Des bons usages du mariage

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

L.-F. SAUVÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les toilettes des invités, tant hommes que femmes, sont une imitation plus ou moins réussie de celles que l’on exhibe à la ville les jours de gala. Seule, la toilette de la mariée en diffère, au moins sur un point : au lieu d’être blanche, la robe qu’elle porte est noire, toute noire ; une robe de soie ou de satin, ou d’étoffe de laine, à longue traîne, qui, vue à travers les transparences laiteuses d’un voile blanc très ample et très long, ne laisse pas que de produire une impression assez étrange. Cette toilette a-t-elle quelque chose de symbolique ? Libre aux gens à imagination de chercher à résoudre ce problème. Tout ce que l’on peut affirmer, c’est qu’elle est de date peu ancienne, et que les montagnards vosgiens n’y voient rien autre chose que du blanc sur du noir et du noir sous du blanc.

Il y a quelque vingt ou trente ans 1, les garçons d’honneur tenaient un drap (le poêle), étendu sur la tête des jeunes époux, pendant que le prêtre donnait à ceux-ci la bénédiction nuptiale. À l’époque où cet usage était en faveur, les invités ne manquaient pas de remarquer lequel des mariés se débarrassait le premier de ce voile maussade, car celui-ci, pensaient-ils, devait être celui qui se lèverait le premier chaque matin pour allumer le feu et préparer le déjeuner.

Une tradition assez répandue, mais qui n’est peut-être qu’une altération de la précédente, avec laquelle elle semble en désaccord, veut que celui des époux qui se lève le premier, après avoir reçu la bénédiction nuptiale, soit le maître dans son ménage.

Pendant le dîner des noces, un des plus jeunes invités se glisse sans bruit sous la table et va détacher la jarretière de la mariée. Comme on le pense bien, il a son heure de triomphe, l’heureux gaillard, quand, après avoir fait flotter devant les yeux charmés de l’assemblée l’interminable ruban dont il s’est emparé, il y taille une multitude de décorations qu’il distribue généreusement à tous les convives.

Dans quelques villages, il est aussi d’usage que, s’il se trouve dans le nombre des invitées une femme enceinte, celle-ci vienne offrir à la mariée, au commencement du repas, un morceau de pain qu’elle sanctifie par un signe de croix, et lui présente en disant :

– Puisse-t-il vous faire autant de profit qu’à moi !

À ce propos, une remarque importante : il n’est pas bon qu’il y ait trop de femmes enceintes à une noce ; c’est signe que les jeunes mariés auront beaucoup d’enfants et connaîtront la misère.

Point de beau mariage sans bal, et celui-ci se prolonge jusqu’au jour. Les jeunes époux sont soumis, cette nuit-là, à de rudes épreuves. C’est à qui travaillera à les éloigner l’un de l’autre, à les empêcher de se rapprocher, à contrecarrer leurs projets d’évasion. On suit le moindre de leurs mouvements, on épie la direction de leurs regards, on s’attache à chacun de leurs pas. S’ils parviennent à déjouer la surveillance, ils ne se réunissent un instant que pour être aussitôt séparés. Quand, après mille et mille péripéties, les portes de la chambre nuptiale se sont refermées sur eux, qu’ils ne se flattent pas d’en avoir fini avec leurs tribulations ; les persécutions auxquelles ils viennent d’échapper ne sont que jeux d’enfant auprès de celles qui les attendent. À peine ont-ils eu le temps de se mettre au lit que, patatras ! tout s’effondre, chaque pièce du meuble ayant été déboulonnée à dessein. Et quel bruit ! La paillasse est mise en communications, à l’aide de ficelles, avec une douzaine de sonnettes. Pas un mouvement qui ne soit le signal d’un carillon assourdissant. Pour comble de misère, le lit semble habité par des milliers d’insectes. Il n’en est rien, en réalité, mais un mauvais plaisant a eu la déplorable idée de glisser entre les draps du poil à gratter. Ce n’est pas tout : si la porte a été bien fermée et peut résister à un assaut, il n’en est point ainsi de la fenêtre. Elle cède à une poussée du dehors, et des projectiles de toute sorte pleuvent au milieu de la chambre. Bientôt même, elle s’ouvre toute grande et une douzaine de drôles font irruption dans la place, sous le fallacieux prétexte d’apporter du vin chaud aux nouveaux mariés. Et quel vin chaud ! Il brûle la bouche, il râpe la gorge, il est détestable.

On comprend que, pour éviter de pareils désagréments, certains jeunes mariés soient disposés à tenter l’impossible. Aussi n’est-il pas rare qu’une voiture les attende, dès minuit, dans quelque carrefour voisin, prête à protéger leur fuite. Mais le moyen d’arriver jusque-là sans encombre ? On est souvent dans ce monde trahi par les siens, et, si le secret est éventé, si le cri de « complet » retentit à l’oreille des trop confiants époux, lorsqu’ils s’apprêtent à prendre possession du léger véhicule, on devine leur confusion, leur embarras, et aussi les lazzis qui saluent leur rentrée dans la salle de bal. Le mieux est presque toujours d’accepter l’épreuve telle que les anciens nous l’ont livrée, et de faire contre mauvaise fortune bon cœur.

À l’idée de mariage se rattachent directement ou indirectement un grand nombre de croyances ou de pratiques superstitieuses :

Si le jour d’un mariage coïncide avec celui d’un enterrement, il serait du plus mauvais augure, pour le jeune ménage, que les deux cortèges vinssent à se croiser. C’est pour éviter cette fâcheuse rencontre que certains mariages ont lieu de grand matin, souvent même avant le jour.

De la pluie un jour de noces, signe favorable : de beaux enfants, et pour chacun fortune et réussite assurées. S’il fait beau, le contraire se produira infailliblement.

La jeune fille qui met la première épingle à la toilette d’une mariée est certaine de se marier elle-même dans l’année.

À Ventron, une jeune fille qui se marie avant ses sœurs aînées doit leur donner à chacune, le jour de ses noces, une chèvre blanche. Cette chèvre est rarement en chair et en os, elle est le plus souvent en bois, en carton, un simple jouet d’enfant, à moins qu’elle ne soit, ce qui est moins coûteux encore, taillée en plein navet.

Un veuf qui se remarie doit, le jour de ses noces, faire entrer chez lui sa femme à reculons et par une autre porte que celle qui a livré passage, pour la première fois, à la première épouse. En prenant cette précaution sage, il met à l’abri de tout sort et enchantement sa nouvelle compagne.

L’usage de donner un charivari aux veufs et aux veuves qui se remarient est toujours en vigueur, même dans les villes, où nul ne songe à invoquer pour le faire cesser l’application des règlements de police. Quand les sonneurs, tambourinaires, timbaliers sont las d’avoir fait un beau tapage à l’aide de tous les ustensiles de cuisine qui leur sont tombés sous la main, ils envoient une députation aux mariés pour réclamer le salaire auquel ils ont droit. Il est rare que les mariés ne s’exécutent de bonne grâce, et n’accompagnent de paroles aimables les gros sous qu’ils versent dans la main des musiciens improvisés.

Le soir du mariage, celui des deux époux qui cède le premier au sommeil est aussi celui qui doit mourir le premier.

Une personne affligée d’un goitre peut s’en débarrasser, si elle assiste pieusement à une messe de mariage en tenant son goitre serré, à l’aide d’un ruban, pendant toute la cérémonie.

Autrefois, les femmes mariées conservaient leurs souliers de noces aussi longtemps que possible, persuadées que, le jour où elles ne les auraient plus, elles seraient battues par leurs maris.

La perte de l’anneau de noces est un présage certain de malheur.

Dès qu’une femme reconnaît qu’elle est enceinte, elle doit au plus vite retirer de son doigt l’anneau nuptial, sous peine d’étrangler le fruit qu’elle porte dans son sein.

Quand le pain commence à moisir dans une maison où il y a une fille, c’est signe qu’il tarde à celle-ci d’être mariée.

Quand les tresses du tablier d’une jeune fille se délient, son amoureux pense à elle, le jour de son mariage est proche.

Une fille qui marche sur la queue d’un chat est sûre de ne pas trouver d’épouseur de toute l’année.

Une jeune fille au lavoir se mouille-t-elle le devant du corps, mauvais signe : elle aura pour mari un ivrogne.

Une jeune fille ou un jeune garçon qui fait tomber une chaise verra sept ans s’écouler avant de se marier.

Autrefois, à Dommartin-lès-Remiremont, il n’était pas sans exemple qu’une jeune fille fût appelée à faire la preuve de sa virginité, soit comme condition d’un mariage projeté, soit parce qu’elle avait à se défendre d’une accusation portée contre son honneur. Il lui était alors enjoint de passer, en présence de ses parents et de témoins choisis parmi des personnes de son sexe, sous le grand Christ de l’église et de rester agenouillée, pendant dix minutes environ, dans l’ombre que la croix projetait sur les dalles. Si, au moment où elle se relevait, le flux menstruel n’apparaissait pas, alors même qu’elle en eût souffert la semaine précédente, elle était réputée impure et sa honte éclatait à tous les yeux.

Un fiancé, pas plus qu’un mari, ne doit faire cadeau d’un couteau à la femme qu’il aime : « Couteau donné coupe amour et amitié. »

Quand une femme perd sa jarretière, son mari lui est infidèle. Si c’est une fille, son amoureux est inconstant.

Une femme qui descend du lit, le dos le premier, est de mauvaise humeur toute la journée.

... Enfin, une femme qui met son bonnet de travers n’indique rien de bon ; elle prépare quelque méchant tour à son mari, à moins, ce qui est pis, qu’elle ne soit une sorcière.

 

 

L.-F. SAUVÉ, Le folklore des Hautes-Vosges, 1889.

 

Recueilli dans Contes populaires et légendes de Lorraine, 1976.

 

 

 

 



1 Vers 1870.

 

 

 

 

 

 

 

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