L’Église, lieu de sacrifice et de prière
par
Elionor D. RHODES
Le peuple anglais a fêté, il y a huit ans, le centenaire de la naissance de Cecil John Rhodes (1853-1902). Rhodes était un célèbre explorateur, possesseur de mines de diamants, Président du ministère de la Colonie du Cap et directeur de la société Britannico-Sud-Africaine. Il a donné son nom à la Rhodésie.
Elionor D. Rhodes est une descendante de cette famille célèbre. Son frère est le seul héritier mâle encore vivant. Elle est née en 1903 ; son père était un célèbre juriste. Elle s’engagea en politique dans la ligne du Labour-Party, qu’elle quitta pour parcourir le monde en journaliste et trouver enfin le temps d’étudier l’économie nationale dans la capitale hollandaise. Pendant la deuxième guerre mondiale, elle fut au service d’assistance féminine de la R.A.F. La guerre terminée, elle dut retourner en Rhodésie pour soigner sa santé très ébranlée. Elle ne retrouva pas la santé du corps, mais la paix et le salut de l’âme. Le « Chant de Bernadette » de Werfel éveilla en elle le sens du surnaturel et les sermons qu’elle entendit dans la cathédrale de Salisbury la poussèrent à étudier la religion catholique, puis à entrer dans l’Église. Malade encore et peu gâtée par la vie, elle est pourtant heureuse. La descendante du célèbre explorateur espère en un Royaume surnaturel et indépendant des évènements politiques.
Une conversion à la foi catholique est chose si étonnante qu’on serait tenté de l’attribuer à l’effet d’une grâce soudaine et violente. De tels cas sont plutôt rares. Bien plus souvent des grâces répétées, innombrables ont précédé et préparé l’adhésion totale. Dans mon propre cas, j’ai le droit de dire, après six années d’appartenance à l’Église, que ma vie entière n’a été qu’un pèlerinage vers ce but.
Je suis née à Londres en 1903 et j’ai été baptisée dans l’Église anglicane. Ma mère était pieuse et voulut s’occuper elle-même de l’éducation de sa nombreuse famille. Le dimanche matin, en compagnie de notre père, elle nous amenait et nous rangeait dans nos bancs de l’église du quartier. Le soir, elle nous racontait les histoires de l’Évangile et nous faisait répéter le catéchisme. Je ne peux donc pas accuser mes parents d’avoir négligé ma vie spirituelle. J’avais reçu tout ce que l’Église anglicane pouvait me donner, mais ce « tout » était trop peu.
Peut-être tenais-je de mon grand-père sa position protestante et sa haine du rationalisme ? Je n’entrais jamais volontiers dans une église anglo-catholique ou de la Haute Église. Lorsque les circonstances – visite chez des amis, par exemple – m’y obligeaient, je ne le faisais qu’avec une extrême résistance et froideur.
Orientation plus politique que religieuse
J’héritais pour une part l’intolérance de mes parents à l’égard du catholicisme. C’est bizarre que j’aie accepté leurs préjugés religieux, alors que je rejetais décidément leurs vues politiques. Je n’avais jamais lu de livres, ni en faveur, ni contre le catholicisme. Mon centre d’intérêt, c’étaient les œuvres sociales. À vingt-cinq ans, j’étais une socialiste fervente et je ne ménageais pas ma sympathie pour le communisme. Fait significatif, l’Imitation de Jésus-Christ se trouvait à côté des œuvres de Karl Marx dans ma bibliothèque. J’allais par-ci par-là à l’église, mais la communion pascale, pour rien au monde je ne l’aurais manquée ! J’étais ce qu’on appelle un « bon païen ». Je croyais en Dieu, oui, mais par routine. Je ne menais pas une vie spirituelle, c’est-à-dire une vie avec Dieu ; cela, je ne le découvris que plus tard et ce fut une illumination.
J’avais perdu père et mère, avant d’avoir trente ans. En 1936, je n’avais plus d’illusion ; il me fallut cesser mon activité politique, donner ma démission au parti. Je partis pour la Hollande. Ma vie semblait un trou noir ; j’avais dissipé ma jeunesse pour des buts sans espérance. Je voulais avec mes propres ressources chercher mon bonheur à ma façon. Que de choses j’avais entreprises ! Et combien maigre avait été le résultat ! Il en est toujours ainsi dans une vie qui ne se soumet pas à la volonté divine. Je m’étais formée comme secrétaire et reporter-journaliste libre : ce qui m’avait fait parcourir les chaînes montagneuses d’Amérique, à pied et seule, travailler gratuitement pour les chômeurs de Londres et visiter la Russie, sans oublier mes premiers essais de conférences publiques.
Lorsque la deuxième guerre mondiale éclata, j’étudiais l’économie nationale à La Haye. Je n’avais pas perdu mon temps pendant les quatre dernières années ; je pouvais parler le hollandais et lire couramment le français ; mais une chose me manquait encore, le bonheur. J’avais eu des plaisirs à satiété et pourtant mon esprit, mon âme étaient malheureux. Regardant en arrière, je m’étonne, comme beaucoup de convertis, que Dieu ait réussi à tirer une réponse d’un être si émoussé, égoïste et sans amour. Infini est l’amour de Dieu et longanime la patience avec laquelle il attend la réponse, même la plus minime, à l’abondance de sa grâce !
Au service de la R.A.F.
Je quittai la Hollande la veille de la déclaration de la guerre pour aller m’engager en Angleterre, dans le service d’assistance féminine. Pendant mes sept années sous l’uniforme, j’ai vu plusieurs fois la mort de près, mais je n’ai guère songé au sort de mon âme immortelle. J’étais ordinairement du côté des mondains ; combien de fois cependant je cherchai la solitude pour lire et étudier ! Les valeurs spirituelles prenaient une importance plus grande du fait du désordre et de la misère de la guerre.
Malade sans espérance
La rentrée dans la vie civile n’aurait pas pu être plus triste. J’avais perdu ma fortune privée pendant la guerre et en 1946 j’avais contracté une maladie qui paraissait incurable. Après de pénibles mois d’hôpital, je fus licenciée du service féminin. On me conseilla un climat plus sain et on me fit comprendre que je deviendrais probablement sourde. Quelle tuile ! Ignorant la Croix du Sauveur, je ne pouvais pas lui offrir ma souffrance, mon angoisse. Marie n’était pour moi qu’un personnage de l’histoire et j’ignorais l’aide que trouvent ceux qui recourent à son intercession. Comment Dieu pourrait-il m’entendre du fond de ma misère ? Je croyais ne devoir compter que sur mes propres forces.
Deux mois plus tard, je partais pour l’Afrique, avec environ 200 shillings en banque, avec une maladie chronique, sans un ami et sans avenir au delà de l’Océan. Je croyais qu’un peu de courage et de bon sens me donneraient la force de forger mon avenir. Maintenant je vois que c’est la main de Dieu qui m’a conduite. Ma reconnaissance pour la patience avec laquelle Dieu a percé la carapace de mon égoïsme et de mon orgueil est parfois si forte que, transportée d’émotion et d’humilité, je tombe à genoux.
« Le Chant de Bernadette »
Je passais la première partie de mon voyage dans le compartiment du bateau réservé aux malades et je me délectais du livre de Lourdes, le « Chant de Bernadette ». L’amour fervent de la petite sainte pour Notre-Dame me remua profondément. Et je pensais alors à ma propre âme. Quel vide ! Mais la foi catholique dépassait par trop ma raison ; je me disais : elle doit être le produit d’une imagination, d’une superstition ou d’une crainte. Mon cœur, lui, pressentait que la paysanne française avait été illuminée par l’amour. Je relus le livre, marquant les passages relatifs aux visions. Que pouvait bien avoir expérimenté cette enfant ? J’essayais de me le représenter dans ma cabine, et ce fut une méditation consolante. L’angoisse et les soucis de l’exil diminuèrent. Dieu exauçait déjà la première de mes prières inconscientes et me réconfortait par l’entremise de sa Mère.
La prédication prépare à la foi
Lorsque je pus monter sur le pont, j’oubliai le livre et je cherchai à me distraire ; nous étions dans la fournaise de la Mer Rouge. À mon arrivée en Rhodésie du Sud, je fis une première rechute. Me voilà de nouveau dans un hôpital ! Mais là une catholique me conquit par son amitié si dévouée. Elle me demanda, un jour, si cela me ferait plaisir d’aller écouter un prêtre catholique, un Carme, prédicateur célèbre. Elle voulait me faire sortir de ma tour d’ivoire et me redonner de l’élan. J’hésitais, mais, ne voulant pas déplaire à mon amie, je fis taire mes préjugés et j’entrai pour la première fois dans la cathédrale de Salisbury.
Toute ma vie je songerai à cette heure étoilée. Le sermon m’empoigna de telle façon que j’étais désarmée. Mes misérables opinions croulèrent devant cette apologétique inattaquable. Les fidèles s’agenouillèrent pour le chapelet. Ma raison ne pouvait supporter la foi en l’efficacité de prières comptées sur une chaîne comique de petites boules ! Mon arrogance dura peu, car le courant m’entraîna. Je sentis le désir de m’associer aux fidèles, quoique je ne pusse pas encore prier. La grâce travaillait ; au moment de la bénédiction du saint Sacrement, je ne pouvais détacher mes yeux de l’ostensoir dont j’ignorais encore le sens. Inexprimable était ma joie ! Le prédicateur avait libéré la voie et ouvert mon cœur. J’avais entendu Dieu me parler par Jésus dans le saint Sacrement. Je ne pensais plus à la petite sainte de Lourdes ; je sais maintenant que la solitude sur le bateau m’a préparée à recevoir la grâce.
Le sermon et la bénédiction dans la cathédrale de Salisbury n’étaient qu’une partie d’une semaine de retraite. Si j’ai un regret, c’est d’avoir manqué d’y participer deux fois sur huit. Le prédicateur avait changé quelque chose en moi : mes préjugés contre la foi catholique étaient devenus sans fondement. En soi, le fait aurait pu être sans importance, car la foi ne suit pas nécessairement la réfutation des préjugés : on pourrait par exemple rester indifférent. Le Carme, excellent prédicateur, avait fait mieux que d’expliquer la foi catholique, il m’avait donné le désir de Dieu et avait éveillé en moi une nostalgie qui, tantôt me faisait jubiler, et tantôt me laissait toute déprimée.
Progrès
Je m’annonçai peu après chez un Père jésuite pour l’enseignement religieux. Je lui dois une grande reconnaissance. Son enseignement soigné, sa façon d’écarter les doutes, de m’éclairer, implantèrent une foi qui, assurait-il, grandirait en proportion de mes progrès dans la vie spirituelle. Le summum, pensai-je, serait l’émotion qu’on éprouve à être au seuil d’une aventure prodigieuse. L’expérience a montré que mon directeur avait raison, et je le sais encore mieux à chaque jour, à chaque heure où je vis consciemment comme un membre du Corps mystique du Christ. Il me fallut retourner à l’hôpital pour deux mois ; cette fois, j’eus la chance d’être soignée par les sœurs de la « Petite Société de Marie ». J’appris beaucoup au contact de ces sœurs et j’eus le temps de lire, de méditer. Il y eut encore des moments de doute et des combats intérieurs. Grâce à Dieu, je devins enfant de l’Église en 1947, la veille de la fête de l’Immaculée Conception.
Prière catholique
Ce qui m’attira de prime abord chez les catholiques fut l’importance donnée à la prière. On voit qu’ils y croient. Leurs joies, leurs souffrances deviennent des prières. Ils m’ont enseigné à prier. On dira : en tant qu’anglicane, n’avez-vous donc jamais prié ? Certes j’avais prié, mais Dieu était alors pour moi comme quelqu’un d’étranger et je n’avais aucune certitude d’être exaucée. Un affreux sentiment de vide me tourmentait. Je ne voulais pas avoir la présomption de prier Notre-Dame, l’ayant négligée jusque-là. Je n’acceptais, dans mon ignorance, les miracles que selon mes goûts et mes caprices. La prière du « Souvenez-vous » m’a amenée plus près de Marie, avec timidité d’abord, puis en pleine confiance. C’est la doctrine du Corps mystique qui m’a fait voir la valeur de la prière d’un chacun des membres reliés à la Tête, le Christ.
Des protestants m’ont demandé pourquoi je priais la Sainte Vierge. Je répondis que les catholiques ne prient pas la Sainte Vierge comme ils prient Dieu. La prière à Dieu peut être adoration, action de grâces, demande de pardon, impétration. Tandis que nous honorons Marie comme la plus sainte créature et lui demandons d’intercéder auprès de Dieu. Nous demandons aux saints de prier pour nous comme nous le demandons à nos amis ou même à des inconnus. Le Christ ne nous a-t-il pas enseigné à prier les uns pour les autres ? Quelle assurance de se savoir relié aux saints dans le ciel ! Les saints qui, leur vie durant, ont amené des âmes vers Dieu ne voudront-ils pas encore aider ceux qui sont à la recherche de la grâce ? Il m’était consolant de savoir que les péchés, les fautes qui m’affligeaient avaient aussi été une fois les misères de quelques saints et qu’ils les avaient combattues avec succès. Cela soit dit sans ombre d’excuse pour ne pas vouloir tendre à la sainteté.
Confession libératrice
Ce n’est pas un fait exceptionnel, je crois, pour des convertis de temporiser devant la confession. J’avais toujours eu une répugnance secrète pour la psychanalyse. Elle peut bien être utile dans certains cas, il me semble pourtant que ses victimes n’en retirent qu’un accroissement d’intérêt pour elles-mêmes et pour leurs complexes, imaginations, inhibitions. L’oubli de soi-même ne serait-il pas un bien meilleur remède ? Des amis m’ont décrit l’atmosphère de la chambre du psychanalyste : un fauteuil très confortable, un auditeur complaisant et un patient qui dissèque et embellit avec avidité ses pensées et ses sentiments. Quelle opposition avec l’austérité et la sainteté du confessionnal ! Heureusement, je n’ai jamais été psychanalisée ! Je ne fis pas grand cas des prétendues difficultés du confessionnal. Je n’en eus pas d’autre que celle bien naturelle que nous éprouvons à avouer nos péchés, lorsque je fis ma confession générale exigée après le baptême sous condition. La compréhension du confesseur m’étonna. J’avais craint de perdre courage, de laisser ma confession inachevée, mais la crainte disparut dès que je fus agenouillée. Allégement immense que de déposer le poids de sa vie entière ! Je crois que seul un converti d’âge mûr est à même d’apprécier ce fait à sa juste valeur. L’homme né dans la religion catholique sait dès son enfance que le prêtre tient la place de Dieu au confessionnal, qu’il avoue ses péchés devant Dieu et reçoit de Dieu l’absolution. Si j’avais eu quelques doutes à ce sujet, ils s’évanouirent lors de ma première confession. Je sais maintenant, après plusieurs années de vie dans la religion catholique, que je ne pourrais pas renoncer à ce sacrement, abstraction faite de toute obligation qui l’impose.
Je vins en Bavière sans savoir l’allemand, et dans le village retiré où je vivais, il n’y avait aucun prêtre parlant l’anglais. Je fis ma confession pascale par écrit à l’aide d’un dictionnaire. Depuis j’ai appris suffisamment la langue et je n’ai plus autant de difficultés. Cela répond à ceux qui accusent l’Église d’esclavage spirituel. On pourrait aussi faire remarquer que j’aurais eu les raisons suffisantes pour être dispensée de la confession. Sans doute, mais je soupirais dans mon désir de recevoir ce sacrement. Malgré les peines que cela me coûtait, j’ai expérimenté la vertu salutaire du sacrement de pénitence. À celui qui est oppressé par ses péchés ou par le doute je ne dirais pas autre chose que d’aller au confessionnal où Dieu l’attend.
Prosélytisme des catholiques ?
Dernièrement, l’Église anglicane a accusé l’Église catholique dans un tract amer et violent : Infaillible Fallacie. Il est question de prêtres catholiques qui « accrochent » les convertis parmi les grands malades et les mourants des hôpitaux. Mon expérience me fit voir tout autre chose. Arrivée en Rhodésie du Sud, je fus amenée dans un grand hôpital d’État. Un jour, un prêtre s’arrêta devant mon lit, lia conversation, puis se mit à raconter des histoires qui me déridèrent. J’appris que c’était un Père jésuite qui visitait régulièrement les malades et qui ne manquait pas de parler à tous. Au-dessus de mon lit, une petite carte indiquait clairement que j’étais anglicane et je lui dis que je venais d’arriver de l’étranger. Je ne veux pas dire que ce Père n’ait pas accompli exactement son devoir ; j’appris par ailleurs qu’il était extrêmement zélé, et pourtant il ne m’a pas « accrochée », je suis devenue catholique par conviction et par la grâce de Dieu.
La route est longue, qui va du premier éveil spirituel jusqu’à l’entrée dans l’Église ! On m’assurait que huit mois de préparation et de catéchisme seraient un terme plutôt court. À mon désir de les écourter s’opposa un refus net. Ce n’est pas que l’Église ne reçoive avec joie ceux qui recherchent la vérité ; elle exige une totale adhésion à la vérité avant de les recevoir. J’avais participé à bien des réunions politiques, où un orateur pouvait exciter ses auditeurs à un tel enthousiasme qu’on aurait été en droit d’attendre d’eux de vrais exploits ; or, une fois l’ivresse dissipée, misérable était le résultat ! L’exaltation intérieure que la semaine missionnaire de Salisbury avait produite en moi allait-elle tomber de semblable façon ? Rien que d’y penser me faisait souffrir. L’Église connaît bien ce danger et c’est pourquoi elle exige une préparation soignée et sérieuse. Elle veut être assurée qu’il s’agit d’une foi solide et non pas de zèle à la merci des sentiments. Les prêtres, les religieux avec lesquels je me suis entretenue de ma foi naissante m’ont aidée ; ils ont prié pour moi. Mais jamais la moindre pression n’a été exercée sur moi.
J’appris que l’Église ressent presque avec plus de douleur l’apostasie d’un converti que celle d’un catholique-né, car elle se sent en quelque sorte responsable de la perte de sa foi. Le peuple anglais est aujourd’hui, en tant que tel, beaucoup plus tolérant que je ne l’étais il y a vingt-cinq ans. Peu de gens intelligents accordent encore créance aux accusations mal fondées faites de tout temps à l’Église. Le grand public voyage et entend beaucoup plus qu’autrefois, de sorte que l’homme moyen peut juger par lui-même. De plus, dans un monde si déchiré par les souffrances, on se tourne vers Dieu et par là vers l’Église de Rome. Rome n’a pas à « tourmenter » ces affamés spirituels. Le plus grand nombre crie vers l’Église pour y trouver une place.
Sans tenir compte de la douleur que provoquaient en moi les accusations indignes contre l’Église, le tract des anglicans dont j’ai parlé plus haut m’a enlevé toute estime et amour pour l’Église de mon enfance. Il n’y a jamais eu de haine contre l’Église anglicane à l’origine de ma conversion ; ce que j’ai haï, c’est ce qui était faux dans mes vues religieuses d’autrefois. Tout ce qui était bon et authentique, je l’ai retrouvé et de façon plus riche dans l’Église catholique. Je déteste les remarques injurieuses que j’avais eues pour le chapelet ; lorsque je le tiens en main et que je répète les admirables prières que « l’histoire nous a rapportées sur la vie du Seigneur et de sa Mère », je suis convaincue de la simplicité et de la plénitude de cette dévotion. Et j’ai laissé passer tant d’années sans donner à Marie la place qu’elle mérite ! J’ai été longtemps aussi du nombre de ceux qui laissent le Sauveur seul sur le chemin du calvaire. Je prie sans haine contre l’Église anglicane ; mieux, je prie pour que ma patrie retrouve la foi de ses pères et mérite à nouveau le doux et honorable titre de « Dot de Notre-Dame ».
Sur le chemin de la croix
La vie est devenue encore plus lourde depuis mon passage au catholicisme. Pendant les six années de séjour en Afrique, je souffris constamment d’incommodités qui m’empêchaient de trouver un emploi. C’est déjà une épreuve pour un jeune ; pour qui est d’âge moyen, c’est une très lourde charge. J’ai maintenant mes cinquante ans et je vis dans un village des montagnes bavaroises, loin de tout parent et ami. J’ai dû apprendre une autre langue. La modique pension de guerre étant insuffisante, j’écris des articles. Ce n’est pas toujours un moyen de vivre, bien sûr, je ne suis pourtant pas malheureuse, ayant trouvé dans la foi la réponse à toutes mes difficultés.
La petite église des Carmélites, du douzième siècle, où j’assiste à la messe chaque jour, est devenue mon lieu spirituel. Recevant le Christ, source de vie, je ne suis plus seule et je ne crains rien. Dans mes faiblesses, je renouvelle ma foi, mon espérance. L’amour me fait accepter avec joie tout ce qui peut m’arriver de nouveau. J’apprends à saluer la souffrance et je peux dire avec la sœur Janet Stuart : « Nous ne pouvons être contents de notre amour pour Dieu qu’au jour où il aura passé à travers les épreuves ; Dieu l’attestera en son jour... »
L’Église catholique m’a appris à implorer la miséricorde du Christ et surtout à lui offrir mes souffrances, à lui qui a porté toutes les nôtres. Nos amis nous font souffrir parfois, ou nous négligent : les amis du Christ ont dormi pendant son agonie et la plupart se sont enfuis, sur le chemin du Calvaire. Les stations du chemin de la croix nous aident à pardonner à nos amis, nous souvenant de nos propres péchés pour lesquels le Sauveur a été mis en croix. La perte d’un être cher nous fait regarder vers la Mère de Dieu qui a dit oui à la douleur sans égale sur terre. Que sont nos souffrances ? Elles se perdent à l’ombre de la croix du Golgotha. Peut-être ressemblons-nous à ces gens qui apparemment n’ont jamais de succès, qui ne sont nulle part chez eux, partout méprisés ? Et pourtant nous faisons partie de la société des Saints qui ont supporté quotidiennement des contradictions plus lourdes que la souffrance physique ou morale.
Valeur de la sainte Messe
Ce que l’Église m’a donné de plus grand, c’est la messe. Un auteur spirituel l’appelle à juste titre : « La louange de Dieu la plus belle, la plus excellente qu’on puisse imaginer. » Je dis souvent : « Puissiez-vous m’accorder, ô Dieu, la force de participer chaque jour à votre saint sacrifice. »
Le sacrifice que le Christ a offert sur la Croix est renouvelé, identique dans son essence, à chaque heure du jour et de la nuit, sur les autels de l’Église catholique. Je me suis agenouillée dans des églises de pierre à moitié ensevelies dans la neige, je me suis agenouillée sur le sol brûlant des tropiques, où le soleil jouait sur des centaines de têtes d’Africains et où le ciel brillant formait un baldaquin pour l’élévation de l’hostie. J’ai prié dans les grandes cathédrales, j’ai aimé la richesse des vêtements liturgiques et des vases sacrés. J’ai aimé aussi les messes dans les petits villages anglais, où il y avait peu de fidèles et pas même de servant de messe, où les gens étaient à genoux à même le plancher, où il n’y avait pas de chœur pour l’autel ; cela me rappelait Bethléem.
J’ai reçu mon Sauveur sous les latitudes les plus diverses ; mais le mystère, la beauté, le bonheur de se venue étaient partout les mêmes. « Participer au sacrifice du Fils de Dieu, dans la sainte messe est un bonheur qui n’a pas son pareil sur terre. »
Elionor D. RHODES, dans Les pourchassés de la grâce,
témoignages de convertis de nos jours,
rassemblés et présentés par Bruno Schafer,
Apostolat de la presse, 1962.