Le romancier populaire
de la Suisse allemande
JÉRÉMIE GOTTHELF ET SES ŒUVRES
par
SAINT-RENÉ TAILLANDIER
I
On sait le rôle très-distinct qu’occupent l’Allemagne et la Suisse allemande dans les révolutions du dix-neuvième siècle. Pendant toute une période, la Suisse a été un des foyers les plus actifs de corruption et de perversité sociale ; c’est là que se sont établis les enfants perdus de l’athéisme germanique, c’est là que les systèmes produits en Allemagne avec un fastueux appareil scientifique étalaient effrontément leur nudité hideuse. La jeune école hégélienne, dont l’influence a été si grande sur les esprits tudesques, représentait comme l’aristocratie du mal ; elle composait le gros de l’armée et fournissait les généraux ; dans les cantons allemands de la Suisse, l’hégélianisme n’avait ni soldats ni chefs : il y avait simplement jeté sa populace. Tout ce qui n’avait pu se faire sa place en Allemagne, poëtes de dixième ordre, lettrés qui ont oublié d’apprendre l’orthographe, mendiants et vagabonds de l’intelligence, tout cela s’en est allé pêle-mêle chercher aventure dans les cantons : ils n’avaient pu prêcher en Allemagne, toutes les positions étant prises et tous les rôles distribués ; ils se firent missionnaires auprès des démocrates de la Suisse, et l’on devine sans peine ce qu’une telle mission dut produire. L’athéisme avait ses docteurs à Berlin, à Halle, à Leipzig, docteurs subtils et souvent ingénieux, dialecticiens armés de pied en cap, comme aux beaux temps de la scolastique ; en Suisse, l’hypocrisie des systèmes avait disparu : point de subtilités, point de formules ; au lieu des prétentieuses impiétés des pédants, c’étaient les cris de la matière en délire.
Eh bien ! du sein même de ce pays en proie à ces fureurs grossières, un ferme et intelligent écrivain s’est levé pour combattre les progrès du mal : c’est au peuple que s’adressaient les prédications perverses, c’est pour le peuple qu’il a voulu écrire. Il a composé des romans populaires, il a peint les mœurs des paysans suisses, et après avoir châtié leurs vices avec une impitoyable franchise, il leur a montré en traits simples et vivants l’idéal qui doit être sans cesse présent à leur pensée, qui doit les consoler dans les difficultés de la vie et leur sourire aux journées heureuses. Le caractère distinctif de Jérémie Gotthelf, c’est l’audace, une audace chrétienne et rustique à la fois. Figurez-vous un missionnaire en sabots qui défend les laboureurs de son pays contre l’invasion du matérialisme : voilà l’homme tout entier. Il y a trois inspirations constamment unies chez cet artiste excellent : l’amour du sol natal, l’horreur de l’impiété hégélienne, une sainte confiance dans la parole du Christ. Il entre sans façon chez ses amis les paysans, il les rudoie, il leur fait honte de leur mauvaise vie, il les oblige à entendre les vérités les plus cruelles ; mais aussi comme il les aime ! comme il connaît à fond tout ce qui les intéresse ! comme il possède l’art de les toucher ! comme il sait les faire rire aux éclats et pleurer à chaudes larmes ! Aussi, ces romans, populaires dans toute la Suisse allemande, ces romans que chaque paysan du canton de Berne lit et relit au coin de l’âtre dans les veillées d’hiver et devant la porte de la ferme pendant les soirs d’été, ces romans ont fait bientôt leur chemin hors du cercle restreint pour lequel les écrivait l’auteur ; ils ont traversé les monts, ils ont franchi les frontières de la Suisse, et l’Allemagne, à l’heure qu’il est, les accueille avec le plus sympathique empressement. N’y a-t-il pas dans cet échange d’influences contraires un spectacle digne d’études ? Jérémie Gotthelf a eu un singulier bonheur, et un bonheur mérité : adversaire résolu de la barbarie hégélienne, il devait par cela seul avoir tôt ou tard une place digne d’envie dans l’histoire littéraire de son temps. Il a fait mieux encore, il a battu son ennemi, il a remporté sur l’Allemagne une victoire dont l’Allemagne se félicitera ; il a renvoyé à ce pays, au lieu de ses tristes présents, quelques-unes des inspirations de l’Allemagne d’autrefois, quelques-uns des purs trésors dont il avait précieusement conservé le dépôt.
Soit qu’on cherche dans cet évènement un symptôme de restauration morale, soit qu’on se préoccupe simplement d’un problème littéraire, on ne saurait y regarder de trop près : une foule de plumes aujourd’hui ont la prétention d’écrire pour le peuple ; en France et en Allemagne, cette veine est exploitée avec une ardeur singulière, et, sauf des exceptions trop rares, l’empressement des poëtes et des conteurs n’a produit jusqu’ici que des œuvres artificielles.
Il y a deux manières de comprendre cette tâche : ou bien ce doit être un enfant du peuple qui exprime les mystérieuses pensées, qui chante les douleurs, les joies, les espérances de ses frères, et ouvre à nos regards avides les profondeurs de ce monde immense, les sources obscures et intarissables où se retrempent et se renouvellent sans cesse les sociétés humaines ; ou bien c’est un artiste, un lettré, qui n’écrit pas pour le peuple, mais qui, empruntant au peuple ses mœurs, ses effets pittoresques, les ressources poétiques contenues dans sa vie de chaque jour, essaye par là de rajeunir une littérature épuisée, poursuit des formes et des couleurs nouvelles, et s’inquiète beaucoup plus de la beauté que du caractère moral de son œuvre. Ces deux inspirations ne seront jamais réunies ; l’une est l’exclusion de l’autre. L’homme du sillon ou de l’atelier, l’ouvrier des campagnes ou des villes peut donner une voix à cette poésie indéterminée qui s’agite vaguement dans les âmes populaires ; prenez garde pourtant : dès que cette voix acquiert certaines qualités durables, dès que le chanteur devient un poëte, dès que le sentiment de l’art et l’amour réfléchi du beau s’éveillent en lui, il a perdu déjà les conditions premières qui faisaient sa force ; la vérité le préoccupe moins que le succès ; ce n’est plus un homme du peuple, c’est un lettré. De là vient que la vraie poésie populaire est anonyme ; elle n’existe que dans ces œuvres, nées on ne sait ni où ni comment, dans ces plaintes, dans ces chansons, dans ces hymnes, que des millions de voix se transmettent d’une génération à l’autre, naïvement modifiées selon les convenances de chaque lieu et les inspirations de chaque esprit. Personne n’a réussi, personne ne réussira à se l’approprier complètement. Ne demandez à aucune littérature l’expression sincère d’une telle poésie représentée par un nom distinct ; ne la cherchez ni en Allemagne, ni en Angleterre, ni en France ; ce que vous trouverez toujours, ce sont des poëtes issus ou non de ce qu’on appelle le peuple, mais qui, en tout cas, ne font déjà plus partie de cette foule dont ils prétendent nous révéler les mystères.
Restent donc simplement des artistes qui, inspirés par la pensée chrétienne ou obéissant à l’influence démocratique, ont vu dans les mœurs populaires une curieuse matière à mettre en œuvre. Seulement tous ne se ressemblent pas ; les uns ont étudié leur sujet avec sympathie, avec dévouement, et ils ont apporté dans cette étude les hautes et courageuses pensées qu’elle impose ; ils savent qu’on ne doit parler au peuple que pour l’instruire, et que le vrai moyen de travailler à le rendre heureux, c’est de travailler à le rendre meilleur. Les autres, et c’est malheureusement le plus grand nombre, n’ont cherché dans la peinture des classes inférieures qu’une occasion de succès, une mine à exploiter en tous sens ; ils dessinent des silhouettes rustiques comme on peignait, il y a vingt-cinq ans, des chevaliers du moyen âge : les sarraus bleus et les sabots ont remplacé les lames de Tolède et les manteaux couleur de muraille. C’est pure affaire de mode. La mode vaut mieux, j’y consens, car il y a toujours profit à se rapprocher de la nature, et s’essayer à reproduire la réalité est une tâche plus féconde que de chercher la poésie dans des magasins de costumes. N’est-ce pas un mal cependant de toucher à cette délicate et dangereuse étude du peuple sans y apporter des intentions sévères, sans comprendre toute la responsabilité d’une telle mission ? Celui qui n’ambitionne que le succès matériel n’est-il pas exposé à flatter bientôt les passions de ceux qu’il veut peindre et à glorifier leurs plus mauvais penchants ?
Dans la vieille Allemagne, je veux dire il y a soixante ou quatre-vingts ans, le péril était moins grave. Les romanciers et les poëtes qui s’efforçaient alors de consacrer en des œuvres d’art les mœurs et les sentiments populaires obéissaient presque toujours à une haute inspiration morale ; quant à ceux qui suivaient plus spécialement leurs instincts poétiques, ils pouvaient bien considérer de tels sujets comme une ressource neuve et originale, ils n’avaient pas encore l’idée de s’en servir pour des excitations perfides.
Pestalozzi est le premier qui ait songé sérieusement à peindre la vie du peuple ; vers l’époque où Voss écrivait Louise, il composait son gracieux roman Lienhardt et Gertrude (1781), qui reproduit avec tant de charme les joies et les peines d’une existence rustique et prêche d’une manière si douce la loi du travail et les vertus du foyer. Malheureusement, Pestalozzi était un moraliste plutôt qu’un poëte ; l’absence de l’art se fait trop sentir dans ces tableaux si purs, et lorsqu’il voulut, un an après, dans son roman de Christophe et Élise (1782), continuer cette veine heureuse, la veine sembla épuisée, le raisonnement occupa toute la place que l’invention laissait vide. Il faudrait citer vers le même temps certains récits de Jung Stilling, si le mysticisme de ce tendre rêveur n’avait bientôt dissipé en subtiles songeries la sève vraiment rustique de ses premiers travaux. Sorti des rangs les plus modestes de la classe ouvrière, Jung Stilling nous a raconté sa jeunesse avec une naïveté incomparable ; on voit dans ces simples et poétiques mémoires Heinrich Stilling’s Jugend (Jünglinsgsjahre und Wanderschaft 1777) une âme sincèrement populaire grandir et se transformer sous l’influence de cette vieille Allemagne dont il reste aujourd’hui si peu de traces ; du fond de son obscure condition, elle aspire à la lumière, elle se crée un monde surnaturel et se plonge amoureusement au sein de Dieu. Le tableau de sa candide ignorance et de ses aspirations avides au milieu de la vie la plus humble exprime vivement certains côtés du mysticisme des classes inférieures ; on comprend toutefois que le point de départ est bien vite oublié et que l’image de la réalité ne tarde pas à se perdre dans maintes fantaisies individuelles. Celui que Goethe appelle un somnambule pouvait bien nous faire entrevoir les illuminations des âmes simples, il ne pouvait être le peintre complet du peuple.
Environ une vingtaine d’années après Stilling et Pestalozzi, un homme élevé dans les champs, accoutumé de bonne heure aux rudes leçons de la misère, et aussi étranger par nature aux influences littéraires qu’aux émotions de la politique, un poëte dont rien ne troublait la sérénité d’esprit et de cœur, Jean-Pierre Hebel, chanta dans de populaires idylles les mœurs agrestes au milieu desquelles s’était écoulée son enfance. Seulement, lorsque Hebel écrivit ses Poésies alémaniques, il avait quitté son village natal, il était loin des montagnes où il allait, pauvre mendiant, ramasser du bois avec sa mère ; il vivait dans une ville, occupé des doubles fonctions du sacerdoce et de l’enseignement. C’étaient des souvenirs qui l’inspiraient bien plus que l’impression directe de la réalité ; de là le charme idéal de ses poésies, charme irrésistible sans doute, mais qui n’est pas toujours conforme à la franchise de la pensée. Si Jean-Paul avait plus d’art, si son inspiration, plus soucieuse du vrai, ne s’envolait pas sans cesse dans le bleu et dans les nuées, s’il n’avait pas parlé une langue qui n’appartient qu’à lui, une langue mystérieuse et folle, au lieu de parler l’idiome du peuple, quel poëte eût plus tendrement consolé les humbles que l’auteur de Siebenkoes, le chantre du maître d’école de village ? Dans une période bien plus rapprochée de nous, Immermann a donné un modèle de poésie rustique lorsqu’il a écrit ce charmant épisode de son roman de Münchhausen, les amours d’Oswald et de Lisbeth.
Nous touchons ici à une phase toute nouvelle. Les vieux écrivains, Voss, Pestalozzi, Jung Stilling, Hebel, semblaient depuis longtemps oubliés des poëtes, lorsque le succès des fraîches peintures d’Immermann éveilla peu à peu les imaginations et révéla aux conteurs un domaine fertile. Dès lors, les tableaux rustiques se succédèrent sans relâche : M. Joseph Rank s’empara de la Bohême ; M. Berthold Auerbach s’établit dans la forêt Noire ; M. Léopold Kompert s’attacha aux paysans juifs, particulièrement aux juifs de l’Autriche, et les peignit en poëte. C’était le temps enfin où George Sand, leur maître à tous, s’éloignant enfin des régions malsaines, découvrait au sein de la nature de merveilleux trésors de poésie et de vérité.
Les vieux poëtes que je signalais tout à l’heure, il faut bien le reconnaître, ont négligé souvent les conditions de l’intérêt dramatique ; mais quelle vérité d’inspiration ! Au contraire, depuis cette renaissance de la littérature consacrée au peuple, c’est la sincérité qui fait défaut. Si de grandes commotions sociales n’agitaient pas l’Europe, aurait-on vu en Allemagne et en France tant de romans qui ont la prétention de peindre les classes inférieures ? Évidemment non. La secrète pensée qui domine ici, c’est le désir de flatter le peuple et non le souci de son éducation morale. Comparer la nouvelle école avec le groupe naïf où brillent Jung Stilling et Hebel, ce serait donc opposer l’une à l’autre et juger par leurs fruits l’inspiration révolutionnaire et l’inspiration chrétienne, celle-ci ne songeant qu’à éveiller l’orgueil, celle-là se proposant toujours la réhabilitation de l’homme par la pratique du devoir. On reviendra, nous n’en doutons pas, à ces candides interprètes d’un autre temps. Si brillantes que soient telles ou telles créations de l’école moderne, il faudra bien qu’on en découvre le fond, et lorsqu’on saura quelle sécheresse de cœur ou quelles vues insidieuses se dissimulent souvent sous les ruses d’un art incontestable, on appréciera mieux la pieuse simplicité de Hebel, la gravité convaincue de Voss, la douceur fortifiante de Jung Stilling et de Pestalozzi.
Jérémie Gotthelf se rattache à ces aimables et illustres maîtres, non pas certes, on va le voir, par les procédés du dessin (les hardiesses de Gotthelf n’appartiennent qu’à lui), mais par ce fonds de croyances qui domine, qui dirige toujours dans ses moindres écrits la verve extraordinaire de l’artiste. Ce qui m’attire surtout dans ses ouvrages, c’est précisément ce qui fait le mérite de l’ancienne école et ce qui manque trop à la nouvelle : c’est la sincérité, c’est l’amour désintéressé du pauvre peuple, l’étude patiente de ses bons et de ses mauvais instincts, le désir d’être utile, le désir ardent de remuer les cœurs et d’y faire lever les germes sacrés. Cette préoccupation est même bien plus ardente chez lui que chez Pestalozzi ou Hebel, car il est obligé de combattre des ennemis tout aussi redoutables. Il possède de plus un vif et audacieux sentiment de l’art, et c’est avec une sorte de gaieté vaillante, c’est avec l’allégresse d’un bon ouvrier qu’il se met au travail. Sans l’invasion de la démagogie hégélienne, il eût toujours été un écrivain ingénieux et habile ; il n’eût pas su peut-être ce que vaut le talent fécondé par une existence consacrée au bien. Si nous voulons apprécier la merveilleuse vigueur d’une telle inspiration, si nous voulons voir l’union si rare d’un libre cœur d’artiste et d’un chrétien dévoué, étudions les rustiques peintures de Jérémie Gotthelf.
II
Jérémie Gotthelf est un pseudonyme. L’écrivain qui se cache sous ce nom est un pasteur des environs de Berne, M. Albert Bitzius. La renommée de M. Bitzius s’est établie lentement, comme les renommées durables. Bien qu’il eût une vocation littéraire très-marquée, ce n’était pas la gloire d’écrivain qu’il poursuivait ; il était préoccupé avant tout de l’action d’un ministère utile, du bien qu’il pouvait faire autour de lui, des cœurs souffrants, des intelligences malades qu’il avait à consoler et à guérir. C’est ainsi que ce nom, appelé certainement à une place très-originale dans la poésie du dix-neuvième siècle, est demeuré longtemps inconnu hors des limites d’un canton de la Suisse. M. Bitzius est né à Morat le 4 octobre 1797. Son enfance s’écoula loin de la ville, en présence des spectacles grandioses de la nature et dans la saine atmosphère des travaux agrestes. À l’âge de seize ans, il alla étudier la théologie à Berne, puis en Allemagne, à l’université de Goettingue. Ce n’était pas la théologie seulement qui occupait cette vive intelligence : passionné pour la poésie, il s’initia pendant ces années d’études à toute la littérature allemande, y cherchant sans doute les inspirations familières, la grâce domestique et chrétienne, toutes ces richesses morales qu’il devait conserver avec amour pour les opposer plus tard aux inspirations toutes différentes d’une Allemagne en délire. Sept années après, il revenait comme vicaire dans ses campagnes natales, et pendant douze ans, de 1820 à 1832, il put connaître dans ses mœurs les plus intimes ce peuple auquel il avait résolu de consacrer sa vie.
On n’ignore pas combien cette existence ecclésiastique, l’existence du pasteur ou du curé de campagne, a souvent inspiré de poëtes et produit de physionomies originales. Une des meilleures parts de la poésie anglaise, un de ses plus gracieux domaines, c’est ce monde de recteurs et de vicaires où sourit à côté de l’excellent curé d’Auburn la figure malicieusement naïve du vicaire de Wakefield. Thompson, Penrose, William Cowper, se rattachent par bien des points à cette famille dont Goldsmith a tracé l’idéal. L’Allemagne est riche aussi en tableaux de ce genre ; qui ne connaît le vénérable pasteur de Grunau ? Hebel était pasteur comme le héros de Voss ; un écrivain plein de grâce, le digne traducteur de Lamartine, Gustave Schwab, dont l’Allemagne pleure encore la perte, associait avec amour les sévères fonctions du sacerdoce et les enchantements de la poésie. Un autre rêveur, animé aussi des sentiments les plus élevés, M. Albert Knapp, est aujourd’hui pasteur de campagne, et c’est dans cette pure atmosphère que s’épanouissent les chastes fleurs de son imagination chrétienne.
Malheureusement tout cela s’efface ; les modèles sont devenus plus rares, et, à supposer même que ces douces physionomies du vieux temps n’aient pas subi d’altération sensible, les poëtes leur ont manqué. Plusieurs même ont pris plaisir à flétrir ces pures images, à introduire dans ce monde candide les troubles et les violences de l’esprit moderne. Je sais tel tableau de M. Henri Heine qui est comme la contrepartie empoisonnée de la Louise de Voss, comme un outrage à toute cette poésie patriarcale dont le pasteur de Grunau est le symbole. L’homme qui a chanté la ruine de la vieille Allemagne, le railleur impitoyable qui a révélé à sa patrie, avec de funèbres éclats de rire, les misères qu’elle aurait voulu se cacher à elle-même, pouvait-il respecter le secret et solitaire domaine où s’était réfugiée une inspiration si pure ? Quand M. Henri Heine peint la maison du pasteur, il nous montre en traits d’une raillerie sinistre le plus désolant tableau : le père est mort, la veuve lit la Bible d’une voix maussade, et autour de cette froide figure bâillent et blasphèment les enfants désœuvrés.
« La pâle lune d’automne sort du milieu des nuages ; solitaire et paisible, à côté du cimetière, s’élève la maison du pasteur.
« La mère lit la Bible ; le fils a les yeux fixés sur la lampe ; à moitié engourdie de sommeil, la sœur aînée s’étend sur sa chaise ; la plus jeune dit :
« – Dieu ! comme on s’ennuie ici ! Il faut qu’on enterre quelqu’un pour que nous ayons quelque chose à voir.
« La mère répond, tout en lisant : – Tu te trompes, il n’est mort que quatre personnes depuis qu’on a enterré ton père, là, près de la porte du cimetière.
« La fille aînée bâille : – Je ne veux pas, dit-elle, mourir de faim chez vous : j’irai demain chez le comte ; il est amoureux et riche.
« Le fils pousse un éclat de rire : – Il y a, dit-il, trois chasseurs qui vont souvent boire à l’auberge ; ils savent faire de l’or et ils m’apprendront leur secret.
« La mère lui jette sa Bible à la tête, et le livre va frapper son maigre visage : Tu veux donc, damné, devenir un voleur de grand chemin ?
« Ils entendent frapper à la fenêtre et voient une main blanche qui leur fait des signes : c’est le père trépassé qui se tient là dehors dans sa noire robe de prédicateur. »
Quel est le sens des strophes du poëte ? Est-ce une plainte qui s’exhale de son cœur, plainte amère, irritée, comme celle du poëte anglais Crabbe, lorsqu’il cherche vainement autour de lui ce que Goldsmith a vu dans le presbytère d’Auburn ? Non, la secrète pensée de son œuvre, c’est le plaisir qu’il éprouve à mettre en fuite les pures créations de la poésie allemande, à disperser au loin ses plus gracieux fantômes. Il semble, en effet, qu’à ces cruelles paroles le souvenir de Louise et du pasteur de Grunau s’évanouisse sans laisser de traces, comme les trompeuses images que dissipe la clarté du jour.
Cette poésie et la réalité qui en est la source, si elles ont perdu au-delà du Rhin l’importance qu’elles avaient jadis, on les a retrouvées dans une partie de la Suisse. La philosophie hégélienne, qui a pénétré jusque dans le clergé protestant de l’Allemagne et qui sur plusieurs points, dit-on, a fait disparaître les anciennes mœurs, a toujours été repoussée par les pasteurs des cantons de Zurich et de Berne. La présence même de cette démagogie grossière, qui s’était jetée dans leurs campagnes, les avertissait du péril. C’est là que vivent encore ces familles que Voss a célébrées il y a soixante-dix ans, et si elles ne se meuvent pas dans ces régions idéales où le poëte les a rêvées, si le monde réel qui les entoure, par ses grossièretés et ses violences, ne rappelle pas le cadre consacré de l’idylle, elles n’en sont que mieux placées pour entretenir en elles un vaillant amour du devoir. M. Bitzius, qu’il soit permis de le dire, reproduit depuis longtemps une de ces physionomies excellentes ; avant de célébrer l’action du pasteur sur les rudes populations de la Suisse, avant de montrer la transformation des mœurs brutales par les conseils persévérants de l’homme de bien, il a été lui-même un de ces actifs ouvriers occupés à détruire à chaque heure du jour les mauvaises semences que chaque heure faisait lever.
On sait quel fut, dans les cantons de la Suisse, le contrecoup de 1830. Le principe aristocratique, rétabli en 1815, s’écroula presque partout. Un parti sérieusement libéral s’empara des affaires, et s’il eût été aussi fort, aussi persévérant qu’il était intelligent et honnête, il eût épargné bien des embarras à l’Europe et bien des misères à la Suisse. Avant que les chefs de ce sage mouvement de réformes abdiquassent devant la démagogie, il y eut quelques années d’un généreux enthousiasme. À cette aristocratie hautaine qui pesait depuis quinze ans sur le pays, à ces vieilles institutions condamnées par l’esprit du dix-neuvième siècle et si arrogamment restaurées, on avait hâte de faire succéder maintes innovations fécondes, maintes réformes exigées par la liberté et la justice. Un noble amour du progrès s’introduisait de tous côtés. L’enseignement populaire, les maisons de secours pour les pauvres, diverses œuvres de charité et d’amélioration sociale étaient l’objet des plus sympathiques études. M. Bitzius, dans sa petite commune, s’était associé ardemment à toutes ces réformes, à toutes ces espérances généreuses. Nommé en 1832 pasteur à Lützelflüh, il avait senti redoubler son zèle ; il n’y avait pas d’ouvrier plus modeste et plus laborieux dans ce travail de régénération qui occupait les intelligences d’élite. Les démagogues vinrent tout arrêter. Ce mouvement désintéressé fit bientôt place aux spéculations acharnées des factieux ; le désordre s’empressa de mettre à profit la confiance de l’esprit de réforme ; le mal étouffa les semences du bien. C’est alors que M. Bitzius comprit l’urgente nécessité de combattre par sa plume les influences pernicieuses qui devenaient chaque jour plus menaçantes.
Si toute la Suisse avait à souffrir de la violence des tribuns, le canton de Berne particulièrement était la proie de la démagogie germanique. Tandis que, sous le nom de jeune Allemagne, des écrivains plus prétentieux que redoutables organisaient à Mannheim et à Stuttgart, à Hambourg et à Berlin, une sorte d’insurrection littéraire, le même nom servait à désigner en Suisse le matérialisme le plus hideux. La jeune Allemagne, dont MM. Gutzkow et Théodore Mundt étaient les coryphées vers 1835, prêchait la réhabilitation de la chair avec ce précieux dilettantisme, avec ce mysticisme sensuel auquel les imaginations allemandes se laissent si aisément entraîner. La jeune Allemagne du canton de Berne, ramas d’aventuriers et de charlatans politiques, prêchait et pratiquait les mêmes doctrines sans le moindre mysticisme, on peut le croire, et avec une espèce d’emportement sauvage : c’était le cynisme le plus effronté, cynisme qui n’attendait plus que la jeune école hégélienne pour prendre des allures dogmatiques et pédantes. Ce progrès ne lui a pas manqué ; c’est vers 1839 environ que l’école hégélienne a fourni une certaine quantité de formules à la démagogie allemande du canton de Berne. On conçoit quel dégoût dut ressentir une âme candide et libérale en présence des ténébreuses milices acharnées à détruire l’ouvrage des gens de bien. Ce n’était plus seulement les généreuses espérances de 1830 que M. Bitzius voyait s’évanouir ; pasteur de campagne, dévoué de cœur et d’âme au peuple qu’il était chargé de conduire dans les voies de Dieu, il rencontrait à chaque pas son ennemi. Il résolut de lui disputer vaillamment le terrain. À la propagande du mal il sentit que c’était son devoir d’opposer le prosélytisme d’un enseignement chrétien, d’un enseignement sévère et joyeux, énergique et familier, sous les formes les plus vives et les plus accessibles au peuple. Pourquoi ne peindrait-il pas la vie du peuple lui-même ? pourquoi ne le forcerait-il pas à réfléchir en lui racontant sa propre histoire ? Quel plus beau sujet que celui-là pour un observateur inspiré, pour un artiste que de nobles passions enflamment ? M. Bitzius avait trouvé sa vocation : son premier ouvrage parut en 1836.
Cet ouvrage, intitulé le Miroir des Paysans ou l’Histoire de Jérémie Gotthelf, est la biographie d’un pauvre villageois du canton de Berne. Issu d’une famille de paysans où l’aisance ne manquait pas, Jérémie Gotthelf est cependant, dès ses plus jeunes années, soumis aux rudes épreuves de la misère. La cupidité, l’égoïsme, la mauvaise conduite, les jalousies et les désordres intérieurs ont peu à peu ruiné et dispersé cette malheureuse famille. À huit ans, le petit Jérémie, à peine sevré des caresses de sa grand’mère, est inscrit parmi les mendiants de la commune. Ce qu’il devient alors, l’éducation qu’il reçoit, les exemples dont il est entouré dans les différentes conditions où le sort le place, sa vie de bohémien, son vagabondage de ferme en ferme, tout cela compose le tableau le plus triste. Ce n’est pas seulement la vie d’un mendiant que l’auteur a voulu retracer, c’est une société tout entière. Il ne ménage pas les gens des villes, il n’a pas l’intention de dissimuler en rien la dureté des riches, les abus et les injustices du monde ; la méchanceté humaine, partout où il la rencontre, est flétrie en traits vifs et brûlants. Il est vrai que la scène, dans la première moitié du roman, est placée avant 1830, avant cette ardente époque où tous les cœurs semblèrent transfigurés par des espérances si belles. Dévoué à ses paysans, l’auteur sait bien que les plus coupables parmi eux ne sont pas toujours seuls responsables de leurs fautes ; ne craignez rien pourtant ; ce ne serait pas lui qui forgerait des excuses menteuses ; une impétueuse sincérité l’anime : il n’oublie pas de châtier le vice, il n’oublie pas de montrer à ses vagabonds irrités que la cause principale de leurs maux, que leur plus terrible ennemi est au fond de leur conscience. Ce mélange de sévérité et de tendresse indique tout d’abord la profonde, la paternelle inspiration de M. Bitzius telle que nous la retrouverons sans cesse dans ses écrits.
C’est un touchant épisode que l’amour de Jérémie et d’Anneli au milieu des sombres images de cette histoire. Cet enfant qui n’a eu que l’enseignement du mal, ce valet méprisé chez qui des maîtres exigeants et cupides n’ont éveillé que des instincts coupables, ce malheureux à qui l’on n’a jamais parlé de Dieu et du soulagement que l’âme éprouve à prier, il y a des instants où il ressent au fond du cœur une désolation infinie. Il est seul sur la terre ; seul il vivra, sans qu’une main amie presse sa main, sans qu’une parole affectueuse lui réjouisse le cœur ; le vague souvenir de son enfance passée dans la maison paternelle redouble sa cuisante douleur et lui fait comme sentir d’avance les affres de la mort. Une nuit, la maison de son père devient la proie des flammes ; le peu qu’il possédait lui-même a péri avec le reste ; assis à l’écart sur des décombres, la tête dans sa main, il demeurait plongé dans une sorte de songerie stupide, lorsqu’une main se pose doucement sur son épaule. C’est Anneli, la servante d’une ferme voisine, une brave et honnête fille à qui Jérémie, quoiqu’il fût souvent touché de sa physionomie bienveillante, n’avait jamais osé adresser une seule parole. Aussi abandonnée que lui, on dirait qu’elle a senti d’instinct la détresse de son compagnon, et, poussée par un sentiment dont elle ne s’est pas rendu compte, elle a profité du désordre de l’incendie pour venir à son aide ; elle a cherché parmi ses misérables hardes ce qui pouvait convenir à Jérémie, et elle lui apporte un mouchoir de soie. Ainsi commencent les amours de Jérémie et d’Anneli, amours naïves, tendresse charmante et pure ; car pour la première fois le pauvre Jérémie a senti le bonheur de ne pas être seul au milieu du monde, et ce sentiment a rempli son âme d’une piété qu’il ne soupçonnait pas.
Malheureusement, le rude compagnon a bien souvent de violents accès de colère. Anneli seule peut le calmer ; mais s’il a bu plus qu’il ne devait, si quelque parole sonne mal à ses oreilles, si le vin et la fureur l’enivrent, qui domptera cette nature sauvage ? C’est dans un de ces moments terribles qu’il a perdu le respect de son amour. Anneli va devenir mère, et Jérémie veut l’épouser. Mille obstacles inattendus et vraiment odieux s’y opposent : l’autorité refuse de marier le vagabond avant qu’il ait payé ce qu’il doit à la commune pour son entretien et son éducation depuis l’âge de huit ans ; le pasteur est un égoïste, le maître chez qui il sert est un despote brutal. Bientôt Anneli accouche et meurt ; le médecin n’a pas voulu l’assister, dans la crainte de n’être pas payé de sa peine. Jérémie n’a affaire qu’aux plus lâches et aux plus abominables gens de la création. Alors un insatiable désir de vengeance s’empare de lui et lui suggère maintes pensées criminelles ; il déclare la guerre à la société, il lui lance des malédictions horribles, il semble tout prêt à se jeter sur le premier venu comme un chien enragé. La nuit, il se lève, il rôde sous les fenêtres des maisons solitaires, il veut porter le déshonneur dans les familles afin de venger Anneli ; mais toujours une force mystérieuse le pousse vers la tombe d’Anneli, où il va s’agenouiller et éclater en sanglots.
Arrêté pour ses violences, il s’échappe, passe en France et s’enrôle dans les régiments suisses de Charles X. Là, son éducation morale est continuée par un vieux soldat de l’empereur, par un de ces héros inconnus qui ont parcouru l’Europe au pas de charge ; Anneli a purifié son cœur, son intelligence sera ouverte par ce vétéran de la grande armée. La révolution de 1830 éclate ; si Jérémie se bat pour obéir à son devoir, ses sympathies sont de l’autre côté, et, quand le combat est fini, il retourne en Suisse avec un trésor d’enthousiasme et d’espérances. Qu’y fera-t-il ? Il veut être maître d’école, il veut travailler à éclairer les pauvres gens, il veut épargner aux orphelins et aux mendiants la dure initiation qu’il a été obligé de subir ; il prend part, en un mot, dans son humble sphère, à ce travail d’idées qu’amena la victoire de juillet et qui fut le point de départ de M. Bitzius. En attendant qu’il puisse les servir d’une autre manière, Jérémie Gotthelf écrira sa vie pour les paysans et la leur présentera comme un miroir où ils n’auront pas de peine à se reconnaître avec leurs qualités et leurs vices.
Il y a de magnifiques peintures et des beautés du premier ordre dans le Miroir des Paysans ; il est évident néanmoins que l’auteur de ce livre n’est pas encore le maître de lui-même. Ni le fond ni la forme n’attestent une pensée qui se possède complètement : l’inspiration manque de netteté, et l’art est plein d’inexpérience. Que M. Bitzius soit dévoué à ses paysans, qu’il sente pour eux de paternelles entrailles, on le voit assez, et c’est là ce qui fait la vie de ces fortes scènes ; cela suffit-il pourtant ? La leçon du récit n’est pas toujours claire ; on se demande souvent avec embarras quelle a été l’intention précise de l’auteur. Si sévère qu’il soit avec ses paysans, M. Bitzius semble disposé parfois à excuser certaines violences qui le trouveraient moins indulgent aujourd’hui. Tantôt, dans la peinture des défauts populaires, il est âpre jusqu’à la dureté ; tantôt on dirait qu’il s’associe aux violences de ses héros et qu’il partage quelques-unes de leurs passions. Je n’ai pas besoin de savoir que ce livre a été écrit en 1836, chaque scène en porte la date. L’auteur, je le comprends bien, chercher à décréditer les démagogues d’Allemagne en montrant pour le pauvre peuple des campagnes plus de sympathies qu’ils n’en auront jamais ; or, c’est cette lutte précisément, c’est cette émulation de sentiments populaires qui cause le manque de netteté que je signale. M. Bitzius, à l’heure qu’il est, n’est pas moins dévoué aux classes inférieures ; il l’est, ce me semble, d’une manière différente ; son inspiration est plus franche, plus décidée, et, par une conséquence toute naturelle, il y a bien autrement d’unité et de vigueur dans ses peintures. Tel qu’il est toutefois, ce livre annonçait une nature énergique, une imagination puissante, une rare faculté d’observateur et de peintre, surtout une âme profonde et pleine d’affectueuses richesses.
Le Miroir des Paysans a été lu avec enthousiasme. Les reproches que la critique doit adresser à l’ouvrage ne lui faisaient aucun tort auprès des lecteurs populaires. Telle parole pouvait mal sonner aux oreilles du paysan irritable et lui faire monter le sang aux yeux ; un instant après, le paysan était attendri. Une page corrigeait l’autre ; la bienveillance faisait passer la rudesse. « Quand ce livre fut imprimé, – dit M. Bitzius à ses lecteurs dans la préface d’une seconde édition, – mes amis avaient grand’peur pour moi : on croyait pour le moins que vous alliez me casser la tête ; mais non, je vais et me promène au milieu de vous, toujours le bienvenu, toujours bien traité, et l’image d’Anneli m’accompagne. » M. Bitzius s’était donc emparé de son auditoire, il avait éprouvé ses forces, et il savait ce qu’il pouvait tenter à l’avenir. Il ne renoncera pas désormais à l’âpreté de ses premières peintures, mais il y ajoutera maintes qualités nouvelles. La joie qu’on éprouve à remplir une tâche bienfaisante s’épanouira dans ses écrits avec une éclatante franchise. Il se créera un langage à lui, sain, vigoureux, robuste, et, même aux endroits les plus graves, animé toujours d’une verve cordiale et joyeuse. Vigueur et gaieté, tels seront les traits distincts de sa physionomie, et c’est par là qu’il gagnera tous les cœurs. Il a écrit la vie de Jérémie Gotthelf ; il a essayé dans ce livre jusqu’où pouvait aller l’audace avec ce public inculte qu’il veut châtier et peindre. L’audace a réussi ; il gardera ce nom de Jérémie Gotthelf et n’en aura plus d’autre. Ce sera Jérémie Gotthelf qui sera le romancier de la Suisse allemande, et qui adressera à ses frères des réprimandes patriarcales ou de bonnes paroles d’encouragement.
Avant de représenter les mœurs rustiques de l’Oberland, avant de devenir le conteur et le poëte populaire de son pays, Jérémie Gotthelf a voulu encore se préparer à sa tâche en rajeunissant avec un art très-habile et une intention très-élevée de vieilles légendes nationales. Les six volumes de Scènes et Traditions de la Suisse, publiées de 1842 à 1846, forment un ensemble plein d’intérêt où toutes les qualités de l’auteur se déploient d’une façon harmonieuse. Jérémie Gotthelf demande aux poésies populaires des inspirations et des conseils ; il apprend du peuple même l’art d’exprimer ses sentiments et de reproduire ses mœurs ; il montre par là quel vrai sentiment il a de la poésie, et cette poésie, il annonce en même temps qu’il veut toujours la consacrer à un but pratique, qu’il entend lui donner une mission toute chrétienne, la mission d’adoucir les mœurs, de consoler ceux qui souffrent, d’entretenir les braves gens dans la saine gaieté d’une conscience droite. Ces légendes, en effet, il les transforme par son inspiration propre ; il en dégage avec habileté le sens secret qu’elles contiennent ; sous cette enveloppe, précieuse sans doute, mais bien souvent informe, il aperçoit des trésors et il prend plaisir à les mettre en lumière. On peut lui reprocher çà et là de ne pas encore dessiner ses figures avec précision et netteté, de se laisser aller à de trop longs développements où la pensée principale semble se perdre. Le paysan est bavard, il attache du prix aux moindres détails, les plus petits évènements doivent avoir place dans son récit ; ce trait de caractère est finement reproduit par Jérémie Gotthelf ; il oublie seulement que la langue du paysan, même dans ses tours et détours, est vive et arrêtée, que ses métaphores hardies, empruntées directement au spectacle des choses réelles, dessinent vigoureusement la pensée et empêchent la confusion. C’est une étude à poursuivre ; Gotthelf sera bientôt maître dans cet art si difficile de faire parler les gens de la campagne sans altérer ni la vérité ni les conditions de la poésie.
Parmi les traditions légendaires mises en œuvre par Gotthelf, je recommanderai les plus courtes, l’Épine noire, le Chevalier de Brandis, le petit Oiseau jaune et la pauvre Marguerite, tableaux bien composés où l’antique parfum de la légende s’associe gracieusement à cette franche odeur de réalité qu’exhale chez le romancier suisse la peinture de la vie moderne. Quant aux scènes plus récentes, elles font déjà pressentir en certaines parties ce que l’auteur accomplira un jour. Dans ce joli roman, la Réconciliation, qui ne contient pas moins de trois volumes des Scènes et Traditions, Gotthelf montre déjà avec quelle finesse il observe les sentiments de l’humanité et comme il excelle à les peindre. La théologie chrétienne est admirable pour faire pénétrer profondément dans les mystères du cœur, pour découvrir à des yeux attentifs les replis les plus ténébreux de la conscience ; on a été surpris de trouver chez les solitaires, au fond des thébaïdes les plus reculées, cette prodigieuse science de l’homme. Le chrétien, le pasteur dévoué à son petit troupeau, initié à maints secrets de famille, obligé de veiller sans cesse et sur lui-même et sur les autres, ne pourra-t-il gagner rapidement dans une telle étude des trésors d’expérience ? Quelles ressources, s’il veut peindre l’homme en de dramatiques tableaux ! Comme cette sagesse pratique donnera un intérêt, une vie, une saveur merveilleuse aux créations de son art ! La Réconciliation n’est pas un chef-d’œuvre, toutes les parties n’en sont pas également heureuses ; mais les aventures du paysan Christen et de sa femme Ameli, ce ménage si longtemps joyeux et attristé maintenant par la discorde, l’entêtement de la femme, puis les combats qui s’élèvent dans son cœur, ses regrets, ses pleurs, son retour enfin, toute cette naïve histoire, bien que renfermée dans la sphère la plus humble, remplit l’âme d’une pénétrante émotion, tant la vérité est poignante, tant cette franche imagination est échauffée par une science venue du cœur !
Soutenu par l’étude de la vieille poésie populaire de la Suisse, enrichi surtout de tant de profondes observations morales, Jérémie Gotthelf n’a plus qu’à regarder autour de lui. Ces paysans grossiers que le vice et la démagogie lui disputent, il peut les peindre hardiment sur sa toile rustique, sans crainte de manquer aux conditions de l’art. Il a dessiné avec rudesse certaines figures dans son Miroir des Paysans ; qu’il les reprenne aujourd’hui en détail, qu’il leur consacre une étude particulière : il a le droit de les faire poser devant lui, tout ce monde-là lui appartient.
Tantôt il dira l’existence du maître d’école dans un de ces pauvres villages que bouleverse l’esprit de désordre, tantôt il suivra de ville en ville le compagnon du tour de Suisse, et ses vifs tableaux nous reproduiront admirablement toutes les violences et toutes les billevesées de la démagogie helvétique. Quelle franche et dramatique peinture que ce tour de Suisse du compagnon Jacob ! Quel portrait de cette niaiserie débonnaire qui devient si aisément la proie des charlatans et des coquins ! Et plus tard, lorsque le pauvre Jacob, régénéré peu à peu par des souffrances trop méritées, retrouve au fond de son cœur les premières impressions de son enfance, quelle joie chrétienne et naïvement épanouie ! « Le capitaine qui aborde au port avec sa cargaison saine et sauve rend grâce à Dieu s’il a dans l’âme le moindre sentiment de piété ; mais l’ouvrier qui revient du tour de Suisse avec un trésor d’expérience, avec son métier dans sa main et son Dieu dans son cœur, combien plus précieuse est la cargaison qu’il rapporte ! Et comme il a raison, en se rappelant les bancs de sable et les récifs, les tempêtes et les pirates, d’entonner le cantique de délivrance à la gloire de Celui qui nous a tous sauvés ! » Tel est Jacob quand il revient au village où l’attend sa grand’mère ; et vraiment, après tant de hardies peintures du vice, après tant de laides images de la violence et de la sottise humaine, après tant de scènes grotesques et hideuses où le malheureux a joué son rôle, il y a plaisir à le voir et à l’entendre lorsqu’il associe toutes les harmonies d’une matinée de printemps à l’allégresse qui remplit son âme. « On marche si volontiers le matin ! Jacob s’avançait, léger et dispos ; son cœur, dilaté par la joie, la vraie joie, semblait vouloir embrasser la nature entière. Il aimait les petits oiseaux qui chantaient si bien, il aimait les haies en fleurs, les prairies verdoyantes ; il aimait tous ceux qu’il croisait sur sa route et qu’il saluait cordialement ; il eût voulu leur serrer à tous la main, en disant : N’est-ce pas, que Dieu est bon 1 ? »
Ce retour au devoir et au bonheur après les entraînements du mal est le sujet préféré de Jérémie Gotthelf. J’y vois l’expressive image du rôle qu’il s’est donné, l’image d’un apôtre populaire au milieu de l’anarchie morale de notre âge. Affublés du costume de la démocratie, et déclamant maintes formules prétendues philosophiques, les sept péchés capitaux ont bien des ressources nouvelles pour séduire les âmes simples ; le vaillant pasteur les démasque et leur dispute leur proie. Pour sauver les malheureuses victimes, il les suivra hardiment dans la fange. Hier, c’était le niais et violent Jacob endoctriné par l’athéisme ; aujourd’hui, c’est un personnage plus endurci encore, c’est Dursli l’ivrogne, Dursli le buveur d’eau-de-vie. Pourquoi M. Bitzius redouterait-il de tels sujets ? Sa mission de moraliste les lui impose ; il poursuit toujours son but et n’écrit pas une ligne qui ne doive porter ses fruits. Et puis, si brutal que soit l’objet de sa peinture, il sait qu’il peut tout relever par son vif sentiment d’artiste ; il empruntera, par exemple, aux légendes de la vieille Helvétie une tradition mystérieuse, et de ce tableau destiné à peindre et à châtier l’ivrogne il fera une œuvre d’une poésie étrange, quelque chose comme une vision de Jean-Paul. Dans les sombres siècles du moyen âge, les sept frères seigneurs de Bürglen, ivres d’une chasse effrénée pendant la nuit de Noël, ont égorgé à plaisir des femmes et des enfants. Un moine, témoin du crime, les a condamnés à sortir de leurs tombeaux tous les ans à pareille heure pour recommencer leur chasse infernale. Si dans l’espace de dix siècles ils ramènent au bien dix hommes perdus de vices, s’ils les rendent à leurs femmes et à leurs enfants en expiation du meurtre, ils retrouveront le repos et pourront se rendormir au fond de leur tombe. Chaque année, les sept chasseurs sauvages sortent de leur lit funéraire, et, emportés par leurs chevaux au milieu des féroces aboiements des chiens, ils battent en tous sens la forêt de Bürglen. Déjà ces terribles porteurs des avertissements de Dieu ont converti huit pécheurs endurcis ; l’ivrogne Dursli sera le neuvième. Cette légende des chasseurs sauvages, interprétée avec un sentiment profond, a fourni au romancier du peuple les plus neuves et les plus dramatiques beautés.
Remarquez bien que Jérémie Gotthelf ne ménage personne ; c’est la nature même qui parle et se meut dans ses tableaux avec ses variétés et ses contrastes. On ne peut rien imaginer qui ressemble moins aux fadeurs de l’idylle. Cette douceur, cette tranquillité idéale à laquelle toute âme poétique aspire, ce morceau de ciel bleu qu’il aime à faire resplendir dans ses tableaux, il ne les demandera pas aux procédés de la pastorale ; l’inspiration chrétienne lui suffit pour éclairer sa toile. Bien sûr de tout purifier à l’aide de cette lumière divine, il n’est pas de sujet qu’il puisse redouter ; il permettra même à l’inspiration satirique de prendre joyeusement ses ébats, et lui laissera maintes fois la bride sur le cou. Il y aurait bien des remarques à faire sur chacun de ces récits ; mais dans sa fertilité infatigable cette rare imagination a déjà peuplé la Suisse d’une foule de créations vivantes : je me borne à détacher entre toutes celles qui l’ont rendu populaire. Si l’auteur du Miroir des paysans a toujours été en progrès sur lui-même, il y a eu pourtant une heure où toutes ces qualités fraîches et vigoureuses, où toutes ces pures inspirations chrétiennes se sont rassemblées sur une figure choisie. Ces différents types qu’il vient de retracer avec vigueur, l’ivrogne Dursli, Jacques le compagnon, le maître d’école de village, sont assurément des physionomies marquées du sceau de la réalité, des êtres dont le cœur bat comme le nôtre, et voilà bien le signe auquel on reconnaît les maîtres ; il y a pourtant tels reproches que l’auteur repousserait difficilement : la réalité est souvent trop crue, certaines scènes sont trop exactes, certains détails trop minutieusement accumulés. Ces reproches, il saura les éviter bientôt, ou du moins il introduira de plus en plus au milieu de ses fougueuses ébauches, au milieu de ces peintures trop luxuriantes, cette lumière sainte qui les transforme : naïf contraste que n’a pas cherché l’auteur, et d’où résulte, nous le verrons tout à l’heure, la dramatique originalité de ses écrits ! Allons donc tout droit aux œuvres qui ont consacré son nom et l’ont porté au-delà des frontières de la Suisse. L’enfant le mieux venu de la nombreuse famille de M. Gotthelf, l’enfant privilégié qui a gagné sans réserve le cœur du peuple suisse, et qui est en même temps la plus vraie, la plus générale, la plus humaine des créations du peintre, c’est Uli le valet de ferme.
IV
Uli est valet de ferme : pauvre, sans parents et sans guides, il remplit sa tâche, parce qu’il faut gagner sa vie ; mais aucune bonne pensée ne le soutient, aucune ambition légitime ne lui fait entrevoir des destinées meilleures. Une journée suit l’autre sans qu’il prenne intérêt à son devoir, sans que sa conscience s’éveille et qu’une lueur morale vienne dissiper ses ténèbres. À quoi peut-il s’attacher ? Sera-t-il jamais autre chose qu’un misérable valet, condamné à travailler pour un maître ? En proie à ce morne désespoir, Uli demandera aux joies des sens des consolations brutales. Le peu qu’il gagne, il ira le dépenser au cabaret, ou bien il s’enivrera aux coupes empoisonnées de la débauche. Tel est le malheureux Uli, violent, libertin, ennuyé, à charge aux autres et à lui-même, plus malheureux mille fois par les désordres de sa conduite que par la condition où le sort l’a placé. Aussi loin que peut remonter sa mémoire, Uli ne se souviendrait pas d’avoir jamais pensé à Dieu. Au milieu de cette stupide ignorance, voyez comme il est triste ! Les plaisirs grossiers ne réussissent pas à l’étourdir complétement ; il faut qu’il y ait dans cette âme abandonnée un vague sentiment du bien, une confuse aspiration vers une existence mieux réglée. Ah ! si quelque influence salutaire pouvait faire germer la semence qui s’ignore, peut-être que tout changerait bien vite ! Ce sera le maître d’Uli qui remplira ce bienfaisant office. Le maître d’Uli, Jean, est un paysan laborieux, un cœur droit, une nature grave et douce ; il a l’expérience des hommes, et la pratique des devoirs chrétiens a initié cette âme naïve aux secrets les plus élevés de la morale. Ce n’est, croyez-le bien, ni un prédicateur, ni un savant ; sa science, il la doit aux enseignements du travail, aux réflexions que chaque jour apporte, aux bonnes paroles qu’a prononcées le pasteur, et qui ont fructifié dans son esprit.
L’éducation d’Uli par le paysan est un tableau plein de vérité et de charme ; lorsque le maître appelle auprès de lui le malheureux valet, lorsqu’il lui exprime avec une gravité familière le sens sérieux de la vie, qu’il lui ouvre les yeux sur lui-même, qu’il l’amène peu à peu à des doutes, à des réflexions vagues, signes précurseurs du repentir, il y a là tout ensemble une franchise rustique et une dignité patriarcale merveilleusement exprimées. La scène se passe pendant une fraîche soirée de la fin de l’hiver, à la porte de l’étable, où une vache en travail est couchée sur son lit de fourrage et mugit par instants d’une façon plaintive. Assis sur un banc et fumant leurs pipes, le paysan et son valet discutent. Le valet est bourru, violent, soupçonneux ; le maître est bon et dévoué. Avec ce sang-froid imperturbable que les diplomates, dit l’auteur, admirent chez les gens de la campagne, il ne s’inquiète pas de la mauvaise humeur d’Uli et continue son sermon. À chaque mauvaise réponse, il oppose une vérité simple, à chaque objection hargneuse une parole consolante. Cependant la vache, prête à mettre bas, s’agite sur la paille de l’étable ; il faut aller de temps en temps auprès de la pauvre bête et l’assister dans son travail. Ce mélange de soins rustiques et de moralités sérieuses produit une impression singulièrement vraie ; ce ne sont pas là des leçons apprises dans les livres ; la morale, dans de telles scènes, est comme une plante vigoureuse née de la rosée et du soleil, le langage du maître emprunte à la réalité qui l’entoure une force inattendue ; on y sent la sève circuler, on sent que c’est bien le résultat et l’expression de la vie.
L’éducation d’Uli ne sera pas terminée en un jour ; il faut que l’idée du bien, éveillée dans son cœur, s’y développe peu à peu. Son maître lui a expliqué naïvement la nécessité et la salutaire influence des rudes labeurs, il lui a fait entrevoir le jour où le travail, l’économie, la bonne conduite, lui assureront une existence indépendante ; dès lors Uli a pris goût à la vie, il s’est attaché à son devoir, une transformation profonde s’est opérée dans son âme. Tout n’est pas fini cependant. Dépourvu d’expérience et prompt au découragement, il a besoin que son guide le surveille sans cesse. Maintes scènes originales et charmantes fourniront au maître l’occasion de compléter son œuvre. À peine entré dans la voie du bien, Uli est impatient de recevoir sa récompense ; il veut se marier, il aspire à devenir maître, et telle est sa candeur, qu’il serait la dupe de la première fille venue, si le bon guide n’était là, attentif à tout ce qui se passe et dévoué à son cher Uli. Déjà Uli s’est acquis une petite somme d’argent ; il mérite d’en gagner davantage, car il est actif, intelligent, dévoué, et dans toutes les vallées d’alentour on le cite comme un modèle. Jamais la maison du maître n’a été si bien tenue, jamais les chevaux n’ont été si propres, les vaches si bien soignées, les blés si abondants et si beaux. Jean voudrait augmenter le salaire d’Uli, mais il l’a déjà fait autant que le lui permet sa fortune : quel parti prendre ? Il trouvera une condition meilleure pour lui ; il le placera comme premier garçon de ferme dans le domaine de son cousin Joggeli. Rien de plus touchant que les adieux d’Uli à son maître, à la famille, à la chère maison où il a goûté pour la première fois les franches et saines jouissances du travail, les ineffables douceurs d’une conscience satisfaite.
La seconde moitié du roman, la plus importante et la plus belle, nous montre Uli chez son nouveau maître. Celui-là ne ressemble guère au premier : paresseux et plein d’orgueil, il ne surveille rien, et veut cependant avoir l’air de diriger tout. Uli arrive à temps ; que de changements sont nécessaires dans ce domaine si mal conduit ! Dès le premier jour, Uli a vu tout ce qu’il y avait à réformer ; il prend au sérieux sa tâche de premier garçon de ferme, il oblige garçons et servantes à se lever plus matin, il veut que l’étable soit plus propre et les bêtes mieux tenues ; il parcourt le domaine et trouve à chaque pas des améliorations à faire ou des abus à détruire : c’est toute une révolution. Ne vous étonnez pas qu’Uli ait de terribles luttes à soutenir contre ce peuple de valets fainéants. Uli est brave autant qu’honnête ; il a des poings vigoureux au service d’une conscience droite ; il saura bien maintenir son autorité malgré l’incurie et la mauvaise humeur de Joggeli. Celui-ci est tout humilié, en effet, de la supériorité de son serviteur. « Est-ce lui qui commande ? ne suis-je rien chez moi ? » s’écrie-t-il sans cesse, et, s’il n’ose donner tort à Uli, il soutient pourtant en secret les valets révoltés. Uli ne leur donne pas seulement l’exemple d’une vie laborieuse et dévouée aux intérêts du maître ; il est pieux et respecte les lois du Seigneur. Il se souvient du temps où il allait au cabaret chaque dimanche : qu’il était malheureux alors ! comme tout lui était à charge ! comme le monde entier était triste ! et quelle honte il éprouve, quand il pense à cette période si mal employée de sa jeunesse ! Maintenant il ne passerait pas un dimanche sans aller entendre les instructions du pasteur ; revenu à la ferme, il lit la Bible, il pense à tous les bienfaits dont la bonté divine l’a comblé, il l’en remercie d’un cœur joyeux et s’encourage ainsi lui-même à la pratique du bien. De telles habitudes sont toutes nouvelles, comme on pense, à la ferme de Joggeli. Maître ou valets, personne ne va au temple et ne connaît seulement le visage du pasteur. Uli sera en butte aux plaisanteries les plus grossières, mais il a réponse à tout. Ces scènes d’intérieur sont décrites par M. Gotthelf avec un admirable sentiment de la réalité. Tout cela est vivant, tout ce monde de la ferme, palefreniers, charretiers, vachers, est reproduit en traits qui ne s’oublient pas. Si le peintre semble quelquefois se perdre en de menus détails, l’intérêt cependant ne languit jamais ; des incidents variés viennent sans cesse agrandir le tableau et compléter la peinture des mœurs rustiques en même temps que l’éducation morale d’Uli.
Au milieu de cette lutte de tous les instants, que de fois le pauvre Uli regrette son premier maître ! Il a tort ; il saura plus tard que Dieu a ses desseins cachés, et qu’il faut suivre docilement, à travers les épines et les ronces, la voie qu’il nous indique. D’abord, son éducation ne serait pas complète s’il n’avait pas à lutter ; la pratique du bien lui était trop facile sous son bon maître Jean ; il n’est pas mal que, pour s’affermir dans la droite route, il ait affaire à un patron orgueilleux et défiant, à des valets sans conscience, à des obstacles de toutes les heures. Et puis, qui sait l’avenir ? C’est peut-être là que sa récompense l’attend. Parmi les servantes de la maison, il y a une jeune fille dont la beauté et le chaste maintien l’ont frappé : c’est Frèneli. Une sorte de noblesse naturelle brille dans toute sa personne. À voir ses allures décentes, sa bonne grâce si modeste, on comprend que la dignité ne tient pas au genre de travail, mais au caractère. Frèneli occupe une position à part dans la famille ; née en dehors du mariage, elle ne connaît ni son père ni sa mère ; la femme de Joggeli en sait plus long sans doute, car elle appelle Frèneli sa petite cousine, et elle veille sur elle avec une sollicitude où la charité n’entre pas toute seule. Frèneli cependant n’est pas autre chose qu’une humble servante ; sans parents et sans nom, elle ressent parfois une tristesse amère qu’elle ne surmonte qu’à force de courage. Cette belle jeune fille, Uli l’aime bientôt sans se l’avouer à lui-même ; son cœur lui rit dans le corps chaque fois qu’il la rencontre ; il est heureux de voir sa physionomie douce, sa gravité prévenante, son chaste et bienveillant sourire. Frèneli, de son côté, malgré la réserve de ses allures, semble veiller sur Uli ; elle est son amie inconnue et discrète au milieu des inimitiés qui le menacent. Si un complot est formé contre Uli, Frèneli sait tout, elle a tout vu, et les mauvais desseins seront déjoués. Il y a je ne sais quelle délicatesse charmante dans ces naissantes amours, délicatesse qui n’a rien de faux, rien de factice, et qui s’associe parfaitement à la naïve rudesse des mœurs populaires. Auprès des grossières figures du palefrenier et du charretier, à côté de la physionomie soupçonneuse de Joggeli, ce tableau d’Uli et de Frèneli, attirés si discrètement et si délicatement l’un vers l’autre, est rempli d’une grâce qui parfume tout le livre.
Uli cependant a encore plus d’une épreuve à traverser, plus d’un enseignement à recevoir. Il est toujours trop pressé, le brave Uli, d’obtenir la récompense qu’il a méritée. C’est là un excellent trait et d’une vérité singulière. On quitte la route du vice, on revient à la pratique du devoir, et, comme si le devoir n’était pas son propre but à lui-même, comme si ce n’était pas déjà une récompense assez précieuse que la joie de la conscience, on aspire à une récompense matérielle, on est impatient d’en jouir. Cette impatience pourrait bien-être funeste à l’imprudent Uli. Déjà, chez son premier maître, attiré par l’espoir d’une dot et le désir d’être fermier, il avait failli être dupe ; la tentation va être bien plus forte cette fois, et il n’y échappera que par miracle. La fille de Joggeli, Élise, cherche un mari depuis longtemps. Quel fermier voudrait d’une telle femme dans toutes les contrées d’alentour ? Passe encore la laideur, mais elle est paresseuse, désagréable, hautaine ; elle a des prétentions inouïes, elle veut faire la dame, grasseyer le français, s’habiller à la dernière mode, et Dieu sait comme tout cela lui réussit ! C’est une vraie caricature que cette sotte fille. On sent dans cet excellent tableau l’honnête vengeance du pasteur ; on voit avec quelle joie il livre à un ridicule impitoyable ces prétentions qui amènent la fainéantise et encouragent le dédain des vieilles mœurs. L’auteur s’est abandonné ici à toute sa verve ; le portrait d’Élise est dessiné avec une gaieté humoristique et une vérité parfaite.
Comment se fait-il que le brave Uli se laisse prendre aux cajoleries de cette laide créature ? Personne mieux que lui n’apprécie le travail et les vertus honnêtes. Frèneli, il le sent bien au fond de son cœur, serait pour lui l’idéal d’une femme aimée, d’une femme bonne, gracieuse, alerte, souriant pour ainsi dire aux plus rudes labeurs et répandant une franche gaieté autour d’elle ; mais épouser la fille du maître, être sûr de devenir maître un jour, hériter de ce beau domaine qu’il cultive avec tant de soin, ces brillantes espérances lui ont tourné la tête. Frèneli a tout vu, elle a tout deviné ; elle sait les prévenances effrontées de cette laide Élise et la faiblesse d’Uli ; elle a l’air pourtant de n’en rien savoir ; elle en souffre, mais elle se tait. Elle avait cru à l’affection d’Uli, son rêve se dissipe, son bonheur s’évanouit en fumée ; elle renferme sa douleur en elle-même, et rien n’altérera la dignité instinctive de son âme. Heureusement pour Uli, Élise décide sa mère à aller passer quelques jours aux bains de Gurnigel, dans une vallée voisine. C’est une occasion pour elle d’étaler ses robes et de déployer ses belles manières. La caricature devient ici plus amusante encore : les niaises coquetteries d’Élise, les compliments ironiques des messieurs de la ville et ses grotesques réponses, tout cela compose le plus piquant tableau de genre. Il faut l’entendre lorsqu’elle tend ses gluaux pour attraper les galants ; elle est riche, elle aura telle somme de son père, et ceci, et cela, et cela encore ; bien heureux qui héritera avec elle ! On la fait bavarder, on rit, on se moque, non pas tous cependant ; à hâbleur, hâbleur et demi ; il y a là un certain marchand de coton, grand négociant, à l’en croire, spéculateur intrépide et habile, en relations avec toutes les fabriques de la Suisse et de la France, qui n’a pas de peine à s’emparer de l’imagination d’Élise. Cet aventurier, espèce de rustre endimanché, est le mari qui lui convient. De retour à la ferme, Élise est bien fière d’annoncer son prochain mariage avec un marchand de la ville. Qui est bien mystifié alors ? C’est Uli. Il est furieux ; le dépit et la honte, sans parler des reproches de sa conscience, rendent sa position insoutenable ; il serait tout prêt à quitter la ferme, si Frèneli, son guide toujours présent, ne lui conseillait de rester et de déjouer par son indifférence les railleries qui le menacent.
Est-il nécessaire d’ajouter que Frèneli sera bientôt sa femme ? Toute cette fin du roman est pleine d’une fraîche et adorable poésie. La femme de Joggeli est une bonne créature, aussi affectueuse que son mari est hargneux ; elle aime sa petite cousine, elle sait tout ce que vaut Uli, et, voyant bien qu’ils s’aiment depuis longtemps sans se le dire, elle voudrait les marier. Elle a encore d’autres projets : Joggeli commence à se faire vieux, pourquoi n’affermerait-il pas son domaine ? Et quel autre fermier trouverait-il plus laborieux, plus économe, plus fidèle que l’excellent Uli ? Pour cela, il faudrait à Uli deux choses : une bonne ménagère et quelques avances en argent. La ménagère, ce n’est pas là ce qui l’embarrasse ; mais l’argent ! Elle prend le parti d’aller trouver l’ancien maître d’Uli, ce bon maître qui a fait ce bon serviteur, qui l’aime si sincèrement, et qui certes lui prêtera sans hésiter. Un matin donc, elle part pour la ferme du cousin Jean ; elle se fait accompagner par Frèneli, et c’est Uli qui conduit la voiture. C’est un samedi ; la matinée est charmante, une fraîche et poétique matinée de mai. Il paraît que le samedi est, en Suisse, le jour consacré aux promenades des fiancés. Partout où ils passent, sur la route et dans les villages, à voir ce beau garçon et cette belle fille, qui ne croirait voir un de ces couples heureux parcourant gaiement le pays sous l’œil charmé de leur mère ? À chaque auberge où ils s’arrêtent, l’hôtesse les complimente. Frèneli, toute rouge, toute confuse d’abord, finit par se fâcher ; elle se fâche sérieusement lorsque l’ancien maître, après avoir promis ce qu’on lui demande, veut terminer tout et marier les deux jeunes gens. – Il ne m’aime pas, dit-elle ; il a voulu épouser Élise ; c’est par dépit qu’il s’adresse à moi. Et sa fierté se révolte, cette fierté naturelle et charmante qui fait de cette simple fille une créature d’élite.
L’auteur a traité ces jolies scènes avec une franchise et une délicatesse dignes des plus grands éloges. Qu’y a-t-il dans ces humbles évènements ? Peu de chose, à ce qu’il semble. Comme on s’y intéresse pourtant ! Comme on suit avec charme, avec anxiété, ces alternatives d’un cœur amoureux et fier ! Comme on tremble pour Uli, comme on a peur pour Frèneli qu’elle ne repousse l’âme dévouée qui lui offre toute sa vie et tout son amour ! La nuit porte conseil, dit le vieux proverbe. De retour à la ferme, Frèneli, pendant toute la nuit, ne peut fermer l’œil. Elle pense à Uli, sa fierté a disparu ; il ne lui reste plus dans l’âme que le souvenir de son amour ; elle entend encore résonner à son oreille la chère voix qui lui demande pardon, qui avoue naïvement une folle erreur, qui lui jure une affection éternelle. Elle est persuadée, enfin ; elle sait qu’Uli n’a jamais cessé de l’aimer ; elle craint alors d’avoir désespéré ce cœur candide, elle a peur qu’Uli ne soit parti pour toujours ; troublée, inquiète, elle ne saurait demeurer en place ; elle se lève longtemps avant l’aube, et descend dans la cour. Une forme vague lui apparaît auprès de la fontaine : c’est Uli ; elle s’approche doucement, doucement, le cœur rempli d’une tendresse ineffable, et pose ses deux mains sur les yeux de son fiancé. – C’est toi, Frèneli, dit le jeune homme, – et Frèneli est dans ses bras, versant des flots de larmes. Les scènes qui suivent, les fiançailles, le mariage, les admirables discours du pasteur, la noce tranquille et chaste dans la maison de l’ancien maître, sont éclairées des plus purs rayons de la beauté morale. Cette franche et familière histoire, où tant de petites aventures ont l’air de se succéder au hasard, se termine avec une majestueuse noblesse ; à cette lumière, tout s’ordonne, tout se classe naturellement, les moindres détails ont leur signification, et une merveilleuse unité s’établit. Image vraie de la destinée humaine, où toujours, lorsque la loi du devoir y préside, un évènement, une journée, une heure, un éclair au moins, un éclair du foyer céleste illumine et couronne l’existence entière !
V
Ce livre, Uli le valet de ferme, est aujourd’hui comme le manuel du paysan d’un bout à l’autre de la Suisse allemande. Dans chaque ferme on a le précieux volume ; on le lit aux heures du repos, on le lit le dimanche après la Bible. Quand on a fini, me disent des personnes bien renseignées, on recommence ; de la dernière page, on revient sans se lasser à la première, on ne veut pas se séparer d’Uli. Il semble que ce soit en même temps un type, un modèle respecté et un être réel, un brave compagnon qu’on a connu, qu’on a vu à l’œuvre, qu’on a tendrement aimé et dont on se souvient avec bonheur. Bien mieux, il est toujours là ; on le voit, on l’entend, on se règle sur son exemple. Bien des gens qui n’avaient jamais eu l’idée d’aller au temple ou à l’église, ou qui redoutaient les moqueries du prochain, sont devenus moins négligents ou plus courageux, assure-t-on, depuis qu’Uli leur a montré la route. Uli est l’idéal que le pauvre valet de ferme voit sans cesse devant ses yeux, qui donne du cœur à tout travailleur rustique et le soutient aux heures de défaillance. Ressembler à Uli, c’est le grand point : que de bonnes pensées, que de charmantes espérances dans ce mot-là !
Pour obtenir des résultats de cette nature, il faut certes et une inspiration profondément humaine et un art accompli. Le secret de M. Jérémie Gotthelf, je le sais, c’est son amour pour ces paysans de la Suisse qu’il veut arracher aux mauvaises mœurs, c’est son ardent désir de repousser la propagande démagogique et de vaincre la barbarie. Cette excellente inspiration toutefois ne suffirait pas sans un vif sentiment de l’art, sans une richesse naturelle d’invention poétique. M. Jérémie Gotthelf est un artiste du premier ordre, un artiste qui paraît ne relever que de lui-même. Il a créé un genre, ou du moins une forme qui lui est propre ; il sait, il voit, il sent les choses de la campagne avec une franchise énergique, avec une sympathie pénétrante, et il a pour les reproduire des procédés et des couleurs d’une singulière originalité. Le plus souvent les autres romanciers rustiques ont recours à une simplicité affectée ou à une poésie d’emprunt ; dans les peintures les plus ingénieuses et les plus belles, il y a presque toujours un endroit où l’artifice de la composition se substitue manifestement à la réalité, où le faux éclate et se trahit. Rien de pareil dans les récits de Gotthelf ; c’est bien le tableau de la vie qui se meut sous nos regards. Les longueurs mêmes du récit (l’auteur ne s’en fait pas faute) ne sont jamais complétement sans excuse. Ô l’heureuse habileté dans ce qui semble parfois une négligence ! Le charmant va-et-vient ! Que ce babil de la ferme est reproduit avec gaieté ! Comme tout cela chante et bavarde au milieu des gloussements des poules et des beuglements des vaches ! L’idiome de l’auteur, tout imprégné d’odeurs agrestes, a vraiment une saveur étrange. Je ne sais comment un traducteur s’y prendrait pour faire passer dans notre langue tant de métaphores hardies, tant d’images et de comparaisons nées du sol même ou directement prises au langage du paysan ; moins copieux est le beurre de la ferme, moins vivaces et moins parfumés sont les pâturages de l’Oberland.
L’histoire d’Uli était trop bien appropriée aux desseins de Jérémie Gotthelf pour qu’il n’eût pas l’idée de poursuivre cette excellente veine. C’est une entreprise périlleuse de continuer une œuvre qui a réussi ; en voulant achever le portrait, on court le risque de l’affaiblir ; le premier feu de l’invention n’est plus là, les couleurs s’éteignent, et, au lieu d’une œuvre vivante, on n’a le plus souvent que la pâle copie d’une vigoureuse peinture. Jérémie Gotthelf a évité ce péril, cette suite de l’histoire d’Uli n’est pas une répétition des tableaux qu’il avait si heureusement imaginés : si le personnage principal est le même, le sujet est tout différent et devait fournir des ressources fécondes à une imagination bien douée. Uli le fermier a aussi son éducation à faire, mais cette éducation ne ressemble en rien à celle du pauvre valet. Il y a, je l’ai dit, un mélange de gaieté vaillante et de noblesse morale dans le tableau d’Uli s’élevant peu à peu à la dignité d’homme ; là, tout est jeune, frais, joyeusement épanoui ; on respire ces parfums vivifiants qui semblent s’exhaler des sillons nouvellement remués, lorsque le travail, par une belle matinée, ouvre l’intelligence la plus humble à des émotions ineffables. C’est l’adolescence de l’âme et du corps sous la clarté d’un ciel pur. Dans Uli le fermier, la jeunesse est passée avec ses suaves et austères enchantements ; des obligations plus graves sont imposées à un âge plus mûr. Uli a pris à ferme le domaine de Joggeli ; il doit payer chaque année une forte somme, sans compter les intérêts de l’argent que lui a prêté son ancien maître. L’entreprise est sérieuse ! Le fardeau pèse lourdement sur ses épaules. Sans doute il est actif, courageux, et il a pour femme une ménagère intelligente et dévouée, comme on n’en trouverait pas une seconde dans tout le canton de Berne. Que de soucis cependant ! que de nuits sans sommeil ! La veille, il n’avait qu’à songer au présent ; il saura maintenant toutes les inquiétudes de la responsabilité. Se trouver le chef d’un domaine considérable et pourtant ne pas être en réalité le vrai maître, commander là où il a été valet et être obligé de penser sans cesse que cette belle situation est précaire, que son bonheur dépend de la pluie et du soleil, qu’une seule négligence peut tout compromettre, qu’il est exposé du soir au matin à redevenir Gros-Jean comme devant, ah ! le pauvre Uli apprend chaque jour combien cela est dur.
Il faut qu’il apprenne encore bien d’autres secrets. Ce livre est un véritable enseignement pratique, un naïf et poétique manuel de sagesse populaire. Les imprudences, les fautes, les leçons souvent cruelles de la vie, les consolations les plus instructives, tout y occupe sa place. Uli semble bien changé par instants ; dévoué aux engagements qu’il a pris et peu habitué à ce continuel souci de l’avenir, il devient triste et taciturne ; sa chère Frèneli, toujours si ingénieuse à répandre la gaieté dans la maison, ne parvient plus à le dérider. Il est sombre, il a perdu sa bonne conscience d’autrefois, il a oublié Dieu comme au temps où rien ne l’intéressait dans la vie, car des causes contraires amènent souvent des résultats assez semblables, et ce qu’a produit une insouciance brutale, la préoccupation trop constante des intérêts les plus légitimes peut le produire également. La différence, c’est qu’Uli ne renie pas Dieu ; il oublie seulement de recourir à son aide. Ce n’est pas en paroles, ce n’est pas dans sa croyance qu’il est athée ; c’est dans sa conduite de chaque jour. Hélas ! combien de gens le sont ainsi ! Ces graves instructions religieuses ressortent toujours chez Gotthelf du développement même de l’action ; point de dogmatisme, point de morale intempestive ; les scènes se succèdent, la fable s’agrandit, le tableau des embarras et des infortunes du fermier se déroule avec une émotion croissante, et la leçon apparaît naturellement, comme le fruit né de la fleur.
Au milieu de cette douloureuse histoire, la figure de Frèneli se revêt sans cesse d’une grâce plus sérieuse ; elle est le bon génie de la maison. Comme elle a le cœur plus serein, son esprit est plus croyant aussi, et Uli ne se trompe jamais quand il suit ses conseils. Cette création de Frèneli fait le plus grand honneur au romancier. Je n’en dirai pas autant d’un personnage assez étrange qui vient à point dans les dernières scènes pour amener le dénouement, et qui ne me paraît guère appartenir à cette réalité dont Jérémie Gotthelf est le peintre ordinairement si sincère. Quand Joggeli et sa femme sont morts, quand le domaine est mis en vente et que le pauvre Uli, à demi ruiné déjà par une mauvaise année, va être obligé de chercher fortune ailleurs, l’acheteur à qui appartiendra la ferme est un certain paysan nommé Hagelhans, être mystérieux, farouche, redouté et maudit à quinze lieues à la ronde, qui vit retiré dans sa maison solitaire, en compagnie d’un énorme chien aussi terrible que lui. Ce sauvage, dès qu’il entre dans sa nouvelle ferme, a tout à coup maintes prévenances pour Frèneli ; bien plus, ce formidable chien, l’effroi de toute la contrée, vient lécher les mains de la jeune femme et s’apprivoise avec les enfants. Frèneli apprend bientôt que Hagelhans est son père, et qu’elle a eu pour mère celle qui l’a si tendrement élevée, celle qu’elle appelait sa cousine, la femme de Joggeli. Irrité pour maintes raisons contre la mère de son enfant, en proie à une misanthropie implacable, Hagelhans vivait seul avec son fusil et son bouledogue ; mais, du fond de sa ténébreuse retraite, il avait suivi les progrès de sa fille, il a su son mariage avec Uli, et maintenant qu’ils vont être expulsés de la ferme, il arrive, à la fois bienfaisant et bourru, pour mettre fin à leurs peines. Je ne nie pas qu’il y ait dans cet épisode inattendu des détails pleins de poésie ; il est évident toutefois que l’auteur n’est plus sur le terrain où il a trouvé de si précieux trésors. Il n’est pas besoin d’une attention exercée pour surprendre ici je ne sais quel accent de mélodrame ; une fantaisie douteuse a pris la place de la réalité. Combien j’aime mieux Jérémie Gotthelf quand il ne cherche pas la poésie ailleurs que dans les sillons de son pays, dans la ferme remplie des bruits harmonieux du travail, dans la grange où résonne le fléau, dans l’étable où mugit la vache nourricière !
À part ce reproche, Uli le fermier ne le cède pas à Uli le valet. C’est la seconde période, la période grave et soucieuse d’une même existence bien conduite ; il y a plus d’expérience, plus de profondeur, une raison plus haute et de plus mâles combats. L’éducation d’Uli s’achève dans des épreuves qu’il ne soupçonnait pas lui-même. Il a appris que chaque jour a sa tâche, et qu’à chaque heure est attaché un devoir ; il sait qu’il faut se défier sans cesse de soi ; il ne se reposera plus sur ses victoires passées. Frèneli a laissé ignorer à Uli qu’elle est la fille de Hagelhans, et que le riche domaine leur appartiendra un jour. Elle craint pour lui l’influence mauvaise d’une richesse que le travail n’aurait pas encore justifiée. « Le temps s’approche pourtant, c’est ainsi que finit cette sévère et charmante histoire, le temps s’approche où Hagelhans dira ce qu’il est, où Uli, de simple fermier, deviendra un riche paysan. Frèneli voit arriver ce jour avec inquiétude ; elle tremble à l’idée de cette nouvelle épreuve. Seront-ils assez forts tous les deux pour la traverser heureusement ? Voilà ce que bien souvent chaque jour elle demande à sa conscience. Pour nous, nous croyons qu’ils le peuvent. Dieu qui les a secourus à travers tant de peines et leur a fait gravir tant de roches escarpées, Dieu maintiendra leurs pieds dans la droite route, à présent qu’ils n’ont plus qu’à marcher dans la plaine au milieu d’une magnifique nature. »
VI
Ces deux romans, Uli le valet de ferme et Uli le fermier, pourraient suffire à une popularité durable ; M. Jérémie Gotthelf toutefois n’est pas homme à se reposer sur le succès : il sait que le mal se multiplie sous mille formes, et que la vie est un combat. Ces missionnaires d’une nouvelle espèce qu’il envoie de village en village prêcher la concorde et le travail, la charité et la confiance en Dieu, il veut sans cesse en augmenter le nombre. Ce n’est pas assez d’Anneli et de Jérémie, de Christen et d’Ameli, de Jacob et du maître d’école ; ce n’est pas assez même d’Uli et de Frèneli ; il est toujours prêt à fortifier sa phalange. Si bien écoutés qu’ils soient du peuple des campagnes, Uli et Frèneli ne peuvent pas tout lui dire ; il est urgent de diviser le travail, il faut qu’à toutes les passions funestes, à tous les mauvais instincts exploités par la démagogie et la débauche, un frère d’Uli, une sœur de Frèneli viennent opposer l’image d’une sagesse qui n’est jamais chagrine, d’une morale qui ne tourne jamais au pédantisme. Et puis l’auteur y prend plaisir lui-même : quoique la plus grande part de son originalité réside peut-être dans la ferveur de son prosélytisme chrétien, sa verve d’artiste, on le sent, est heureuse de se donner carrière. Il aime à reproduire dans sa franche liberté tout ce monde qui l’entoure ; satirique ou affectueux, il ne se lasse pas de reproduire le mouvement de la vie populaire, et il y va, comme on dit, bon jeu bon argent, avec un entrain et une cordialité qui réjouissent l’âme.
L’histoire de Jean Joggeli, par l’élévation des sentiments, par la grâce et la vigueur des détails, ne se place pas très loin d’Uli le valet de ferme et donnerait lieu aux mêmes remarques. Il y a quelque chose de nouveau dans les Récits et tableaux de la vie populaire en Suisse : c’est une série d’esquisses charmantes, ébauches, croquis, silhouettes rapidement enlevées, où se retrouve toujours le pinceau du maître. Jérémie Gotthelf, on le voit par cette vivante galerie de portraits, est bien le véritable historien des paysans. Un critique allemand, quoique très hostile à l’inspiration chrétienne de l’auteur, s’extasiait l’autre jour sur la grandeur épique, sur la majestueuse simplicité de ses personnages, et il y voyait quelque chose d’analogue à la poésie d’Homère. Jérémie Gotthelf, assurément, serait le premier à repousser de tels éloges : il trouverait sans peine quelque bonne formule suisse qui déconcerterait le critique, et il s’en irait reprendre son entretien avec le vacher de la ferme ; il est certain cependant que cette vigoureuse reproduction de la nature dans ce qu’elle a de plus simple présente souvent une dignité singulière. Il y a telle nouvelle qui a la gravité de l’histoire : à voir agir et parler ses paysans, on dirait des évènements qui intéressent les annales de l’humanité et des personnages qui ont vécu il y a des siècles, tant la simplicité du récit en agrandit les proportions. Voyez ces paysans, Christen et Joggeli, allant de ferme en ferme chercher une femme : ne croirait-on pas, à de certains moments, lire une de ces chroniques mérovingiennes où M. Augustin Thierry a puisé la peinture des mœurs barbares ? Ces Récits et tableaux contiennent de vrais trésors. À côté des scènes de village, l’auteur a placé des anecdotes plaisantes comme le poëte Hebel en a recueilli et raconté à l’usage des paysans de ce temps-là. M. Bitzius s’est essayé aussi dans certaines scènes fantastiques, songes et visions à la manière de Jean-Paul ; mais il fait mieux pourtant de ne pas quitter le sol où il est maître, la rue du village, la cour de la ferme, l’étable et le banc extérieur où il a tant de fois conversé avec Uli. Je dois signaler toutefois un tableau du moyen âge, Kurt de Koppingen, qui dépeint énergiquement les déprédations des barons féodaux et la stérilité du sol entre leurs mains maudites. Dans cette vallée qui pouvait à peine nourrir quelques seigneurs désœuvrés, on compte aujourd’hui les plus riches fermes du pays, et des centaines de familles y vivent dans la joie du travail. On aime à voir le peintre des paysans glorifier sans amertume et sans violence les conquêtes sacrées de la sueur humaine.
J’ai indiqué l’inspiration satirique, très-reconnaissable et très-vive chez Jérémie Gotthelf, à côté de la pensée chrétienne qui a dicté ses principaux ouvrages. Cette veine de gaieté hardie tend à se développer de jour en jour dans les dernières compositions du romancier. Il semble que 1848 l’ait mis en train. Cet observateur à qui rien n’échappe n’a pu voir sans éclater de rire les parodies de l’esprit révolutionnaire exécutées par les démocrates de village. Avec sa verve créatrice et sa franchise de langage, avec sa joyeuse imagination et son bon sens si élevé, Jérémie Gotthelf n’a-t-il pas tout ce qu’il faut pour être un Aristophane rustique ? Il vient de débuter dans cette voie, et déjà il y a produit un chef-d’œuvre : c’est l’histoire d’une association de paysans qui veulent mettre leur travail en commun, à l’exemple des ouvriers de la ville. Ils ont entendu parler des promesses des tribuns, ils croient naïvement que l’association est une sorcière ou une fée qui va leur prodiguer des trésors. L’association, qui oserait le nier ? est, en bien des cas, une force immense ; le malheur, c’est que les tribuns oublient le plus souvent de recommander les conditions premières sans lesquelles toute promesse n’est que mensonge. Que faut-il mettre en commun ? Le travail apparemment, la bonne conduite, l’honnêteté, l’économie ; c’est toujours là qu’il faut en revenir. Si les braves gens qui entendent vanter les merveilles de l’association se croient affranchis par là des lois éternelles de l’ordre moral, tout est perdu ; or, le langage démocratique n’encourage que trop, comme on sait, ces grossières méprises. C’est dans un petit village du canton de Berne que s’organise l’association ouvrière dont Jérémie Gotthelf nous raconte les divertissantes prétentions et les misères grotesques. Autrefois chacun faisait son fromage tout seul, aujourd’hui les bonnes gens de Vehfreude ont eu la glorieuse idée de faire le fromage à frais communs. Rien n’est plaisant comme les délibérations rustiques où s’élabore le pacte fondamental. L’auteur semble refaire, dans le dialecte de l’Oberland, l’histoire du parlement de Francfort : il est difficile d’être plus naïvement embrouillé et plus consciencieusement inintelligible. Aux prétentions de cette éloquence révolutionnaire, ajoutez les jalousies, les défiances, la cupidité aveugle, la convoitise effrénée du bien d’autrui ; vous saurez de quels éléments se compose cette singulière union fraternelle. La verve de l’auteur n’a jamais été plus joyeusement inspirée ; il y a dans cet ingénieux tableau les plus attrayantes promesses pour l’avenir, et nous espérons bien que le peintre de la Fromagerie de Vehfreude ne les oubliera pas.
Un autre tableau non moins piquant, c’est le récit des aventures du docteur Dorbach, démagogue émérite, qui parcourt le canton de Soleure à la recherche d’un bon dîner. Seulement les allusions ici sont bien autrement sanglantes : ce n’est pas une comédie, c’est une satire, et de l’espèce la plus vive. Je plains de tout mon cœur le pauvre prédicateur d’athéisme que M. Jérémie Gotthelf a châtié si rudement. Sous cette vivante caricature, sous ce vilain masque si spirituellement façonné, il y a certainement quelque démagogue bien connu des gens du pays, et que le sévère gardien des mœurs nationales avait de bonnes raisons pour livrer à la risée publique. Le docteur Dorbach est un des commis voyageurs de l’athéisme hégélien. Ses affaires vont mal, à ce qu’il paraît ; repoussé des paysans naïfs qui ont encore la simplicité de croire au bon Dieu, il ne réussit qu’à moitié auprès des paysans démocrates. Les frères et amis veulent bien faire chorus avec lui pour blasphémer et maudire ; mais dès qu’il s’agit de délier les cordons de la bourse, c’est là que s’arrêtent ses triomphes. Adieu la fraternité ! l’orateur si fêté n’est plus qu’un philosophe incompris. À quoi lui sert d’avoir au fond de sa cervelle de si magnifiques plans pour la réforme de la terre et du ciel ? Il ne trouve partout que des philistins ou des traîtres. Ici, on le met à la porte sans autre forme de procès ; là, on dresse les oreilles, on écoute bouche béante, on jouit de cette parole incomparable ; seulement, ô perversité ! on a la prétention d’en jouir gratis. Ce voyage du docteur sur la route de Biel à Soleure par une froide journée de décembre est tracé de main de maître. De village en village, d’hôtellerie en hôtellerie, ses espérances s’allument sans cesse et n’amènent que des humiliations et des mécomptes. Le docteur ne demande aujourd’hui qu’un bon gîte, une bonne table, et demain une souscription honnête pour fonder un journal. Où dînera-t-il, si on le chasse de tous côtés ? Où reposera-t-il ce front laborieux sous lequel fermente la révolution universelle ?
Autour de ce personnage si vivement mis en scène, l’auteur a groupé avec art maintes bonnes figures d’aubergistes et de paysans. Les aubergistes de Laengnau, de Graenchen, des faubourgs de Soleure, sont des gens tout d’une pièce qui répondent d’une façon péremptoire aux déclamations du communiste. Il en est parmi eux qui se disent radicaux, mais ils sont radicaux à la façon des paysans : l’instinct jaloux et mauvais qui s’agite chez toute créature humaine, la bête que chacun est obligé de dompter en soi, voilà le radicalisme des gens de la campagne ; montrez-leur le fond des systèmes socialistes, aussitôt leur bon sens se révolte, et maître Dorbach fera bien d’être sur ses gardes. Ce petit livre n’est pas un roman, c’est un tableau vif et rapide : quel relief pourtant ! comme tous ces personnages sont pleins de vie ! que d’évènements sur cette grande route de Biel à Soleure ! Le contraste de la subtilité pédantesque et de la simplicité de l’intelligence a-t-il jamais été plus joyeusement accusé ?
La satire se termine par des scènes d’une poésie sombre. L’auteur reprend la légende des seigneurs de Bürglen, dont il avait déjà fait un excellent emploi dans le Buveur d’eau-de-vie. Il y a des siècles que les sept chasseurs sauvages sortent chaque année de leur tombeau pendant la nuit de Noël ; Dursli, le buveur d’eau-de-vie, est le neuvième personnage qu’ils ont ramené au bien ; encore une conversion, et ils pourront se reposer pendant l’éternité. Or, c’est précisément la veille de Noël, c’est le 24 décembre 1847 que le docteur Dorbach vient de faire sa tournée démagogique chez les paysans de Biel à Soleure. Partout repoussé, il va toujours plus loin, toujours soutenu par l’espérance et enivré de sa colère. Le jour baisse, le chemin semble s’allonger sous ses pas ; plus de villes, plus de villages, plus d’auberges ; la route s’engage dans la montagne, au milieu de la forêt de Bürglen ; une terreur étrange s’empare du démagogue. Un athée peut-il avoir peur des fantômes de la nuit ? Oui, maître Dorbach a peur, et maintes images sinistres l’assaillent subitement. D’abord ce sont des milliers de serpents qui fourmillent autour de lui, dardant leurs langues sifflantes et chargées de poison ; il les reconnaît : ce sont tous enfants de son esprit pervers, ce sont ses ruses, ses calomnies, ses méchants desseins, les pensées coupables qu’il a éveillées chez les autres, ses convoitises diaboliques et celles qu’il a pris soin d’allumer dans les âmes innocentes. Puis voici les sept chasseurs sauvages ; ils sont là, pâles, sombres, terribles, avec leurs chevaux haletants, avec leur meute féroce, et ils s’apprêtent à le percer de leurs flèches. Le docteur frissonne, mais aucun remords ne le tourmente ; il a peur vulgairement, peur de la mort, peur de ce néant qu’il a si souvent prêché à ses disciples, pour les délivrer de la crainte salutaire d’une vie à venir. Étrange incident ! sa femme et ses enfants sont tout à coup à ses côtés. Dès qu’un des chasseurs veut le frapper, il prend un de ses enfants comme un bouclier, et l’enfant tombe mort ; lui-même enfin il est atteint d’une flèche vengeresse, et il sent les dents aiguës des chiens qui mettent son corps en morceaux.
Pendant cette vision épouvantable, le docteur s’est évanoui au bord de la route. Trouvé là le lendemain par deux charretiers qui passent, il a bien vite oublié ces affreuses scènes : ce n’est pas lui que les angoisses de la conscience peuvent agiter longtemps ; si les chasseurs sauvages lui ont fait passer une mauvaise nuit de Noël, en 1847, dans la forêt de Bürglen, quelle revanche il prendra deux mois plus tard ! « Frères, dit l’auteur en terminant, les sauvages chasseurs de Bürglen seront difficilement relevés de la malédiction qui pèse sur eux s’ils prétendent convertir un démagogue lettré. Souhaitons-leur pourtant le repos auquel ils aspirent ; souhaitons aussi le repos de la conscience à ces esprits inquiets qui semblent appartenir aux puissances désordonnées du mal. Ayez pitié, ô Dieu de paix, de ces malheureux insensés que leur âme en proie aux passions mauvaises pousse de ville en ville et de village en village, jetant partout des semences empoisonnées ; ayez pitié d’eux avant que la mort les saisisse, avant que le tombeau les dévore ! » Ainsi finit dans l’exaltation du poëte et l’onction du chrétien cette énergique satire de la démagogie allemande de la Suisse.
VII
Si j’ai fidèlement reproduit la physionomie du romancier rustique, on doit comprendre quelle place vraiment originale lui est réservée dans l’histoire de l’imagination au dix-neuvième siècle. Le tendre et puissant écrivain qui se cache sous le nom de Jérémie Gotthelf appartient à l’école de Hebel par la sincérité, par la candeur de son dévouement aux classes populaires ; comme romancier, il n’a pas de modèle et ne relève d’aucune école. On ne saurait même comparer ses peintures à celles de M. Auerbach et de madame Sand, parce que, se sentant protégé par la piété de son inspiration, il a pu s’abandonner sans scrupules à toutes les hardiesses de sa fantaisie. Il ignore l’art accompli de M. Auerbach ; il n’a pas besoin d’efforts, comme l’auteur de la petite Fadette, pour parler un langage d’emprunt, et, quoiqu’il poursuive un but, on ne voit jamais dans ses tableaux agrestes la moindre préoccupation de système. Il est vrai, il est franc, et quand il pèche, ce qui lui arrive assurément plus d’une fois, il pèche toujours par l’entraînement même de sa franchise.
L’artiste téméraire et l’apôtre infatigable se soutiennent, se complètent merveilleusement chez Jérémie Gotthelf. S’il n’eût été qu’un peintre vigoureux, s’il n’eût songé qu’à reproduire la réalité avec audace, l’énergique familiarité de ses tableaux aurait pu lui attirer souvent de légitimes reproches. C’est beaucoup que de voir si bien la nature et d’en retracer l’aspect avec une sincérité si résolue ; l’imitation pourtant, quelque puissante qu’elle soit, n’est pas la poésie tout entière, elle n’en sera jamais que le point de départ : l’artiste doit interpréter le monde réel ; il doit exprimer non-seulement ce que ses yeux ont vu, mais ce que son âme a senti ; il doit diviser, choisir, accuser fortement certains traits, en laisser d’autres dans l’ombre ; est-ce là ce que fait constamment l’auteur d’Uli le valet de ferme ? Non certes ; il semble par moments que la réalité l’enivre, qu’il ne se possède plus, et qu’au lieu de dominer son sujet, il se laisse entraîner à l’aventure par les mille détails qui sollicitent son pinceau. Regardez-y mieux pourtant : sous ces peintures les plus audacieusement vraies, dans ces scènes agrestes où rien n’est oublié, dans ces tableaux que remplissent mille bruits confus, depuis l’intarissable babil de la fermière jusqu’au grognement des animaux immondes, il y a toujours une pensée morale, toujours une ardente conviction chrétienne qui anime et transfigure l’ouvrage tout entier. D’un côté, la réalité la plus franche ; de l’autre, le plus pur et le plus sublime idéal, voilà les compositions de Jérémie Gotthelf. Pourquoi s’abandonne-t-il ainsi à une sorte de fougue joyeuse dans sa complète reproduction de la nature ? Parce qu’il sait de quelle lumière sereine son religieux enthousiasme va inonder sa toile. Assuré de l’idéal, il sent redoubler sa verve : de là ces mélanges inouïs et ces étonnants contrastes.
C’est aussi à cette double inspiration qu’il faut rapporter l’influence extraordinaire de ses livres. Il s’est fait paysan avec les paysans, il s’est assimilé leurs pensées, leurs préoccupations, leurs soucis et leurs joies. Ce qui nous semble trop long dans ses romans, les paysans de la Suisse le lisent avec bonheur, avec le même bonheur qu’il a éprouvé à l’écrire. Tout ce caquetage de la ferme, tout ce bruit, toutes ces allées et venues, c’est leur vie de chaque jour : ils s’y reconnaissent comme dans un miroir. Ils sentent en lisant cela que ce n’est pas un curieux qui est venu les étudier, et puis s’en est retourné à la ville ; non, c’est un des leurs, un paysan comme eux, un porteur de sabots, un homme qui sait tous les secrets de la charrue et du sillon. Aussi, comme ils l’écoutent religieusement ! comme ils sont préparés par de cordiales sympathies à toutes les leçons qu’il va leur donner ! comme ils sont déjà sous le charme !
L’extrême franchise des opinions de Jérémie Gotthelf est aussi un des secrets de sa puissance. Quand on prend part aux luttes intérieures d’une démocratie que bouleversent les factions, il faut tenir son drapeau d’une main ferme ; Jérémie Gotthelf n’était pas homme à reculer. Sa verve et son audace redoublent quand il peint les combats des partis. « La politique ! s’écrie-t-il, c’était naguère une science simple et sublime, c’était tout bonnement l’amour de la patrie ; aujourd’hui, c’est l’égoïsme et la cupidité. » Ces convoitises cachées sous des vertus de parade, Jérémie Gotthelf excelle à leur arracher le masque. Laissez-le donc parler, ce courageux écrivain, et n’oubliez pas qu’il a été presque seul à lutter, bien des années durant, contre l’armée démagogique ; laissez-le stigmatiser dans ses ardentes satires l’ineptie et les débauches de ces fonctionnaires imposés à d’honnêtes communes par la victoire des corps francs. Pardonnez-lui la rudesse de son style ; passez-lui même une certaine éloquence qui sent le fumier de l’étable. À ceux qui blâmeraient la crudité de ses tableaux, Jérémie Gotthelf répond hardiment dans une de ses préfaces : « Je ne suis pas un républicain de convention, je suis un républicain de naissance ; j’ai été élevé dans la liberté républicaine, dans cette liberté que nous avons vue compromise de 1846 à 1850, sous le règne des corps francs. La liberté ! c’est trop peu de déclarer que je l’aime, elle est un besoin pour mon âme ; j’entends surtout la liberté chrétienne, non pas la liberté selon la chair, mais la liberté dans l’ordre de l’esprit. – Il est aisé, dit saint Paul aux Galates, de connaître les œuvres de la chair, qui sont la fornication, l’impureté, l’idolâtrie, les inimitiés, le meurtre, l’ivrognerie. Les fruits de l’esprit, au contraire, sont la charité, la joie, la paix, la patience, l’humanité, la douceur, la foi, la continence. Il n’y a point de loi contre ceux qui vivent de la sorte. C’est l’amour de cette liberté selon l’esprit qui a fait de moi un écrivain. Oh ! je savais nettement ce que je voulais. Je suis descendu dans l’arène pour la cause de Dieu et de la patrie ; j’y suis descendu pour défendre la famille chrétienne et l’avenir des enfants. »
À côté de cette franchise d’opinions et de cette liberté de langage, un autre trait qu’il faut signaler chez Jérémie Gotthelf, une autre explication du charme et de l’ascendant qu’il exerce, c’est la généreuse largeur, et, si je puis m’exprimer ainsi, la gaieté familière et rustique de son christianisme. La religion, chez l’auteur d’Uli, n’a jamais un aspect sombre et maussade ; l’auteur connaît trop bien ses paysans pour leur adresser une prédication empreinte de méthodisme. La morale luit dans ses tableaux comme un rayon de soleil ; elle est joyeuse, elle est la bienvenue ; elle ranime toute la ferme ; le toit s’égaye et rit, disait André Chénier. Voyez la gracieuse peinture qu’il trace d’un de ces enfants prodigues revenus à la loi de l’Évangile : « Jacob se sentait heureux, il était léger comme l’oiseau. Jacob avait encore bien peu fait pour le divin Maître ; mais ce maître-là est si indulgent, et il encourage si bien les premiers efforts ! Faisons un pas vers lui, il en fera cent vers nous. C’est ce doux Maître qui versait au cœur de Jacob un peu de cette joie dont il réjouit les anges. Jacob aurait sauté sur le chemin, il aurait dansé, il aurait sifflé s’il l’eût osé, tout cela à la gloire de Dieu, mais peut-être au scandale de certains chrétiens qui se rencontrent chez nous comme ailleurs, gens tout d’une pièce, qui pensent que tous les convertis doivent parler du même ton et chanter une même note. Ils ont des yeux et ils ne voient pas avec quelle variété merveilleuse Dieu a répandu ses dons ; ils ont des oreilles et ils n’entendent pas cette multiple harmonie d’accents qui montent vers lui de toutes parts, si bien que son serviteur David lui disait : « Tu tires ta louange de la bouche des enfants, de la bouche même de ceux qui tètent encore ! » C’est ainsi qu’il s’en va, le doux et rude pasteur de l’Oberland, avec son bâton noueux et ses souliers ferrés, c’est ainsi qu’il s’en va de porte en porte, parlant à chacun son langage, sévère ou affectueux, consolant ou redoutable, toujours libre, hardi, populaire dans ses allures, désarmant à sa manière les corps francs de l’athéisme et rendant la joie aux consciences égarées.
La prédication de Jérémie Gotthelf n’a pas été infructueuse : le parti radical, qui, depuis une dizaine d’années, a gouverné et bouleversé la Suisse, en est réduit à se défendre sur tous les points où il n’est pas en déroute. Dans le canton de Berne en particulier, dans ce canton où l’auteur d’Uli a si vaillamment combattu, la victoire semble complète. Le radicalisme, si longtemps maître du pouvoir, a dû se retirer en 1850 devant un gouvernement libéral. Trompés naguère par les déclamations des docteurs Dorbach, les paysans se sont levés en masse pour renverser par leurs votes le despotisme de la démagogie et installer une administration vraiment républicaine. « Nous voulons, – ainsi s’exprime le programme des nouveaux gouvernants, – nous voulons le progrès de la culture intellectuelle, mais nous voulons avant tout le maintien de la foi et des mœurs chrétiennes de nos aïeux par la législation, par l’enseignement, par l’exemple des magistrats... » À qui attribuer ce résultat inattendu ? Aux progrès de la raison publique, à ces progrès que le pasteur de Lützelflüh a si énergiquement secondés. Personne mieux que le romancier des paysans n’a eu le droit d’applaudir à ces paroles, personne n’a dû en ressentir une joie plus sincère ; le nom de Jérémie Gotthelf est attaché désormais d’une manière indissoluble aux luttes et aux triomphes de la république libérale dans les cantons allemands. Aussi ce nom est-il déjà l’objet des attaques passionnées de la démagogie vaincue. Félicitons Jérémie Gotthelf de ce nouveau succès. L’énergique écrivain est assez bien armé pour ne rien craindre, et ces outrages lui rappelleront, s’il était tenté de l’oublier, qu’il ne faut pas s’endormir aujourd’hui sur la victoire d’hier. Continuez, vous qui êtes l’apôtre et le peintre des campagnes, continuez votre œuvre salutaire et multipliez vos tableaux. Déjà vos enfants sont nombreux : Uli le valet de ferme est à leur tête, et tous vont porter la joie et la sérénité dans les âmes ; que d’autres encore leur succèdent et maintiennent vos précieuses conquêtes. Âme chrétienne et imagination d’artiste, pasteur et poëte, votre double tâche sera bien remplie.
Juillet 1851.
P. S. J’écrivais ces lignes au mois de juillet 1851 ; trois ans après, le 22 octobre 1854, M. Bitzius rendait le dernier soupir dans cette petite ville de Lützelflüh qui était depuis vingt-deux ans le centre de ses travaux, son domaine pastoral et son domaine poétique. Fidèle à sa tâche jusqu’au dernier jour, l’intrépide écrivain n’a pu être désarmé que par la mort. En 1852, il publiait un grand roman rustique en deux volumes, sous ce titre assez singulier qui résume toutes ses œuvres L’Esprit du temps et l’esprit de Berne. L’esprit de Berne, c’est lui-même, c’est la tradition des vieilles mœurs, la tradition républicaine et chrétienne ; l’esprit du temps, c’est la démocratie germanique, la démocratie qui se couvrait insolemment du grand nom de Hegel, et qui, à l’aide d’un grossier panthéisme, irritant et déchaînant toutes les passions mauvaises, essayait de faire triompher en Suisse la révolution qui venait d’échouer en Allemagne.
En 1854, il acheva un autre récit, l’Histoire d’un métayer, où reparaissaient toujours les mêmes sentiments, mais toujours sous une forme nouvelle, et avec une puissance d’imagination, avec une richesse de détails, avec une verve éloquente et joyeuse qui semblait croître d’année en année. La tristesse, dit l’Écriture, dessèche les os 2. En prêchant à ses paysans le christianisme pratique, M. Bitzius s’attachait à entretenir chez eux la gaieté de l’esprit et du cœur. On lui a reproché, à propos de ces derniers livres, d’avoir quelquefois dépassé le but ; on lui a reproché surtout d’avoir trop souvent prêché le Christ au nom de l’intérêt, d’avoir abaissé la religion en promettant à ses disciples des récompenses terrestres. Un des censeurs qui l’ont le plus sévèrement blâmé, M. Gottfried Keller, résume son opinion sous cette forme piquante : « Tous les romans de Jérémie Gotthelf sont la réfutation du Livre de Job. L’auteur du Livre de Job, dans ses splendides tableaux et ses disputes majestueuses, combat audacieusement la vieille doctrine mosaïque en vertu de laquelle les bons sont toujours récompensés et les méchants toujours punis sur cette terre. Si l’on admet ce principe de l’antique loi, le succès, la prospérité sont les marques où se reconnaissent les enfants de Dieu, comme le malheur et la ruine sont les stigmates de l’impie. Ces doctrines que Job a si énergiquement condamnées, le pasteur de Lützelflüh les reprend aujourd’hui avec de légères modifications : le fermier démocrate, le paysan qui ne va pas au temple, ne feront jamais de bonnes récoltes, au dire de Gotthelf ; au contraire, le paysan chrétien verra toujours se remplir ses granges, et s’il arrive que la récompense promise ne vienne pas couronner sa vertu, cela tient seulement à la perversité du siècle. Quand le disciple de Jérémie Gotthelf est malheureux, on ne peut imputer ce malheur qu’au démocrate et à l’impie. » Voilà l’objection que des adversaires irrités ont pris plaisir à développer avec injures ; on était si heureux de prendre en faute le vaillant défenseur de la morale chrétienne ! Pour moi, sans nier ce que l’objection a de sérieux, je me borne à signaler ici un des traits de cette physionomie si librement rustique. Jérémie Gotthelf ne se pique pas d’être théologien ; il parle aux paysans, et s’il emploie souvent des arguments excellents au fond, excessifs dans la forme, n’oubliez pas qu’il combat pour une cause en péril et qu’il est bien forcé de tenir à ses ouailles un langage qu’elles puissent entendre.
Dans un autre canton de la Suisse, un homme aussi grave, aussi mesuré, aussi profond théologien que Jérémie Gotthelf était impétueux et téméraire, Alexandre Vinet, traçait en 1845 une peinture de la démagogie antichrétienne qui pourrait servir de préface et de justification aux œuvres du romancier de l’Oberland. « À l’incrédulité négative et sardonique a succédé une incrédulité qui croit, un athéisme fervent, un matérialisme enthousiaste. L’impiété de nos jours est une religion. Lasse de démolir, elle bâtit ; rassasiée de dissoudre, elle organise. Ses adeptes forment une église ; ils ont des rites et des sacrements ; leur constitution, forte et sévère, est une théocratie ; ils prêchent, ils prophétisent, et, thaumaturges en espérance, ils nous promettent des miracles ; ils exercent sous vos yeux, parmi vos troupeaux, un prosélytisme ardent, et, ne craignons pas de le dire, un prosélytisme dévoué. Il est vrai qu’ils n’ont pas de paroisses, leurs paroisses sont partout ; ni un clergé ; chez eux, tout le monde est clergé ; ni des doyens, mais des apôtres. Tous leurs prédicateurs sont des missionnaires. En un mot, oh ! quelle douleur dans ce rapprochement ! leur zèle farouche et funeste est l’effroyable parodie, ou plutôt la contre-épreuve redoutablement fidèle des plus beaux siècles de l’Église. Jamais le mal ne fut aussi audacieux ; car, chose horrible ! il est convaincu. Il se fait fort de n’être avoué ni protégé par aucun pouvoir ; il se fait fort de n’avoir aucune apparence à sauver ni aucune pensée à dissimuler ; il se fait fort de tous les mauvais penchants qu’il érige en principes, et de toutes les misères auxquelles il promet un terme et une vengeance. Il se fait fort enfin de son dévouement, dont il est difficile de dire quel est l’objet, ou le mobile, ou la récompense, mais qui n’en est pas moins réel ni moins contagieux 3... » Qu’on se rappelle ces paroles de M. Vinet avant d’apprécier les dernières œuvres de Jérémie Gotthelf ; aux promesses de la démagogie antichrétienne, pourquoi le rustique apôtre n’eût-il pas opposé les promesses du christianisme ? Il l’a fait, dit-on, d’une manière un peu judaïque ; il a rapetissé l’idée de Dieu, il a trop mêlé l’espoir des récompenses terrestres à la religion du peuple : soit ! C’est l’artiste seulement qui s’est trompé ; au fond, la doctrine du moraliste est irréprochable. Sa prédication, dans l’Histoire d’un métayer comme dans Uli le valet de ferme, ne peut-elle pas se réduire à ces vérités si simples, si évidentes, vérités de tous les temps que le christianisme a consacrées : « La piété sincère rend le travail fécond ; elle produit l’ordre, l’économie, la persévérance, et en assurant la paix de notre conscience morale, elle assure aussi, dans l’ordre matériel, le succès de nos efforts. »
Au reste, les ennemis mêmes de Jérémie Gotthelf ont été forcés de s’incliner devant la vigoureuse originalité de son inspiration. M. Gottfried Keller, écrivain libéral, mais d’un libéralisme étroit et vulgaire, puisqu’il méconnaît le libéralisme chrétien du pasteur de Lützelflüh, M. Gottfried Keller, en apprenant la mort de M. Bitzius, ne put s’empêcher de rendre hommage à son talent. Il accuse encore le pasteur ; mais quelle admiration il éprouve pour le romancier du pays de Berne ! Il va jusqu’à glorifier en lui une sorte de génie épique ; il en fait un Homère, l’Homère des vallées de l’Oberland, et compare quelques-uns de ses récits aux plus grandes scènes du chantre d’Ulysse. C’est là une étrange manie de la critique allemande de nos jours ; depuis que les disciples de Wolf refusent de voir Homère dans l’Iliade et l’Odyssée, ils le voient partout dans les lettres germaniques. Laissons là ces rapprochements ridicules ; ce qu’il faut admirer chez M. Bitzius, c’est l’ardeur de son prosélytisme chrétien, son amour de la Suisse, son dévouement au peuple, son courage, sa gaieté, sa verve, et l’imagination puissante qui reproduit toutes ces qualités dans une langue simple et hardie.
Depuis la mort de M. Albert Bitzius, bien des voix se sont élevées pour apprécier cet homme excellent, cet artiste vraiment populaire et rustique. Parmi tant de suffrages, il faut signaler les paroles d’un juge dont nul ne récusera l’autorité. Je les trouve dans un endroit où je ne les cherchais point, et la place qu’elles occupent en rehausse encore l’importance ; l’ouvrage auquel je les emprunte est un des plus sévères monuments de la grande philologie européenne. Dans le domaine de l’érudition créatrice et conquérante, est-il des noms plus nobles, plus respectés que ceux de Jacob et Wilhelm Grimm ? C’est Jacob Grimm, le Ducange du dix-neuvième siècle, qui, tout occupé de ses immenses fouilles à travers le moyen âge, a bien senti pourtant ce qu’il y a d’original et de vivant chez ce romancier de nos jours. La vraie science n’est jamais pédantesque, et l’illustre maître justifiait bien ce jour-là ces charmantes paroles d’Henri Heine : « Voyez cette montagne immense, c’est l’érudition de Jacob Grimm ; voyez au pied de la montagne la source fraîche et limpide qui en sort, c’est l’imagination de Jacob Grimm. » Voici donc ce qu’écrivait Jacob Grimm en 1854, dans l’introduction de son Dictionnaire allemand 4 ; après avoir signalé la saveur particulière du dialecte de la Suisse, il nomme l’écrivain qui en a fait le plus énergique usage, il nomme l’auteur d’Uli le valet de ferme, et ajoute ces paroles : « Il y a peu d’écrivains qui méritent de lui être comparés aujourd’hui pour la vigueur du style et l’impression qu’il produit ; nous le citerons plus d’une fois dans les volumes suivants de ce dictionnaire, et puissions-nous contribuer ainsi à populariser son vigoureux idiome ! »
Mai 1851.
SAINT-RENÉ TAILLANDIER,
Écrivains et poètes modernes, 1861.
1 J’emprunte ces lignes à une traduction française récemment publiée. (Voyez le Tour de Jacob le compagnon, par J. Gotthelf, traduction libre de l’allemand. Genève et Paris, 1854.)
2 Macchab. II, 37.
3 A. Vinet, Liberté religieuse et questions ecclésiastiques. Paris, 1854. Pages 485-486.