Forces mystiques et conduite de la vie
par
SÉDIR
« OÙ SE TROUVENT DEUX OU
TROIS RÉUNIS EN MON NOM,
JE SUIS AU MILIEU D’EUX. »
(MATTHIEU XVIII, 20.)
Mon propos est de vous entretenir d’un sujet très ancien et toujours nouveau ; il va d’ailleurs, dans les années prochaines, redevenir d’une passionnante actualité. C’est notre Ami éternel, le Christ, de qui nous essaierons de nous souvenir ensemble, bien que nos réminiscences ne puissent jamais être que des balbutiements. Le Christ, personne ne Le connaît, sauf Lui-même, le Père qui L’envoie et l’Esprit qui Le sert. Aucune créature – vous entendez, je dis : aucune – n’a fait que L’entr’apercevoir. Le regard scrutateur des maîtres de la théologie, le cœur enflammé des saints, la méditation des philosophes n’ont jamais saisi que l’un des mille scintillements qui frangent Son auréole cosmique. L’Angelico se préparait par le jeûne à peindre ses célestes figures et les traçait en pleurant d’amour et de compassion. Par quelles pénitences brûlantes, par quelles larmes adorantes celui qui prétend dire l’intime du Verbe ne devrait-il pas préluder à son discours ?
Je serai donc au-dessous de ma tâche, très certainement. Il faut alors que vous m’aidiez. Aussi bien – quoique sans comparaison – Jésus fit-Il peu de miracles à Nazareth, parce que Ses compatriotes étaient incrédules.
Vous avez compris que c’est votre foi que je réclame. Votre foi, non en moi, mais en ce que je dis ; non en ce que je fais, mais en Celui de qui je veux vous parler. Si, dès que je me mets en votre présence, j’assume envers vous certaines responsabilités et surtout celle de vous être utile, vous aussi, par le seul fait que vous êtes venus, contractez des devoirs, ou plutôt des obligations, envers l’idéal qui est notre commun souci.
Il existe là une réciprocité mutuelle comme entre collaborateurs.
Si je prends la hardiesse de vous entretenir des réalités éternelles, je vous fais la promesse tacite de vous les rendre sensibles, vivantes, de leur donner corps, de vous faire toucher leurs présences immanentes sous les voiles des banalités quotidiennes. Il faut que je vous rende possible la découverte de nouveaux modes de pensée, d’amour et d’action. Il faut que des paysages inconnus se déploient en vous. Il faut que je vous enlève au-dessus du terre à terre ; que je vous enivre de l’ivresse du Ciel ; que vous vous preniez à flamber comme de vivantes, d’inextinguibles torches ; que la soif du Ciel vous dessèche ; que la fringale du sacrifice vous consume ; que quelque chose enfin se lève dans vos cœurs, à chacun, et crie : Servir, servir, voila mon vœu.
Me sera-t-il donné de susciter cet élan ? Et si une telle force répond à mon indigne prière, son effet durera-t-il encore lorsque vous aurez passé ce seuil ?
Il n’importe ; l’effort doit être tenté, même si on le prévoit peu durable.
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Les devoirs de l’orateur sont tellement lourds, vous le voyez, que l’aide de son public lui est nécessaire.
Ici s’ouvrent deux écoles.
Je pourrais flatter d’abord le penchant inné des hommes pour le merveilleux, et très doucement, petit à petit, le convertir en goût des choses éternelles.
Ou bien je puis, ouvertement, attaquer la magie, les initiations, les sagesses ésotériques, en montrer les bases précaires et les horizons en somme étroits ; puis construire sur ces ruines un temple nouveau, ou une chapelle.
Mais la première méthode me semble un peu diplomatique ; et, quant à la seconde, je sais que le Ciel n’aime pas qu’on démolisse, non plus qu’on galvanise des cadavres. Lorsqu’une créature ou une institution deviennent inutiles, elles tombent d’elles-mêmes. Que ferais-je donc, au cas où vos désirs ne correspondraient pas aux miens ? Je vous proposerai un effort. Voici :
Ce que j’ai à vous dire est encore plus simple que ce que la religion nous enseigne. N’attendez de moi que des notions connues, mais oubliées, enfouies en vous sous des alluvions nombreuses. Certaines de ces idées vous paraîtront incroyables, peut-être ; mais, parce que votre âme les a déjà entendues autrefois, au seuil de l’éternité antérieure, vous me croirez, si rudement que je heurte les formes actuelles de votre mental.
Je vous demande d’abord votre attention.
Si vous écoutez un professeur, un artiste, qui ne soit qu’un homme de talent, votre bonne volonté de retenir et de comprendre suffira. Mais si vous voulez que s’ouvre le sanctuaire intérieur aux échos des harmonies divines, il faut plus qu’une disposition mentale. C’est votre cœur qui doit se donner. Venez à celui qui parle, quelque indigne qu’il soit, comme à la voix extériorisée de votre conscience. Vous et lui, vous formez un couple de forces ; que vos désirs ascendants et que son effort descendant se joignent, se prennent, se conjuguent, afin que de leur union naisse un enfant spirituel.
D’ailleurs, si je suis à cette place, c’est que vous m’y avez appelé. La minute présente est toujours la fille d’innombrables désirs inconnus. Sans que votre mémoire s’en souvienne peut-être, votre cœur a crié, une nuit de détresse intellectuelle ou morale ; et la forme de ce cri reste encore inscrite sur le visage de beaucoup d’entre vous.
Vous avez eu de l’inquiétude ; l’idéal en vous a cherché de l’idéal hors de vous ; et, comme tout désir travaille de soi-même et finit par créer sa satisfaction, votre désir, après bien des courses dans l’invisible, bien des fatigues, bien des mécomptes, a fini par nous réunir, vous et moi.
Souvent une lassitude vous accablait, de l’inappétence sans cause. C’était la quête anxieuse de votre esprit parmi ces mondes grouillants qui s’étendent à perte d’imagination dans l’occulte Au-Delà, où nous ne sommes que des poussières.
Eh bien ! le commun désir du Ciel qui nous a réunis fera que vous me comprendrez si c’est vraiment du Ciel que je vous parle. Mais, si vous désirez Dieu, et que je vous veuille conduire vers les paradis de l’occultisme ou de l’ésotérisme, nous ne nous comprendrons pas. De même – et c’est ici l’écueil où nos mutuels élans peuvent se briser – si je vous parle du Père, du Fils, de l’Esprit, tels que la Lumière profonde en vous sait bien qu’Ils sont, tandis que votre moi, votre intelligence, votre vouloir n’ont soif que de merveilleux et pas de divin ; alors mon désir et votre désir, courant par des sentiers différents, ne se rencontreront pas, ni ne porteront de fruit.
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Ce que je vous demande ensuite, c’est de la simplicité. Une heure par semaine, une petite heure, redevenez simples. En rentrant dans cette salle, dont l’atmosphère vibre encore du battement des ailes angéliques, que vos cœurs recouvrent l’ingénuité de l’enfance. Oubliez ce que vous êtes et ce que vous fûtes. Savants, oubliez vos sciences ; philosophes, oubliez vos sagesses nombreuses ; tous, oubliez vos vices, car, tous, nous sommes criminels, nous pouvons l’avoir été, ou nous pouvons le devenir.
Essayez de ne pas dire en m’écoutant : « Cela, c’est du Plotin ; ceci, c’est de l’hindouisme. » Apprendre est un art ; oublier en est un aussi. Oubliez donc : femmes, vos douleurs et vos passions ; hommes, vos ambitions ; jeunes gens, vos fanatismes ; vieillards, vos lassitudes. Dites-vous, pour une heure, que vous êtes redevenus des ignorants, des candides, des tout petits ; car, bien que moi je ne sois rien, je ne sache rien, je ne puisse rien, peut-être – pourquoi pas ? – la Certitude, la Paix, la Béatitude vont-elles descendre sur vous tout à l’heure, sous le couvert de mes phrases incolores et maladroites.
Dites-vous : deux fois, cent fois, dans ma vie, j’ai cherché Dieu ; peut-être l’heure de la rencontre est celle-ci !
Faites de la place en vous pour cet instant béni. Que l’Ange trouve la maison nette ; que l’étincelle descende sur un bûcher tout prêt ; que la graine tombe dans un sol sans mauvaises herbes. Si nous savions regarder, nous verrions à toute heure des miracles.
Toutefois, n’attendez pas de moi des révélations. Les grandes idées fondamentales de la vie intérieure sont aujourd’hui les moins connues. L’homme est partout curieux de mystère ; mais, chez le civilisé, ce goût devient facilement une manie. Voilà un des plus grands obstacles qui nous empêchent l’accès de la Vérité. Le simple seul est vrai. Cet axiome devrait guider nos recherches intellectuelles ; notre état psychique est strictement lié à son observance. En effet, la complication du moi évoque une complication analogue du non-moi ; ou, pour parler un langage plus clair, notre conscience aperçoit la Nature à travers le prisme de la personnalité. Un prisme homogène transmettra une image exacte et nette, un cristal trouble rendra l’image confuse. D’autant plus que notre mental n’est pas une substance inerte ; il possède un attrait magnétique qui va chercher parfois fort loin dans l’invisible les formes du non-moi qui lui sont correspondantes.
Plus le moi est un, plus il est capable de percevoir l’unité objective ; et son unification dépend de sa simplification. Comment nous simplifier ? demanderez-vous. En nous oubliant, en nous refusant à nous-mêmes les acquisitions et les satisfactions personnelles. Ainsi les rares hommes parvenus au sommet de l’ascèse mystique ne se distinguent en rien de la foule ; leur splendeur intime reste cachée, même aux psychologues qui les regardent vivre.
Cet oubli de soi-même est un des caractères de ces « pauvres en esprit » que le Christ béatifie ; il nécessite une sorte d’ingénuité d’âme, une spontanéité d’enfant, une candeur que les aurores de la véritable régénération voient seules fleurir. Tel est le sens de cette maxime de saint Antoine l’Ermite : « Il n’y a pas de prière parfaite si le religieux s’aperçoit lui-même qu’il prie. »
Tout enrichissement de notre être demande un appauvrissement préalable ; toute acquisition exige une renonciation. En énonçant ces paradoxes je ne veux pas vous mener aux écoles orientales qui, pour obtenir le Savoir, tuent le désir de savoir. Ce procédé est excellent pour qui ne connaît pas le chemin de la vie absolue ; nous, disciples du Christ, nous savons que, pour devenir un avec notre Maître, consubstantiels avec Lui, il nous faut trois choses :
Renoncer à soi, et non tuer le désir,
Porter sa croix, et non s’évader du devoir,
Suivre le Christ, et non aucun autre dieu.
En ce qui nous occupe actuellement, vous et moi, le premier effort est seul nécessaire. Si nous voulons nous comprendre, si nous voulons que notre rassemblement soit fructueux et qu’il évoque une Lumière, il faut et il suffit que nous renoncions à nous-mêmes, c’est-à-dire que nous soyons un.
Quant à moi, je dois oublier tout ce que je puis savoir de vous, de vos opinions et de vos cœurs ; je dois n’apercevoir en vous que la seule flamme, droite et pure, de la recherche divine. Quant à vous, que non seulement vous arrêtiez vos désaccords extérieurs les uns avec les autres, mais aussi vos désaccords intérieurs entre votre tempérament, votre caractère, votre mentalité, votre éducation et le désir immortel de l’Idéal qui vous a conduits ici.
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Mais la méthode la plus énergique et la plus courte d’obtenir cette simplesse, cet élan, que je ne crains pas de vous demander, consiste dans l’acquisition et la mise en œuvre de la très mystérieuse et très puissante force de la foi.
Examinons ceci avec le soin le plus scrupuleux.
Pour le théologien catholique, lequel est en ce cas d’un avis assez semblable à celui du théologien brahmanique, la foi est la représentation substantielle de ce que l’on espère, l’affirmation de ce qui n’est pas apparent, la connaissance surnaturelle, c’est-à-dire impossible aux hommes et aux dieux, quelles que soient les facultés glorieuses qui puissent leur appartenir.
Un astronome me parle des canaux de Mars. Je le crois ; ce n’est pas de la foi, car je puis refaire ses expériences ; je puis, par les privilèges attribués aux adeptes, aller vérifier sur place ses renseignements. Un ange me dit : Jésus est le Fils unique de Dieu. Si je le crois, c’est de la foi, parce qu’il est impossible à la raison, comme aux sens, physiques ou transcendants, de s’assurer de ce fait. Les interprétations ésotériques, alchimiques, magiques, astrologiques, subjectives des mystères religieux n’appartiennent pas à la foi ; ce sont des concepts naturels, humains, relatifs. La formule de l’acte de foi n’est pas précisément le fameux : « Je crois parce que c’est absurde », mais : « Je crois, bien que cela me paraisse absurde ».
La foi vise Dieu, et Dieu seul. Ainsi elle est unique de son espèce et véritablement universelle, car elle opère au-dessus des formes, des rites, des lois, des religions. Elle sauve tout homme ; elle transmue en bien tout acte mauvais par lui-même, mais effectué dans l’intention pure de l’Absolu.
Cet Absolu, Dieu, dont la présence est universelle, plénière, physique, oserai-je dire, faute d’un terme plus exactement expressif, nous ne Le voyons, ni ne Le sentons ; cependant nous sommes certains qu’Il est là, parce que notre principe intérieur d’éternité connaît et reconnaît le principe extérieur d’éternité dont Il procède ; mais les organes de cette âme divine : l’esprit, l’intelligence, le sensorium, ne sont pas assez affinés pour l’enregistrement de ces lumières sublimes. Tout ce que l’homme peut arriver à percevoir par ses propres forces n’est pas éternel.
La foi, c’est, en dépit de l’incompréhension, de la non-perception, de la non-intuition même, un acquiescement entier, un assentiment inébranlable de la volonté à la parole de Dieu. Seule de toutes les religions, celle du Christ réclame de nous cet effort. À vrai dire, ce n’est pas nous seuls qui l’accomplissons ; c’est le Christ dans le centre de notre cœur qui nous rend sensibles aux paroles anté-séculaires de la Sagesse éternelle. Par ainsi, la foi nous unit au Verbe Jésus, nous unifie avec Lui, opère notre régénération en Dieu et nous sauve.
Une foi immuable éloigne le danger, puisqu’elle nous jette dans l’abîme de la Toute-Puissance. Elle opère tous les miracles puisqu’elle affirme le surnaturel. Elle guérit l’incurable et purifie le criminel, puisqu’elle bouleverse tout en nous et nous réorganise de fond en comble. Rien n’est impossible à qui en possède la moindre parcelle, et les promesses du Christ à son sujet ne sont pas des métaphores. Une dans son objet, innombrable dans ses applications, obscure dans son essence, toute-puissante dans ses effets, la foi ne demande qu’une seule condition : c’est d’être vivifiée par des actes, encore plus que par des paroles. Les œuvres matérielles seules fournissent de l’aliment aux plantes spirituelles. De même, en retour, l’intention centrale du cœur, sublimée par la foi, dynamise les travaux de nos mains.
Si l’acte est la pierre de touche, l’épreuve de la foi, car tout ce que l’on sacrifie à une idée la renforce, le doute en est l’ennemi ; il divise nos forces, la foi les concentre. Exerçons-nous à ne pas douter.
Ainsi, un malade prie pour être guéri ; s’il ne l’est pas, il faut qu’il conserve la même certitude d’espoir, en dépit de toute logique. Ainsi encore, vous voilà venus dans l’attente de quelque chose de nouveau et vous allez être déçus. Revenez tout de même, revenez jusqu’à la fin, car, certainement, vous obtiendrez un jour la Lumière.
Le plus beau des fruits qui mûrissent sur l’arbre de la foi, ce n’est pas le don des miracles, c’est la patience. La patience, force merveilleuse et mystérieuse par laquelle, le Christ nous l’affirme, nous parvenons à posséder nos âmes. Posséder son âme, c’est que tout ce qui compose cet ensemble très complexe que nous sommes devienne vraiment notre propriété, qu’on soit le maître de soi-même, qu’on se connaisse parfaitement, triple initiation au baptême de l’Esprit.
On peut apercevoir ici la raison pour laquelle l’apôtre Paul fait cette remarque en apparence superflue : La foi vient de l’ouïe. Il existe, en effet, une relation secrète entre les arcanes du Ciel et les fluides acoustiques, entre le sens auditif et le sens du divin. La musique, dans son effort d’exprimer l’inexprimable, nous donne le même enseignement. Mais ne nous laissons pas entraîner dans le fascinant labyrinthe des sciences mystiques ; et maintenant que nous avons terminé la très rapide esquisse des dispositions dans lesquelles l’auditeur d’un discours religieux doit se placer, il ne nous reste que bien peu à dire pour conclure.
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La plus importante de ces dispositions que je vous demande transforme votre existence en un combat continuel. Engagez ce combat avec la certitude d’être vainqueurs, et vous vaincrez. Car le champ de bataille est ici le monde moral. Cette lutte s’équilibre par une culture : l’amour fraternel. Notez ces deux types mystiques : le soldat de Dieu, le laboureur de Dieu ; nous aurons à y revenir souvent au cours de ces causeries.
L’œuvre est le corps de la foi. L’œuvre la plus excellente, la charité, en sera le corps le plus beau. Dans la conjoncture où nous sommes, vous avez une certaine sorte de charité à répandre pour que votre foi vive et opère. Vous avez une chose spéciale à réaliser pour que se lèvent dans vos cœurs les transports, les exaltations, les prosternements où nous jette la vue extasiante de la Lumière incréée. Voici :
Quand l’homme envisage avec la gravité convenable les vastes complications de la vie, il aperçoit aussitôt la nécessité d’une aide. Il la trouve dans le milieu invisible où son esprit a élu résidence ; et, selon son caractère, il utilise ces forces auxiliatrices, il les sollicite ou il essaie de les commander.
Si le moi habite l’appartement de la matière, il s’adressera aux forces matérielles ; s’il habite l’appartement des fluides, il s’adressera aux divers magnétismes ; s’il habite l’appartement de l’intelligence, il aura recours aux forces mentales, et ainsi de suite. Si ce moi connaît la Lumière surnaturelle, ce sont les forces mystiques qu’il sollicitera.
Ce que sont ces forces, au moins les principales, nous l’étudierons dans la suite de ces entretiens. Pour aujourd’hui, il nous suffit de savoir qu’elles existent à portée de la main, qu’elles nous entourent, qu’elles nous baignent, et qu’il dépend de notre seul bon vouloir de nous les incorporer.
L’ambiance tout entière est pleine d’esprits. Non seulement des anges et des démons, mais des créatures de tout degré, en qui la bonté et la méchanceté se mêlent selon des proportions infiniment diverses. Si l’enseignement religieux commun ne parle que d’êtres bons ou mauvais à toujours, c’est sans doute afin d’éviter à la masse ces curiosités dangereuses qui essaient de se satisfaire par la pratique de la magie.
La littérature patristique mentionne bien l’existence des esprits de la Nature, mais sans s’y arrêter. À vrai dire, il n’y a pas d’êtres fixés éternellement dans les Ténèbres, et il y en a très peu – on pourrait les compter – fixés à jamais dans la Lumière. Nous fûmes des anges ; nous sommes en alternative de devenir des démons ou de remonter plus haut que les anges. Mais ce qui nous intéresse pour le moment, c’est de savoir que nous avons des auditeurs et des spectateurs invisibles en grand nombre. Vous avez amené, chacun, avec vous, toute une cohorte d’esprits : esprits de vos ancêtres, esprits de vos descendants, esprits de vos parents actuels, esprits auxiliaires, adversaires, illuminateurs, corrupteurs. Vous n’avez pas une haine, une amitié, un désir, un élan, un souci, une joie, une larme, qui n’existent individualisés dans les espaces intérieurs de votre personnalité avant de devenir un fait matériel sur cette terre.
L’objet même en vue duquel nous nous sommes réunis appelle et apporte autour de nous un nombre d’entités invisibles proportionnel à l’énergie volitive, à la ferveur que nous avons mises à le viser, à la place que nous lui avons réservée dans notre cœur.
Percevoir ces entités, les classer, accepter les unes, rejeter les autres, cela, il ne faut pas le faire ; ce n’est pas de notre ressort. Nous n’avons, vous et moi, qu’à nous préoccuper d’une seule chose, « l’unique nécessaire ». Que toutes ces présences, toutes ces énergies, bonnes, mauvaises, hésitantes, s’en retournent, tout à l’heure, dans leurs séjours respectifs avec une joie, un confort, un rafraîchissement.
Comment faire ? Nous réconcilier, nous mettre en paix avec tous les êtres.
Ceci n’est pas une maxime banale ; c’est une formule de dynamique spirituelle simple, efficace, précise dans son emploi, générale dans ses effets ; c’est une loi rigoureuse, un accumulateur d’énergies incommensurables.
Ne pas attaquer de créature, ni par la pensée, ni par la parole, ni par l’acte, c’est une discipline ardue. Essayez de la suivre une journée ; aux efforts qu’elle vous coûtera jugez de l’importance des résultats.
Demeurer en paix avec les hommes, les animaux, les plantes, les pierres, les objets, les idées, les évènements, le temps, les passions, les anges, les démons et les morts, c’est ne rien leur prendre de plus que ce que la Loi leur commande de nous donner ; c’est les recevoir tous avec un sourire ; c’est leur offrir ce qui leur fait envie de nous-mêmes. C’est une charité immense, inlassable, très secrète ; c’est l’empire sur soi-même le plus constant, le plus immuable, le plus serein ; c’est le retour au bercail d’un nombreux troupeau dispersé. C’est un épisode de la bataille cosmique dans le tumulte de laquelle jaillit çà et là, comme l’éclair, la présence ineffable de l’Être incompréhensible, du grand Ange de la Paix, venu toutefois pour apporter la guerre et allumer dans ce monde un certain feu : Notre Jésus.
Si nous ne lésons personne, toutes ces créatures viendront à nous, en nous, parce qu’elles ont soif de Lumière et que ce n’est qu’à travers le cœur de l’homme qu’elles peuvent apercevoir la gloire de Dieu. Cette gloire, c’est l’harmonie, c’est la paix ; nous ne pouvons nous l’assimiler que si nous habitons son royaume. Pacifions, Messieurs ; pacifions nos corps, nos sens, nos esprits et les milieux où nous peinons avec une pleine conscience. Ne vous inquiétez pas de l’invisible, des arcanes, des choses secrètes ; rien n’est secret devant Dieu ; or vous vous êtes assemblés ici pour apprendre de nouveau à vivre en Dieu.
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Vivre en Dieu ! Souhait inouï de hardiesse, souhait tout simple aux cœurs simples. Je vous ai demandé bien des choses avant de vous rien offrir en échange. Je n’ai rien à vous offrir, ou plutôt, ce n’est pas moi qui vous présente les diamants et les perles du Trésor céleste ; c’est Ce Dieu, ce Père, vers qui je voudrais vous entraîner d’un irrésistible élan.
Le Père, Il est tout auprès de chacun de Ses enfants. Il a bouleversé Sa création pour Se rendre accessible à tous. Levez vos yeux et vous L’apercevrez ; tournez-vous vers Lui et Il vous ouvrira Ses bras miséricordieux.
C’est à ce suprême Grand Œuvre que je vous convie. Nul n’en est incapable ; et l’existence de chaque homme de bonne volonté, quelle qu’elle soit, lui offre un plan de travail et des occasions de progrès spécialement combinés pour lui et proportionnés à ses forces.
Commençons cette ascèse ensemble. Mettons, vous et moi, et dès cette minute, la première main à la statue merveilleuse de l’ange que nous serons un jour. L’ange, ai-je dit ? Non ; veuillons plus simplement devenir dignes de notre titre d’hommes ; aucune créature n’en porte de plus beau, puisque Notre Jésus voulut bien S’en revêtir.
SÉDIR, Les forces mystiques et la conduite de la vie,
Bibliothèque des Amitiés Spirituelles.