L’incarnation des âmes
par
SÉDIR
La Naissance et la Mort sont deux phénomènes réversibles et les deux aspects d’un même acte du drame cosmique de l’âme humaine, envoyée par le Père en voyage d’instruction parmi les mondes ; écoles obscures ou éblouissantes de la Sagesse éternelle.
Un voyageur s’embarque au Havre pour l’Amérique, au même moment où un autre quitte New York pour venir en Europe ; l’un disparaît de la France pour apparaître en Amérique, l’autre disparaît de l’Amérique pour apparaître sur les rivages français. Ainsi une naissance sur la terre fait suite à une mort dans quelque planète indiscernable, et une mort sur cette terre inaugure une naissance à une forme de vie plus parfaite.
Les religions occidentales ne nous renseignent que fort peu sur les existences extra-terrestres. Si l’on est vraiment un chrétien, on approuvera ce mutisme, car le chrétien qui demande à comprendre avant de croire est-il un chrétien ? Jésus nous a confirmé la tendresse et la miséricorde du Père ; qu’avons-nous donc besoin de savoir, si nous nous fions entièrement à Lui ? Et si notre confiance exige des explications, ce n’est plus une confiance, et nous ne sommes plus des chrétiens. Jésus nous demande cette confiance ; Il est venu pour nous faire passer du monde des effets au royaume de la cause première, pour nous faire franchir l’abîme réel qui sépare le fini de l’infini, le temps de l’éternité ; nous devons pour cela sortir de nos propres limites, comprendre combien le savoir est précaire et nos pouvoirs impuissants. Seule, la foi accomplit en nous cette transmutation miraculeuse ; seul, le vrai chrétien, lorsqu’il ne comprend plus, adore et, lorsqu’il ne peut plus agir, demande à son Père céleste.
Si donc je voulais observer avec rigueur la conduite évangélique, je ne vous parlerais pas de ces choses inconnues qu’il vous faudra accepter en prêtant confiance à mes dires. Mais, à notre époque, et pour des raisons qu’il ne nous appartient pas de scruter en public, les êtres sont tels que, pour se décider à agir, ils ont besoin de comprendre ou, plus exactement, ils ont besoin de l’illusion de comprendre ; c’est ainsi qu’une maman, pour que son petit enfant soit sage et fasse ses devoirs, répond à ses questions du mieux qu’elle peut et avec toute la prudence que lui inspire son amour.
Le Ciel donc a bien voulu soulever un coin du voile de l’Au-Delà pour Ses serviteurs ; c’est ce qu’ils ont aperçu que je vous transmets, espérant par là vous faire découvrir quelques aspects inconnus de la sagesse et de la bonté divines, et provoquer dans vos cœurs cette reconnaissance admirative seule capable de vous attacher à Lui et de vous faire Le servir par la prière et par la charité, ces deux formes de l’Amour.
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Le nombre des âmes humaines est limité, car la création est limitée. Les voix diverses des plus vieilles traditions affirment ceci, et c’est un fait exact. Chaque naissance demande une mort, ou plutôt deux morts : l’une sur quelque planète, l’autre sur cette terre, par la même raison que chaque mort se résout en une double naissance : une terrestre et une extra-terrestre. Ainsi, toute souffrance n’est que le moyen d’une joie, belle en proportion ; tout déchirement prépare l’éclat d’une fleur et la suavité d’un fruit précieux.
Un pays, un continent, une planète peuvent bien voir leurs populations varier dans de larges limites ; mais la population totale de l’Univers, quoique croissante, ne dépassera jamais le chiffre fixé par le Père en vue du dernier Jugement. Nos exils auront une fin, croyez-le, fin d’autant plus triomphante qu’ils auront été plus précaires. La route est longue, certes, qui nous mène à la vraie Ville éternelle ; mais la Ville est là, immuable, magnifique mille fois davantage que nos rêves les plus splendides. Avec quels transports n’en apercevrons-nous pas les remparts resplendissants !
En vérité, j’entends au point de vue absolu, il n’y a que deux sortes d’hommes : les enfants de la Nature et les enfants de Dieu.
Les premiers sont tellement nombreux que, pour ainsi dire, ils composent les humanités universelles presque tout entières. Ce sont les écoliers, les pèlerins, les évoluants, la foule entre des barrières, les sujets passifs du Destin. Ils subissent, ils réparent, ils s’instruisent, ils prennent des forces. Ils n’agissent pas, au sens réel du mot ; ils ne peuvent pas, ni ne savent pas encore agir ; leurs œuvres sont d’argile ; leurs paroles, des balbutiements ; leurs volontés, des caprices. Même les œuvres des génies, les paroles des conducteurs de peuples, les vouloirs des héros, tout cela, ce sont des ébauches, car nous les regardons, n’est-ce pas ? du point de vue de Dieu. Les hommes avancent, certes, mais si lentement qu’il faut attendre des siècles pour mesurer leurs progrès. Un jour, cependant, ils découvriront les frontières du monde ; leurs regards éblouis se rempliront des paysages éternels déployés tout près d’eux sur l’autre bord de l’abîme du Néant ; un jour, le Verbe, avec Ses anges et Ses amis, paraîtra au détour du chemin et, par la vertu d’un baptême définitif, dans le silence total des créatures attentives, ces esclaves deviendront soudain des hommes libres ; ces écoliers, des maîtres ; ces piétons harassés, des athlètes calmes et forts. On les vêtira de robes brillantes, on les saluera au titre d’Enfants de Dieu.
Mais, pour maintenant, ces Enfants de Dieu sont rares : quelquefois, un par race ; plus ordinairement, un seul par siècle, pour la terre entière.
Le premier en date qui, dans la littérature initiatique, parle de ces mystères, c’est Jean le Vierge, car personne ne les avait pu soupçonner avant la révélation corporelle du Verbe ; nul depuis, d’ailleurs, n’a non plus osé ou pu en dire un mot.
Voici ce qu’enseigne le Fils du Tonnerre : « Ceux qui ont cru deviennent, par une grâce du Verbe, enfants de Dieu ; ceux-là ne naissent ni des sangs, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais par la volonté de Dieu. »
Il ne faut pas entendre qu’on parle ici des âmes. Les âmes sont la Lumière même ; elles ne deviennent pas, elles demeurent ; elles ne tombent pas, elles restent spectatrices et témoins ; seul, leur éclat peut varier. Jean parle du moi, de l’esprit individuel. Le moi évolue, monte, descend, grandit, rapetisse, se salit, se purifie ; il appartient au Naturel et l’âme au Surnaturel. L’individualité est le produit de deux facteurs, l’enfant de deux parents ; tout naît par un mariage. Les parents, les véritables constructeurs de l’esprit, l’évangéliste les désigne comme pouvant être ou les génies de deux familles, ou un dieu avec une déesse de la matière, ou deux volontés exceptionnelles. Le premier cas est le cas général. Le second ne se présente que si, par exemple, telle forme de la matière va être assouplie à un ouvrage nouveau, parce que l’inventeur ne réussira que s’il possède une suprématie spirituelle sur les forces matérielles destinées à ce nouvel usage. Le troisième cas est tout à fait rare : il a lieu quand un dévastateur doit venir sur terre en fléau de la Justice, ou lorsqu’un séducteur spirituel y descend, comme réponse aux égarements d’une race.
Telle est la génération des esprits humains ; on y retrouve la loi universelle qui exige, pour chaque progrès d’un inférieur, le sacrifice de deux supérieurs. L’individualité a besoin, pour se construire, du double concours d’un génie qui s’exile et d’une âme qui s’enchaîne. L’enfant ne peut naître que si sa mère a accepté de souffrir et si son moi veut bien se laisser conduire en prison.
Dans l’intervalle de deux incarnations terrestres, ce qui, en nous, n’appartient pas à la terre passe le fleuve frontière du pays des ombres, et prend un repos durant lequel les poussières et les déchets se déposent peu à peu. Toutes les parties de notre être bénéficient de ce calme, car en toutes, dans les plus matérielles même, scintillent des étincelles du Centre, des souffles de l’Esprit les traversent, des rayons de l’âme divine les illuminent. Une alchimie délicate et mystérieuse règle cette opération. L’ossature psychique de l’individualité demeure en l’état où les travaux de l’existence qui vient de finir l’ont amenée ; tandis que les préjugés, les inutilités, les erreurs s’évaporent lentement au feu d’un soleil secret ; car l’âme, parce qu’engendrée du Vrai, n’accepte et ne s’assimile que le Vrai.
Avant de renaître, le moi retrouve donc ses organes de connaissance et d’action tels qu’il les a rendus à la Nature lors de son dernier départ. Mais l’huile a été décantée, la lampe éclaire mieux, l’idéal apparaît plus net ; l’élan inné de la vie améliore naturellement les canaux par où il descend à la rencontre de nos aspirations.
Ici entre en jeu la loi des renaissances. Faut-il accepter cette théorie ? Les preuves philosophiques ou expérimentales, aussi bien que celles données comme inattaquables par les occultistes, sont impossibles à admettre rationnellement. Il s’agit là d’une de ces nombreuses vérités dont l’intuition seule peut nous convaincre. C’est une vérité consolante pour la foule des demi-spiritualistes qui ne croient pas d’une foi plénière et sereine à la bonté de Dieu, ni à Sa justice. C’est une vérité inutile pour le disciple dans le cœur duquel palpite le sens du divin. Les hommes, pour la plupart, pensent comme si les perfections divines étaient renfermées, bien à part, dans un coffret verrouillé, ne concevant pas qu’elles sont vivantes, réelles, mêlées au monde, ouvrières actives, forces positives. Le disciple comprend ces choses d’une façon plus pratique. La réincarnation lui paraît possible et logique, puisque tout est possible, et qu’il suffit que Dieu veuille pour que tout soit ; mais il ne se préoccupe de rien que de son devoir immédiat. Son cœur habite le royaume du Permanent. Peu lui importe de prendre aujourd’hui le costume de l’ouvrier, demain celui de l’artiste, après-demain celui du prince ; n’est-il pas partout avec son Seigneur, avec son Bien-Aimé ?
Au reste, on ne découvre dans l’Évangile que des allusions à la pluralité des existences. Toute l’antiquité y croyait, tout l’Orient y croit encore aujourd’hui. Cette idée donne de l’espoir ; elle peut aussi rendre indolent. À l’inverse, la théorie catholique peut jeter le désespoir dans une conscience craintive, mais aussi elle fomente l’énergie des cœurs ardents.
Quoi dire d’exact sur la réincarnation ? Les vieux sages de l’Inde et de la Judée nous ont transmis quelques-unes de leurs recherches. Mais ne savons-nous pas d’avance qu’elles sont approximatives et conditionnelles, au même titre qu’une expérience de laboratoire ? Ne savons-nous pas que la venue du Verbe a bouleversé le Cosmos, détrônant les grands dieux, élevant les cohortes de l’abîme, peuplant les déserts, ruinant les populeuses cités de l’Invisible, mettant à gauche ce qui était à droite, et réciproquement ?
Dès lors, sur quelles bases refaire les calculs des initiés ? Comment guider nos voyants ? Sur quelles cartes de l’Au-delà se conduire ? Où élever l’observatoire pour l’immensité de la Création ? Ne faudrait-il pas, au préalable, sortir de l’espace et s’abstraire du temps ? Ne faudrait-il pas être, non seulement un délivré, mais encore un homme libre ?
La réincarnation n’est pas un phénomène simple. Une personnalité ne revient pas en bloc, telle quelle ; elle subit des réductions et reçoit des additions. Que sont ces changements, d’où viennent-ils, dans quel but ? On ne peut pas le savoir. Les adeptes même admis aux conseils des dieux ne savent que ce que ces dieux savent, ou ce qu’ils veulent bien leur dire. L’homme ressemble à une grande ville où des voyageurs entrent sans cesse, tandis que d’autres en sortent. Qui tiendra le registre de ces fluctuations ? Dans certaines races, le moi garde constamment son destin ; dans d’autres, plusieurs « mois » se relaient dans un ou plusieurs organismes ; ailleurs, il y a des collaborations ; ailleurs encore, l’esprit ne s’incarne pas, mais obombre le corps ; et combien d’autres procédés ingénieux la Nature met en œuvre ! Nous ne pouvons même pas les cataloguer.
Il est plus digne de faire l’aveu de notre ignorance en nous jetant aux bras miséricordieux de l’Ami. Ce serait Sa joie de nous promener dans les palais du Mystère, de merveille en merveille, et de secrets en secrets. Mais nous ne saurions pas nous bien tenir, parmi les êtres resplendissants, les génies ailés, les gardiens taciturnes et magnifiques qui peuplent les salles de la Maison éternelle. Regardons-nous ; sachant à l’avance que dans une rue où un devoir nous appelle nous rencontrerons un créancier, combien d’entre nous ne remettront pas le devoir pour éviter l’ennui prévu ?
Or, si nous connaissions nos existences antérieures, il serait facile de déduire à coup sûr les épreuves réparatrices qui nous attendent aujourd’hui ; et personne, il faut bien l’avouer, ne serait assez courageux pour ne pas chercher à les fuir ; de là s’ensuivraient, pour notre plus grand dommage, des retards considérables dans notre avancement spirituel.
Ce même exemple explique la raison profonde de toutes nos ignorances. D’ailleurs, Jésus ne nous demande pas de devenir savants, mais bons.
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Toutefois, si l’esprit en instance d’incarnation est âgé, s’il porte un bagage d’expérience et de sagesse, si son inscription sur le Livre de Vie s’annonce comme prochaine, il reçoit la faveur singulière de l’épreuve suivante. Deux anges viennent et lui montrent le tableau exact de la vie qui l’attend, avec tous ses mécomptes, ses douleurs et ses obscurités. Si l’esprit accepte, une force lui est donnée qui lui rendra les épreuves moins pénibles. Si l’esprit prend peur et refuse l’incarnation, il se met en retard et contracte une forte dette. En effet, tout ce qu’il aurait eu à combattre dans son existence manquée grandit, prend des forces, devient plus nocif. De sorte que, un peu plus tard, quand, bon gré mal gré, il s’incarnera et se trouvera en face de ses ennemis, la lutte sera beaucoup plus sévère, les secours moins prompts et, dans l’ensemble de son existence, en désharmonie avec le milieu, puisque tout ce que la Nature avait préparé auparavant n’a pu servir, par suite du refus, et se trouve emporté par le mouvement général des êtres. Sans compter que le refus de ces esprits devient quelquefois la cause d’accidents mortels à la naissance ou même avant la naissance.
Le cerveau ne se souvient jamais de cette épreuve ; elle se passe en dedans, au-dessus de la conscience. Je vous en parle, non pas pour le plaisir de vous apprendre un mystère, mais parce qu’il est utile que certains d’entre vous sachent cela. Plus tard, quand votre mémoire actuelle vous aura été reprise, quand rien de ce qui forme votre apparence aujourd’hui ne sera plus, votre esprit, qui m’entend à l’instant mieux que vos oreilles physiques, se souviendra ; et cette lointaine réminiscence suffira peut-être à lui donner la force d’accepter le calice à la première présentation.
Permettez-moi d’insister sur le caractère exceptionnel de cette épreuve prénatale ; elle n’est offerte qu’aux âmes d’élite. Dans la presque totalité des cas, l’heure et le lieu de la venue d’une âme sur la terre sont fixés d’avance. Que l’enfant naisse dans une mansarde, dans un palais ou sur la grand-route, trois, quatre, dix ans même auparavant, d’invisibles génies – ces êtres mixtes dont parlent toutes les traditions, dont saint Thomas d’Aquin lui-même nous révèle l’existence – sont au travail pour amener les parents là où il faut. Ils croient avoir été libres de leur mariage, du choix de leur domicile ; ils ne l’ont été que dans la mesure où la Lumière habite en chacun d’eux. Car les Ténèbres, c’est-à-dire la matérialité des instincts, des préoccupations, l’égoïsme des actes sont des chaînes réelles ; la liberté des ambitieux, des cupides, des arrivistes n’est qu’une illusion.
Ainsi le père et la mère ont les enfants qu’ils ont mérité d’avoir selon la justice immanente qui règle l’univers ; et les enfants, de même, naissent dans la famille où ils ont mérité de naître. Et cette logique du Destin offre aux uns comme aux autres le maximum d’occasions pour progresser vers la Lumière.
L’atavisme, influence ancestrale, l’hérédité, influence des progéniteurs immédiats, ne sont pas des causes, mais des effets. Un enfant ne devient pas un artiste, un ouvrier, parce qu’il naquit dans telle classe sociale ; mais, au contraire, il vint dans un milieu ouvrier ou artiste, parce que, là, il devait trouver les moyens de telles ou telles expériences. Un enfant ne devient pas tuberculeux parce que ses parents le sont ; mais il naît de parents tuberculeux parce que son destin, c’est-à-dire le résultat spirituel des activités pré-terrestres de son moi, le pousse à expérimenter la tuberculose.
Symétriquement, si je puis dire, l’enfant n’est donc pas plus libre que ses parents. Bien entendu, je ne mentionne ici qu’une loi générale qui comporte des exceptions. Voici lesquelles.
Le Bon Dieu, vous le savez, en nous envoyant dans le monde, a déposé en nous une petite graine précieuse, qui contient toutes les puissances, toutes les facultés qui feront de nous, plus tard, lorsque nous serons parfaits, des êtres plus splendides que les plus grands dieux. Mais, dans l’état de toute première enfance spirituelle où nous sommes encore presque tous, nous craignons l’effort et la fatigue. Nous ressemblons à la plupart des bambins qui détestent l’école, mais qui, plus tard, devenus des hommes, seront heureux d’avoir été obligés de suivre les classes.
Si donc, quand un esprit humain ordinaire doit venir naître ici-bas, il apercevait les peines et les travaux qui l’attendent, il refuserait certainement et, par sa pusillanimité, perdrait ainsi d’excellentes occasions d’avancer. Aussi ne lui dit-on rien ; il arrive aux portes de la terre, insoucieusement, comme un promeneur séduit par le paysage, et il reçoit un corps de chair sans l’avoir demandé.
Toutefois, bien que les âmes viennent sur terre par ordre impératif, elles ont besoin tout de même qu’on s’y prépare à les accueillir.
C’est un devoir de se créer une famille ; c’est un devoir que d’adopter des orphelins quand il ne nous est pas accordé d’avoir des enfants. On doit se faire collaborateur de la vie générale, rendre à la Nature au moins l’équivalent des forces vitales qu’elle nous a confiées. Le philanthrope, il est vrai, demande que des parents pauvres ou malades ne jettent pas dans l’existence de petits êtres voués à la douleur. Mais le chrétien, tout en souhaitant que de tels parents ne procréent pas au hasard d’une ivresse ou d’un caprice, tout en désirant que les époux, à quelque condition sociale qu’ils appartiennent, mettent plus de gravité et plus de souci à remplir leur devoir racial, le chrétien sait la vertu rédemptrice de la douleur physique ; il sait que les petites victimes de l’atavisme et de l’hérédité se rachètent en souffrant ; il les plaint, il les aide, il les soulage ; mais il ne conseille jamais de les empêcher de venir se purifier.
Personne n’a jamais que les enfants qu’il doit avoir. Mais aussi personne ne pense à Dieu, ou presque personne ; et personne ne pense à la prière. Je suis certain cependant que si un père ou une mère, physiquement tarés et craignant de transmettre leurs tares, se tournaient vers Dieu, Lui exposaient leur angoisse et leur humble souci de Lui obéir, la Nature pourrait bien leur envoyer un enfant taré comme eux, conformément à sa loi, mais Dieu effacera la tare, sinon tout à fait, au moins dans une large mesure.
Les enfants qui nous viennent sont ceux que le juste et intègre Destin nous envoie ; mais, si nous le Lui demandions, le Seigneur nous enverrait des enfants immérités ; nous aurions une tâche plus belle et plus bénéfique ; car la vie extérieure répond toujours à notre vie intérieure. Que deux époux adoptent un orphelin parce que sa figure leur est sympathique, ce sera parce que cet enfant leur est proche selon la Nature. Qu’ils le prennent par devoir, pour obéir au Ciel, malgré qu’il leur soit antipathique, cet enfant leur aura été envoyé spécialement et surnaturellement.
Refuser les charges de la paternité est une faiblesse lourde de conséquences, sinon un crime. Il est d’une importance capitale pour les esprits des hommes qu’ils puissent rentrer sur la terre. S’ils se voient refusés par leurs parents normaux, ils sont obligés d’en chercher d’autres. Vous imaginez-vous leur angoisse, bien pire que celle du chemineau en quête d’un abri, et qui peut durer des années ? En sus, les parents que ces esprits trouvent enfin ne leur seront jamais comme les premiers d’une convenance parfaite, ni le pays, ni la religion, ni le milieu. De tout cela il est juste que les coupables portent la peine ; et, plus tard, quand ces parents légitimes, mais fautifs, seront partis et prêts à revenir, les portes de la terre leur resteront fermées bien longtemps peut-être. Or, les esprits humains ont soif de la vie terrestre, parce qu’ils savent combien elle leur est utile ; ils y voient des lumières que nous, incarnés, n’y apercevons plus. Une telle attente est un supplice, une forme de ces terribles ténèbres extérieures dont l’Évangile nous donne plusieurs fois le tremblement.
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Si les mystères ne nous étaient pas trop lourds, nous dirions ce qui se passe sur la terre, dans l’au delà et dans l’en deçà, quarante ans, vingt-sept ans, sept ans, et trois jours avant la naissance. Une naissance est à la fois un très léger déclic des engrenages occultes et la plus vaste épopée. La dernière des âmes qui s’abat sur le sein pitoyable de la mère la moins digne est tout de même accompagnée d’une longue théorie d’ancêtres, de génies et d’anges. Son voyage se déroule parmi des musiques et des parfums ; les tribus infrahumaines accourent, ou pour la saluer ou pour l’assaillir ; et leur aspect étrange n’est pas sans la jeter dans de brusques terreurs. Mais, en même temps, la marche de son cortège refoule les atmosphères secondes, et elle laisse derrière soi des gémissements et des larmes, tandis que les génies terrestres viennent à sa rencontre avec des palmes et des chants. Oui, la descente d’une âme est un des plus magnifiques spectacles dont puisse s’émerveiller le regard d’un voyant ; mais, aperçue d’un observatoire plus central, plus proche des cimes spirituelles, ce n’est que la chute rapide d’une étoile filante sur l’immobile obscurité de la nuit caniculaire. Ainsi, même avant d’atterrir, l’homme est à la fois immense et tout petit.
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Les premiers informés de la date et du lieu d’une naissance sont les constructeurs du corps. Ils commencent parfois dix ans à l’avance de canaliser vers la chambre natale les fluides qui modèleront le double. Celui-ci attire ensuite les particules semi-pondérables que la conception rendra matérielles, de même qu’un imperceptible fragment, déposé dans une solution sursaturée, en précipite la masse tout entière
Le moi est prévenu quatre ou six années auparavant de la date et du lieu de sa nouvelle incarnation ; aussitôt il commence à prendre contact avec l’organisme fluidique en voie d’achèvement.
L’âme, qui habite un autre espace, ne joint le corps qu’au premier respir de l’enfant ; elle le touche au cœur ; lorsque le bébé ouvre les yeux, c’est le premier souffle sur le cerveau par lequel l’âme y attache la pensée. L’union de l’âme avec le corps n’est jamais finie avant sept ans ; elle est presque toujours complète à neuf ans.
L’instant de la naissance peut être très douloureux pour l’esprit, de même que la mort lui procure souvent une joie ineffable. Les paradis et les purgatoires alternent régulièrement dans la vie du moi. Qu’on se repose aujourd’hui, il faudra travailler demain. Qu’on soit heureux de l’autre côté, on souffrira en revenant. Qu’on ait subi dans les ténèbres des épreuves expiatoires, la vie terrestre sera calme.
À connaître ces lois, on voudrait faire quelque chose pour les esprits qui reviennent, les aider, les conforter, les secourir ; on se les imagine frêles et attendrissants, comme les petits corps délicats où ils palpitent. On voudrait manier les armes des psychurges ; on aimerait que nos regards percent les voiles. Mais tranquillisons-nous : aucune psychurgie n’égale l’amour maternel ; la force de l’amour maternel, c’est qu’il est vivant ; il faudrait que l’amour fraternel vive aussi fort. Aucune science ésotérique ne vaut la prière. Pardonnez-moi de me répéter sans cesse, mais vous ne savez pas encore, personne ne sait la valeur de la prière.
La prière est une rosée ; elle mondifie, elle purifie, elle nourrit, elle panse, elle illumine, elle transfigure. Priez donc sans cesse. Priez si vous n’avez pas d’enfants ; priez s’il vous en vient ; priez quand ils s’annoncent ; priez quand ils paraissent ; priez avec eux quand ils exhalent leurs premières plaintes ; prenez leur premier regard, leur premier sourire, leur première parole et les offrez à leur Père véritable. L’enfant est le grand maître de la prière.
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Notamment, les parents chrétiens devraient s’adresser à Dieu bien plus souvent qu’ils ne le font pour tout ce qui concerne leurs enfants futurs. Presque toujours c’est le caprice, le hasard d’une circonstance banale, qui les fait aller à ce marché féerique où l’on achète les choux et les roses qui abritent les petits bébés. Car, si le père ni la mère ne peuvent rien sur l’âme de leur futur enfant, ils peuvent beaucoup sur sa vie physique, sur sa sensibilité, sur ses qualités mentales ou psychiques. Leur prière peut faciliter toute l’existence du petit être dont l’esprit flotte autour d’eux ; elle peut faire descendre en lui un germe lumineux que son destin ne comportait pas, ils peuvent l’orienter vers le monde ou vers Dieu. Au surplus, aucun acte de la vie, entre époux chrétiens, ne devrait être accompli sans la prière, sans la demande, sans le remerciement. Vous vous rappelez que, selon Sa promesse, le Verbe Lui-même vient, lorsque deux êtres se réunissent en Son nom ; or, le couple qui, par excellence, doit vivre au nom du Christ, n’est-il pas le couple conjugal ?
Durant la lente construction du corps de l’enfant, durant la longue élaboration dynamique qui la précède et la suit, que d’incidents possibles ! La porte par laquelle les âmes atterrissent ici-bas est surveillée, guettée, convoitée par des êtres peu scrupuleux ; aussi ces mois d’attente devraient-ils s’écouler dans le calme, dans la parfaite entente, dans la société des chefs-d’œuvre de tout ordre et sous le regard de la Vierge. Je vous parlerai quelque jour de l’épouse du charpentier, de la mère du Christ, et tenterai de vous expliquer sa puissance sur ce monde et sa sollicitude envers nous ; aujourd’hui il suffira de dire que toutes les femmes devraient prendre modèle sur elle ; filles, épouses, mères, veuves, toutes trouveront en Marie l’exemple pratique et l’idéal.
Si la santé corporelle de la mère se reporte sur celle de son enfant, sa santé morale et psychique influence encore bien davantage la personnalité en germe du petit être. Durant ces longs mois descendent, se mêlent, s’entrecroisent, s’organisent autour de la future mère une foule de forces indiscernables et d’agents invisibles ; il faudrait donc avant tout que tout ce travail s’effectue dans le calme, dans la sérénité ; que les préoccupations anxieuses, les soucis, les hostilités n’aient pas de prise sur la mère ; qu’elle prie sans cesse, que de tout son être elle aspire la Beauté, la Bonté suprêmes, qu’elle en fasse descendre les effluves et les reflets jusque dans les profondeurs de sa vie corporelle.
Le moment de la naissance est grave ; de nombreux auxiliaires collaborent à ce passage pénible de l’esprit arraché aux affections anciennes qui jusqu’alors l’ont entouré, conduit sur un monde inconnu, et dont seules les effluves de l’amour maternel et les clartés jaillies de la prière peuvent rassurer les inquiétudes et raffermir le courage. La religion est donc la bienvenue au berceau du nouveau-né ; l’ondoiement et le baptême réconfortent son esprit dépaysé, et les parents qui, par rationalisme, par respect mal compris de son indépendance future, le privent de ces secours ne se doutent pas qu’ils lui infligent des souffrances superflues.
En effet, tout corps humain contient un esprit immortel, siège du moi, de la personnalité, de ses deux consciences psychologique et morale, et une âme éternelle qui est le germe encore imperceptible de sa filiation divine et de son salut.
Le corps du nourrisson doit être soigné avec prudence. La coutume du maillot lui est souvent nuisible ; cette tendre chair, en effet, toute neuve, ressent en entier les réactions des forces mystérieuses dont il procède. Ce bébé est un voyant ; il perçoit des choses auxquelles, plus tard, bien acclimaté à la matière terrestre, il deviendra insensible. Des langes qui l’immobilisent augmentent ses effrois. La mère devrait donc se contenter de le tenir dans un berceau d’où il ne puisse tomber ; elle devrait aussi ne pas le laisser la nuit sans lumière ; celle d’une veilleuse suffit ; et orienter son petit lit la tête à l’est ou au nord.
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Que fait la religion devant cette grave fête de la naissance ?
« Nul n’entrera au Ciel, s’il n’est baptisé d’eau et d’esprit. » Tel est le principe du sacrement de baptême. Versant de l’eau sur la tête de l’enfant, le prêtre y verse en même temps de l’esprit : telle est la doctrine théologique, d’accord avec elle-même, puisqu’elle affirme d’autre part dans l’être humain un seul corps et une seule âme, et d’accord aussi avec la doctrine unanime des très vieilles initiations. Car, en Kabbale orthodoxe par exemple, Nephesch et les quatre autres âmes ne sont que les degrés de perfection d’une âme unique auxquels l’individu accède selon ses mérites. De même pour les Koshas du védantisme et pour les diverses psychologies ésotériques dont les théologies prennent le Verbe comme principe. L’usage d’un prénom unique dans l’habitude de la vie se fonde sur l’intuition de cette unité centrale de l’être.
La matière du baptême est l’eau naturelle, consacrée si possible les samedis de Pâques ou de la Pentecôte. Sa forme, ce sont les paroles : Je te baptise au nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Le ministre du baptême, c’est le prêtre. Lorsque l’enfant est à l’article de la mort, les parents peuvent le baptiser.
Le nouveau-né est tenu sur les fonts par le parrain et la marraine, que l’Église désigne expressément comme ses parents spirituels. Voyez ici avec quel soin la liturgie s’applique à reproduire visiblement les scènes invisibles à la participation desquelles elle nous invite. Nous avons vu, en effet, que l’être est formé pour une part de la terre, au moyen des parents ; pour une seconde part, de l’astre d’où il descend ; et, pour une troisième, de Dieu qui lui accorde, à chaque existence, une diminution de ténèbres et parfois une augmentation de Lumière. Le parrain et la marraine représentent la lignée invisible ; le prêtre avec l’esprit de l’Église représentent la parenté divine.
Voici le cortège du baptême :
Deux assistants : les parents, pour le corps de l’enfant, avec son génie et leurs anges ;
deux parrains, pour le moi de l’enfant, avec leurs anges gardiens ;
deux témoins : le prêtre et l’Église, pour l’âme de l’enfant, avec une présence du Verbe pour chacun. Plus les assistants et leurs anges.
Le parrain et la marraine parlent au nom de l’enfant, de son moi. Dans cette minute, les trois esprits de ces trois êtres sont un et s’engagent ensemble sur la même route ; des anges écrivent la promesse du parrain et de la marraine, lesquels deviennent responsables de la renonciation à Satan ; ils s’obligent à une surveillance morale, à des soins spirituels et même à des soins matériels si les parents viennent à manquer. Beaucoup, dont l’existence devient difficultueuse à cause d’un enfant, ou parce que leur jeunesse a été sans surveillance, sont des parrains et des marraines qui n’ont pas tenu leur parole autrefois.
Voici, en résumé, le très instructif développement du rite baptismal.
Le cortège se présente au temple. – Qui frappe à la porte de l’Église de Dieu ? demande l’acolyte. – Des fidèles, répond-on. Avez-vous jamais réfléchi à la noblesse de ce titre : les fidèles ? Ceux qui ont donné leur confiance, leur foi, leur tout. Que possède, en effet, l’homme de plus haut que sa foi, cette vertu par laquelle il s’attache immuablement à son idéal, ne faisant plus avec cette entité céleste qu’un seul esprit ? Cette vertu qui lui donne tous les courages, qui l’élève au-dessus de tous les doutes, qui lui fait vaincre toutes les impossibilités, qui, enfin, le rendant aveugle aux imperfections inévitables des représentants humains de Dieu, l’enlève d’un élan triomphal par delà les nuages, jusqu’à ce Ciel où il se pose dans l’ineffable allégresse de l’Amour. Il est excellent que l’homme soit fidèle. S’il ne peut pas encore l’être aux objets surnaturels, qu’il s’attache aux entités paradisiaques du Beau et du Vrai. S’il ne peut encore s’élever si haut, qu’il soit fidèle à une entité terrestre, à sa patrie, à son épouse, à sa parole ; qu’il soit fidèle à quelque chose.
C’est le grand moyen que le Père indique à sa conscience de croître en force et en noblesse.
– Que demandez-vous ? continue l’acolyte. – La vie éternelle, répondent les assistants. Quelle immense audace ! De pauvres êtres perdus de vices ou, plus souvent, accablés sous ces lâches faiblesses plus tristes que des crimes ; des ignorants, des impuissants, des vaniteux réclament pour une petite créature, sans doute capable des mêmes laideurs, tout ce qu’ils espèrent de plus grand, de plus beau, de plus splendide : la vie éternelle, tout le savoir, tout le pouvoir, tout le créé, tout l’incréé. Comme le sens du divin demeure malgré tout vivace au fond de notre cœur ! Et comme nous gardons obstinément une certitude entière de la miséricorde divine !
À cette demande hardie le prêtre donne une réponse aussi grande et aussi vigoureuse : « Allez, dit-il, allez vers le Seigneur de tout votre cœur, de toute votre âme, de toute votre mentalité ! » D’abord le cœur : le centre, la Lumière, le principe volitif, l’organe du Verbe éternel. Ensuite, l’animisme, la vitalité triple de l’individu. Et, seulement en troisième lieu, la pensée. Psychologie profonde et vraie, toute conforme à la parole évangélique qui commande la subordination de l’intellect à l’amour et à l’action. L’amour et l’action, comme deux époux parfaits, se nourrissent et se vivifient l’un l’autre, et de leurs soins mutuels la pensée doit être le miroir limpide.
Avant de conférer une force, la liturgie fait toujours maison nette. Avant de baptiser, le prêtre chasse l’esprit immonde qui, d’après la doctrine du péché originel, habite le corps de l’enfant ; il emploie pour cela le souffle, le signe de la croix sur le front et sur le cœur, l’imposition des mains et la prière. Puis il dépose le germe de la sagesse dans ce cœur, en même temps que quelques grains de sel exorcisé et consacré, sur la langue. Et les formules qu’il récite demandent à Dieu la joie et la paix pour Son futur serviteur. Ensuite les assistants sont admis à entrer dans la communion des fidèles, et à réciter le Credo par des prières, des signes de croix et un exorcisme spécial. Cet acte de foi proféré est transmis à l’esprit de l’enfant par l’acte du prêtre lui ouvrant les oreilles, qui sont l’organe par lequel la Vérité entrera dans son intelligence. Et le parrain prononce aussitôt la triple renonciation à Satan, à ses pompes et à ses œuvres ; et l’enfant reçoit la force nécessaire pour tenir cette promesse par l’onction cruciale de l’huile sainte sur la poitrine et sur les épaules.
Voici les apprêts terminés. La personnalité du néophyte est alors sortie de l’empire du Prince de ce monde, purifiée, prête à entrer dans le Royaume du Christ. Alors le prêtre change de lieu spirituel ; il le marque en remplaçant l’étole violette (pénitence, amertume) par l’étole blanche (joie céleste). Le parrain affirme de nouveau sa foi en Dieu, en Jésus-Christ, en l’Église et le ministre prononce alors la formule sacramentelle. Il ouvre ainsi à l’enfant la porte de la cité mystique terrestre, de l’Église représentante et déléguée de la Cité mystique divine. L’aspersion d’eau et l’onction d’huile sont faites sur la tête, parce que au sommet du cerveau se localisent les puissances par lesquelles s’établit la communication avec le plan divin.
C’est à ce moment que le ou les prénoms sont donnés, au moyen desquels les anges reconnaîtront l’enfant. Nous avons déjà expliqué, autant qu’il est possible, la force du nom ; inutile d’y revenir.
L’enfant devrait être alors revêtu d’une robe blanche, symbole du vêtement blanc des élus qui représente le corps glorieux des êtres réintégrés. Et le parrain devrait, en outre, tenir un cierge allumé pour sortir de l’Église ; on comprend que ceci préfigure l’entrée de l’élu dans la Jérusalem céleste.
Si alors le prêtre est saint, si le parrain est homme de parole, toutes les chances sont à l’enfant pour qu’il soit chrétien. Le baptême des adultes ne se distingue que par un nombre plus grand d’exorcismes et de psaumes.
Je ne décrirai pas à nouveau la bénédiction de l’accouchée ni celle des relevailles. Ces observances, communes d’ailleurs à toutes les religions, s’expliquent par ce fait que la terre, comme une cité, comme notre corps, comme tout organisme vivant, repousse ses déchets à la périphérie. Les faubourgs de notre planète ne sont pas sains, la voirie en est négligée. Les esprits des enfants qui arrivent, de même que les esprits des mères qui viennent à leur rencontre, s’y salissent. C’est pourquoi les maris devraient sauvegarder spirituellement leurs femmes avec des soins beaucoup plus attentifs qu’ils n’ont coutume de le faire.
Voilà à peu près tout l’essentiel de cet important sujet. Retenez-en que la naissance est bien autre chose qu’un phénomène physiologique. Cet aspect-là, l’aspect social, l’aspect ethnique ne prennent leur juste valeur que lorsque l’aspect spirituel en a été aperçu. Ici encore, le fait terrestre est le dernier maillon d’une chaîne dont les premiers anneaux sont rivés à la Pierre angulaire, au Verbe. Pour que la chaîne tout entière soit solide, pour que les enfants nous viennent qui soient réellement nos enfants, pour que leur arrivée soit heureuse, pour que nous sachions être des parents dignes de ce grave ministère, efforçons-nous au bien-agir, efforçons-nous au bien-prier.
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Chaque fois qu’un être prend pied sur une terre nouvelle, Dieu espère qu’il y travaillera assez pour en sortir libre. C’est pour cette raison mystérieuse que les cérémonies du baptême font allusion constante à cet état de pureté, de perfection. Inversement, au départ, l’espoir du Ciel se reporte à l’école suivante et tout est disposé pour la purification, le lavage.
Les cérémonies religieuses sont toutes fondées sur le principe de la correspondance exacte et réciproque du monde sensible avec le monde invisible. De même que chaque religion s’étend sur un domaine géographique, ethnique, social, assez exactement délimité, elle possède une fraction de l’invisible, propre à chacune, et ne ressemblant pas à la partie possédée par les autres religions. Ces nationalités spirituelles sont, entre parenthèses, le grand obstacle à l’unification des formes religieuses, comme les parties invisibles sont le grand obstacle à l’internationalisme effectif. Dès lors, tout ce qui se passe dans l’invisible se répercute dans le visible ; et tout ce que le prêtre, c’est-à-dire le ministre que sa consécration a rendu capable d’agir sur les deux mondes à la fois, tout ce que le prêtre accomplit matériellement se transporte au spirituel.
Ainsi, les anges chargés de ce soin amènent des âmes à l’incarnation et, ici-bas, ceux qui les reçoivent font le nécessaire pour qu’elles communiquent avec l’Église spirituelle : c’est le premier acte de la communion des saints dont nous parle le catéchisme. La communion des vivants et des morts s’inaugure par le sacrement de l’Extrême-Onction ; en vous en parlant, je pourrai vous dire tout ce qu’il importe de savoir sur la mort 1.
Vous savez dans quelles circonstances on administre ce sacrement. En voici les rites :
Le prêtre bénit en entrant le malade, la chambre et les assistants ; première purification. Ensuite il demande à Dieu tous Ses bienfaits sur cette maison, qu’Il y envoie Ses anges et en chasse les mauvais esprits. Il récite ensuite le Confiteor et procède aux onctions de l’huile consacrée qu’il fait sur les yeux, les oreilles, les narines, la bouche, les mains et les pieds du malade ; il accompagne ces gestes, non pas d’une prière, mais d’un commandement appuyé sur l’autorité de toute l’Église invisible : anges et saints, à l’effet d’effacer les péchés ayant pu être commis par le malade au moyen de ces différents organes. Enfin il récite quatre formules d’imploration à la miséricorde céleste.
Rien de tout cela n’est très effrayant ; et, en fait, la mort n’est pénible que pour le corps du malade et pour les assistants. Pour l’esprit du malade, elle est au contraire la délivrance, l’entrée dans un monde nouveau où, en changeant de travail, il pourra se reposer. À vrai dire, la mort n’existe pas, parce que l’inertie, l’immobilité n’existent pas non plus. Ne voyons-nous pas la plupart des jeunes gens l’affronter en effet avec un courage qui nous semble inexplicable, et la majorité des vieillards s’en défendre avec une crainte qui nous semble non moins inexplicable ? C’est que nous sommes des êtres matériels, et que la matière a toujours peur de l’inconnu. À mesure que nous avançons en âge, cette matière, notre corps, s’attache de plus en plus à ce monde matériel qui le sature et le charge de liens ; l’on voit ici un motif peu connu pour nous entraîner sans arrêt au détachement intérieur de façon que, à chaque année qui s’écoule, nous nous sentions davantage vivre en ce monde comme le voyageur dans les contrées qu’il sait devoir quitter prochainement.
Si l’on pense que connaître, c’est expérimenter, à ce compte-là personne ne connaît la mort. Les voyants les plus sublimes n’ont aperçu que des bribes de ce grand drame, comme les enfants qui se pressent au trou du rideau aperçoivent quelques gestes et entendent quelques mots du drame qui se joue sur la scène où ils n’ont point accès. Celui-là seul peut voir et entendre qui a payé ; c’est le régénéré, c’est l’homme libre, introduit par le maître du lieu, par le Christ.
Toute transformation est une mort ; un philosophe qui change de système subit une mort dans son intellect ; un cœur qui change d’amour, un organe qui subit une grave crise, un esprit qui s’ouvre au soleil d’une vérité nouvelle, tous subissent de certaines agonies et de certaines morts. Comme je vous le disais en commençant, la mort, c’est un départ, annonciateur d’une arrivée et d’une naissance. La mort physique n’est rien autre que le départ du moi conscient ; il arrive d’ailleurs, par exemple, pour les vieillards qui retournent en enfance, pour certains aliénés, que ce moi s’éloigne plus ou moins du corps ; ce sont-là, comme le sommeil, des images de la mort.
Le suicide est défendu ; c’est d’ailleurs un mauvais calcul inspiré par la peur, car, de même que l’écolier, s’il s’échappe de la classe, sera retenu les jours de congé, l’homme qui esquive son travail en retrouvera un autre, moins facile encore, dans un lieu quelconque de l’univers. Avant que le Christ ne vînt apporter la miséricorde, l’heure de la mort était d’avance fixée. Depuis Lui, cette heure suprême peut être reculée par grâce, parce que la vie terrestre est un grand bienfait ; nous habitons un monde où, parce que l’effort est pénible, nous pouvons gagner de l’avance et nous acquérir du mérite en abondance. Bien entendu, les procédés qui peuvent retarder notre mort ne sont pas tous légitimes ; seuls, deux d’entre eux peuvent être employés sans crainte : c’est la médecine ordinaire et la prière. Toutes les autres méthodes constituent des violations de la justice immanente dont il faudra rendre compte plus tard.
De même qu’il existe une catégorie d’auxiliaires invisibles préposés à la naissance, il en existe d’autres préposés à la mort. Les ciseaux des Parques ne sont pas un mythe, mais bien l’image de réalités. Toutes les mythologies racontent des formes différentes, mais le fond est le même. À la minute écrite, accourent auprès du moribond, conduits par l’ange de la mort, une nombreuse assistance. D’abord deux serviteurs qui notent tout le mal et tout le bien accomplis par le patient ; puis les esprits de tous les êtres avec lesquels il a eu à faire pendant sa vie ; tous, depuis le caillou jusqu’au dieu, depuis l’animal jusqu’au type intelligible de ses méditations, les plantes, les animaux, les humains, les invisibles ; tous prêts à témoigner en sa faveur ou à demander justice s’il les a lésés. L’esprit alors s’effraie dans ce corps épuisé qui le défend mal de la vengeance de ses victimes ; et c’est pour de pareilles circonstances que l’aide des cérémonies religieuses devient efficace, pourvu que le prêtre et le fidèle soient sincères, croyants, humbles et purs.
Pour comprendre ce qui se passe à la mort, souvenez-vous de ce qui s’est passé à la naissance. En l’être humain, une partie vient de la terre et retourne à la terre : le corps physique. Une autre partie vient de l’âme de la terre et y retourne : c’est le corps fluidique, le double qu’étudient les sciences métapsychiques, et dont les manifestations produisent les apparitions fantômales, les hantises, les phénomènes spirites. Une troisième partie vient de l’intelligence de la terre et y retourne : ainsi l’humanité hérite des travaux même inconnus ou méprisés de l’inventeur, du savant, de l’artiste, du philosophe. D’autres choses en nous nous sont prêtées par l’univers extra-terrestre ; nous n’en parlerons pas pour ne pas allonger indéfiniment cette étude ; mais il faut mentionner le fruit capital de notre labeur sur la terre : les mérites ou les démérites, attachés à la qualité lumineuse ou ténébreuse des mobiles de nos actes ; ceci reste attaché à notre moi et devient la force directrice de notre destin futur.
Si le moribond se cramponne obstinément à l’une quelconque des forces qui ont fait sa vie, il souffre ; pour éviter cette souffrance, il faut, le plus tôt possible, comprendre que toutes ces énergies, celles des muscles ou celles du cerveau, l’habileté de nos mains, la délicatesse de nos yeux ou de nos oreilles, la puissance de notre cerveau, ne sont que des prêts ; nous sommes tous semblables à ces intendants de l’Évangile que le Maître nomme à la gérance d’une partie de ses biens, et qui sont punis surtout lorsqu’ils n’ont pas fait fructifier leur dépôt. La sagesse pratique consiste donc à travailler de tout son cœur, en ne s’appropriant jamais le fruit de ce travail. Ainsi on arrive, au jour de la reddition de comptes, les mains nettes et le Maître nous récompense par des trésors plus beaux que ceux qu’Il nous avait confiés.
La crémation inflige une torture au double qui reste attaché au cadavre ; l’embaumement arrête l’évolution légitime des cellules du corps et du double ; l’inhumation est le meilleur moyen d’aider la Nature, et les cercueils des pauvres sont préférables aux triples bières de bois et de métal par le luxe desquels les familles riches croient honorer leurs morts.
À l’instant du décès l’esprit se trouve conduit devant un tribunal où siège le Juste Juge, notre Christ, quelle qu’ait été la religion du défunt ; parfois la Vierge de compassion vient intercéder, parfois aussi celui des serviteurs du Ciel qui a servi de guide au défunt ; mais toujours, aux côtés de l’homme, son mauvais ange l’accuse et son ange gardien le défend. Au surplus, face à face avec la Vérité, l’esprit du mort avoue spontanément ses fautes qui lui apparaissent comme son visage autrefois devant un miroir ; il découvre de lui-même tout ce qu’il avait caché avec le plus de soin ; son repentir et son remords l’obligent à demander de lui-même l’expiation de ses fautes.
À la suite de la sentence, le moi part pour un séjour de repos ou de travail, pour un paradis ou pour un purgatoire, lesquels ne sont en réalité que des réalisations de l’idéal qui a dirigé ce moi pendant sa vie terrestre. Si donc nous nous sommes montrés bons fils, bons époux, bons parents, bons amis, mais bons en actes et non pas seulement en paroles, nous retrouverons de l’autre côté ceux que nous avons aimés, je veux dire ceux pour lesquels nous nous sommes sacrifiés ; car le seul amour est celui qui se sacrifie, et ceci explique pourquoi tant d’ardeurs s’évanouissent et tant de flammes s’éteignent aussitôt franchies les portes du tombeau.
Ici se pose probablement pour la plupart d’entre vous une question profonde : quels rapports sont possibles avec nos morts, quelle conduite tenir avec eux ?
Le catholique répond : Prier pour eux ; et il a raison ; le positiviste se tait ; le spirite répond : Il faut les appeler ; et ces deux derniers ont tort, qu’ils me permettent de le leur dire nettement.
À la vérité, nous n’avons rien à faire avec les morts que de nous souvenir de leurs exemples et de leurs vertus, et de les remercier en imitant ce qu’ils ont fait de bien. Quelque chose d’eux flotte souvent autour de nous, c’est vrai ; mais ce quelque chose n’est pas eux-mêmes, n’est pas leur vrai moi ; c’est une enveloppe, une partie d’eux-mêmes, c’est l’apparence sous laquelle nous les avons vus autrefois. Les preuves les plus matérielles de l’identité d’un défunt se manifestant d’une façon quelconque ne démontrent rien, car le double possède son intelligence et sa mémoire propres ; le moi immortel d’un mort ne se manifeste que très rarement. De plus, tout évènement est dû à une cause, toujours juste et toujours légitime du point de vue de l’univers ; nous ne pouvons discerner que quelques-unes des causes humaines et terrestres de la mort, tandis qu’il y en a des centaines qui, dans l’état actuel de notre intelligence et de nos sens, nous demeurent cachées. Si donc un être chéri s’en va, c’est qu’il a quelque chose à faire ailleurs et que son travail ici-bas est terminé. Pourquoi le distraire de sa mission nouvelle en l’évoquant, pourquoi le troubler, le fatiguer, empêcher son progrès ? Nos gémissements même attachent nos morts ou les rappellent. Laissons-les partir. Où qu’ils aillent, ils ne sont pas seuls ; partout des sympathies les attendent, des amis, des parents, des guides nouveaux. Ne vous laissez donc aller, vous qui pleurez dans le deuil, ni à la révolte, ni au désespoir ; le Père veille également sur vous. Ceux que nous regrettons reviendront à nous, ici-bas ou ailleurs ; nous les reverrons avec nos yeux, nous les presserons de nouveau dans nos bras, de nouveau nos oreilles entendront leur voix chérie. Il se trouve parfois que l’aïeule ne sourit avec une tendresse si profonde à son arrière-petit-fils que parce que leurs esprits immortels se ressouviennent des années d’autrefois peut-être, où ils furent ensemble à la peine et à la joie.
Et puis, ce n’est pas parce qu’un être meurt qu’il devient omniscient ; les conseils et les secours que l’on attend des défunts ne valent guère plus que ceux de nos frères actuels. Et, au surplus, dans les cas désespérés et lorsque, par un concours de circonstances fatales, nous nous trouvons complètement seuls pour faire face au danger, l’un de nos morts peut très bien recevoir la permission de revenir et la force de nous secourir.
Non, l’unique moyen, efficace et légitime, d’aider nos morts et de vivre dans leur invisible présence, c’est de faire le bien silencieusement ; seule la Lumière réunit réellement les êtres ; toutes les unions, toutes les communions qui ne se font pas à l’ombre de la croix, c’est-à-dire par la patience, et au nom du Christ, c’est-à-dire par la prière, ne sont qu’apparentes et superficielles. Seul l’amour de ce Christ peut tous les miracles.
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Ainsi la mort est douce à celui qui aime Dieu par-dessus tout ; et, pour celui-là, naître est une précieuse bénédiction. Pour celui-là, la seule chose importante est de servir son Maître, que ce soit sur la terre ou sur Neptune, que ce soit avec les uns ou les autres de ses frères. Pour celui-là, l’amertume de toutes les souffrances se change en douceur, et en force, la fatigue de tous les travaux. Pour celui-là, la mort, la naissance, les cadres de l’existence ne sont que des formalités ; autour de lui se tiennent les vrais anges du Ciel qui le gardent, non pas du labeur ni de la bataille, mais de l’illusion. À travers les faits muables et vains il aperçoit l’essentielle Réalité dont la création tout entière n’est que l’immense vêtement. Il possède le mot de toutes les énigmes et le glaive de toutes les victoires : c’est la Croix, je veux dire l’acceptation des volontés du Père et l’activité courageuse de l’amour fraternel. Ainsi la crainte n’approche plus jamais de lui ; et chacun des sacrifices qu’il consent pour les hommes qui souvent le méprisent, lui dévoile un des mystères de la vie, c’est-à-dire de la naissance et tous ceux de la mort.
Vous le voyez, je ne vous ai pas prodigué de fades consolations. La religion, vous le voyez, à la pratique de laquelle je vous invite n’est pas une dévotion doucereuse, mais un sentiment net et fort d’une présence du Christ et d’une collaboration avec Lui. Cette religion-là est toute énergie, réalisme, équilibre et joie robuste. C’est la religion du devoir, non plus par force mais par libre choix. Cette attitude intérieure seule peut vous donner la force de tout surmonter et la patience de tout subir ; c’est à l’acquérir qu’il faut que vous éduquiez ceux de vos frères qui ne la conçoivent pas encore ; et c’est par elle que vous pourrez servir complètement les destins futurs de la France, ceux de l’humanité, et accomplir les projets du Christ.
SÉDIR, Mystique chrétienne, Bibliothèque des Amitiés Spirituelles.