Destin de la France
par
Oscar Edmond ROBERT
J’aime la France, ma Patrie
Je veux lui conserver la Foi
Je lui sacrifierai ma Vie
Et je combattrai pour mon Roi
Ste Thérèse de l’E. J.
NIHIL OBSTAT
Brugis, 3-VI-1959
Fr. Archangelus a Regina Carmeli
o.c.d.
IMPRIMATUR
Brugis, 17-VII-1960
M. de Keyzer, Vic. Gén.
Extrait d’une lettre
de S. A. R. le Prince Xavier de Bourbon-Parme
à l’Auteur
Bost, Besson (Allier)
« Rentré pour quelques jours dans ma demeure, j’ai lu avec grand intérêt votre livre sur la vocation chrétienne de la France et je vous en félicite très cordialement.
Votre ouvrage a l’avantage d’être très bien résumé, facile à lire. Il trouvera un succès certain dans le public en France. Vous avez fait ressortir les textes essentiels.
Beaucoup de chrétiens en France ont perdu le sens de la grandeur de la Royauté chrétienne. Votre livre le leur donnera admirablement grâce aux textes qu’il cite. La conclusion viendra d’elle-même et sera d’autant plus efficace. Je serais très heureux de voir votre étude imprimée, car elle fera beaucoup de bien dans les âmes... »
Votre dévoué
Xavier de Bourbon.
INTRODUCTION
La modeste brochure que voici ne prétend pas être un cours d’histoire, même abrégé, ni présenter une philosophie de l’histoire, sujet toujours périlleux ; elle n’apporte même pas de découvertes ou d’aperçus critiques nouveaux. Et pourtant, elle voudrait combler une lacune, éclairer les esprits, aider peut-être à retrouver le fil rompu d’une tradition.
Il semble que ce qui manque le plus à nos historiens modernes, si férus de précision critique, ce soit l’audace de méditer sur l’objet de leur science, disons davantage, de prier et de contempler. Le positivisme a régné depuis Taine et Renan. Nous n’en sommes plus tout à fait là, mais un certain préjugé est demeuré. On continue à se défier des vues larges, des conclusions, des leçons de l’histoire. Il est temps de rompre avec ces timidités. La Bible, qui est pour une grande part un Livre historique, ne nous enseigne-t-elle point à considérer les évènements comme le déroulement d’un dessein divin ? Il s’en faut que cette conception ne vaille que pour l’Ancien Testament. En envoyant ses Apôtres « enseigner toutes les Nations » (Matth., XXVIII – 19), Jésus-Christ a fait de l’histoire universelle une vaste Histoire Sainte. Les Pères de l’Église l’ont parfaitement bien compris. Ils ne faisaient pas du positivisme, même spiritualiste. Ils n’avaient pas peur des synthèses. Ils croyaient que la prière peut éclairer les esprits, plus encore que les documents historiques : « Ceux-ci livrent la lettre, Toi (Seigneur) Tu ouvres l’esprit » (Imitation, III, 2).
L’histoire de France porte avec une particulière netteté les marques d’une pensée divine. La France est, depuis le baptême de Clovis en 496, la Fille Aînée de l’Église. Elle a bénéficié, pour son propre compte, de la plupart des signes par lesquels Dieu a accrédité Son Église : miracles et prophéties. On songe tout naturellement à Sainte Jeanne d’Arc. Mais il n’y a pas qu’elle. Ne s’est-on vraiment pas trop peu préoccupé, de nos jours, de chercher à lire ces signes divins inscrits tout au long de notre histoire, non pas comme des mots isolés, mais comme une prose parfaitement suivie et qui a tout son sens. Comme une prose qui se change parfois en poème et en glorieuse épopée : « Gesta Dei per Francos ! »
Voilà ce que nous avons tenté de faire : chercher à lire l’histoire de France en articulant surtout les passages où l’action de la Providence se fait plus sensible. Aligner les textes essentiels, connus déjà peut-être, mais pas suffisamment rapprochés ni comparés. Obéir à la consigne que Saint Pie X donnait aux Français, s’ils voulaient assurer le relèvement de leur chère Patrie : méditer les testaments de Saint Rémi, de Charlemagne et de Saint Louis !
LE SICAMBRE
« Mitis depone colla, Sicamber... »
Saint Grégoire de Tours.
Je ne voudrais en rien idéaliser la personne de Clovis. Je dois néanmoins constater que la plupart des historiens de nos jours n’en parlent point dans les mêmes termes que les saints qui furent ses contemporains. Les expressions de « rusé barbare », « astucieux politique » et d’autres semblables, servent trop souvent à caractériser son attitude au moment de sa conversion. Volontiers on lui ferait dire : « La Gaule vaut bien un baptême. » Mais c’est lui faire injure que de parler ainsi. Alors qu’il était encore païen, Saint Rémi lui adressa cette lettre, pleine de confiance, dont nous avons heureusement conservé le texte : « Une grande rumeur est arrivée jusqu’à nous ; on dit que vous venez de prendre en mains l’administration de la deuxième Belgique 1. Ce n’est pas une nouveauté que vous commenciez à être ce qu’ont été vos parents. Il faut veiller tout d’abord à ce que le jugement du Seigneur ne vous abandonne pas, et à ce que votre mérite se maintienne au sommet où l’a porté votre humilité ; car, selon le proverbe, les actes des hommes se jugent à leur fin. Vous devez vous entourer de conseillers qui puissent vous faire honneur. Pratiquez le bien : soyez chaste et honnête. Montrez-vous plein de déférence pour vos évêques et recourez toujours à leurs avis. Encouragez vos sujets, relevez les affligés, protégez les veuves, nourrissez les orphelins, faites que tout le monde vous aime et vous craigne... » (M.G.H. Epistolæ Merovingici et Karolini ævi, t. I, p. 113).
Quant à sa conversion, nous en avons le récit dans Saint Grégoire de Tours 2. La quinzième année de son règne (496), Clovis eut un grand combat à livrer contre les Alamans qui avaient envahi la Gaule. Déjà ses armées, ordinairement victorieuses, éprouvaient de grands revers. Clovis alors, « levant les yeux au ciel, le cœur contrit, fondant en larmes, s’écria : Jésus-Christ, toi que Clotilde affirme être le fils de Dieu, toi qui, dit-on, vient en aide à ceux qui sont dans l’épreuve et qui donne la victoire à ceux qui espèrent en toi, j’invoque dévotement ton glorieux secours. Si tu daignes m’accorder la victoire sur mes ennemis et si j’expérimente cette puissance que tes fidèles t’attribuent, je croirai en toi et me ferai baptiser en ton nom... » À peine eut-il prié ainsi que « les Alamans, tournant le dos, commencèrent à prendre la fuite ». (Historia Francorum, 1. II, ch. XXX).
Clovis avait été sincère. Dans la détresse, il avait « crié vers le Seigneur, et le Seigneur l’avait exaucé » (Ps. 119) par un éclatant miracle. Mobile encore fruste sans doute, mais vraiment surnaturel. À peine converti, le jeune Roi des Francs devint le catéchiste de ses soldats. Comme Saint Rémi l’invitait à se faire baptiser, il lui répondit : « Je le ferais volontiers, vénéré Père, mais il reste une chose : le peuple qui me suit ne voudra pas abandonner ses dieux ; mais j’irai et je leur parlerai. » Sans attendre que le Roi eût parlé, « tout le peuple, mû par la grâce de Dieu, s’écria : Abandonnons nos dieux mortels, ô Roi, nous sommes prêts à suivre le Dieu que Rémi dit être immortel. On annonce cela à l’Évêque qui, plein de joie, ordonne les préparatifs du baptême. Des tentures peintes ombragent les places, les églises sont ornées de voiles blancs, on apprête le baptistère, des parfums s’élèvent, des cierges odorants brillent de toutes parts, le temple où se trouve le baptistère est empli d’une odeur divine ; et Dieu accorde une telle grâce aux assistants qu’ils se croient transportés au milieu des parfums du Paradis. Le Roi demande, le premier, le baptême au Pontife. Le nouveau Constantin s’avance vers le bain qui doit enlever la lèpre invétérée qui le couvrait ; il va laver dans une eau nouvelle les taches sordides de sa vie passée. Comme il s’avançait vers le baptême, le saint de Dieu lui dit, de sa bouche éloquente : « Baisse humblement la tête, ô Sicambre : adore ce que tu as brûlé, et brûle ce que tu as adoré... » Et le Roi, après avoir confessé le Dieu tout-puissant en sa Trinité, fut baptisé au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et il fut oint du Saint-Chrême en recevant le signe de la Croix du Christ. Plus de trois mille hommes de son armée furent baptisés avec lui ».
On a peine à imaginer aujourd’hui la victoire que la conversion de Clovis et de ses Francs représentait pour l’Église. D’une part, les barbares avaient envahi la Gaule, l’Espagne et l’Italie. L’Empire d’Occident s’était écroulé en 476. D’autre part l’arianisme, vaincu sur le plan doctrinal au IVe siècle, était devenu la religion des peuples nouveaux : Burgondes, Ostrogoths, Wisigoths, et menaçait de s’imposer universellement. L’Afrique du Nord gémissait sous les Vandales. L’Empire d’Orient était déchiré par les factions. De grands Évêques, il est vrai, s’étaient levés, dès le IVe siècle, luttant contre le paganisme et l’hérésie : Saint Hilaire de Poitiers, Saint Martin de Tours, Saint Germain d’Auxerre, Saint Loup de Troyes et tant d’autres... C’étaient eux, c’était tout l’épiscopat de Gaule que Saint Rémi avait, en quelque sorte, représenté au baptême de Clovis. Nous en avons un écho dans la lettre que Saint Avit de Vienne adressa au Roi des Francs, nouvellement baptisé : « Votre foi est notre victoire !... L’Occident voit briller, sur un trône déjà ancien, une lumière nouvelle. Il convenait que sa splendeur se levât au jour de la naissance de notre Rédempteur et que les eaux salutaires du baptême vous régénérassent le jour même où le monde a reçu, comme Sauveur, le Roi des Cieux. Ainsi donc cette fête, déjà mémorable à cause de la naissance du Seigneur, le sera aussi à cause de vous, qui êtes né au Christ le jour où le Christ est né pour vous... Nous n’avons qu’un vœu à formuler : c’est qu’en même temps que Dieu achèvera de faire sien, par vos soins, tout votre peuple, vous répandiez aussi les semences de la foi, du bon trésor de votre cœur, sur les autres peuples, plongés dans leur ignorance naturelle et que les dogmes pervers n’ont pas encore corrompus... » (SAINT AVIT, Ép. 41 dans P.L. 59, col. 257-59).
N’est-ce pas toute la vocation de la nation française, définie au jour de sa naissance, par ces deux grands Pontifes : Saint Rémi et Saint Avit ? « Dieu, dit Grégoire de Tours, donna ce jour-là une telle grâce (à Clovis et au peuple des Francs) qu’ils se croyaient au milieu des parfums du Paradis. » Quelle était cette grâce, correspondant à une vocation divine ? Pas seulement celle du baptême, laquelle est donnée à tout homme, quel que soit son peuple ou sa langue. Mais, outre la grâce baptismale, Dieu, par un libre don, avait fait de la France la Fille Aînée de son Église. Par cette grâce, Dieu mettait « dans le bon trésor du cœur » de Clovis et de sa race royale des « semences de foi » (St Avit, in l. c.) destinées à gagner toutes les Gaules au Christ et à l’Église catholique, ainsi qu’à rayonner « sur les autres peuples » par une vocation missionnaire qui ne s’est jamais démentie.
Voyons, dans la campagne d’Aquitaine (506-507), les prémices de cette vocation. Les deux sanctuaires de Tours et de Poitiers, et tout le Sud de la Gaule étaient occupés, au début du VIe siècle, par les Wisigoths d’Alaric. Les catholiques y étaient souvent molestés par les Ariens. Alors Clovis se sentit responsable de l’héritage spirituel de Saint Martin et de Saint Hilaire, ces deux grands champions de l’orthodoxie : « Je ne puis supporter, dit-il aux siens, que ces Ariens détiennent une partie des Gaules. Allons et, avec l’aide de Dieu, nous soumettrons ces terres à notre pouvoir » (o.c., ch. XXXVIII dans M. Gorce, p. 344). En passant dans le voisinage de Tours avec son armée, Clovis y envoya quelques hommes avec des présents pour le Saint, protecteur du Royaume. Au moment où ils arrivèrent dans la basilique, le pré-chantre entonnait l’antienne suivante : « Seigneur, vous m’avez armé de courage pour les combats, vous avez renversé à mes pieds ceux qui se dressaient contre moi, vous avez fait tourner le dos à mes ennemis, et vous avez dispersé ceux qui me poursuivaient de leur haine » (Ps. XVII, 40-41). Plus loin, au moment de traverser la Vienne, cette rivière se trouvait grossie par les inondations. La nuit, Clovis pria le Seigneur de lui indiquer un gué. Au matin, « une biche d’une grandeur peu commune entra dans le cours d’eau, sur l’ordre de Dieu, et y précéda les troupes ». À Poitiers, le secours divin fut encore plus manifeste : « Lorsque le Roi y parvint, tandis qu’il se trouvait dans sa tente sur les hauteurs environnantes, il vit un phare de feu sortir de la Basilique de Saint-Hilaire et venir jusqu’à lui, comme pour l’assurer que ce Bienheureux Confesseur l’aiderait à combattre les forces de l’hérésie, contre lesquelles son ardeur sacerdotale avait si souvent lutté. Toute l’armée fut témoin de ce spectacle... » (id., p. 344). La victoire sur Alaric semblait dès lors acquise, et c’est ce qui fut confirmé, le lendemain, en la mémorable bataille de Vouillé.
Cette campagne s’acheva triomphalement. Après être descendu jusqu’au-delà de Bordeaux, Clovis remonta par Saintes et Angoulême : « Le Seigneur l’aida si puissamment de sa grâce, qu’à sa vue, les murailles d’Angoulême s’écroulèrent d’elles-mêmes » (id., p. 345). Il se rendit ensuite à Tours où il fit de nombreux dons à la basilique de Saint-Martin. Il reçut là, de la part de l’Empereur Anastase, les insignes du Consulat. Depuis ce jour, ajoute Saint Grégoire de Tours, on l’appelait aussi « Auguste », préfiguration du titre impérial que portera un jour Charlemagne.
Les relations de Clovis avec les évêques, le clergé, les moines, furent généralement empreintes de bienveillance et de confiance mutuelle. Que d’épisodes on pourrait relever, à ce sujet, depuis le jour où l’ermite Saint Vaast se fit le catéchiste de Clovis jusqu’à la construction de la basilique votive des Saints Pierre et Paul, à la demande de Sainte Geneviève. Le Souverain dota avec libéralité les Abbayes de Baralle, de Junant, de Simorre, de Micy, de Réomé, et bien d’autres. Il seconda l’action de l’épiscopat, préludant ainsi à la mission des Rois de France d’être « évêques de l’extérieur ». Il réunit notamment, en l’année 511, le premier Concile national d’Orléans, dont les Actes nous ont été heureusement conservés et qui débutent ainsi :
« À leur Seigneur, fils de la Sainte Église catholique, le très glorieux Roi Clovis, tous les évêques à qui vous avez ordonné de venir au Concile. Puisque un si grand souci de notre glorieuse Foi vous excite au service de la religion, que dans le zèle d’une âme vraiment sacerdotale vous avez réuni les évêques pour délibérer en commun sur les besoins de l’Église, nous, en conformité avec cette volonté et en suivant le questionnaire que vous nous avez donné, nous avons répondu par les sentences qui nous ont paru justes. Si ce que nous avons décidé est approuvé par vous, le consentement d’un si grand roi augmentera l’autorité des résolutions prises en commun par une si nombreuse assemblée de prélats. » (SIRMOND, Concilia Galliæ, T. I, p. 177.)
Que nous voilà loin des mesquines critiques de trop de nos contemporains. Sans doute, on trouve aussi des fautes dans la vie de Clovis – comme chez le saint Roi David – mais il avait l’humilité, lorsqu’un évêque ou un moine les lui reprochait, de s’en reconnaître coupable et d’en demander l’absolution. Il y a des actions dans sa vie qui nous semblent étonnamment barbares – le vase de Soissons, le meurtre de certains de ses parents –, mais ne commettons pas le contresens de les situer dans un contexte du XXe siècle. Ne méconnaissons pas, à cause de cela, la grandeur ni les bienfaits de l’œuvre accomplie. « Clotilde n’avait pas honte de Clovis, l’unificateur, le fondateur, le converti. » (M. GORCE, o.c., p. 333.) Saint Rémi ni Sainte Geneviève n’en rougissaient pas non plus. Ne soyons pas plus exigeants qu’eux. Un historien du XVIIe siècle, Savaron, composa jadis un plaidoyer intitulé : « De la saincteté du Roi Clovis » (Paris, 1620). C’est là un autre extrême dans l’appréciation des faits. Le plus sage est de laisser à Dieu le jugement, mais rien ne peut nous empêcher de reconnaître, en Clovis, le fondateur de la France chrétienne. C’est ce que commémorent deux documents que nous ne pouvons faire autrement que de citer en finale de ce chapitre.
C’est tout d’abord le Grand Prologue de la Loi Salique 3 :
« La Nation des Francs, illustre, ayant Dieu pour fondateur, forte sous les armes, ferme dans les traités de paix, hardie, agile et rude au combat, depuis peu convertie à la foi catholique, libre d’hérésie.
Elle était encore sous une croyance barbare. Mais, avec l’inspiration de Dieu, elle recherchait la clé de la science, selon la nature de ses qualités, désirant la justice, gardant la piété.
Alors la Loi Salique fut dictée par les Chefs de cette Nation qui, en ce temps, commandaient chez elle...
Puis lorsque, avec l’aide de Dieu, Clovis le Chevelu, le Beau, l’illustre Roi des Francs, eut reçu le premier le baptême catholique, tout ce qui dans ce Pacte était jugé peu convenable, fut amendé avec clarté par les illustres Rois Clovis, Childebert et Clotaire.
Et ainsi fut dressé ce décret :
VIVE LE CHRIST QUI AIME LES FRANCS !
Qu’Il garde leur royaume et remplisse leurs Chefs des lumières de sa grâce !
Qu’Il protège leurs armées !
Qu’Il leur accorde, avec des signes qui attestent leur foi, les joies de la paix et la félicité !
Que le Seigneur Jésus-Christ dirige dans la voie de la piété ceux qui gouvernent !...
Car cette Nation est celle qui, petite en nombre, mais brave et forte, secoua de sa tête le dur joug des Romains et qui, après avoir reconnu la sainteté du baptême, orna somptueusement les corps des saints Martyrs que les Romains avaient consumés par le feu, mutilés par le fer ou fait déchirer par les bêtes... » (CANCIANI. Barbarorum leges, t. II, p. 13. Venise, 1783 – Voir aussi : PARDESSUS. Loi Salique. Paris, 1843, p. 345.)
Un autre document très significatif, quoique moins assuré au point de vue du texte, est le Testament de Saint Rémi. Si sa « version brève » ne fait pas difficulté, il n’en va pas de même pour sa « version longue » que l’on dit en partie interpolée. (Voir D.A.C.L. de DOM CABROL, art. Reims, n. XVII.) Elle ne nous est connue que par Hincmar de Reims (VIIIe siècle) et Flodoard (IXe siècle). On a usé des trésors d’ingéniosité pour établir le caractère supposé du « Grand Testament », sans qu’aucun argument décisif ait pu être exhibé. Ce n’est pas ici le lieu de trancher cette controverse, contentons-nous de dire que le sens foncier du document a valeur de tradition ecclésiastique locale et que l’on peut faire confiance à Pie X lorsqu’il nous invite à faire notre trésor du « Testament de Saint Rémi ». En voici la partie essentielle. Après avoir établi ses dispositions testamentaires proprement dites, le saint Évêque de Reims en confie l’exécution et la garde aux Évêques et aux Rois de France en ces termes :
« Que le présent Testament que j’ai écrit pour être gardé respectueusement intact par mes successeurs les Évêques de Reims, mes Frères, soit aussi défendu, protégé partout, envers et contre tous par mes très chers Fils, les Rois de France, par moi consacrés au Seigneur à leur baptême, par un don gratuit de Jésus-Christ et la grâce du Saint-Esprit : qu’en tout et toujours, il garde la perpétuité de sa force et l’inviolabilité de sa durée...
... Quant à cette race royale qu’avec mes Frères et Coévêques de la Germanie, de la Gaule et de la Neustrie, j’ai choisie délibérément pour régner jusqu’à la fin des temps, au sommet de la majesté royale pour l’honneur de la Sainte Église et la défense des humbles, (cette race) que j’ai baptisée, que j’ai reçue dans mes bras, ruisselante des eaux du baptême, que j’ai marquée des sept dons du Saint-Esprit, que j’ai ointe de l’Onction des Rois par le Saint Chrême, j’ai ordonné ce qui suit : »
(Ici le Testament énumère la double série de malédictions ou de bénédictions qui descendront sur « la race royale » selon qu’elle se montrera rebelle ou fidèle au pacte d’alliance avec Dieu.)
« ... Que si Notre-Seigneur Jésus-Christ daigne écouter les prières que je répands tous les jours en sa présence, spécialement pour la persévérance de cette race royale, suivant mes recommandations, dans le bon gouvernement de son royaume et le respect de la hiérarchie de la Sainte Église de Dieu : qu’aux bénédictions de l’Esprit-Saint déjà répandues sur son chef par mes mains pécheresses, le même Saint-Esprit ajoute de nouvelles bénédictions ; que de cette race sortent des rois et des empereurs qui, confirmés dans la vérité et la justice, pour le présent et pour l’avenir, suivant la volonté du Seigneur pour l’extension de sa Sainte Église, puissent régner et augmenter tous les jours leur puissance et mériter ainsi de s’asseoir sur le trône de David dans la céleste Jérusalem où ils régneront éternellement avec le Seigneur. Ainsi soit-il. » (FLODOARD. Histoire de l’Église de Reims, 1. I, ch. XVIII dans P.L. 135, col. 66-68.)
Ce document, nous l’avons vu, n’a pas qu’un intérêt d’archives. Au témoignage de Saint Pie X, il peut être l’objet de fructueuses méditations pour l’avenir : « Vous direz aux Français, déclarait-il en 1908, lors de la béatification de Jeanne d’Arc, qu’ils fassent leur trésor des Testaments de Saint Rémi, de Charlemagne et de Saint Louis. » Et, le 29 novembre 1911, il semblait faire une prophétie en déclarant : « Le peuple qui a fait alliance avec Dieu aux fonts baptismaux de Reims, se repentira et retournera à sa première vocation... Les fautes ne resteront pas impunies, mais elle ne périra jamais la fille de tant de mérites, de tant de soupirs et de tant de larmes. Un jour viendra, et nous espérons qu’il n’est pas très éloigné, où la France, comme Saül sur le chemin de Damas, sera enveloppée d’une lumière céleste et entendra une voix qui lui répétera : « Ma fille, pourquoi me persécutes-lu ? » Et sur sa réponse : « Qui es-tu, Seigneur ? » La voix répliquera : « Je suis Jésus que tu persécutes. Il t’est dur de regimber contre l’aiguillon, parce que dans ton obstination, tu te ruines toi-même. » Et elle, tremblante et étonnée, dira : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? » Et lui : « Lève-loi, lave-toi des souillures qui t’ont défigurée, réveille dans ton sein les sentiments assoupis et le pacte de notre alliance, et va, Fille Aînée de l’Église, nation prédestinée, vase d’élection, va porter, comme par le passé, mon nom devant tous les peuples et tous les rois de la terre. » (PIE X, Actes, t. VII, pp. 162-3.)
CHARLEMAGNE PÈRE DE L’EUROPE
« Lorsque Charles mourut,
l’Europe perdit son père. »
Éginhard.
Un texte d’Éginhard, décrivant la décadence des derniers Rois mérovingiens (Vita Karoli M., ch. I), réduits à se déplacer en chariots à bœufs, a peut-être contribué à nous donner une idée trop simpliste des successeurs de Clovis. Il y a aussi la fameuse comparaison des lions, des ours et des loups, qu’on trouve dans Grégoire de Tours. Cependant, il ne faudrait pas croire que tout fût barbarie sous les descendants des « Rois chevelus ». Saint Grégoire le Grand ne craignait pas d’écrire à l’un d’eux, Childebert – le fils de la terrible Brunehaut – : « Autant la dignité royale élève au-dessus des autres hommes, autant votre trône vous élève au-dessus des autres rois. Que vous soyez roi, ce n’est pas ce qui en vous est le plus digne d’admiration, d’autres le sont aussi ; mais c’est que vous soyez roi catholique, ce que les autres n’ont pas le mérite d’être. Votre foi brille au milieu des nations infidèles comme la lumière d’un grand flambeau dans les ténèbres de la nuit obscure. » (P.L., t. 77, col. 797-8.)
Peut-être y a-t-il, dans ces dernières lignes, quelque flatterie diplomatique. Faisons remarquer cependant que la sainteté elle-même ne fut pas absente dans la famille mérovingienne : Saint Cloud (petit-fils de Clovis), Sainte Radegonde (épouse du rude Clotaire Ier), Saint Gontran (lui aussi petit-fils de Clovis), Saint Sigebert II (fils de Dagobert Ier), Sainte Bathilde (épouse de Clovis II) et enfin le jeune Dagobert II (roi d’Austrasie de 674 à 680). Le règne de Dagobert Ier, bien qu’entaché de diverses fautes, mérite néanmoins le nom de « grand » 4. Ce monarque sut s’entourer d’excellents conseillers comme Saint Ouen, Saint Didier, Saint Éloi, Saint Cunibert et les deux Austrasiens : Saint Arnoul de Metz et le bienheureux Pépin de Landen, tous deux ancêtres de la seconde race royale des Carolingiens. La France comptait alors tant de saints que Dom Mabillon a baptisé le VIIe siècle, le « siècle d’or ». De cette époque datent les grands centres monastiques de Corbie, Saint-Wandrille, Jumièges, Saint-Riquier, Saint-Bertin, Chelles et bien d’autres. Foyers de prière et de civilisation, ils allaient préparer la renaissance carolingienne, tandis que la lignée des Pépinides se substituait lentement à celle des Mérovingiens.
Lorsque Saint Boniface, en 751, conféra le Sacre royal à Pépin le Bref, à Soissons, il ne faisait qu’entériner, avec l’approbation du Pape Zacharie, une situation de fait où il faut nécessairement voir le doigt de Dieu. Les derniers mérovingiens étaient décidément incapables et il fallait, selon l’expression du Pontife romain, que « le pouvoir appartînt à ceux qui l’exerçaient ». Or, depuis Pépin de Landen et Arnoul de Metz, c’étaient les Maires du Palais qui exerçaient ce pouvoir. Sainte Begge – fille de Pépin – avait épousé Anségise – fils d’Arnoul. C’est dans leur lignée que la Mairie allait devenir quasi héréditaire, avec Pépin de Herstal, Charles Martel, jusqu’à ce qu’elle parvienne à la royauté, avec Pépin le Bref, et à l’Empire, avec Charlemagne.
Charlemagne ! Sans avoir l’ambition d’esquisser ici une histoire de son règne, combien nous voudrions contribuer au moins à replacer cette majestueuse figure dans l’atmosphère de vénération qui lui convient ! C’est ce que beaucoup de nos contemporains semblent incapables de faire 5. Sous prétexte de dissiper la légende ou de secouer l’esprit médiéval, ils tombent trop facilement dans une critique qui ne tient pas compte des aspects les plus élevés de la mission du grand Empereur. Certes, il y a la part du pécheur chez lui, tout comme chez le Roi David dont il portait volontiers le nom à l’Académie palatine, mais il y a aussi « Saint Charlemagne », comme disait Jeanne d’Arc, un saint pas officiellement canonisé, mais dont le culte continue d’être autorisé dans la Basilique d’Aix-la-Chapelle, avec Messe et Office propre : « Imperator et Confessor ».
« Regnante Domino Nostro Jesu Christo in perpetuum. Ego Carolus, gratia Dei ejusque misericordia donante, Rex et rector regni Francorum, et devotus Sanctæ Ecclesiæ defensor humilisque adjutor 6... » Ainsi commence le grand Capitulaire du 23 mars 789, et c’est déjà tout le programme du règne qui s’y trouve contenu : l’union du Sacerdoce et de la Monarchie ! Charlemagne a voulu donner à la France 7 une Constitution divine, fondée sur la Révélation chrétienne et l’enseignement de l’Église romaine. Il a voulu mettre la France, et plus tard l’Empire, au service du Pape de Rome et, par là, il doit être lavé du soupçon de césaro-papisme dont on accable parfois sa mémoire. Certes il a pu se faire qu’il ait parfois empiété sur les pouvoirs pontificaux, mais ce fut occasionnel et sans obstination. L’intention sincère de l’Empereur était de servir l’Église, et non de la dominer comme devait le faire, plus tard, un Napoléon.
« À Nous, écrivait Charlemagne au Pape Léon III, il appartient, avec l’aide de la divine bonté, de défendre en tous lieux la Sainte Église par les armes : au dehors contre les incursions des païens et des infidèles, au dedans en répandant la connaissance de la foi catholique. À Vous, Très Saint Père, il appartient, élevant les mains vers Dieu comme Moïse, d’obtenir le secours divin pour nos armes... » Cette conception des rapports entre l’Église et l’État est illustrée par la très belle mosaïque du Latran où l’on voit l’Apôtre Pierre siégeant sur un Trône et tendant, de la droite, une étole au Pape Léon III, et de la gauche l’oriflamme verte à Charlemagne.
Une autre scène évoque bien aussi ces rapports : c’est l’entrevue de Paderborn, en 799. Le Pape, chassé de Rome, était venu jusqu’en Saxe solliciter l’assistance du grand Monarque. Voici en quels termes un chroniqueur rapporte cette rencontre : « Le grand Roi envoya au-devant de lui d’abord un Archevêque, ensuite un de ses Comtes, enfin Pépin, son fils, vainqueur des Avars et Roi d’Italie. Pépin marchait à la tête de cent mille hommes. À la vue de cette immense armée qui couvrait tous les champs d’alentour, Léon leva les mains au ciel et pria avec ferveur pour le peuple des Francs. Lorsque l’armée aperçut Léon, accompagné seulement de quelques serviteurs, elle se prosterna trois fois. Il la bénit trois fois ; puis, ayant pressé dans ses bras le jeune Roi Pépin, il lui fit prendre place à côté de lui. Cependant Charlemagne s’avançait avec le clergé portant les étendards sacrés de la Croix. Une autre armée, composée de différents peuples, l’attendait. Par son ordre elle se range en un cercle immense, formant une cité vivante. Au milieu se tient le grand Roi, debout, surpassant de la tête tous ceux qui l’entourent. Le Pape apparaît dans l’enceinte, escorté de Pépin. À ce moment, armée, peuple, clergé, toute l’innombrable multitude s’agenouille, et Charlemagne, le père de l’Europe, reste incliné devant Léon, le pasteur du monde, qui bénit trois fois ces peuples, trois fois prosternés. Ces deux hommes ensuite s’approchent et s’embrassent en pleurant, et Léon, élevant la voix, entonne le cantique des Anges : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. » (Bolland., Act. Leonis III, 12 juin.)
L’année suivante, on le sait, à Noël, le Pontife Romain, amplifiant le geste de Saint Rémi, trois siècles plus tôt, déposait la couronne impériale sur la tête du Roi des Francs. Tout le peuple répéta trois fois l’acclamation : « À Charles très pieux, Auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique Empereur des Romains, vie et victoire ! » Le dessein de Dieu se poursuivait à travers les siècles, le Fils Aîné de l’Église devenait le Père de l’Europe chrétienne. Il jouissait d’un prestige incontesté sur tous les autres Souverains de son temps : « Il s’attacha, par exemple, si étroitement Alphonse, roi de Galice et d’Asturies, rapporte Éginhard, que celui-ci, quand il lui envoyait des lettres ou des ambassades, tenait à ce qu’on le nommât toujours « l’homme » du Roi Franc. De même, les Rois des Scots, gagnés par sa munificence, furent à sa dévotion au point de ne l’appeler jamais que leur Seigneur et se dire toujours ses sujets et ses serviteurs... Avec le Roi de Perse (Haroun al-Rachid), de qui dépendait presque tout l’Orient, sauf l’Inde, les rapports furent si cordiaux que celui-ci attachait plus de prix à ses bonnes grâces qu’à l’amitié de tous les rois et de tous les princes du reste de la terre, et n’avait d’attention et de munificences que pour lui. Il le lui prouva bien lorsque, recevant ses représentants, qui étaient venus le saluer, après avoir été de la part de leur Maître porter des offrandes au Très Saint Sépulcre et sur les lieux de la Résurrection, non content d’acquiescer à toutes les demandes qu’ils lui présentaient, il renonça, au profit de Charles, à la domination sur les lieux sanctifiés par le mystère de la Rédemption » (Éginhard, o.c., ch. XIV). Cette dernière phrase ouvre une perspective sur l’avenir. On voit déjà se profiler, dans le lointain, l’ombre des Croisés. On y pressent la mission de la France en Orient. C’est un prélude aux « Gesta Dei per Francos ».
« Pour ce qui est des mœurs, dit Spondanus, Charlemagne n’aurait pas eu d’égal, s’il n’avait souillé la chasteté conjugale par l’introduction de concubines 8. Mais par la suite, il effaça ces taches par la pénitence (une pénitence de dix ans, croit pouvoir préciser Du Saussaye), domptant sa chair sénile par un cilice qui lui serrait étroitement le corps. » (BOLLAND, A.S., t. II, p. 874.) En 811, il avait rédigé un testament, par lequel il léguait les deux tiers de ses biens meubles aux « vingt et une villes qui, dans son royaume, sont reconnues comme métropoles... L’Archevêque qui régira alors une Église métropolitaine, devra, quand il aura touché le lot appartenant à son Église, le partager avec ses suffragants... Les noms des métropoles auxquelles ces aumônes ou largesses doivent être faites, sont : Rome, Ravenne, Milan, Fréjus, Gratz, Cologne, Mayence, Salzbourg, Trèves, Sens, Besançon, Lyon, Rouen, Reims, Arles, Vienne, Moustier, Embrun, Bordeaux, Tours et Bourges ». D’autres dons étaient prévus pour ses fils et ses filles, pour les pauvres « suivant l’usage des chrétiens », pour les serviteurs et servantes du palais. On peut se faire, par là, une idée de la bienfaisance de l’Empereur et de l’immense étendue de ses possessions.
En 813, pressentant sa fin prochaine, il fit venir son fils Louis à Aix-la-Chapelle et, avec le consentement de la nation, il l’associa à l’Empire. Le couronnement eut lieu dans la Basilique de Notre-Dame : « Après qu’ils eurent longtemps prié, lui et son fils, Charles parla à celui-ci en présence d’une multitude de Pontifes et de dignitaires, l’exhortant en tout premier lieu à aimer Dieu et à craindre le Tout-Puissant, à observer Ses préceptes en toutes choses, à protéger et à défendre les Églises contre les hommes pervers. Il lui prescrivit de témoigner une miséricorde inépuisable à ses sœurs et à ses frères plus jeunes, ainsi qu’à ses neveux et à tous ses proches. Il devait honorer les prêtres comme ses pères, aimer ses sujets comme des fils, ramener dans la voie du salut les orgueilleux et les méchants, il devait aussi être l’appui des monastères 9 et le père des pauvres ». (THEGANUS, « Vita Ludovici Imperatoris » dans P.L., 106, col. 410).
« Après s’être séparé de son fils, l’Empereur ne fit plus que prier, faire des aumônes et corriger des livres. Il s’occupa, peu avant sa mort, avec l’aide de Grecs et de Syriens, à revoir la traduction des quatre Évangiles. » Au cours du mois de janvier 814, il dut s’aliter. Dès lors, il ne voulut plus manger ni boire, « sinon un peu d’eau nécessaire pour soutenir son corps ». Le septième jour après qu’il se fût alité, il fit appeler Hildibald, celui de tous les évêques qui était le plus familier avec lui, pour qu’il lui donnât le sacrement du Corps et du Sang de Notre-Seigneur et le fortifiât au sortir de la vie. Cela fait, le jour et la nuit qui suivirent, il éprouva une grande faiblesse. Le lendemain, au point du jour, très conscient de ce qu’il allait faire, il recueillit ses forces, étendit la main droite et traça sur son front le signe sacré de la croix, puis se signa sur la poitrine et sur tout le corps. Enfin, joignant les pieds, étendant les bras et les mains sur son corps, il ferma les yeux en chantant doucement ce verset : « Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit. »
SAINT-LOUIS, LE CAPÉTIEN
« Beau-fils, la première chose que je t’enseigne,
c’est que tu mettes ton cœur à aimer Dieu. »
Testament de Saint Louis.
La dynastie capétienne.
La Chronique de Saint-Gall rapporte que Charlemagne, vers la fin de sa vie, se trouvant à Narbonne, en Septimanie, vit sur le rivage des pirates Normands. Cet homme fort se mit alors à pleurer amèrement. Comme son entourage lui en demandait la raison, il répondit : « Ce n’est pas que je craigne leurs ruses puériles, mais je m’attriste à la pensée que, moi vivant, ils ont osé approcher du rivage ; je souffre un grand tourment car je prévois quels maux ils causeront à mes successeurs et à leurs peuples. » (De Gestis B. Caroli M., dans P.L. 98, col. 1403.) Il ne fallut pas vingt ans, en effet, pour que l’œuvre du grand Empereur se trouvât chancelante. Ses faibles successeurs furent incapables de résister efficacement, non seulement aux pillages des Normands, mais surtout à l’éveil de la féodalité. Les malheureux traités de Verdun (843) et de Meersen (869) répartirent si mal l’héritage paternel entre les fils de Louis le Pieux que la Germanie se trouva puissamment installée en Gaule et que la frontière, ramenée du Rhin à la Marne, se trouva à découvert, sans défenses naturelles. L’Aigle impériale que Charlemagne, dit-on, avait fait placer au sommet de son palais d’Aix-la-Chapelle, bec et serres vers l’Est, se trouva retournée vers la France. Lorsque la descendance mâle de Lothaire fera défaut, c’est l’Empereur germanique lui-même qui relaiera le Roi des Francs, bien avant sur la rive gauche, non loin de Tolbiac ! On ne peut exagérer la gravité de cette nouvelle situation : trop de guerres fratricides en sont issues jusqu’en ce vingtième siècle !
À mesure que la Maison carolingienne déclinait, il se trouva une famille pour incarner les aspirations de la France et résister énergiquement aux attaques de tous genres qui menaçaient de ruiner la nation. Déjà Charles le Chauve avait récompensé les mérites de Robert le Fort en le faisant Comte d’Anjou. Le fils de celui-ci, Eudes, ne se distingua pas moins dans sa lutte contre les Normands. Pendant le siège de Paris, en 885, tandis que Charles le Gros évitait le combat et cherchait à éloigner les pillards par de l’argent, Eudes sauva la ville par sa fermeté. Saint Germain, raconte le Chroniqueur Abbon, était apparu à un malade qui voulait fuir et lui avait dit, en le guérissant : « Que redoutes-tu ? Lève-toi, laisse là tes craintes qui te font trembler, renonce à fuir, vois tous ces gens prêts à la bataille... Voici les champions armés pour la défense de cette ville. Quant à moi, je suis Germain, ton évêque. Courage, tu n’auras rien à redouter, puisque désormais cette ville ne sera plus la proie des criminels. » Peu de temps après, « Eudes, si puissant par ses armes, apparut sur les sommets de Montmartre. Trois corps de troupes l’escortaient, dont les casques et les boucliers étincelèrent aux rayons du soleil... les habitants l’aperçoivent avec des sentiments de profond amour » (ABBON. Le siège de Paris par les Normands. Chant II, v. 130 et sq.). Cet amour du peuple français pour la famille de Robert le Fort ne devait plus jamais se démentir, malgré la fin tragique d’Eudes et certains actes tyranniques de son frère Robert. Le petit-fils de ce dernier, Hugues Capet, eut l’honneur de fonder la dynastie qui donna Saint Louis à la France.
Rien de plus émouvant que le discours de l’Archevêque Adalbéron de Reims qui parvint à enlever, en 987, le consentement unanime du clergé et de la nation, en faveur de la nouvelle race royale. Louis V, le dernier des carolingiens, venait de mourir sans postérité masculine. Son oncle, Charles de Lorraine, revendiquait sa succession. Mais il n’avait pas la confiance du peuple. L’Archevêque de Reims s’écria : « Si vous voulez le malheur de l’État, élevez Charles sur le trône ; si vous voulez sa prospérité, donnez la couronne à l’éminent duc Hugues... Choisissez-vous donc le duc, qui se recommande par ses actions, sa noblesse, sa puissance militaire ; vous trouverez en lui un défenseur non seulement pour l’État, mais encore pour vos intérêts privés. Grâce à son dévouement, vous aurez en lui un père. » (Chronique de Richer. Livre IV, ch. II.)
Le choix d’Adalbéron ne l’avait point trompé. Si les premiers Capétiens ne furent pas toujours irréprochables, ils n’en constituent pas moins une lignée qui, sur tous les plans, refit la grandeur de la France. Comme Clovis, ils furent les protecteurs de l’Église et spécialement des monastères : « Les premiers chefs de la troisième dynastie royale de France eurent pour protecteurs spéciaux : Notre-Dame, le Père et le législateur des moines, Saint Benoît, et aussi Saint Martin, Saint Aignan... », rapporte un ancien moine, et, commentant ce passage, le Cardinal Baronius ajoute : « Comprenez-vous sur quoi se trouvent affermies et consolidées les bases de ce royaume si florissant de France ? Les saints, tels sont les fondements sur lesquels il repose. Aussi peut-on justement dire de la France ce qui est écrit dans nos livres sacrés : Fundamenta ejus in montibus sanctis, cet empire a ses fondements dans les montagnes saintes. » (Annales ecclésiast., t. XI, ab A.D. 1001 ad A. 1089.)
Les Croisades.
Ce fut sous les Capétiens que prit naissance, en France, la plus prodigieuse entreprise que connut le Moyen Âge : les Croisades. Ce fut un Pape français, le Bx Urbain II, ancien moine de Cluny, qui, le premier, y convia la chrétienté. Le Vénérable Guibert de Nogent, dans ses « Gesta Dei per Francos » (P.L. 156, col. 699 et sqq.) nous a conservé la paraphrase, sinon la littéralité, de la harangue que prononça le Souverain Pontife, à l’issue du Concile de Clermont, vers la fin novembre 1095. Le Pape rappela tout d’abord quelle était la dignité des Lieux Saints : « Si cette terre, dit-il, était appelée dans les Écritures l’héritage de Dieu et son saint Temple, avant qu’Il n’y fut descendu et n’y eut été crucifié, que ne faut-il penser de sa sainteté, du respect qui lui est dû depuis que ce Dieu de majesté y a pris un corps, y a été nourri, y a grandi, et l’a parcouru en tous sens ? Et, pour dire en peu de mots ce qui pourrait être développé beaucoup, de quelle vénération n’est-elle pas digne cette terre où le Sang du Fils de Dieu, plus saint que le ciel et la terre, a été répandu, où son Corps inanimé a reposé dans le Sépulcre, tandis que les éléments tremblaient ? » Urbain II évoqua ensuite le souvenir des Macchabées et leur zèle pour la défense de la terre sainte ; il dénonça dans la présence des infidèles – Turcs, Égyptiens, Éthiopiens – un péril permanent. Il n’y avait plus aucune sécurité pour les pèlerins qui se rendaient aux Lieux Saints, ni pour les chrétiens qui vivaient mêlés aux populations musulmanes : « Pensez-y, conclut-il, et demandez-vous si le Tout-Puissant ne vous a point destinés à délivrer, de votre main, la ville de Jérusalem d’une telle oppression ? » L’enthousiasme fut indescriptible. Le cri de « Dieu le veut » retentit dans l’immense assemblée. Les hommes déchiraient leurs manteaux, leurs tuniques en forme de croix et cousaient ce signe sacré sur l’épaule droite. Ils s’engageaient, par vœu, à ne pas rentrer dans leurs foyers avant trois ans, ou même à se fixer définitivement en terre sainte.
Une telle ferveur n’est plus guère comprise de nos jours. Ce recours à la force pour défendre le droit semble contraire à l’esprit évangélique. Funck-Brentano, à propos de la Septième Croisade, affirme que Saint Louis fit « une grande faute » en abandonnant son royaume pour aller combattre des ennemis si lointains – il est vrai que Joinville semble déjà penser ainsi par instants. D’autres historiens font de grands efforts pour essayer d’entrer dans cette « mystique médiévale », et certes c’est louable. Mais il faudrait plus de simplicité. Le cri de « Dieu le veut » nous livre vraiment tout le secret des Croisés. Ils ont perçu, dans la voix du Successeur de Pierre, l’appel du Christ lui-même. Les signes miraculeux n’ont pas manqué pour leur montrer « La Voie de Dieu ». Des Saints ont été placés là par la Providence pour leur montrer de quel côté marcher : Pierre l’Ermite, et surtout Saint Bernard, Saint Louis. Dieu le voulait vraiment, n’en doutons point. Dès lors il n’y avait pas d’autre voie de perfection que de se conformer à cette Volonté sainte. Si d’autres mobiles, moins nobles, s’ajoutèrent ou même se substituèrent entièrement à celui-là, chez certains, cela ne change rien à l’ordination divine, mais cela explique l’échec final de cette grande épopée chrétienne. Dieu certes ne nous demande plus aujourd’hui les mêmes combats. Par la voix des Papes contemporains, Il nous convie plutôt à rechercher la paix entre les peuples : n’y voyons pas une contradiction, mais la manifestation multiforme d’un même dessein qui se diversifie suivant les siècles. Conservons le bel enthousiasme de nos Pères, les Croisés, mais tournons-le contre nos vices, et mettons-le au service de la paix et de l’amour fraternel entre les peuples.
Le saint « Roy Loys ».
Un historien, voulant marquer l’évolution morale qui s’est accomplie sous les trois dynasties des Rois de France, a écrit que « les Mérovingiens étaient destinés à catéchiser le peuple, les Carolingiens à les baptiser, et les Capétiens à les sanctifier ». C’est là une formule qu’on ne saurait prendre à la lettre, mais il n’en est pas moins vrai que la distance entre un Clovis et un Louis IX est grande. Il y a un progrès moral et religieux considérable, mais dans une même vocation. On pourrait dire aussi que Clovis représente la « voie purgative », Saint Louis la « voie illuminative » dans une même lignée spirituelle. Saint Louis réalise à la perfection cette gageure : faire fleurir la sainteté là où elle semble devoir être bannie à jamais, le trône de César. Il réussit à s’inspirer en tout, dans sa conduite, du primat de l’amour divin, sans détriment pour l’œuvre temporelle dont il assume la responsabilité. « Beau-fils, dira-t-il dans son Testament, la première chose que je t’enseigne, c’est que tu mettes ton cœur à aimer Dieu... » « Ce saint homme, atteste le Sire de Joinville, aima Dieu de tout son cœur et en imita les œuvres ; et il y parut en ce que, de même que Dieu mourut pour l’amour qu’il avait de son peuple, lui aussi mit son corps en aventure plusieurs fois pour l’amour qu’il avait de son peuple. » (Histoire de Saint Louis. Édit. Natalis de Wailly. Paris. Didot. 1874. L. I, ch. III, p. 11.) Sa piété était réglée comme celle d’un clerc : « Tous les jours il entendait ses Heures avec chant, et une messe de Requiem sans chant, et puis, s’il y avait lieu, la messe du jour ou du saint avec chant. Tous les jours... il disait dans sa chambre en son particulier l’Office des Morts, lui et un de ses chapelains, avant qu’il entendît Vêpres. Le soir il entendait Complies » (id., p. 33).
Avec la piété, il mettait au-dessus de tout la vérité, la justice et la miséricorde : « Le saint roi aima tant la vérité que même avec les Sarrasins il ne voulut pas mentir sur ce qu’il leur avait promis » (id., p. 13). « Il avait sa besogne réglée en telle manière que monseigneur de Nesle et le bon comte de Soissons, et nous autres qui étions autour de lui, qui avions ouï nos Messes, allions ouïr les plaids de la porte, qu’on appelle maintenant les requêtes... Maintes fois il advint qu’en été, il allait s’asseoir au bois de Vincennes après sa Messe, et s’accotait à un chêne, et nous faisait asseoir autour de lui. Et tous ceux qui avaient affaire venaient lui parler, sans empêchement d’huissiers ni d’autres gens » (id., pp. 34-36).
Le Roi Robert avait institué la coutume, pour les Rois de France, de laver les pieds des pauvres, le Jeudi-Saint. Louis ne voulut pas y manquer. Bien plus, il multiplia les occasions de marquer son amour pour les pauvres – Saint Louis, on le sait, était tertiaire franciscain : « Dès le temps de son enfance, le roi eut pitié des pauvres et des souffreteux ; et la coutume était que, partout où le roi allait, cent-vingt pauvres fussent toujours repus, en sa maison, de pain, de vin, de viande ou de poisson, chaque jour. En Carême et en Avent le nombre des pauvres croissait ; et plusieurs fois il advint que le roi les servait, et leur mettait la nourriture devant eux, et leur tranchait la viande devant eux, et leur donnait au départ des deniers de sa propre main » (id., p. 391).
Ces actes de miséricorde, qui allaient parfois jusqu’à l’héroïsme, comme lorsqu’il voulut baiser un lépreux, ne l’empêchaient nullement, en d’autres circonstances, de se montrer énergique dans la répression des crimes. Il fit des lois sages et amenda à nouveau la Loi salique en ce qu’elle conservait de barbare. C’est ainsi qu’il abolit définitivement le duel judiciaire. Il multiplia les monastères et les hôtels-Dieu : « De son temps furent édifiées plusieurs abbayes, c’est à savoir Royaumont, l’abbaye Saint-Antoine-lez-Paris, l’abbaye du Lis, l’abbaye de Maubuisson, et plusieurs autres couvents de Prêcheurs et de Cordeliers 10. Il fit l’Hôtel-Dieu de Pontoise, l’Hôtel-Dieu de Vernon, la maison des Aveugles de Paris, l’abbaye des Cordelières de Saint-Cloud » (id., p. 381). Loin de s’ingérer indûment dans les affaires ecclésiastiques, comme certains de ses prédécesseurs, il hésitait à user des droits que le Saint-Siège lui reconnaissait. Dans son Testament, il s’adresse à son fils aîné en ces termes : « Honore et aime toutes les personnes de la Sainte Église, et prends garde qu’on ne leur enlève ni diminue les dons et les aumônes que tes devanciers leur auront données. » Et il cite l’exemple de son aïeul, « le bon roi Philippe », qui « aimait mieux laisser aller de son droit qu’avoir débat avec les gens de la sainte Église » (id., p. 405).
La dévotion du Roi n’était point bornée. Il encouragea Robert de Sorbon à fonder le Collège universitaire qui porte son nom. Il s’entoura de religieux savants, dont les plus illustres furent Saint Bonaventure et Saint Thomas d’Aquin. Il n’était point chiche dans ses dépenses sous prétexte d’économies : « Il ne laissait pas de faire de grandes dépenses en son hôtel chaque jour. Le Roi se comportait largement et libéralement dans les Parlements et Assemblées de barons et de chevaliers ; et il faisait servir à sa Cour très courtoisement, et largement et sans épargne, et plus qu’il n’y avait eu depuis longtemps à la cour de ses devanciers » (id., p. 395).
À la guerre, le Roi se comportait en chevalier. Il fallait brider sa fougue pour qu’il ne fût pas toujours aux lieux du combat les plus exposés. Il était bien dans la tradition de ses ancêtres capétiens. Qu’on relise, par exemple, le récit de son débarquement à Damiette : « Quand le Roi ouït dire que l’enseigne de Saint-Denis était à terre, il traversa à grands pas son vaisseau, et malgré le légat qui était avec lui, jamais il ne la voulut laisser, et sauta dans la mer, où il fut dans l’eau jusqu’aux aisselles. Et il alla l’écu au col, et le heaume en tête, et la lance en main, jusques à ses gens qui étaient sur le rivage de la mer... » (id., p. 90).
En 1270, bien qu’il fût souffrant et, malgré le conseil de son entourage, le Roi voulut se croiser une seconde fois. Avant de se rendre en terre sainte, il résolut de passer par Tunis, car il avait entendu dire que le roi désirait se convertir : « Il souhaitait dévotement, ce roi catholique, que la foi chrétienne qui, au temps de Saint Augustin et des autres docteurs orthodoxes, florissait avec tant d’éclat dès l’antiquité en Afrique et surtout à Carthage, y refleurît et s’y répandît pour l’honneur et la gloire de Jésus-Christ. » (GEOFFROI DE BEAULIEU : ch. XLI, cité par H. WALLON. Saint Louis et son temps. T. II, p. 434.) Mais il fallut vite déchanter. L’accueil de la population musulmane fut hostile. Durant le siège de Tunis, une épidémie de dysenterie se répandit dans l’armée et le Roi lui-même contracta le mal. « Dans cette faiblesse extrême, la veille de sa mort, quand Geoffroy de Beaulieu lui apporta le viatique, il voulut encore se lever pour le recevoir : et ce fut aux pieds de son lit à genoux et les mains jointes qu’il se confessa et communia. La parole ne lui avait pas fait encore absolument défaut. La nuit de sa mort on l’entendit dire : « Nous irons en Jérusalem. » C’est vers la Jérusalem céleste que sa pensée se portait désormais ; néanmoins il n’oubliait pas ce pourquoi il était venu en Afrique, et s’attachant jusqu’à la fin à ce rêve qui avait séduit son âme, il disait : « Pour Dieu tâchons que la foi puisse être prêchée dans Tunis » (MARIUS SEPET. Saint Louis, p. 163).
Citons, pour terminer, un extrait de la lettre que le Pape Grégoire IX avait adressée à Saint Louis, en 1230, au début de son règne. C’est toute la vocation de la France qui y est magnifiquement définie : « Le Fils de Dieu, à l’empire duquel obéit l’univers entier, et qui tient à ses ordres toutes les légions célestes, ayant établi ici-bas différents royaumes selon les différences des langues et des climats, a conféré aux divers gouvernements des missions diverses pour l’accomplissement de ses desseins suprêmes ; et comme autrefois la tribu de Juda, préférée à celles des autres fils du patriarche, fut enrichie d’une bénédiction spéciale, ainsi le pays de France, plus que tous les peuples de la terre, a reçu une prérogative d’honneur et de grâce. » (LABBEUS. Concil., t. XI, p. 366.)
LA PUCELLE D’ORLÉANS
« J’ai deux choses en mandat
de la part du Roi des Cieux :
l’une, lever le siège devant Orléans,
l’autre, conduire le Roi à Reims
pour son sacre et couronnement. »
Les fautes de Philippe le Bel et la guerre de Cent Ans.
Il ne fallut que deux générations pour passer de l’extrême piété à l’extrême rébellion. Philippe le Bel, petit-fils de Saint Louis, tira peu de profit des leçons de ses ancêtres. Joinville, qui vivait encore à cette époque, rappelle à son sujet les avertissements de Saint Louis : « Après la menace, quand le mauvais serviteur ne se veut pas amender, le Seigneur le frappe ou de mort ou d’autres plus grands malheurs qui sont pires que la mort. » Et le Chroniqueur souligne intentionnellement : « Qu’il y prenne garde le Roi qui est à présent ;... qu’il s’amende de ses méfaits, en telle manière que Dieu ne frappe pas cruellement sur lui ni sur ses biens. » (JOINVILLE, o.c., p. 25.) Le Roi ne s’étant pas amendé, mais ayant, avec l’appui de ses légistes et des États-Généraux, tenu tête outrageusement au Souverain Pontife, les « grands malheurs » prédits s’abattirent sur la nation. En 1302, ce fut, en Flandre, la défaite de Groningue – la fameuse « Bataille des Éperons d’Or » – ouvrant une série de revers qui devaient se continuer jusqu’à la Guerre de Cent ans.
Châtiment plus sensible encore, Philippe le Bel mourut jeune et ses trois fils se succédèrent rapidement sur le Trône, sans laisser d’héritier mâle. C’était la première crise dynastique depuis 987. Elle fut indirectement la cause de la Guerre de Cent ans. En effet, le Roi Édouard III d’Angleterre était petit-fils de Philippe le Bel par sa mère. À ce titre il revendiqua le Royaume de France. Mais il était bien évident, en vertu de la Loi Salique, qu’il n’y avait aucun droit. Dès l’époque mérovingienne, on avait toujours admis que « de la terre salique, aucune partie ne passe à la femme 11 ». Cette disposition avait, en droit public, réglé la succession à la Couronne, sous les deux dynasties mérovingienne et carolingienne, entre les enfants mâles des Souverains. À partir d’Hugues Capet, afin d’éviter le fractionnement du Royaume, la coutume avait été prise de transmettre la Couronne au seul Fils Aîné. Par deux fois, en 1317 et en 1328, une Assemblée de la Noblesse confirma cet usage : « Femme, ni par conséquent son fils, ne pouvait par coutume succéder au Royaume de France 12. » La Couronne passait donc de droit aux Valois, en la personne de Philippe VI, petit-fils de Philippe III le Hardi. Après avoir d’abord reconnut ce fait, le Roi d’Angleterre, neuf ans plus tard (1337), se mit à faire valoir ses prétendus titres au royaume de France. En Flandre, Jacques van Artevelde soutint ses prétentions (1339). À cette usurpation, la réponse divine devait être : Jeanne d’Arc ! Mais elle allait se faire attendre près de cent ans !
Entre-temps, une seconde crise dynastique allait se produire. En 1420, le Roi Charles VI, qui avait perdu la raison, se laissa entraîner par la Reine Isabeau de Bavière, à signer le « honteux Traité de Troyes ». Il y déshéritait son propre fils, Charles VII, au profit du Roi d’Angleterre, Henri V, constitué « héritier de France », à qui il donnait sa fille, Catherine, en mariage. Il y concluait aussi une alliance avec son « très cher fils Philippe, duc de Bourgogne ». Lorsque, peu de temps après, les deux principaux signataires de ce traité moururent, ce fut un enfant de huit mois, Henri VI, qui fut proclamé à Saint-Denis, « Roi de France et d’Angleterre ».
« De par Dieu... »
Charles VII, le petit « Roi de Bourges », voyait donc ses possessions réduites à la région de la Loire et du Centre, du Languedoc et du Dauphiné. Il était abandonné de presque toute la noblesse, sauf du parti Armagnac, du duc d’Alençon, du fidèle Dunois et d’une partie du clergé, dont l’Archevêque de Reims. Son épreuve la plus cruelle était que, par moments, il doutait lui-même de la légitimité de sa naissance, la conduite de sa mère autorisant ce soupçon. Il avait, un jour de Toussaint, fait, seul en son oratoire, une prière intime par laquelle il suppliait Dieu de l’aider à reconquérir son royaume si celui-ci lui appartenait justement, « sinon, de lui faire la grâce d’échapper sans mort ou prison, et qu’il se pût sauver en Espagne ou en Écosse, où il voulait, en dernier recours, chercher refuge » (H. WALLON. Jeanne d’Arc. T. I, p. 114).
On s’explique la joie que dut éprouver le Dauphin lorsqu’un jour de mars 1429, une jeune fille de Domrémy, que sa renommée avait précédée, demanda à être laissée seule avec lui et lui apporta la réponse de Dieu : « Je te dis, de la part de Messire, que tu es vrai héritier de France et fils du Roy » (PIERRE SALA : Procès, t. IV, p. 280). Quelques jours auparavant, elle lui avait déjà publiquement déclaré : « Gentil Dauphin, j’ai nom Jehanne la Pucelle et vous mande par moi le Roi des Cieux que vous serez sacré et couronné à Reims et que vous serez Lieutenant du Roi des Cieux qui est Roi de France. » Interrogée par les théologiens et les juristes du Roi, elle avait donné pour signe de sa mission : « Faites-moi conduire à Orléans. Là, je vous montrerai le signe, et pourquoi je suis venue... Je viens de la part du Roi du Ciel pour faire lever le siège d’Orléans et pour conduire le roi à Reims, pour le faire couronner. »
« Faire lever le siège d’Orléans » : tel était le signe qui, plus encore que les voix célestes de Michel, Catherine et Marguerite, était destiné à accréditer la mission de Jeanne, non seulement aux yeux du Roi, mais de tout le pays. Et, en effet, ceux qui connaissent exactement les conditions morales et stratégiques dans lesquelles se fit la prise de la ville, sont unanimes à conclure que cela procéda « non d’industrie humaine, mais de conseil divin ». « Je vous amène, avait dit Jeanne avant même de traverser la Loire, je vous amène meilleur secours qu’il n’en est oncques advenu à chevalier ni ville au monde, vu que c’est le secours du Roi des Cieux. Toutefois il ne vous vient pas par amour de moi, il procède de Dieu même, qui, à la requête de Saint Louis et de Saint Charlemagne, a eu pitié de la ville d’Orléans et n’a pas voulu que les ennemis eussent à la fois le corps du Duc et sa ville. » Aussitôt, déclare le Comte de Dunois qui était à ses côtés, « et comme à l’instant même, le vent qui était contraire et rendait fort difficile aux bateaux de vivres la montée du fleuve dans la direction d’Orléans, le vent tourna et devint favorable... Ce changement de vent subit après que Jeanne vient de parler en donnant espoir de secours ; cette entrée du convoi de vivres malgré les Anglais plus forts que l’armée royale ; cette affirmation de la jeune fille qu’elle sait par vision que Saint Louis et Saint Charlemagne priaient Dieu pour le salut du Roi et de la ville d’Orléans, tout cela est de Dieu ».
De tels signes, Jeanne allait les renouveler d’ailleurs durant les trois mois (mai-juillet) qui forment la période glorieuse de sa mission. Successivement Jargeau, Meung, Beaugency, Patay, Auxerre, Troyes, Châlons, Reims s’ouvrent à la Pucelle. Sa blanche bannière où figurent les noms JHESUS MARIA, son épée qu’elle découvrit par révélation de Sainte Catherine, semblent aux Anglais des insignes magiques 13. En réalité, ils n’ont d’autre valeur que d’exprimer sa foi en l’aide divine. Jamais d’ailleurs Jeanne ne voulut se servir de son épée, elle se contentait de la tenir à la main et d’élever bien haut son étendard pour entraîner les hommes à la victoire. Lorsqu’on lui objectait qu’on n’avait jamais vu femme jouer un tel rôle, qu’en « aucun livre on ne lit telles choses », Jeanne répondait : « Mon Seigneur a un livre dans lequel oncques clerc n’a lu, tant soit-il parfait en cléricature. »
Le 17 juillet 1429, le Sacre de Charles VII eut lieu à Reims, « lequel service, dit un témoin, a duré depuis neuf heures jusqu’à deux heures... et durant ledit mystère, la Pucelle s’est toujours tenue joignant le Roy, tenant son estandard en la main. Et estoit moult belle chose de voir les belles manières que tenoit le Roy et auxi la Pucelle ». On ne saurait exagérer l’importance de ce mystère central dans la vie de Jeanne. Si la prise d’Orléans avait été le signe miraculeux accréditant sa mission, le Sacre de Reims en était l’objet même. Après quoi, il n’y aurait plus pour Jeanne qu’à entrer dans la période douloureuse de son existence.
Les hommes de notre temps n’ont presque plus idée de ce qu’était le Sacre des Rois de France. « Nos Roys, écrivait le juriste Le Bret au XVIIe siècle, étaient oints de cette miraculeuse liqueur que le Ciel leur a donnée pour leur servir en cette action solennelle. Ils sont enrichis par sa vertu de tant de faveurs extraordinaires qu’ils semblent être élevés en une condition toute divine : ils guérissent les maladies les plus fâcheuses par leur seul attouchement ; ils sont tellement fortifiés de cœur et de courage que partout où ils paraissent ils apportent la terreur à leurs ennemis. C’est pourquoi la Pucelle d’Orléans pressait si vivement Charles VII de se faire sacrer » (LE BRET. Traité de la Souveraineté du Roi, de son domaine et de sa couronne. Paris, 1632, p. 122).
Le Sacre, quoi qu’en aient dit les légistes gallicans, était une tradition reprise à l’Ancien Testament. Qu’on se souvienne du geste de Samuel sur David : « Yahweh dit : « Lève-toi, oint-le, car c’est lui ! » Samuel, ayant pris la corne d’huile, l’oignit au milieu de ses frères, et l’Esprit de Yahweh fut sur David à partir de ce jour et dans la suite » (I Samuel, XVI-13).
L’effet principal du Sacre était de conférer au Roi l’assistance du Saint-Esprit, principalement les dons de sagesse et d’intelligence, sous une forme adaptée à ses devoirs d’état. Le Monarque était lié à son peuple comme un Époux à son épouse, comme un Père à ses enfants. Il contractait spécialement l’obligation de défendre l’Église romaine dont il était le Fils Aîné. Sa fonction n’était donc pas uniquement temporelle. Il n’entrait point dans la cléricature proprement dite, mais il devenait « Évêque du dehors », il s’engageait par les serments suivants :
« Je promets de conserver à chacun de vous (Évêques) et aux Églises qui vous sont confiées, les privilèges canoniques, les droits et la juridiction dont vous jouissez et de vous protéger et défendre autant que je le pourrai, avec le secours de Dieu, comme il est du devoir d’un Roi dans son Royaume, de protéger chaque évêque et l’église qui est commise à ses soins.
Je promets, au nom de Jésus-Christ, au Peuple chrétien qui m’est soumis : premièrement de faire conserver en tous temps à l’Église de Dieu, la paix par le peuple chrétien.
D’empêcher les personnes de tous rangs de commettre des rapines et des iniquités de quelque nature que ce soit.
De faire observer la justice et la miséricorde dans les jugements, afin que Dieu qui est la source de la clémence et de la miséricorde daigne la répandre sur moi et sur vous aussi.
De m’appliquer sincèrement et selon mon pouvoir à expulser de toutes les terres soumises à ma domination les hérétiques nommément condamnés par l’Église.
Je confirme par serment toutes les choses énoncées ci-dessus : qu’ainsi Dieu et ses Saints Évangiles me soient en aide. »
Puis venait le Sacre proprement dit. Après qu’on lui eût remis l’épée, le Roi recevait les onctions « sur le sommet de la tête, sur la poitrine, entre les épaules, sur l’épaule droite, sur l’épaule gauche, à la jointure du bras droit, à celle du bras gauche ». « Je te sacre Roi avec l’huile sanctifiée, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », prononçait l’Archevêque de Reims. Puis le Monarque recevait « la main de justice » et enfin la Couronne : « Recevez la Couronne de votre Royaume, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Comprenez qu’elle symbolise la gloire de la sainteté, l’honneur et la force de la puissance. N’oubliez point que par elle, vous participez à notre ministère. Si nous sommes les Pasteurs et les Recteurs des âmes, chargés de leurs besoins intérieurs, soyez dans les choses extérieures le véritable serviteur de Dieu. Assistez vaillamment la Sainte Église contre toutes les adversités : acquittez-vous utilement de la fonction royale, que vous avez reçue de Dieu et qui vous est remise par le ministère de notre bénédiction au nom des Apôtres et de tous les Saints. »
Le Sacre, affirme Saint Thomas d’Aquin 14, conférait au Roi une certaine sainteté : « De cette sainteté, nous trouvons un témoignage dans les Gestes des Francs, à propos de Saint Rémi et de Clovis, premier Roi chrétien des Francs, et dans l’envoi d’en-haut d’une colombe portant l’huile dont furent sacrés Clovis et ses successeurs, ainsi que dans les signes, les miracles et les diverses guérisons qu’opéraient les Rois à la suite de cette Onction. » (De Regimine Principum. L. II, ch. XVI.)
Si, de nos jours, on met parfois en doute que cette faveur remonte réellement à Clovis, du moins est-il possible de trouver, à partir du XIe siècle, un grand nombre de témoignages certains du pouvoir thaumaturgique des Rois de France 15. L’un des premiers, le Vénérable Guibert de Nogent, dans son ouvrage « De pignoribus sanctorum », décrit la scène dont il a été le témoin au Sacre du Roi Louis VI : « Nous voyons notre Seigneur le Roi Louis opérer le prodige accoutumé 16. Oui, étant moi-même à côté du Roi, j’ai vu ceux qui souffraient des écrouelles au cou, ou en d’autres parties du corps, accourir en foules, pour qu’il les touchât ou fît sur eux le signe de la croix, ce que ce prince faisait avec humilité et bonté » (P.L., t. 156, col. 616).
Au XIIIe siècle, dans la bulle de canonisation de Saint Louis (11 août 1297), le Pape Boniface VIII prend soin de distinguer les miracles qu’il faut attribuer à ce Roi à raison de sa sainteté personnelle et ceux qu’il faisait « en tant que Roi de France », usant du privilège traditionnel de guérir les écrouelles.
André Laurent, médecin et conseiller du Roi Henri IV, dans un livre qu’il publia, en 1609, au sujet de ces guérisons, assure que le Roi touchait et guérissait plus de quinze cents malades par an.
Dans son livre des « Controverses », Saint François de Sales fait explicitement allusion à la « guérison que les Roys de France ont faict, de nostre aage mesme, de l’incurable maladie des escrouelles, ne disant que ces paroles : « Dieu te guérit, le Roy te touche », n’y employant autre disposition que de se confesser et communier ce jour-là » (Controverses, t. I, ch. III, art. VII).
Charles X fut, on le sait, le dernier Roi de France qui ait reçu le Sacre. Comme il hésitait à se conformer à l’ancienne coutume de toucher les malades, le saint abbé Desgenettes le persuada d’accepter et les miracles accoutumés se produisirent. Sur cent vingt personnes touchées par le Roi, huit se trouvèrent guéries. Des procès-verbaux officiels relatant ces guérisons furent dressés à l’Hospice Saint-Marcoul de Reims (Voir « Ami de la Religion », 4 juin et surtout 9 nov. 1825).
Au terme de ce chapitre, deux réponses de Jeanne d’Arc devant ses juges de Rouen me reviennent à la mémoire. C’est d’abord l’affirmation, le 22 février, que si l’on désirait connaître quelles révélations elle avait eues, il fallait « aller au Roy, et il vous les dira » car, lui aussi « eust plusieurs apparitions et de belles revelations » (La Minute française des Interrogatoires de Jeanne la Pucelle, par le P. PAUL DONCŒUR, p. 97). La seconde a trait au « signe » que Dieu lui a donné à Chinon devant le Roi. Jeanne commence par dire : « Ne me le tirerez ja de la bouche » (id., p. 131). Puis, prise par les ruses de l’interrogatoire, elle laisse échapper la vérité par bribes. On apprend ainsi qu’un Ange s’était montré au Roi, portant une couronne d’or fin « et estoit si riche que je ne sçauroye nombrer la richesse. Et que la couronne signifioit qu’il tiendroit le royaume de France » (id., p. 165). Interrogée si le signe durait encore, elle avait répondu : « Il est bon a sçavoir qu’il dure encoires ; et durera jusques à mil ans et oultre (id., p. 153).
Double affirmation qui prouve que la mission de Jeanne d’Arc n’est pas séparable de celle de la Couronne de France. Un « signe » leur est commun et ce signe « durera mil ans et oultre ». Que l’on médite là-dessus !
LES DROITS DE DIEU
« Christo ejusgue sacratissimo Cordi
Gallia poenitens et devota. »
Inscription sur le portail
de la Basilique de Montmartre.
La donation de Loches et les infidélités des Valois-Angoulême.
Certains historiens rapportent que Jeanne d’Arc, étant à Loches, en juin 1429, fit au Roi une étrange demande. Elle pria Charles VII de lui « donner son royaume ». Le Monarque ayant accepté, non sans étonnement, « Jeanne se fit faire aussitôt par les quatre principaux secrétaires de la Cour une charte du cadeau royal, et, quand les notaires eurent dressé l’acte de donation, Jeanne fit un solennel hommage de la France au Christ (ABBÉ MÉRESSE, Jeanne d’Arc, p. 125). Puis elle ajouta : « À présent c’est Jésus-Christ qui parle : Moi, Seigneur éternel, je la donne au Roi Charles. »
C’était un renouvellement formel de l’alliance conclue entre Clovis et le Dieu de Clotilde, aux fonts baptismaux de Reims. C’était un acte de foi dans la mission surnaturelle de la France : ce royaume n’avait pas seulement à poursuivre des fins temporelles, il était consacré au Christ, son vrai Roi, il était choisi par Dieu « pour la protection de la foi catholique et pour la défense de la liberté religieuse » (Lettre de Grégoire IX à Saint Louis). Cette consécration explique toute l’histoire de France. Elle place ce pays entre une « bénédiction », s’il est fidèle à sa vocation, et une « malédiction », s’il méconnaît son appartenance au Christ. Et comme Dieu a largement départi à la France les dons naturels comme ceux de la grâce, il s’en suit, dit Joseph de Maistre, que « le châtiment des Français sort de toutes les règles ordinaires et la protection accordée à la France en sort aussi ; mais ces deux prodiges réunis se multiplient l’un par l’autre et présentent un des aspects les plus étonnants que l’œil humain ait jamais contemplé ».
Le XVIe siècle fut, dans son ensemble, un essai de transaction entre l’appel d’en haut, imposé par la mission divine de la France, et les forces de la Renaissance et du protestantisme. François Ier, bien qu’il eût le cœur bon et fît montre d’un courage chevaleresque, pactisa trop avec l’humanisme et les milieux réformés dont sa sœur, Marguerite de Navarre, avait pris la défense. La Régence de Catherine de Médicis accentua encore ce caractère libéral du gouvernement. Comme après le règne de Philippe le Bel, on vit trois rois se succéder rapidement sur le trône, sans laisser d’héritier mâle : François II, Charles IX, Henri III. À la mort de ce dernier, l’héritier salique, Henri de Navarre, se trouva être le chef du parti calviniste ! C’était la première fois, depuis la fondation de la monarchie, qu’une telle situation se présentait. Le Fils Aîné de l’Église pourrait-il être huguenot ? Le désarroi était grand dans le pays lorsqu’on apprit, en 1593, qu’Henri IV avait abjuré le protestantisme à Saint-Denis. Bossuet pourrait écrire un jour que « la France est le seul royaume de la chrétienté qui n’a jamais vu sur le trône que des Rois, enfants de l’Église » (Politique tirée de l’Écriture Sainte).
Le Vœu de Louis XIII.
Il s’en fallut de peu que le règne de Louis XIII ne ramenât pour la France une période aussi glorieuse que celle de Saint Louis. Les grands saints et mystiques, qui avaient paru dès le début du siècle, avaient préparé une atmosphère favorable pour cela : Saint François de Sales, Sainte Jeanne de Chantal, Saint Vincent de Paul, la Bse Marie de l’Incarnation, M. Olier et tant d’autres. Mais Louis le Juste n’atteignit pas à la hauteur de Saint Louis. À quoi tint cet échec partiel ? Peut-être à la politique du Cardinal de Richelieu. Saint Louis avait entraîné l’Europe à la Croisade, le Ministre de Louis XIII fit alliance avec les Turcs et les Princes protestants. Saint Louis était accessible à tous. Il était disposé à faire immédiatement droit à n’importe lequel de ses sujets qui recourait à lui. Richelieu, bien que soucieux des droits de la conscience, n’était guère accessible et gouvernait d’une manière « secrétissime ».
Louis XIII cependant fut grand. Il était conscient de ses obligations de « Roi Très Chrétien ». Deux actes marquent les sommets religieux de son règne : la fondation, après la prise de La Rochelle (1627), de l’Église de Notre-Dame des Victoires, et la consécration de la France à la Sainte Vierge (1638). Le texte de cette consécration est bien dans la ligne du prologue de Loi Salique et du testament de Saint Rémi. Le style en est pompeux, mais la pensée est ferme et profondément religieuse :
« Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, à tous ceux qui ces présentes verront, salut.
Dieu qui élève les rois au trône de leur grandeur, non content de nous avoir donné l’esprit qu’il départ à tous les princes de la terre pour la conduite de leurs peuples, a voulu prendre un soin si spécial de notre personne et de notre État, que nous ne pouvons considérer le bonheur du cours de notre règne, sans y voir autant d’effets merveilleux de sa bonté que d’accidents qui nous menaçaient... (Ici le Souverain rappelle les victoires que la Providence lui a ménagées).
Tant de grâces si évidentes font que, pour n’en pas différer la reconnaissance, sans attendre la paix, qui nous viendra sans doute de la même main dont nous les avons reçues, et que nous désirons avec ardeur pour en faire sentir les fruits aux peuples qui nous sont commis, nous avons cru être obligé, nous prosternant aux pieds de sa Majesté divine que nous adorons en trois personnes, à ceux de la Très Sainte Vierge et de la sacrée Croix où nous révérons l’accomplissement des mystères de notre rédemption par la vie et la mort du Fils de Dieu, de nous consacrer à sa grandeur par son Fils rabaissé jusqu’à nous, et à ce Fils par sa Mère élevée jusqu’à lui, en la protection de laquelle nous mettons particulièrement notre personne, notre État, notre Couronne, et tous nos sujets, pour obtenir par ce moyen celle de la Sainte Trinité par son intercession et celle de toute la Cour céleste par son autorité et son exemple. Nos mains n’étant pas assez pures pour présenter nos offrandes à la Pureté même, nous croyons que celles qui ont été dignes de la porter les rendront hosties agréables, et que c’est chose bien raisonnable qu’ayant été médiatrice de ses bienfaits, elle le soit de nos actions de grâces.
À ces causes, nous avons déclaré et déclarons que, prenant la très sainte et glorieuse Vierge pour protectrice spéciale de notre royaume, nous lui consacrons particulièrement notre personne, notre Couronne et nos sujets, la suppliant de nous vouloir inspirer une sainte conduite, et défendre avec tant de soins ce royaume contre l’effort de tous ses ennemis, que soit qu’il souffre du fléau de la guerre, ou qu’il jouisse de la douceur de la paix, que nous demandons à Dieu de tout notre cœur, il ne sorte point des voies de la grâce qui conduisent à celles de la gloire. Et afin que la postérité ne puisse manquer de suivre nos volontés à ce sujet, pour monument et marque immortelle de la consécration présente que nous faisons, nous ferons construire de nouveau le grand autel de l’église cathédrale à Paris, avec une image de la Vierge qui tienne entre ses bras celle de son précieux Fils descendu de la Croix : nous serons représenté aux pieds du Fils et de la Mère, comme leur offrant notre couronne et notre sceptre.
Nous admonestons le sieur archevêque de Paris, et néanmoins lui enjoignons que, tous les ans, le jour et la fête de l’Assomption, il fasse faire commémoration de notre présente déclaration à la grand-messe qui se dira en son église cathédrale, et que après les vêpres dudit jour, il soit fait une procession en ladite église, à laquelle assisteront toutes les Compagnies souveraines et le Corps de la ville, avec pareille cérémonie que celle qui s’observe aux processions générales les plus solennelles. (Même chose est enjointe à tous les archevêques et évêques du royaume.)
Donné à Saint-Germain-en-Laye, le dixième jour de février, l’an de grâce mil six cent trente-huit, et de notre règne le vingt-huitième. LOUIS. » (Œuvres des familles royales de France, recueillies par PAUL VIOLLET. 1 vol., p. 195.)
1689–1789.
Le règne de Louis XIV allait-il confirmer cette consécration de la France à la cause de Dieu ? On sait que le grand Monarque fut très fidèle à renouveler chaque année la cérémonie prescrite par son père. Il avait l’esprit religieux et, grâce aux dons éminents que Dieu lui avait départis, il eût été à même d’assurer à la France un rayonnement du meilleur aloi dans le monde. Malheureusement, il se laissa éblouir par sa propre puissance et commit une série de fautes qui ternirent l’éclat de son règne. Peu avant sa mort, il conseillait à son arrière petit-fils qui devait lui succéder : « Ne m’imitez pas dans le goût que j’ai pour les bâtiments, ni dans celui que j’ai eu pour la guerre. Tâchez de soulager vos peuples, ce que je suis assez malheureux pour n’avoir pu faire. » Il ne fut pas non plus docile envers le Saint-Siège comme l’aurait dû être un Fils Aîné de l’Église. C’est pourquoi la seconde partie de sa vie – malgré une sérieuse conversion dans le domaine des mœurs – ne connut guère que des échecs. Il laissa finalement la France, malgré ses immenses ressources, plus appauvrie qu’il ne l’avait trouvée.
L’attitude du Roi à l’égard des obligations résultant de la vocation surnaturelle de la France se trouve comme illustrée par celle qu’il prit devant les révélations de Paray-le-Monial qui le concernaient directement. Le 17 juin 1689, Sainte Marguerite-Marie avait reçu de Jésus-Christ le message suivant : « Fais savoir au Fils Aîné de mon Sacré-Cœur – parlant de notre Roi – que, comme sa naissance temporelle a été obtenue par la dévotion aux mérites de ma sainte Enfance 17, de même il obtiendra sa naissance de gloire éternelle par sa consécration à mon Cœur adorable. Il veut triompher du sien, et par son entremise de celui des grands de la terre. Il veut régner dans son palais, être peint dans ses étendards et gravé dans ses armes, pour les rendre victorieuses de tous les ennemis de la Sainte Église. »
Au mois d’août de la même année, la sainte complète son message : « Le Père éternel, voulant réparer les amertumes et angoisses que l’adorable Cœur de son divin Fils a reçues dans la maison des Princes de la terre, parmi les humiliations et les outrages de sa Passion, veut établir son empire dans le Cœur de notre grand Monarque. Il entend se servir de lui pour l’exécution de son dessein, qu’il désire voir accomplir en cette manière : construire un édifice où serait placé le tableau de ce divin Cœur pour y recevoir la consécration et les hommages de toute la Cour.
De plus, ce divin Cœur se veut rendre protecteur et défenseur de sa personne sacrée contre tous ses ennemis visibles et invisibles. Il l’a choisi comme son fidèle ami pour faire autoriser par le Saint-Siège apostolique la messe en son honneur, et obtenir les autres privilèges qui doivent accompagner la dévotion de son divin Cœur. C’est par ce Cœur qu’il lui départira les trésors de ses grâces de satisfaction et de salut, et répandra avec abondance ses bénédictions sur toutes ses entreprises... Qu’il sera donc heureux, s’il prend goût à cette dévotion. Elle lui fera un règne éternel d’honneur et de gloire dans ce Cœur Sacré, et Notre-Seigneur prendra soin de l’élever dans le ciel devant son Père autant que ce grand Monarque en prendra de réparer devant les hommes les opprobres et les anéantissements soufferts par ce divin Cœur » (Vie et Œuvres de Sainte Marguerite-Marie, lettres XCV, XCVIII et CIV, extraits).
Le nom de celui qui devait faire parvenir le message au Roi était indiqué dans la révélation : « Comme Dieu a choisi le R.P. de la Chaise pour l’exécution de ce dessein, par le pouvoir qu’il lui a donné sur le cœur de notre grand Roi, ce sera donc à lui de faire réussir la chose, en procurant cette gloire à ce sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » Le Père de la Chaise était, depuis 1675, confesseur de Louis XIV. Il connaissait très bien le Père de la Colombière, directeur spirituel de Sainte Marguerite-Marie. Est-il dès lors vraisemblable que le message ne soit point parvenu à son destinataire ? On se perd en conjectures sur les causes du silence royal. Aucun témoin ne nous a laissé d’indication à ce sujet. Mais, lorsque Dieu commande, l’abstention, quel qu’en soit le motif, ne suffit pas. La France devait terriblement souffrir de l’inexécution de l’ordre divin : « De Louis XIV la France allait descendre à Louis XV, de Louis XV à Voltaire, de Voltaire à Robespierre et à Marat... » (Mgr BOUGAUD. Histoire de la Bse Marguerite-Marie. Ch. XIV.)
Le testament de Louis XVI.
Comment se défendre d’une profonde émotion lorsque l’on considère la lutte qui s’engage au début de l’année 1789 ? Il aurait fallu, pour faire face à une situation si ardue, un homme d’une trempe exceptionnelle, aussi vigoureux dans sa pensée qu’énergique dans son action. Le Roi Louis XVI n’avait rien de tout cela 18, mais seulement un désir sincère du bien de son peuple : « Je cherche en ma mémoire, déclarait-il à la fin de sa vie, si durant le cours de mon règne j’ai donné volontairement à mes sujets quelque juste motif de plainte contre moi. Eh bien ! je vous le jure comme un homme qui va paraître devant Dieu, j’ai constamment voulu le bonheur de mon peuple et je n’ai pas fait un seul vœu qui lui fût contraire. » Mais il eut la grande faiblesse de nommer des ministres « philosophes » comme Turgot, Necker. Sans cesse il promet des réformes, tergiverse, se reprend, donne au peuple l’impression qu’il le trahit. Lorsque, le 12 juin, le Tiers État se retire des États Généraux, puis le 17 se proclame « Assemblée Nationale », le Roi ne sait pas résister. Il esquisse bien une protestation, mais devant la menace il capitule : « Eh bien, s’ils ne veulent pas s’en aller, qu’ils restent. » Le 9 juillet l’Assemblée s’arrogea le titre de « Constituante ». La Révolution, dès ce jour, avait triomphé.
Autre faiblesse : le 26 décembre 1790, le Roi, non sans hésitations et sous réserve de l’accord du Pape, avait signé le décret de l’Assemblée au sujet de la Constitution Civile du Clergé. L’année suivante, il est vrai, il eut le courage de mettre son veto au décret de déportation des prêtres. Lorsqu’il connut clairement la position de Rome à ce sujet, il se soumit immédiatement et sans réserves, en exprimant, comme en témoigne son testament, les plus admirables sentiments de contrition et de dévouement au Siège Apostolique.
Par sa fuite à Varennes (juin 1791), une fois de plus, Louis XVI donna au peuple l’impression de le trahir. L’entrée en France des Autrichiens et de leurs Alliés devait achever de perdre le Roi. Le 20 janvier 1793, « Louis Capet » fut déclaré « coupable de conspiration contre la liberté de la Nation et d’attentat contre la sûreté de l’État ». Le Roi accueillit cette odieuse sentence avec une grandeur d’âme digne du « Fils de Saint Louis ». Tandis que se déroulait son procès, il avait, dans la solitude du Temple, rédigé le texte de cette promesse au Sacré-Cœur :
« Vous voyez, ô mon Dieu ! toutes les plaies qui déchirent mon cœur, et la profondeur de l’abîme dans lequel je suis tombé. Des maux sans nombre m’environnent de toutes parts. À mes malheurs personnels et à ceux de ma famille, qui sont affreux, se joignent, pour accabler mon âme, ceux qui couvrent la face du royaume. Les cris de tous les infortunés, les gémissements de la religion opprimée retentissent à mes oreilles, et une voix intérieure m’avertit encore que peut-être votre justice me reproche toutes ces calamités, parce que, dans les jours de ma puissance, je n’ai pas réprimé la licence du peuple et l’irréligion, qui en sont les principales sources ; parce que j’ai fourni moi-même des armes à l’hérésie qui triomphe, en la favorisant par des lois qui ont doublé ses forces et lui ont donné l’audace de tout oser.
Je n’aurai pas la témérité, ô mon Dieu, de me justifier devant vous ; mais vous savez que mon cœur a toujours été soumis à la foi et aux règles des mœurs ; mes fautes sont le fruit de ma faiblesse et semblent dignes de votre grande miséricorde. Vous avez pardonné au roi David, qui avait été cause que vos ennemis avaient blasphémé contre vous ; au roi Manassès, qui avait entraîné son peuple dans l’idolâtrie. Désarmé par leur pénitence, vous les avez rétablis l’un et l’autre sur le trône de Juda ; vous les avez fait régner avec paix et gloire. Seriez-vous inexorable aujourd’hui pour un fils de Saint Louis, qui prend ces rois pénitents pour modèles, et qui, à leur exemple, désire réparer ses fautes et devenir un roi selon votre cœur ? Ô Jésus-Christ ! divin Rédempteur de toutes nos iniquités, c’est dans votre Cœur adorable que je veux déposer les effusions de mon âme affligée. J’appelle à mon secours le tendre Cœur de Marie, mon auguste protectrice et ma mère, et l’assistance de Saint Louis, mon patron et le plus illustre de mes aïeux.
Ouvrez-vous, Cœur adorable, et par les mains si pures de mes puissants intercesseurs, recevez avec bonté le vœu satisfactoire que la confiance m’inspire et que je vous offre comme l’expression naïve des sentiments de mon cœur.
VŒU
Si, par un effet de la bonté infinie de Dieu, je recouvre ma liberté, ma couronne et ma puissance royale, je promets solennellement :
1) De révoquer le plus tôt possible toutes les lois qui me seront indiquées, soit par le Pape, soit par quatre évêques choisis parmi les plus vertueux de mon Royaume, comme contraires à la pureté et à l’intégrité de la foi, à la discipline et à la juridiction spirituelle de la sainte Église catholique, apostolique, romaine, et notamment la Constitution civile du clergé ;
2) De rétablir sans délai tous les pasteurs légitimes et tous les bénéficiers institués par l’Église, dans les bénéfices dont ils ont été injustement dépouillés par les décrets d’une puissance incompétente, sauf à prendre les moyens canoniques pour supprimer les titres de bénéfices qui sont moins nécessaires, et pour en appliquer les biens et revenus aux besoins de l’État ;
3) De prendre, dans l’intervalle d’une année, tant auprès du Pape qu’auprès des évêques de mon royaume, toutes les mesures nécessaires pour établir, suivant les formes canoniques, une fête solennelle en l’honneur du Sacré-Cœur de Jésus, laquelle sera célébrée à perpétuité dans toute la France, le premier vendredi après l’octave du Saint-Sacrement, et toujours suivie d’une procession générale, en réparation des outrages et profanations commis dans nos saints temples, pendant le temps des troubles, par les schismatiques, les hérétiques et les mauvais chrétiens ;
4) D’aller moi-même en personne, sous trois mois à compter du jour de ma délivrance, dans l’église Notre-Dame de Paris, ou dans toute autre église principale du lieu où je me trouverai, et de prononcer, un jour de dimanche ou de fête, au pied du maître-autel, après l’offertoire de la messe, et entre les mains du célébrant, un acte solennel de consécration de ma personne et de mon royaume au Sacré-Cœur de Jésus, avec promesse de donner à tous mes sujets l’exemple du culte et de la dévotion qui sont dus à ce Cœur adorable ;
5) D’ériger et de décorer à mes frais, dans l’église que je choisirai pour cela, dans le cours d’une année à compter du jour de ma délivrance, une chapelle ou un autel qui sera dédié au Sacré-Cœur de Jésus et qui servira de monument éternel de ma reconnaissance et de ma confiance sans bornes dans les mérites infinis et dans les trésors inépuisables de grâce qui sont enfermés dans ce Cœur sacré ;
6) Enfin, de renouveler tous les ans, au lieu où je me trouverai, le jour qu’on célébrera la fête du Sacré-Cœur, l’acte de consécration exprimé dans l’article quatrième, et d’assister à la procession générale qui suivra la messe de ce jour.
Je ne puis aujourd’hui prononcer qu’en secret cet engagement, mais je le signerais de mon sang s’il le fallait, et le plus beau jour de ma vie sera celui où je pourrai le publier à haute voix dans le temple.
Ô Cœur adorable de mon Sauveur ! Que j’oublie ma main droite et que je m’oublie moi-même, si jamais j’oublie vos bienfaits et mes promesses, et cesse de vous aimer et de mettre en vous ma confiance et toute ma consolation. Ainsi soit-il. » (Œuvres chrétiennes des familles royales de France, recueillies par Paul Viollet, p. 354.)
On le voit, le Roi avait connaissance de la demande faite par Sainte Marguerite-Marie à son ancêtre Louis XIV. Au moment où il formula son Vœu, il était déjà privé de sa liberté, en sorte que la consécration publique n’eut jamais lieu. Dieu, pour des raisons insondables, allait demander au Souverain le témoignage du sang plutôt qu’un acte liturgique. Dans son Testament, rédigé en décembre 1792, Louis XVI se montra digne du Saint dont il portait le nom :
« Au nom de la Sainte-Trinité, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, aujourd’hui vingt-cinquième jour de décembre 1792, moi, Louis XVIe de nom, Roi de France, étant depuis plus de quatre mois enfermé avec ma Famille dans la Tour du Temple à Paris par ceux qui étaient mes sujets, et privé de toute communication quelconque, même depuis le onze courant avec ma Famille, de plus impliqué dans un procès dont il est impossible de prévoir l’issue, à cause des passions, des haines et dont on ne trouve aucun prétexte, aucun moyen dans aucune loi existante, n’ayant que Dieu pour témoin de mes pensées, et auquel je puisse m’adresser, je déclare ici, en sa présence, mes dernières volontés et mes sentiments.
Je laisse mon âme à Dieu, mon Créateur, je le prie de la recevoir dans sa miséricorde, de ne pas la juger d’après ses mérites mais par ceux de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui s’est offert en sacrifice à Dieu, son Père, pour nous autres Hommes quelque indignes que nous en fussions, et moi le premier.
Je meurs dans l’union de notre Mère la Sainte Église Catholique et Romaine, qui tient ses pouvoirs par une succession ininterrompue de Saint Pierre auquel Jésus-Christ les avait confiés. Je crois fermement et je confesse tout ce qui est contenu dans le Symbole et dans les commandements de Dieu et de l’Église, les Sacrements et les Mystères tels que l’Église les enseigne et les a toujours enseignés ; je n’ai jamais prétendu me rendre juge dans les différentes manières d’expliquer tous les dogmes, qui déchirent l’Église de Jésus-Christ, mais je m’en suis rapporté et m’en rapporterai toujours, si Dieu m’accorde vie, aux décisions que les Supérieurs ecclésiastiques unis à la Sainte Église Catholique donnent et donneront conformément à la discipline de l’Église catholique, à laquelle je suis toujours resté sincèrement uni de cœur.
Je plains de tout mon cœur nos Frères qui peuvent être dans l’erreur ; mais je ne prétends pas les juger, et je ne les aime pas moins tous en Jésus-Christ, suivant ce que la charité chrétienne nous enseigne. Je prie Dieu de recevoir la confession que je lui en ai faite et surtout le repentir profond que j’ai d’avoir mis mon nom – quoique cela fût contraire à ma volonté – à des actes qui peuvent être contraires à la discipline et à la croyance de l’Église catholique, à laquelle je suis toujours resté sincèrement uni de cœur.
Je prie tous ceux que je pourrais avoir offensé par inadvertance de me pardonner, comme je pardonne à tous ceux qui se sont faits mes ennemis.
Je recommande mes enfants à ma femme et la prie d’en faire surtout de bons chrétiens ; de ne leur faire regarder les grandeurs de ce monde, s’ils sont condamnés à les éprouver, que comme des biens dangereux et périssables, et de tourner leurs regards vers la seule gloire solide et durable de l’éternité.
Je recommande à mon fils s’il avait le malheur de devenir Roi, de songer qu’il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens, qu’il ne peut faire le bonheur des peuples qu’en régnant suivant les lois.
Je finis en déclarant devant Dieu et prêt à paraître devant Lui que je ne me reproche aucun des crimes qui sont avancés contre moi.
Fait à la Tour du Temple le 25 décembre 1792. Louis. »
25 décembre 496 – 25 décembre 1792 ! La royauté avait duré treize siècles. Elle signait son testament à Noël, comme elle y était née. Elle avait fait, malgré l’inégalité de ses représentants, la grandeur chrétienne de la France. Elle succombait dans un conflit qui mettait aux prises plus que des forces humaines, mais qui était une des manifestations de l’éternel antagonisme qui oppose Satan au Royaume du Christ et à l’Église.
« Vénérables Frères, déclarait le Pape Pie VI, au sujet de l’exécution du Roi, comment notre voix n’est-elle point étouffée dans ce moment par nos larmes et nos sanglots... Le Roi très Chrétien Louis XVI a été condamné au dernier supplice par une conjuration impie et ce jugement s’est exécuté. Nous vous rappellerons en peu de mots les dispositions et les motifs de la sentence. La Convention Nationale n’avait ni droit ni autorité pour la prononcer. En effet, après avoir aboli la Monarchie, le meilleur des gouvernements, elle avait transporté toute la puissance publique au peuple qui ne se conduit ni par raison, ni par conseil, ne se forme sur aucun point des idées justes, apprécie peu de choses par la vérité et en évalue un grand nombre d’après l’opinion ; qui est toujours inconstant, facile à être trompé, entraîné à tous les excès, ingrat, arrogant, cruel... La portion la plus féroce de ce peuple, peu satisfaite d’avoir dégradé la majesté de son Roi, et déterminée à lui arracher la vie voulut qu’il fût jugé par ses propres accusateurs qui s’étaient déclarés hautement ses plus implacables ennemis... Nous passons ici sous silence une foule d’injustices, de nullités et d’invalidités que l’on peut lire dans les plaidoyers des Avocats et dans les papiers publics... L’indignation redouble encore de ce que le caractère unanimement reconnu de ce Prince était naturellement doux et bienfaisant ; que sa clémence, sa patience, son amour pour son peuple fut toujours inaltérable.... Mais ce que nous ne saurions pas surtout passer sous silence, c’est l’opinion universelle qu’il a donnée de sa vertu par son testament, écrit de sa main, émané du fond de son âme, imprimé et répandu dans toute l’Europe. Quelle haute idée on y conçoit de sa vertu ! Quel zèle pour la religion catholique ! Quel caractère d’une piété véritable envers Dieu !.... Et qui pourra jamais douter que ce monarque n’ait été principalement immolé en haine de la foi 19 et par un esprit de fureur contre les dogmes catholiques ?.... Ô jour de triomphe pour Louis XVI à qui Dieu a donné la patience dans les tribulations et la victoire au milieu de son supplice ! Nous avons la confiance qu’il a heureusement échangé une couronne royale toujours fragile et des lys qui se seraient flétris bientôt, contre cet autre diadème impérissable que les Anges ont tissé de lys immortels. » (Allocution consistoriale du 11 juin 1793, passim.)
Droits de Dieu et « droits de l’homme ».
Certes l’histoire de France ne s’est pas close avec la Révolution. Le pays a continué à produire de grands hommes, de grands saints même. Est-il nécessaire de les citer ? Ils sont sur toutes les lèvres : « Pour beaucoup de Français l’histoire de leur pays débute avec la Révolution, se ramène à elle, se résume en elle et trouve en elle tout son sens » (Bernard Faÿ). Aussi bien, notre but n’est-il pas ici de passer en revue les régimes et les hommes qui se sont succédé sur la scène politique depuis la Première République jusqu’à la Ve, mais plutôt de marquer la déficience qui les caractérise uniformément : « Ce qui a manqué à notre pays dans toutes les expériences qu’il a faites depuis quatre-vingts ans, écrivait déjà le Cardinal Pie – aujourd’hui, il faudrait dire cent soixante-quatorze ans – ce n’a été ni la science des compromis et des résistances... ni le talent et l’honnêteté dans les hommes du pouvoir, non plus que la modération relative dans les chefs de l’opposition ; nous estimons au contraire qu’il a été dépensé au service de nos institutions plus de génie, d’habileté, de générosité, de noble passion, de loyal désintéressement qu’on n’en peut attendre communément de l’espèce humaine. Ce qui a manqué, ne serait-ce donc pas la part authentique de Dieu, l’affirmation de Jésus-Christ, la profession publique de la foi chrétienne ? » (ÉTIENNE CATTA. « La doctrine politique et sociale du Cardinal Pie », p. 342 20. Officiellement le pays est resté « laïque », c’est-à-dire qu’il ne connaît pas Jésus-Christ, qu’il ne s’inspire pas de ses principes dans ses lois, ses institutions, sa politique. Aussi ne saurait-il être heureux. Ses plus beaux succès demeurent sans lendemain, ils cachent une plaie profonde. « C’est le droit de Dieu, déclarait Mgr Pie à Napoléon III, de commander aux États comme aux individus. Ce n’est pas pour autre chose que Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu sur la terre. Il doit régner, en inspirant les lois, en sanctifiant les mœurs, en éclairant l’enseignement, en dirigeant les conseils, en réglant les actions des gouvernements comme des gouvernés. Partout où Jésus-Christ n’exerce pas ce règne il y a désordre et décadence » (id., p. 303).
Et pourtant Dieu ne s’est pas tu. Au début du XIXe siècle, le Sacré-Cœur prenait pour confidente la Sœur Marie-de-Jésus, du couvent des Oiseaux, à Paris et lui révélait « que le vœu de consécration de la France au Sacré-Cœur, attribué à Louis XVI, était bien de lui ; que c’était lui-même qui l’avait composé et prononcé. Le Divin Sauveur avait ajouté qu’Il désirait ardemment que ce vœu fût exécuté ; c’est-à-dire que le Roi consacrât sa famille et tout son royaume au Sacré-Cœur, comme autrefois Louis XIII à la Sainte Vierge. » Le 21 juin 1823, le Sauveur ajouta : « La France est toujours bien chère à mon Cœur, et elle lui sera consacrée. Mais il faut que ce soit le Roi lui-même qui consacre sa personne, sa famille et tout son royaume à mon divin Cœur... Je prépare toutes choses : la France sera consacrée à mon divin Cœur et toute la terre se ressentira des bénédictions que je répandrai sur elle » (R.P. VICTOR ALET. La France et le Sacré-Cœur, p. 296).
Au lendemain de la guerre de 1870, un espoir a surgi, sur la colline de Montmartre, dominant la Cité coupable de Paris. À l’initiative de MM. Rohault de Fleury et Legentil, avec l’approbation du Cardinal Guibert, Archevêque de Paris, a commencé de s’élever la Basilique du Vœu national, dédiée au Sacré-Cœur de Jésus. « Notre vœu, disait le Père Monsabré, commencé par la prière, doit recevoir sa dernière expression dans un monument... Dispersés à tous les points de la France, nous voulons un signe matériel de notre union dans le même repentir, le même espoir, la même reconnaissance. Le sanctuaire du Sacré-Cœur, édifié au sein même de notre capitale, sera ce signe... L’église du Sacré-Cœur fera prier ses pierres, tout imprégnées de nos larmes et de nos sacrifices, toutes chargées d’inscriptions et de symboles qui rappelleront aux futures générations combien fut grand notre malheur, profond notre repentir, aimable le Cœur de Jésus qui nous a pardonnés et relevés de notre abjection... Trois victoires seront inscrites sur le temple du Sacré-Cœur : victoire de l’amour pénitent sur nos péchés ; victoire de l’amour fraternel sur la haine sociale ; victoire de l’amour divin sur la justice divine » (id., p. 324).
Cela avait été, il est vrai, presque un miracle de voir le principe de ce monument voté par l’Assemblée Nationale qui réalisait ainsi ce que Louis XIV avait négligé de faire. Cependant cela ne suffisait pas pour ramener la Nation à la loi du Christ. Des flambées d’anticléricalisme ne tardèrent pas à se manifester à nouveau, sous la IIIe République. Deux guerres particulièrement sanglantes, au cours du XXe siècle, n’ont pas été non plus des avertissements assez puissants pour remettre la France dans l’axe véritable de son histoire. Dès la fin de la première guerre, Mme Royer 21 l’avait prédit : « La paix qui suivra cette guerre sera une fausse paix, pleine de difficultés diplomatiques, économiques, sociales et financières. Le monde croulera dans l’impiété, l’impureté et le complet oubli de Dieu et courra ainsi à son châtiment. Les Français iront jusqu’aux confins du désespoir. Ils ne reprendront courage que contre eux-mêmes. Une à une toutes les solutions pour mettre fin à leurs maux s’évanouiront... Quand tout secours humain aura disparu et que tout semblera perdu, le Sacré-Cœur interviendra » (CHANOINE LOUIS RUY. Un Message du Sacré-Cœur. Mme Royer, p. 22).
Cependant, gardons-nous de penser que ces épreuves aient été stériles. Dieu seul connaît les moissons spirituelles qu’Il a engrangées au cours de ces temps troublés. Depuis la fin de la dernière guerre, et malgré une succession de crises nouvelles, des signes indiscutables de renouveau se sont manifestés. Nous ne voulons pas les énumérer ici. L’espérance qu’ils éveillent en nous est bien celle qu’évoquait déjà Marie Lataste, au siècle passé : « Quelquefois, un vieil arbre est coupé dans une forêt, il ne reste plus que le tronc ; mais un rejeton pousse au printemps ; il devient un arbre magnifique, l’honneur de la forêt » (Œuvres, t. III, p. 409). Cette promesse se réalisera-t-elle ? Dieu, de son côté, est fidèle. Il est toujours prêt à déverser sur la France et, par elle, sur le monde, un déluge de grâces. Mais la Nation est-elle prête à abjurer ses erreurs et à reconnaître publiquement les Droits de Dieu sur elle ?
Oscar Edmond ROBERT, Destin de la France,
Librairie du Carmel, 1964.
TABLE
Lettre de S.A.R. le Prince Xavier de Bourbon-Parme
Introduction
LE SICAMBRE
CHARLEMAGNE, PÈRE DE L’EUROPE
SAINT LOUIS, LE CAPÉTIEN
La dynastie capétienne
Les Croisades
Le Saint « Roy Loys »
LA PUCELLE D’ORLÉANS
Les fautes de Philippe le Bel et la guerre de Cent ans
« De par Dieu... »
LES DROITS DE DIEU
La donation de Loches et les infidélités des Valois-Angoulême
Le Vœu de Louis XIII
1689-1789
Le Testament de Louis XVI
Droits de Dieu et « droits de l’homme »
1 Nous suivons ici la leçon « secundum Belgice » (Mss 869 de la Vaticane). Si, avec Aligne, il fallait lire « secundum bellice », il faudrait plutôt situer l’Épître vers 507 et y voir une allusion à la guerre contre les Wisigoths.
2 Il est nécessaire de dire quelques mots au sujet de l’autorité de Saint Grégoire de Tours comme historien. Il faut, à ce sujet, nettement distinguer, dans son Historia Francorum, le Livre I, relatant, de façon parfois fabuleuse, l’histoire universelle depuis les origines jusqu’au IVe s., et les Livres II et suivants rapportant l’histoire de Clovis et de ses premiers successeurs. On se trouve ici devant un sujet qui est presque contemporain de l’auteur – et qui l’est entièrement pour les derniers livres. Grégoire de Tours était né à Clermont en 538. Il avait pour bisaïeul cet autre Saint Grégoire qui occupa le siège épiscopal de Langres, de 507 à 541. Il eut aussi deux oncles, Saint Gall de Clermont et Saint Nizier de Lyon, qui firent en partie son éducation et qui étaient à même de le renseigner sur la période qui nous intéresse. Enfin, et surtout, Sainte Clotilde mourut à Tours, à un âge assez avancé, en 545. Elle dut laisser là maints souvenirs et récits au sujet de son époux.
Saint Grégoire cite, parmi ses sources, une « vie de Saint Rémi » que nous avons perdue et qui, à coup sûr, avait été écrite par un contemporain du grand Évêque de Reims (mort en 533). Il y avait, en outre, des chroniques, des traditions ecclésiastiques locales, propres aux diocèses de Tours, de Poitiers, d’Angoulême où le souvenir du premier Roi chrétien était resté bien vivant.
Concluons, avec M.M. Gorce (CLOVIS. Édit. Payot. Paris, 1935) que Grégoire « pouvait tenter ce que d’autres ne pouvaient accomplir. Non seulement il avait assez de culture pour venir à bout de cette tâche ; mais les matériaux étaient plus à sa portée qu’à la portée d’aucun autre. Évêque encore plein de jeunesse et déjà rempli d’expérience, il trouvait dans l’ambiance où il vivait chaque jour le souvenir ému de la chère morte Clotilde » (p. 332).
On pourra aussi consulter, d’une façon plus générale, les quatre volumes de Jean Guiraud : « Histoire partiale, Histoire vraie » (Édit. G. Beauchesne. Paris 1912-1932).
3 La Loi Salique exista d’abord sous forme orale. Il est difficile de préciser à quelle époque elle fut, pour la première fois, mise par écrit, mais à coup sûr ce fut avant la conversion de Clovis. Le Code fut ensuite amendé, dans un sens plus chrétien, par Clovis et ses successeurs. Le Grand Prologue a été ajouté par la suite, M. O. Dippe pense que ce fut vers 555-557, vers la fin des règnes de Childebert et de Clotaire (Der Prolog der Lex Salica, dans Historische Vierteljahrschrift, 1899).
4 Voir R. BARROUX : « Dagobert, Roi des Francs ». Payot, Paris. 1938. Particulièrement les chapitres VII et VIII : « Il y a peu de siècles dans l’histoire, dit le docte Dom Calmet, où l’on ait vu en France et surtout à la Cour un aussi grand nombre d’hommes illustres en sainteté que l’on en a vu sous Clotaire II, sous Dagobert et sous Sigebert, son fils. » (p. 185).
5 Bien qu’un peu vieilli, le « Charlemagne » d’Alphonse Vétault (Édit. Mame. Tours, 1880) reste un exemple d’honnêteté historique et de tact parfait.
6 « Sous le règne perpétuel de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Moi, Charles, par la grâce de Dieu et par Sa Miséricorde, Roi des Français, dévoué défenseur de la Sainte Église et son humble serviteur... »
7 Charlemagne fut essentiellement « un Franc », « Rex Francorum », et il le resta lorsqu’il devint Empereur. C’est donc un contre-sens de faire de lui un « Empereur allemand ».
8 Ce mot est bien employé par Éginhard, mais on est loin d’être d’accord sur sa signification. A. Vétault (o.c., p. 361) fait remarquer qu’il place dans le nombre Himiltrude ; or il semble bien que celle-ci ait été réellement une épouse légitime. Peut-être s’agissait-il d’union morganatique.
9 On sait que Charlemagne et, après lui, Louis le Pieux, chargèrent Saint Benoît d’Aniane de la réforme générale des monastères.
10 Saint Louis, lorsqu’il revint de Terre Sainte, ramena avec lui des Ermites du Mont-Carmel et leur donna un couvent à Charenton. Il établit des Charteux à Vauvert (Paris).
11 « De terra vero nulla in muliere hereditas non pertinebit, sed ad virilem sexum qui fratres fuerint tota terra transeat » (Lex Salica. Tit. LIX, De Alodis, 56). Cette disposition valait aussi bien en droit public qu’en droit privé, quoi qu’en disent certains historiens. Il est frappant de constater l’ignorance qui règne actuellement au sujet de cette Loi qui est pourtant déterminante de l’histoire de France. On peut dire que toute la mission de Sainte Jeanne d’Arc a été de faire respecter la Loi Salique.
12 Février 1317 : « Tunc etiam declaratum fuit quod ad coronam regni Franciæ mulier non succedit. »
Février 1328 : « Li royaume de France est si bien noble qu’il ne doit mies aler ne descendre a fumelle ne a fil de fumelle. »
13 On trouve encore trace de cette croyance dans la pièce de Shakespeare : « Henri VI ».
14 Ou l’un de ses disciples qui acheva son Opuscule : « De Regimine Principum ».
15 Dans son ouvrage : « Les Rois thaumaturges » (Strasbourg, 1924), Marc Bloch a cherché à réfuter les témoignages traditionnels à ce sujet. Mais il est trop évident que cette étude procède d’un a priori, niant tout surnaturel. Le Dr Robert Van der Elst a victorieusement réfuté cette position dans un article de la « Revue de Philosophie » (nov.-déc. 1925, p. 621).
16 À la fin du XIe s., le prodige était déjà rattaché à une longue tradition.
17 Allusion au caractère miraculeux de la naissance de Louis XIV. Ses parents étaient restés vingt-deux ans sans enfants. La naissance d’un héritier fut annoncée onze ans d’avance à la Mère Jeanne de Matel, puis à plusieurs autres personnes dont le Frère Fiacre des Augustins Déchaussés de N.-D. des Victoires.
18 Beaucoup plus clairvoyante était sa sœur, Mme Élisabeth. Elle vit tout de suite qu’on cherchait à ôter au Roi « le peu de Couronne qu’il avait sur la tête » (Madame Élisabeth, par M. de la Fuye et E.A. Babeau, p. 57).
19 C’est pourquoi Mgr Delassus et plusieurs auteurs ont considéré comme possible la béatification de Louis XVI, Roi et Martyr.
20 L’Auteur a bien souligné l’attitude très souple du Cardinal Pie à l’égard de la politique de « ralliement » prescrite par le Pape Léon XIII (pp. 359-361). L’évêque de Poitiers fut alors l’intermédiaire entre le Saint-Siège et le gouvernement français.
21 Fondatrice de l’Archiconfrérie de prière et de pénitence de Montmartre. Cette Association compte actuellement plusieurs millions de membres.