Pauline de Flaugergues

(1799-1878)

 

Notice biographique extraite de :

Alphonse SÉCHÉ, Les Muses françaises.

 

 

 

Il y aurait un bien curieux livre à écrire sur Henri de Latouche (1), poète, romancier et journaliste. Ce n’est pas que son œuvre soit de première importance, mais le rôle qu’il joua dans les lettres pendant une trentaine d’années, et les aventures de sa vie sentimentale, en font une des plus intéressantes personnalités de son époque. En 1819, il révèle André Chénier au public en éditant les poésies du grand élégiaque; directeur du Figaro, il aide puissamment George Sand qui débute dans la littérature; Desbordes-Valmore pleure pour lui ses vers admirables; enfin, sur ses vieux jours il inspirera encore un dévouement infiniment touchant à la plus tendre des femmes : Pauline de Flaugergues.

Elle était née à Rodez le 4 fructidor an VII (21 août 1799). Son père, Pierre-François Flaugergues, était un homme très distingué. Girondin convaincu, son irréductible opposition à Bonaparte lui fit perdre son emploi et fut cause de sa ruine complète. Il avait épousé une demoiselle Marie-Antoinette-Sophie Patris.

Pauline (Marie-Anne-Françoise) reçut une forte instruction : elle parlait plusieurs langues. – Très précoce, elle aima de bonne heure la littérature et, aux environs de sa douzième année, elle ébaucha ses premiers vers. Mais ses poésies, comme tant d’autres qu’elle fera par la suite, elle les gardera pour elle, sans songer jamais à en tirer vanité. Il faudra la ruine de sa famille pour la faire sortir de sa réserve. Alors, elle prend la plume avec l’espoir de venir en aide aux siens. En 1827, elle publie La Grèce, poème de William Haygarth, traduit de l’anglais; puis, en 1835, La Violette d’or, lais imités de l’anglais. Entre-temps, elle a accepté d’aller auprès de la jeune reine Dona Maria de Portugal, dans son château de Belem. Ce fut alors qu’elle ajouta une particule à son nom.

La mort de son père, survenue en 1836, la fit rentrer en France.

Comment elle connut Henri de Latouche ? On ne sait trop. – Toujours est-il qu’étant venue à Paris, dans l’intention de gagner sa vie avec sa plume, elle le fréquenta beaucoup... jusqu’au jour où elle s’en vint demeurer auprès de lui, dans sa petite maison de la Vallée-aux-Loups.

            Je l’appelle tantôt mon enfant et ma mère,

            Près d’un lit résigné, c’est l’envoyé de Dieu.

            C’est l’encens d’une fleur pour embaumer l’adieu !

 

Ainsi dira le vieux poète reconnaissant des soins de la tendre fille. Il avait déjà connu plus d’un dévouement de femme, « aucun pourtant n’atteignait, – dit M. Ed. Pilon, – par sa grandeur dans le sacrifice, le profond attachement de cette modeste Flaugergues de qui l’âme poétique trouva dans l’amour d’un homme accablé, misanthrope et vieilli, l’aliment de toute une vie de tendresse et de souffrance ».

Jamais elle ne faillit à la lourde et pénible tâche qu’elle s'était volontairement imposée, jamais elle n’eut un mot de reproche, jamais un murmure. Pourtant, elle ne trouva pas toujours, auprès de Latouche, les égards et les soins qu’elle méritait. Il l’aimait, cependant, mais la maladie l’avait rendu injuste et irritable.

« Ce que cette intelligente, courageuse et modeste femme – écrit George Sand – a souffert auprès de ce mourant si aimé, nul ne le saura jamais, car jamais une plainte ne sortit de son cœur, jamais un regard, ni un soupir d’impatience ou de découragement ne firent pressentir au malade ou à ses amis l’énormité d’une tâche si rude pour un être si frêle. »

Lorsque Latouche mourut, aucune douleur ne fut comparable à la sienne : « Elle plaça, dit-on, – écrit encore Ed. Pilon – dans une orne de pierre, à la base d’un mélèze, le cœur du poète; elle mit partout aux murs de la maison agreste des portraits du cher hôte. Toutes choses laissées intactes dans le jardin intime, dans la chambre où l’ami passa ses derniers jours, toute vêtue en noir, amaigrie et les yeux battus de pleurs, elle se recueillit en lui, assembla ses souvenirs et se consacra des jours à veiller sa mémoire. »

Tout entière au souvenir du cher mort, elle réunit et publia les dernières poésies de Latouche.

Survint la guerre; – il fallut l’arracher de la petite maison d’Aulnay. Elle ne voulait pas abandonner les lieux où son ami avait vécu si longtemps veillé par son affection.

Et quel chagrin quand, l’étranger parti, elle retrouva l’ermitage de la Vallée-aux-Loups saccagé, tous les papiers de son maître brûlés, déchirés, disparus... Hélas, cet ermitage, il lui faudra bientôt le laisser pour jamais. La pauvre fille n’a pas su gérer sa petite fortune, elle est presque ruinée, et il va lui falloir entrer dans un asile. « Le jour, écrit M. de la Morinerie, que l’on vint la chercher pour la conduire à l’asile de Sainte-Anne d'Auray, à Châtillon, affaissée sur elle-même, l’œil terne, on aurait pu la croire morte : on la souleva de son fauteuil. Mais, à ce moment, comme si une violente secousse lui eut rendu la force et le sentiment, elle se leva brusquement, les membres raidis, la prunelle pleine d’éclairs, les mains crispées. Il fallut l’enlever; elle se cramponnait aux murs, aux arbres, elle s'incrustait convulsivement dans le sol; elle jetait des cris rauques et lugubres qui devaient dire : Pourquoi ne pas me laisser mourir là ? »

Elle s’éteignit le 10 février 1878, à l’âge de 81 ans.

Parlant de la poésie de Pauline de Flaugergues, George Sand a dit excellemment : « Il me semble que la manière de Mlle Flaugergues, comme celle de notre ami (Latouche), appartient à l’école d’André Chénier, qu’il y a plus de clarté et de correction chez elle que chez M. de Latouche, et qu'il y a toute la grâce, toute la richesse descriptive de Chénier, avec ce précieux don de la tendresse d’une femme, de la douleur bien réelle d’une fille pieuse. »

 

(1) Hyacinthe-Joseph-Alexandre Thabaud de Latouche (dit Henri de Latouche), né à la Châtre, dans le Berri, le 2 février 1785, mort à Aulnay près Paris, le 9 mars 1851.

  

 

 

 

 

 

 

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