Les guérisons de Lourdes

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Adolphe RETTÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

...Pourquoi tout le monde n’est-il pas guéri ? Pourquoi ce malade plutôt que cet autre ? Pourquoi celui-ci dont la foi était nulle, tiède ou intermittente et non celui-là dont la piété solide ne subit jamais de variations. Cela semble une injustice et un désordre.

Or, il n’y a dans le miracle ni désordre ni injustice. Il y a sage dispensation de la justice divine et rectification, selon l’ordre naturel, du désordre produit dans toute la création par le péché d’Adam.

Car, il ne faut pas l’oublier, la nature n’est pas ce qu’elle serait si nos premiers parents n’avaient enfreint la défense que Dieu leur fit de goûter au fruit de l’arbre de Science. En désobéissant, ils ont introduit le mal et la douleur dans le monde. Toutes les choses et tous les êtres se sont corrompus à l’image de l’homme, promoteur et première victime de la faute. De là, cette confusion qui règne dans l’univers et cette hostilité de la nature à l’égard de l’homme dont nous subissons sans cesse les effets.

D’autre part, comme l’a très bien dit Dom Guéranger : « L’arrêt que le Seigneur prononçait contre nos premiers parents devait envelopper toute leur postérité ; mais, quelque sévères que fussent les peines portées contre nous tous, la plus dure et la plus humiliante conséquence de la première faute était la transmission du péché d’origine qui infectera toutes les générations de la race humaine, jusqu’à son dernier jour. Sans doute, les mérites du Rédempteur pourront être appliqués à chaque homme, selon le mode établi par Dieu. Mais cette régénération spirituelle, tout en enlevant sans retour la lèpre qui nous couvrait, et en rétablissant l’homme dans les droits d’enfant de Dieu, ne fera pas disparaître toutes les cicatrices de notre mortelle blessure. Sauvés de la mort et rendus à la vie, nous sommes demeurés malades. L’ignorance obscurcit notre esprit sur les grands intérêts qui devraient occuper toutes nos pensées et un attrait déplorable nous fait aimer nos illusions. »

Ainsi, se perpétue la survivance du péché originel. C’est lui qui, passant de génération en génération, engendre les autres péchés et d’abord l’orgueil, qu’on trouve à la racine de toutes nos fautes. Chaque fois que l’homme viole les commandements de Dieu, c’est comme s’il cueillait de nouveau le fruit défendu, plus encore, c’est comme s’il répétait le cri de révolte de Lucifer précipité dans l’abîme : « Je ne me soumettrai pas. »

Malheureux, tu ne veux pas te soumettre au Seigneur, eh bien, tu seras soumis à tes passions et aux maladies de l’âme et du corps qui en résultent. Tout se paie. Si tu ne paies pas ta dette dans ce monde, non seulement, tu la paieras dans l’autre, mais tes proches et tes descendants subiront les conséquences de ton péché. Tu t’es targué de ton intelligence pour t’insurger, par paroles ou par écrits, contre la loi divine ? Tu auras pour fils un idiot ou un fou. Tu t’es complu dans la débauche ou dans l’ivrognerie ? Ta postérité sera difforme, scrofuleuse, paralytique ou cardiaque. Tu as laissé le Mauvais prendre ses aises en toi ? Les tiens seront tourmentés par le Mauvais.

Les doctrines de l’individualisme ont, de nos jours, tellement faussé d’esprits – même chez certains fidèles – que trop de gens perdent de vue cette solidarité formidable qui relie les générations les unes aux autres. C’est pourtant par là que la justice divine ne cesse de nous donner des preuves frappantes de sa constance. Les savants, même les plus impies, ont dû en enregistrer les actes lorsque, sous le nom d’atavisme et d’hérédité, ils ont dénombré les anneaux de cette chaîne qui rive les uns aux autres les membres de chaque famille.

On peut donc supposer que quand un miracle se produit, le malade, ou ses proches, ou ses ascendants, par leurs mérites et par le bon usage qu’ils firent de la Grâce offerte à tous, ont payé la dette de leur famille. S’il ne guérit pas, malgré ses vertus personnelles et la plénitude de sa foi, c’est que sa Sagesse divine juge que la dette des siens n’est pas encore payée. Parfois, la guérison qui ne fut pas obtenue au cours d’un premier pèlerinage, résulte d’un second ou d’un troisième – et c’est alors que la dette est payée. D’ailleurs, il n’y a pas d’exemple qu’un malade soit parti de Lourdes sans en rapporter une grâce quelconque : amélioration physique, résignation à ses maux, volonté de les offrir pour le rachat d’autrui, conversion d’un proche parent, d’un ami ou d’un ennemi.

On saisit maintenant que l’injustice et le désordre consisteraient à guérir tout le monde. Ce n’est point par caprice que Dieu nous octroie parfois des miracles ; c’est pour nous démontrer qu’en nous conformant aux règles qu’Il nous imposa, qu’en nous efforçant de vivre sans pécher, nous et les nôtres, nous pouvons tout attendre de son équitable bonté.

Voici enfin deux ordres de faits qui prouvent à quel point la justice divine tient compte des conditions dans lesquelles se trouvaient les malades avant la guérison ou au moment du miracle.

Pour le second exemple, je mentionnerai de nouveau le cas de Noémie Nightingale, guérie tandis qu’elle priait pour les âmes du Purgatoire. Acceptant pour elle-même l’infirmité, elle fit un effort d’abnégation tel qu’elle en reçut la récompense immédiate. Parce qu’elle s’oublia, Dieu ne l’oublia point.

D’autre part, il suffit de consulter la statistique des miracles depuis cinquante ans pour s’apercevoir que les pauvres et les humbles guérissent beaucoup plus souvent que les détenteurs de hautes situations sociales et les privilégiés de la fortune.

Il est juste qu’il en soit ainsi : les heureux de ce monde peuvent se procurer bien des soulagements qui restent inaccessibles aux pauvres. Moins éprouvés, ils sont plus à même de supporter leurs maux ; et, du reste, leur oisiveté, le luxe qui les entoure, l’habitude du superflu, l’orgueil qui leur vient de leur culture d’esprit font qu’ils ont plus à racheter que les déshérités soumis à l’ignorance, aux privations et aux labeurs pénibles. Puis il est probable que beaucoup de malades riches pâtissent pour compenser les fautes d’un de leurs ascendants. La chose s’explique fort bien si l’on admet que, comme l’a dit un orateur sacré – Massillon, je crois : – « À l’origine de toutes les grandes fortunes on trouve un crime. »

Enfin, il ne faut pas oublier qu’à Lourdes, la grande Intermédiaire entre Dieu et nous, c’est la Sainte Vierge. Conçue sans péché, elle nous invite à nous rapprocher, autant que nous le pouvons, de l’état de perfection dont Elle réalise le type.

Soit que le malade ait à racheter ses propres fautes, soit qu’il paie pour ses proches – défunts ou vivants – le miracle n’est que l’entérinement des lettres de grâce qui lui sont accordées à la requête de la Sainte Vierge. Elle sanctionne par là son titre de Mère de la Miséricorde.

Elle est le Miroir de la Justice lorsque nous ne sommes pas jugés dignes du miracle. Elle n’en reste pas moins la Consolatrice des Affligés puisque, même alors, elle nous obtient toujours une amélioration partielle, la résignation à nos souffrances ou la foi pour autrui.

Dans l’un et l’autre cas, nous lui témoignerons notre – reconnaissance car, en guérissant, grâce à son intervention, nous prenons, vis-à-vis d’Elle l’engagement de nous garder désormais du péché mortel. Ne guérissant pas, nous devons lui savoir le plus grand gré des consolations qu’Elle nous prodigue et considérer que nos souffrances méritées, c’est autant de pris sur notre Purgatoire ou autant d’enlevé aux peines qu’y supportent nos ascendants.

En résumé : à Lourdes, on peut dire que les miracles sont en proportion directe du rachat des péchés obtenu par les malades ou par ceux qui les entourent ; c’est pourquoi, à une époque de piété somnolente comme la nôtre, il s’en produit relativement peu, assez, toutefois, pour que se manifeste, avec vigueur, la Justice divine.

 

 

 

Adolphe RETTÉ,

Un séjour à Lourdes, p. 257-263.

 

Recueilli dans

Anthologie des meilleurs écrivains de Lourdes,

par Louis de Bonnières, 1922.

 

 

 

 

 

 

 

 

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