l’existence des divers gouvernements qui s’étaient succédé en France depuis la mort de Louis XVI ; enfin, abjurer huit siècles de notre existence nationale en répudiant le vieux drapeau de la France, pour en adopter un qui ne datait que de la Révolution, et sur lequel le plus grand capitaine des temps modernes n’avait pu, même à force de victoires, laver les taches de sang que le couperet de 93 y avait imprimées !

 

 

 

IX.

 

 

Huitièmement, le Libéralisme a pu contester l’existence historique d’une constitution qui a présidé pendant quatorze siècles au développement de la société française, et outrager ainsi la France dans ce qu’elle a de plus intime et de plus sacré, c’est-à-dire dans ses traditions, dans sa gloire, dans son génie national.

Nous n’avons eu besoin que d’en appeler au simple bon sens pour établir que la France n’avait pu fournir une carrière de quatorze siècles, en développant progressivement ses lois, ses libertés, son administration, ses arts, son industrie, sans avoir un droit public qui fût l’expression exacte de son caractère, de son esprit, de sa raison nationale, et qui s’adaptât de la manière la plus heureuse à ses traditions, à ses mœurs, à ses idées et à ses intérêts. Nous avons ensuite montré que les principes fondamentaux de notre ancienne constitution politique consistaient dans l’hérédité monarchique, telle qu’elle est définie et consacrée par la loi Salique, et dans la liberté représentative, c’est-à-dire le vote de l’impôt ; que cette Constitution avait sa formule parfaite dans la légitimité royale et dans la légitimité nationale ; qu’en France, l’unité politique reposait dans ces deux légitimités, et que c’est leur accord qui constituait la souveraineté nationale ou publique.

 

 

 

X.

 

 

Neuvièmement, le Libéralisme a présenté la condamnation du maréchal Ney comme un assassinat juridique.

Nous avons établi la culpabilité de l’illustre guerrier : 1o par les faits constitutifs de la deuxième invasion ; 2o par les conséquences désastreuses de cet évènement ; 3o par les aveux mêmes du maréchal. Nous avons démontré, d’un autre côté, qu’à leur seconde rentrée en France les Bourbons ne s’étaient nullement engagés à couvrir d’un pardon général les faits qui s’étaient accomplis pendant les Cent-Jours, et qui avaient préparé et facilité le retour de Bonaparte ; et qu’en fait d’engagements, au contraire, le gouvernement des Bourbons en avait pris un seul, – celui précisément de mettre à exécution les lois existantes contre les hommes dont la trahison avait appelé l’étranger au cœur de la France. Nous avons fait voir que l’invocation d’un légitime châtiment sur la tête des hommes à qui la France devait les désastres d’une seconde invasion, avait trouvé un écho jusque dans le sein des deux Chambres. Nous avons mis hors de question les dispositions bienveillantes du gouvernement envers le maréchal, en rappelant les moyens de fuite qui lui furent donnés par la police même, et la composition du tribunal devant lequel il fut traduit après son arrestation pour ainsi dire volontaire, – composition évidemment calculée, en effet, pour garantir d’une manière à peu près certaine l’acquittement de l’accusé. Nous avons constaté que le maréchal, mal conseillé, refusa d’être jugé par d’anciens frères d’armes qui ne pouvaient que l’absoudre, et réclama la juridiction de la Chambre des pairs qui ne pouvait que le condamner. Nous avons réduit à sa juste valeur l’argument tiré par les défenseurs du maréchal de la capitulation de Paris, en montrant que cette capitulation, – convention toute militaire passée entre les généraux des alliés et les chefs de l’armée impériale, et qui d’ailleurs n’avait point été ratifiée par le Roi, – n’engageait évidemment que les Alliés, et ne protégeait les partisans de Bonaparte que contre les représailles des armées étrangères. Nous avons fait observer que le maréchal, en se réclamant ainsi de l’étranger au lieu d’invoquer la clémence royale, avait par là même désarmé la couronne de son droit de grâce, et empêché naturellement la bonté du Roi de s’interposer entre sa condamnation et son supplice. Enfin, nous avons fait justice de l’assertion qui tend à transformer le maréchal Ney en un holocauste offert en expiation des gloires militaires de l’Empire, en rappelant que tous les généraux de Napoléon, bien loin d’avoir eu quoi que ce soit à expier sous la Restauration, furent, non seulement maintenus dans leurs grades et leurs dignités, mais comblés de faveurs par le gouvernement royal.

 

 

 

XI.

 

 

Dixièmement, le Libéralisme a dit des Royalistes, en 1815, qu’ils n’avaient rien appris ni rien oublié, c’est-à-dire qu’au lieu de marcher avec le temps, ils s’étaient pétrifiés dans un passé dont le progrès avait fait justice, et que, demeurants stupides d’un autre âge, ils étaient restés d’un quart de siècle en arrière du mouvement social.

Nous avons hautement accepte la formule de ce reproche, mais pour en tirer précisément l’éclatante glorification des royalistes, en leur faisant un mérite de n’avoir, en effet, rien oublié ni rien appris, et en constatant qu’ils n’avaient rien appris par l’excellente raison qu’ils n’avaient rien oublié. Ils n’avaient certes pas oublié, par exemple, que l’ancienne constitution française reposait sur deux légitimités également inviolables, savoir : la légitimité royale, représentée par l’hérédité du pouvoir, et la légitimité nationale, représentée par le droit commun représentatif ; que la solution du problème politique, donnée en 1789 par les Cahiers, consistait, d’une part, dans le gouvernement par le Roi, et, d’autre part, dans l’administration par le pays ; que cette solution, ratifiée par la royauté, réalisait la monarchie représentative dans sa perfection, et que dès-lors la Révolution n’avait eu ni en droit, ni en fait, sa raison d’être. Il est donc rigoureusement juste de dire que les royalistes n’avaient eu rien à apprendre, puisqu’ils avaient en eux la vérité politique. En fait, cependant, ils avaient eu quelque chose à apprendre de la Révolution même : c’est comment une société, arrachée par les partis aux principes qui l’ont constituée, est logiquement condamnée à l’anarchie, au despotisme, à l’usurpation, et peut-être à la dissolution !

 

 

 

XII.

 

 

Onzièmement, une des prétentions les plus impudentes des libéraux a été de se poser comme les seuls et sincères partisans de la liberté, tandis qu’ils accusaient les royalistes d’en être les adversaires systématiques et implacables.

Nous avons démontré que la vérité vraie est précisément dans le renversement de cette proposition, c’est-à-dire que les vrais libéraux sont, non pas ceux qui s’adjugèrent effrontément à eux-mêmes cette qualification, mais ces mêmes royalistes qui n’ont jamais séparé dans leur programme les droits du peuple de ceux de la couronne. Nous avons, en effet, établi que les royalistes de 1815 avaient fait passer à la Chambre des députés une loi électorale qui, basée sur le vote universel à deux degrés, restituait au peuple ses droits méconnus par la Révolution et par l’Empire, mais que cette loi fut rejetée à la Chambre des pairs par le parti dit libéral ; que le principe du monopole, basé sur un cens de cent écus, et l’établissement du suffrage direct, ont eu pour introducteurs dans notre législation les hommes de l’opposition de quinze ans, et pour adversaires persévérants les principaux orateurs de la Droite dans les deux Chambres, ainsi que les écrivains de la presse royaliste ; que, sous le gouvernement de Juillet, tandis que les libéraux limitaient arbitrairement le droit commun représentatif à ce qu’ils appelaient le pays légal, les royalistes ne cessèrent de protester contre un monopole qui avait créé 10 millions de parias politiques, en en appelant hautement du haut de la tribune à la nation consultée, et en revendiquant chaque jour dans la presse les libertés nationales sous leur triple forme municipale, provinciale et administrative ; enfin, que ce sont les libéraux, et non les royalistes, qui, pendant un règne de dix-huit ans, confisquèrent un à un tous les droits essentiels de la nation, et que c’est une voix royaliste, et non une voix libérale, qui prononça la première ce terrible mot de Réforme devant lequel devait si piteusement s’écrouler l’établissement de 1830 !

 

 

 

XIII.

 

 

Douzièmement, le parti libéral a voulu voir dans l’exclusion de l’abbé Grégoire une atteinte portée au droit souverain des électeurs, et par conséquent une violation de la Constitution.

Nous avons montré que cette prétendue violation de la Constitution, en l’admettant pour un moment, avait eu pour complice dans la Chambre l’opposition elle-même, puisque l’exclusion du trop fameux abbé fut prononcée à l’unanimité moins une voix, et que, dès-lors, le parti libéral ne pouvait pas la reprocher aux royalistes sans se la reprocher à lui-même ; mais nous avons fait voir en même temps que la Constitution ne fut nullement violée par la Chambre, attendu que la Charte exigeait que la moitié au moins des députés appartînt domiciliairement au département qui les avait élus, et que, sur les quatre représentants nommés par celui de l’Isère, et parmi lesquels figurait l’abbé Grégoire, un seul y avait son domicile, – d’où il résulte que l’œuvre des électeurs de ce département était constitutionnellement frappée de nullité. Abordant ensuite la question politique ou de principe, nous avons reconnu sans peine qu’il n’existait aucune disposition légale qui prononçât textuellement l’indignité du régicide, mais d’un autre côté nous avons soutenu que l’outrage direct à la royauté ne pouvait être de droit public dans une société monarchique. Or, qu’était-ce que l’élection de l’abbé Grégoire, sinon le drapeau sanglant de 93 planté triomphalement par un parti dans le sein même de la représentation nationale comme un vivant défi jeté à l’inviolabilité royale ? Dans cette situation, la question se présentait donc entre l’inviolabilité royale, écrite d’ailleurs dans la Charte, et l’inviolabilité représentative audacieusement revendiquée par le crime. Dans le silence de la législation, la conscience publique, ayant son organe légal et officiel dans la Chambre, pouvait-elle hésiter entre ces deux inviolabilités ? Elle n’hésita pas non plus, empressons-nous de le dire ; et la France tout entière applaudit à un vote qui n’était pas seulement empreint d’une haute moralité politique, mais qui donnait comme une nouvelle et éclatante consécration à l’un des principes fondamentaux de la Constitution.

 

 

 

XIV.

 

 

Treizièmement, le Libéralisme a aussi voulu voir dans l’expulsion du député Manuel un acte attentatoire à la Charte et aux principes du gouvernement représentatif.

Nous avons assigné à col acte son véritable caractère, en le présentant au contraire comme un éclatant et solennel hommage rendu par les représentants de la nation à notre constitution monarchique : la Révolution, n’ayant pu obtenir l’entrée du régicide dans le sein de la représentation, avait choisi le plus audacieux de ses orateurs pour en porter au moins l’apologie à la tribune : la Chambre, en prononçant l’expulsion du député Manuel, ne fit autre chose que repousser énergiquement le drapeau de 93, et signifier ainsi à la Révolution que la France n’était point disposée à subir une nouvelle édition de la Terreur.

En osant justifier le régicide. Manuel avait d’ailleurs attaqué la Charte même dans l’un de ses principes fondamentaux, l’inviolabilité royale ; dès-lors, la protestation signée par l’opposition contre le vote de la Chambre, au nom de cette même Charte, n’avait donc d’autre valeur que celle d’un flagrant et audacieux contre-sens.

 

 

 

XV.

 

 

Quatorzièmement, le Libéralisme a cherché à décliner toute responsabilité dans le crime de Louvel, en prétendant que ce crime fut l’acte monstrueux, mais solitaire, d’une intelligence frappée de monomanie, et n’ayant d’autre instigateur comme d’autre complice que son propre fanatisme.

Nous avons constaté qu’à la première nouvelle de l’assassinat du duc de Berry, l’opinion publique n’eut qu’une voix pour donner hautement à l’assassin le nom même de la faction qui avait audacieusement inscrit dans son programme la révolte et le régicide. Nous avons pareillement constaté la coïncidence du crime de Louvel avec l’existence d’un complot contre la Famille royale, – complot s’attestant, pour ainsi dire, lui-même par des menaces directes transmises sous le pli de lettres anonymes. Nous avons d’ailleurs tiré des aveux mêmes échappés à l’assassin pendant son incarcération, la preuve péremptoire qu’il avait des complices. Ces complices, nous les avons naturellement placés dans le parti dont les doctrines avaient armé le bras de l’assassin. De tout quoi, enfin, nous avons conclu que le forfait de Louvel est et restera celui du Libéralisme.

 

 

 

XVI.

 

 

Quinzièmement, le Libéralisme a qualifié d’œuvre de parti la loi sur l’indemnité.

Nous avons fait ressortir le double bienfait politique et financier de cette grande mesure réparatrice, en démontrant qu’elle avait eu pour résultat, d’une part, de réconcilier pour ainsi dire la France avec elle-même, et d’un autre côté d’augmenter de deux ou trois milliards le chiffre de la fortune publique.

En post-scriptum, et pour l’édification particulière des croyants au Libéralisme, nous avons noté, à propos de cette loi, une particularité assez curieuse, et qui a son enseignement : c’est que, après avoir fait retentir la tribune des plus violentes déclamations contre une mesure qui, selon eux, n’était qu’une flagrante spoliation de la fortune publique, ceux des membres de l’opposition qui se trouvèrent en position d’être appelés à la répartition du milliard d’indemnité, ne se crurent nullement tenus de refuser les titres de rentes qui leur furent délivrés.

 

 

 

XVII.

 

 

Seizièmement, le Libéralisme a inventé la dénomination d’ultra pour désigner une catégorie de Français qu’il accusait d’être plus royalistes que le Roi.

Nous avons montré que le vrai crime de ces royalistes, devant le Libéralisme, fut la séparation qu’ils firent tout d’abord et qu’ils maintinrent hautement entre la cause de la Révolution et les intérêts également légitimes et sacrés de la monarchie, du catholicisme et de la nation, et l’opposition qu’ils manifestèrent soit à la tribune, soit dans la presse, contre le système des intérêts révolutionnaires substitué, dans la sphère gouvernementale, à l’action naturelle et légitime des principes de la constitution française ; que cette épithète d’ultra, jetée par les jacobins de 1815 aux hommes qui avaient pris pour devise : le Roi, la religion et la liberté, bien loin de comporter dès-lors aucun ridicule, ne fait qu’attester, par la bouche même de leurs ennemis, l’intelligence politique des royalistes de la Restauration ; qu’enfin elle ne peut être, devant la France, qu’un titre de gloire pour des hommes dont la fidélité et le dévouement, même en face de l’injustice ou de l’ingratitude royale, eurent toujours dans le cœur comme sur les lèvres ce cri si noblement touchant, si sublimement obstiné : Vive le Roi quand même !

 

 

 

XVIII.

 

 

Dix-septièmement, le Libéralisme a pareillement inventé le mot de parti-prêtre pour dénoncer l’existence d’une prétendue influence occulte dans les conseils du gouvernement de la Restauration.

Nous n’avons pu défendre la Restauration contre ce grief du Libéralisme qu’en formulant contre elle une accusation diamétralement opposée : car nous avons dû montrer que, bien loin d’avoir trop fait pour le catholicisme, la Légitimité aura plutôt à encourir devant l’histoire le reproche absolument contraire. Nous avons fait voir, en effet, que sous le gouvernement de la Restauration, le catholicisme, quoique étant un des principes constitutifs de la société française, ne fut admis dans la constitution de l’État que sur le pied d’égalité avec les autres cultes ; que le clergé catholique fut laissé par ce gouvernement dans la position dépendante et précaire où il avait été placé par l’Empire ; et que si ce même gouvernement manifesta une préférence de persécution entre les divers cultes, cette préférence, déterminée par la pression des passions révolutionnaires qui le battaient en brèche, fut pour la religion catholique.

 

 

 

XIX.

 

 

Dix-huitièmement, enfin, le Libéralisme de 1830 a couronné tous ses mensonges par son fameux programme d’un gouvernement à bon marché.

Pour justifier relativement le gouvernement de la Restauration, il nous aurait suffi d’opposer simplement son bilan à celui de l’usurpation de Juillet, c’est-à-dire de montrer que le gouvernement de 1830 prit les affaires dans un état de prospérité presque merveilleuse, pour aboutir à un accroissement de charges de près de six milliards ; mais nous avons fait plus, car nous avons démontré que le gouvernement de la Restauration, bien loin d’avoir mal mené et grevé nos finances, les reconstitua d’abord littéralement, en liquidant avec les seules ressources régulière de l’impôt et du crédit le formidable passif amené par vingt-cinq ans de révolution et par le désastre de deux invasions, et les améliora ensuite progressivement, d’année en année, par une série de mesures qui attestent tout à la fois son honnêteté, sa sagesse et son habileté.

 

 

 

Conclusion.

 

 

Mensonge, déloyauté, perfidie : voilà donc ce dont se composait cette fameuse opposition libérale qui, en renversant la royauté légitime, a rouvert indéfiniment devant la France la carrière des révolutions !

Ô Comédie de quinze ans ! que tu as été bien nommée !

 

 

 

Alexandre REMY,

Mensonges révolutionnaires, 1854.

 

 

 

 

 

 

 

TABLE.

 

 

 

Préface

I. – Comment l’école révolutionnaire travestit l’histoire

II. – Du sacre des Rois de France

III. – Le Droit divin

IV. – Louis XVI jugé par le Constitutionnel

V. – Caractère anti-national et anti-social de la Révolution

VI. – L’Émigration

VII. – Les deux Invasions

VIII. – Politique extérieure de la Restauration

IX. – Les Royalistes après 1830

X. – De quelques griefs du Libéralisme contre la première Restauration

XI. – De l’ancienne Constitution française

XII. – Procès du maréchal Ney

XIII. – Ils n’ont rien appris ni rien oublié

XIV. – Les vrais Libéraux

XV. – Exclusion de l’abbé Grégoire

XVI. – Expulsion du député Manuel

XVII. – Attentat de Louvel

XVIII. Le milliard de l’indemnité

XIX. – Les Ultra

XX. – Le Parti-Prêtre

XXI. – Situation financière de la Restauration

XXII. – Résumé

 

 

 

 



1 On nous pardonnera d’avoir reproduit en tête de ce volume, sous forme de Préface, cet article de la Guyenne, qui a le mérite d’exposer avec une parfaite précision l’objet de notre travail, mais qui à ce mérite joint le défaut d’être trop flatteur pour nous-même. (Note de l’auteur.)

2 Juin 1853.

3 La Quotidienne.

4 Ce manifeste fut publié dans la Quotidienne, sous ce titre : Les royalistes ne peuvent pas vouloir la guerre.

5 La Vendée, par le général Dermoncourt.

6 Paroles de M. Sébastiani.

7 Nous croyons avoir fait suffisamment justice de l’odieuse qualification de parti de l’étranger, appliquée par les libéraux aux hommes du droit monarchique. Toutefois, et pour le cas où notre réfutation laisserait quelque chose à désirer à nos lecteurs, nous nous empressons de les renvoyer à l’admirable Exposition royaliste de M. Alfred Nettement, où cette question est traitée avec tous les développements historiques qu’elle comporte, et résolue avec une autorité qui ne laisse pas un mot de réplique à la calomnie libérale.

8 Histoire de la Restauration, par Lamartine.

9 Voir l’excellente Histoire de la Restauration, par M. Lubis.

10 L’aveu est précieux à recueillir.

11 Montesquieu en place avec raison l’origine chez les Germains, et dit qu’il a été trouvé dans les bois.

12 « La conduite du maréchal Ney à l’égard de la maison de Bourbon était coupable : il y avait quelque chose d’odieux dans ce dévouement de la veille et cette défection du lendemain. Rien n’est plus vrai que le maréchal Ney avait baisé la main du Roi à son départ, et prononcé ces fatales paroles : J’emmènerai Bonaparte dans une cage de fer. Le prince de Poix, le duc de Duras, l’avaient entendu ; un ministre qui entra quelques minutes après chez le Roi, le trouva tout étonné des paroles de Ney ; elles avaient même inspiré à Louis XVIII une sorte de dégoût ; il s’expliquait difficilement cette haine du maréchal contre Napoléon. “Quelles expressions ! dit le Roi ; emmener un ancien camarade, comme une bête fauve, dans une cage de fer !” » (Histoire de la Restauration, par M. Capefigue.)

13 « D’après la capitulation de Paris, le prince de Talleyrand et Fouché firent délivrer des passeports au maréchal Ney. Les passeports étaient doubles, portaient des faux noms et le visa de la légation autrichienne et suisse. Le comte de Budna, alors à Lyon, avait loyalement consenti à signer d’autres passeports pour le maréchal. Fouché lui conseilla de gagner la Suisse. » (Histoire de la Restauration, par M. Capefigue.)

14 Histoire de la Restauration, par M. Lubis, t. IV, p. 60.

15 « Historien des temps d’orage, – dit M. Capefigue dans son Histoire de la Restauration, – on n’attendra pas de moi que je juge avec les ressentiments de l’époque actuelle le pouvoir qui poursuivit l’illustre maréchal, et la Chambre qui le condamna. La Restauration fit une faute politique en n’accordant pas la grâce à une si grande gloire militaire ; mais elle ne commit pas un crime ; elle ne fit pas un assassinat, comme on l’a dit et répété ; la Chambre des Pairs put manquer à quelques formes, mais elle devait condamner. J’admire la piété filiale, j’honore ces fils couverts de deuil qui viennent venger la mémoire d’un père ; mais qui oserait soutenir aujourd’hui que le maréchal Ney n’avait pas trahi les Bourbons ? On dit que la personne du maréchal était protégée par la capitulation de Paris ; mais cette pièce, qui n’était pas formellement ratifiée par le Roi de France, pouvait-elle être invoquée devant un tribunal français ? Quand le Gouvernement la repoussait comme lui étant étrangère, était-ce, dans l’ordre des juridictions, à la Cour des Pairs qu’il appartenait d’appliquer un document où elle ne lisait que les signatures du duc de Wellington et du prince Blücher ? »

16 « .... La Restauration, cependant, comblait de faveurs les anciens officiers supérieurs et tous les généraux de l’empire qui ne se posaient point en ennemis.

Le maréchal prince de WAGRAM fut fait capitaine des gardes-du-corps et pair de France.

Le maréchal duc de RAGUSE, pair de France, capitaine des gardes, major-général de la garde, membre du conseil supérieur de la guerre, gouverneur de la première division militaire, grand-croix du Saint-Esprit et de Saint-Louis.

Le maréchal duc de CONÉGLIANO, ministre d’État, pair de France, grand-croix du Saint-Esprit et de Saint-Louis.

Le maréchal duc de REGGIO, ministre d’État, pair de France, major-général de la garde, gouverneur de la troisième division militaire, commandant en chef de la garde nationale de Paris, grand-croix du Saint-Esprit et de Saint-Louis.

Le maréchal duc de TARENTE, pair de France, major-général de la garde, gouverneur de la vingt-unième division militaire, grand-chancelier de la Légion d’Honneur, grand-croix du Saint-Esprit et de Saint-Louis.

Le maréchal duc d’ALBUFÉRA, pair de France, grand-croix du Saint-Esprit et de Saint-Louis.

Le maréchal duc de CASTIGLIONE, pair de France.

Le maréchal comte GOUVION-SAINT-CYR, pair de France, marquis, ministre de la guerre, grand-croix de Saint-Louis.

Le maréchal duc de TRÉVISE, pair de France, cordon bleu, gouverneur de la treizième division militaire.

Le maréchal duc de DANTZICK, pair de France.

Le maréchal duc de DALMATIE, pair de France, ministre de la guerre, cordon bleu, grand-cordon de Saint-Louis.

Le maréchal duc de BELLUNE, pair de France, major-général de la garde, gouverneur de la seizième division militaire, cordon bleu, grand-croix de Saint-Louis.

Le maréchal comte PÉRIGNON, pair de France, marquis, grand-croix de Saint-Louis, gentilhomme de la Chambre.

Le maréchal comte SÉRURIER, pair de France, gouverneur des Invalides, grand-croix de Saint-Louis.

Le maréchal duc de VALMY, pair de France, grand-croix de Saint-Louis.

Le général comte MAISON, pair de France, marquis, maréchal, grand-croix de Saint-Louis.

Le duc de FELTRE, pair de France, ministre de la guerre.

Le comte CURIAL, pair de France, premier chambellan, grand-cordon de la Légion d’Honneur, de Saint-Louis, cordon bleu.

Le comte RICARD, pair de France, grand-croix de la Légion d’Honneur, commandant de la première division d’infanterie de la garde.

Le comte de LAURISTON, pair de France, maréchal, ministre de la maison du Roi, grand-cordon de la Légion d’Honneur et de Saint-Louis, cordon bleu.

Le comte BORDESOULLE, pair de France, commandant de la première division de cavalerie de la garde, grand-croix de Saint-Louis.

Le vicomte de DIGEON, pair de France, commandant de la deuxième division de cavalerie de la garde, grand-cordon de la Légion d’Honneur.

Le comte MATTHIEU-DUMAS, grand-croix de Saint-Louis.

Le général comte DUPONT, grand-croix de Saint-Louis, ministre de la guerre, pair de France.

Le général comte RAPP, grand-cordon de la Légion d’Honneur.

Le comte BELLIARD, grand-cordon de la Légion d’Honneur.

Le comte MOLITOR, grand-cordon de la Légion d’Honneur et de Saint-Louis, cordon bleu, maréchal, pair de France.

Le comte COMPANS, pair de France, grand-cordon de la Légion d’Honneur.

Le comte REILLE, pair de France, gentilhomme de la Chambre, grand-cordon de la Légion d’Honneur.

Le comte de SPARRE, pair de France, gentilhomme de la Chambre.

Le comte CHARBONNEL, grand-cordon de la Légion d’Honneur.

Le maréchal comte JOURDAN, pair de France, gouverneur de la septième division militaire, cordon bleu.

Le marquis de LATOUR-MAUBOURG, pair de France, grand-croix de Saint-Louis.

Le comte GUILLEMINOT, pair de France, cordon bleu.

Le comte PARTOUNEAUX, pair de France, grand-cordon de la Légion d’Honneur et de Saint-Louis.

Le général MERMET, vicomte, aide-de-camp du Roi.

Le général CLAPARÈDE, pair de France, grand-cordon de Saint-Louis, gouverneur du château royal de Strasbourg, inspecteur-général permanent de l’infanterie de la première division militaire. »

(Mémoires d’un Bourgeois de Paris,

par le docteur L. Véron, tome II,

pages 108, 109, 110 et 111.)

 

17 Conservateur, CHATEAUBRIAND.

18 La Gazette de France.

19 On sait que le Libéralisme a travesti cet ordre à sa manière, en substituant dans la bouche de M. de Foucauld le mot empoignez à celui de emparez-vous.

20 Histoire de la Restauration.

21 Mémoires historiques et politiques, par M. A. d’Éguilly.

22 Voir la collection du Journal du Commerce et du Globe.

23 Le prétendu gouvernement à bon marché de l’usurpation de 1850 a coûté à la France un accroissement de charges de près de 6 milliards.

 

 

 

 

 

 

 

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