L’Évangile dans l’invisible
par
SÉDIR
DE LA SIMPLICITÉ. – QU’EST-CE EN SOMME QUE L’ÉVANGILE ? – SON PRINCIPE BIOLOGIQUE. – Sa RAISON D’ÊTRE. – ET QU’EST-CE QUE LE LIVRE, D’ABORD ? – LA PAROLE. – LES MOTS. – LES NOMS. – DE QUEL INVISIBLE L’ÉVANGILE EST-IL LA CORPORISATION ? – POURQUOI NOUS A-T-IL ÉTÉ DONNÉ ? – COMMENT LE LIRE ? – RÉSUMÉ.
NOTRE curiosité dédaigne les miracles les plus grands ; elle ne les aperçoit même pas, sans doute parce que Dieu les multiplie autour de nous. Tandis que le paysage déploie sans fin ses richesses et ses enchantements, nous nous hypnotisons sur un caillou. Nous ne savons pas voir, parce que nous regardons avec inquiétude et avec hâte. Que de merveilles se dévoilent, si l’on veut bien écouter cette affirmation silencieuse qui atteste, en nous, l’existence de Dieu et Sa tendresse inlassable ! Mais il faut d’abord revenir vers la simplicité ; il faut secouer la poussière tenace de l’artificiel ; il faut s’avouer qu’on est peu de chose. Comment ne nous jetons-nous pas dans les ondes rafraîchissantes de la source de vie ?
Il existe, vous le savez bien – interrogez le silence de votre cœur –, il y a une fontaine éternelle de force, de lumière et de paix ; elle répand des ruisselets intarissables parmi les paysages invisibles ; point de sente que n’accompagne le murmure de ses eaux régénératrices. Il ne s’agit que de laisser tomber nos vêtements, ces costumes artificiels que nous croyons devoir prendre pour partir à la recherche des mille faces du Vrai.
Si c’est la vérité religieuse que vous cherchez, laissez tomber l’exégèse, lourd manteau mal commode ; laissez tomber les parures superflues de l’apologétique ; débarrassez-vous des herméneutiques et des dogmatismes ; oubliez un instant le patristique ; défaites-vous surtout de ces mystérieuses sciences ambiguës exhumées des archives de la sagesse polythéiste. Faites que la simplicité, cette vertu négative, devienne une vertu active et grande : la simplesse. Plongez tout votre cœur dans la fraîche fontaine de l’Amour. Un voile sera levé devant vos yeux ; la Nature vous apparaîtra innocente et magnifique parce que vos regards seront ingénus. Et les perspectives infinies de l’existence ne vous donneront plus de découragements.
Prenez alors un livre. La vie qu’il recèle communiquera d’elle-même avec la vie en vous ; la vie matérielle de ce volume parlera avec la vie de vos doigts, de vos yeux, de vos lèvres. Le papier, les caractères sont acteurs dans des drames physico-chimiques et fluidiques ; enregistreurs fidèles, ils portent les images de tout être qui les a touchés, de toute scène où ils assistèrent, de l’atelier, de la chambre, du meuble où ils furent. Ils palpitent encore du travail des protes. Bien plus, en eux s’est emprisonnée volontairement, s’est incarnée la vie même de l’auteur, dans ce qu’elle a de plus riche, de plus intime, d’immortel et d’idéal.
Vous, lecteur, vous satisfaites un désir : désir d’amusement, d’étude, de réconfort ou d’enthousiasme. Que sont les désirs, sinon les formes primitives de la Vie, les besoins radicaux d’expansion et d’accroissement du moi ? Et qu’est-ce qui donne au moi la force de chercher à se parfaire, sinon le sentiment de ses lacunes, par une comparaison tacite avec son idéal ?
Lire, c’est donc rechercher son idéal, au moyen de l’idéal d’un autre ; c’est joindre deux idéals et toutes leurs expressions : mentales, esthétiques, physiques même. La main, en effet, qui tourne les pages modifie l’état du papier ; et le contact de ce papier modifie à son tour la vie de nos doigts. Les yeux versent des forces sur les caractères comme ces caractères influent sur la vie de notre rétine. Notre intellect parle avec les idées dont ces mots sont les corps ; et notre âme enfin, dans le silence auguste des espaces éternels, entame d’ineffables colloques avec les âmes de ces idées, clouées sur les feuillets.
Car toute forme contient un aspect d’absolu.
Une lecture, c’est un drame. Quels efforts profonds du lecteur ! Comme il désire savoir, comme il est anxieux de comprendre, comme il tâtonne, comme il s’élance, comme il bute douloureusement, comme il s’envole quand même ! Et quelle joie, quand il a saisi la robe étincelante de l’Idée !
Elle n’est point hostile à l’homme cependant. Elle l’aime ; elle voudrait habiter parmi nous. C’est nous qui sommes maladroits ; c’est l’égoïsme de nos convoitises qui élève des haies épineuses entre les anges de l’intelligence et nous-mêmes. Ces envoyés aussi se meurtrissent et s’exténuent dans les sentes raboteuses de la pensée terrestre.
Nous resterions confondus d’étonnement et de regrets si, tout à coup, nos yeux, dessillés, pouvaient voir combien d’êtres travaillent et peinent pour que ce collégien arrive à comprendre Platon ou Kant. Rien ne se passe sans la collaboration d’une foule d’ouvriers. Entre l’étudiant et son livre vont et viennent des génies, des anges, les esprits des anciens lecteurs de ce livre, les images de toutes les actions que ce livre a provoquées, et l’âme elle-même de l’auteur, du martyr enthousiaste et grave qui autrefois sut donner sa vie pour offrir à l’Idée le corps indispensable à sa mission terrestre.
Quel gaspillage, quand nous lisons pour tuer le temps, ou pour nous encourager à mal faire ! Et quelles responsabilités !
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Qu’est-ce donc qu’un livre ?
Voici encore un drame, plus douloureux. C’est une lourde mission que d’apporter aux hommes les reflets des royaumes immortels. L’écrivain et l’artiste exercent des sacerdoces. Regardez le cœur de ceux qui mènent leur tâche avec gravité, de ceux que ni la fortune, ni les honneurs ne détournent de leurs contemplations. Les penseurs se sentent comptables envers l’humanité des joies augustes que leurs entretiens avec les déesses leur procurent. Voyez aussi comme du prestige auréole leurs fronts. Ils paraissent calmes ; mais des ouragans dévastent par intervalles leurs paysages intérieurs ; leurs esprits souffrent d’une gestation perpétuelle. Ils se sentent indignes de recevoir les génies du Beau et les dieux du Vrai ; ils se désolent de ne pas dire avec assez de feu les dialogues des invisibles vivants ; et ils acceptent l’existence la plus précaire, la plus douloureuse, parce qu’ils savent que chaque souffrance subie est une touche de plus aux tableaux qu’ils peignent de leurs secrètes visitations.
Une œuvre, c’est l’évocation la plus difficile ; jamais mage aux cryptes de Memphis n’en put tenter de plus pénible, ni surtout de plus féconde en germes de lumière.
Cependant aucune créature ne crée. L’homme même ne peut que produire dans le temps et dans l’espace quelques-unes des merveilles que son âme se rappelle avoir aperçues dans l’éternité et dans l’infinité.
Qu’elle se rappelle ? Non ; qu’elle aperçoit ; car elle est cet éternel et cet infini, comme le premier grain de froment autrefois apporté sur la terre contenait les milliards d’épis que l’on moissonne maintenant.
Dans le Royaume, toute idée du Père est le Fils ; elle s’y exprime par une forme individuelle, vivante et libre, par un être. Dans la Nature, au contraire, les formes participent de l’inertie, de l’amorphe et de la fatalité du néant.
Les volontés divines incessamment jaillissantes peuplent le Royaume ; leurs ombres peuplent cet univers ; elles s’enregistrent à leur départ, au but de leur course, et à leur retour. Et ce triple dénombrement produit trois livres, qui sont un seul : le Livre de Vie. Ainsi se fixent les décrets providentiels, les activités des créatures, et les choses futures, filles des contacts entre les desseins de Dieu et les vouloirs humains. Ces archives éternelles projettent sur l’intelligence humaine la triple conception du Nombre, du Signe et du Nom.
C’est parce qu’une âme de la terre se souvint d’avoir aperçu, dans les perspectives magnifiques de la Maison du Père, le Livre éternel feuilleté par les mains lumineuses des anges, qu’elle put fixer le souvenir des faits importants par un signe plus durable que le geste ou le cri.
La créature possède trois grandes facultés : le mouvement, la reproduction, l’expression. Le geste, la mimique, la voix, l’écriture rendent sensibles les mouvements intérieurs, comme les formes du corps expriment la constitution statique de l’esprit.
Tous les atomes de l’Absolu, si je puis employer ce terme impropre, sont les anges ; et, lorsque le Père les envoie dans l’espace temporel, chacun de ces purs germes s’exprime en modelant la matière selon la qualité divine qu’il est. Rien n’existe que parce que le Père l’a voulu tel ; le son, les couleurs, les densités, les lois physiques, la pensée ne sont pas nécessairement ; le Père aurait pu constituer cette création de toute autre manière ; il peut y avoir une infinité d’autres modes ontologiques. Ces modes nous demeureront toujours inconcevables, puisque nous ne pouvons les imaginer qu’avec des éléments empruntés à cette Nature présente dont nous sommes des molécules.
Ainsi le livre n’est une idée que dans le monde des idées, comme il est une chose dans le monde des choses ; nous nous en servons sans le comprendre, comme nous nous servons de tout objet ; c’est un ensemble de signes, c’est un signe extérieur de drames intérieurs. Mais il ne remplit cette fonction que parce que, dans le Royaume, les décisions et les projets du Père et leurs résultats sont enregistrés.
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Il me semble peu utile de faire une théorie du signe. Classer les signes en statiques et en dynamiques, en formes et en mouvements, en sons inarticulés ou articulés, en gestes projetés par l’écriture ; refaire toute la philologie et toute l’hiéroglyphique, c’est toujours décrire des apparences approximatives. Il n’est pas possible de concevoir comment l’invisible devient visible, l’abstrait, concret, l’idée, un mot et la force, une forme. Les axiomes fondamentaux de la géométrie et de l’arithmétique, tout évidents qu’ils apparaissent, sont en somme des articles de foi ; nous nous en servons sans les comprendre. Qu’est-ce que la forme ? Qu’est-ce que le nombre ?
Personne n’a donné une réelle réponse à ces questions, depuis que le monde existe. Les très anciens instituteurs de la science des schémas ou géométrie qualitative, et de la science des nombres ou mathématique qualitative ne nous ont transmis en réalité que des données empiriques. Que représentent dans notre intellect leurs aphorismes : « Les lettres sont vivantes » ? – « Les nombres sont vivants » ? Les plus savants en ésotérisme ne voient dans ces maximes que des symboles.
Et, pourtant, ce ne sont pas des symboles. Dans le monde d’où l’Évangile est descendu, ce que notre cerveau nomme 4, 10, 1000, un carré, une pyramide, une parabole, ce sont des individus vivants. Notre cerveau possède deux yeux pour le plan physique ; mais aussi une quantité d’autres paires d’yeux ; nous ne sommes conscients que de la plus petite partie de ces organes, et nous ne les percevons pas sous leur forme vraie, mais des facultés psycho-physiques : mémoire, jugement, comparaison, abstraction, numération, esthétique, etc., nous les réfractent. Beaucoup de ces yeux ne sont encore qu’en germe. Par suite, nous ne pouvons voir pour le moment que quelques-uns des mondes extra-matériels ; quand nous serons parfaits, nous aurons un œil pour chacun des plans en nombre presque infini dont l’ensemble constitue le cosmos.
Mais ces fractions de l’univers, nous ne les connaissons pas telles qu’elles sont. Entre elles et notre œil il y a un milieu qui déforme ; et notre œil lui-même n’enregistre pas intégralement cette image. Pour voir juste, il faudrait un organe parfait et qui annule même l’influence du milieu. Or la perfection de la fleur dépend de la santé parfaite de la racine. Pour connaître la vérité, il faut donc avoir le cœur pur.
Voilà pourquoi l’homme parfait, l’homme libre connaît instantanément la vérité sur toute chose ; l’Esprit qu’il possède lui permet de se rendre présent l’objet qui l’intéresse, soit qu’il s’y transporte par un acte intérieur, soit qu’il fasse comparaître cet objet devant lui. Telle est l’omniscience du Christ, que nous recevrons aussi un jour.
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On peut dire que le Nom, l’Expression et la Relation coexistent dans l’Absolu, comme trois personnes d’une trinité qui serait le signe de la Trinité divine. Tout être que le Père crée reçoit un signe distinctif : son Nom ; une forme distinctive : son Verbe, sa qualité de vie, sa fonction ; une place qui le relie aux autres enfants du Père, qui est son numéro d’ordre, si l’on me permet cette expression prosaïque, son Nombre.
Ces trois signes de la puissance créatrice sont égaux, simultanés, consubstantiels ; leur ombre engendre dans le monde l’ensemble de toutes les facultés intellectuelles, chez les hommes et chez les extra-humains.
On comprendra ici le mobile qui a déterminé les hiérophantes à baptiser leurs disciples d’un nom nouveau après l’initiation, à leur imposer des fonctions particulières, à les pourvoir d’une clef numérale. Le baptême, que possèdent toutes les sociétés et presque toutes les religions, n’est pas une cérémonie particulière à cette planète. Chaque fois qu’une créature entre dans une demeure nouvelle, on lui donne un nom nouveau. Et le choix de ces noms, comme l’avenir nous le montrera, n’est pas laissé au hasard. Les parents croient être libres du nom qu’ils donnent à leurs enfants ; ils sont liés, sans s’en rendre compte.
En occultisme pratique, vous le savez, le nom joue un rôle important ; et cela dans toutes les initiations. Les sorciers ont souvent besoin de connaître et de prononcer exactement les noms de leurs victimes. Les brahmanes considèrent comme très puissante la science des sons (Laya Vidya, Laya Yoga) et celle des incantations (Mantrams) ; les religions s’en servent aussi ; témoins les chapelets bouddhistes, chrétiens et musulmans, les litanies.
Quand on prie un saint, on l’appelle par son nom ; quand on prie pour quelqu’un, on le nomme.
Le Père nous surveille chacun au moyen d’un ange qui est la réalisation vivante de Sa sollicitude. Celui-ci a besoin d’un signe pour distinguer les hommes qui lui sont confiés ; c’est le nom. Mais celui-là seul qui connaît et possède l’Esprit pur peut savoir le nom éternel.
Au-dessus des mondes matériels – et au-dessus veut dire en dedans –, au-dessus des mondes fluidiques qu’étudient les astrologues, au-dessus de l’empyrée où rayonnent les formes, les diagrammes, les schémas et les yantrams, se trouve le monde des nombres. Cette arithmologie est incompréhensible surtout à nous, terriens, parce que cette planète a reçu plutôt la parole ; les spéculations des adeptes sur les mathématiques représentent à peine l’alphabet de la vraie science des nombres, bien qu’ils croient la posséder. Enfin, encore au-dessus, se trouve le monde des noms éternels. Tel est le vestibule de la bibliothèque, dans la Maison du Père.
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Essayons d’obtenir une idée précise des diverses significations qu’il est possible d’extraire des textes sacrés.
Comme toute œuvre intellectuelle ou esthétique, comme toute œuvre du génie humain, ces livres vénérables expriment des vérités intérieures, extra-terrestres et quelquefois même surnaturelles. Un écrivain n’invente pas, il copie un être ou un spectacle abstraits, intérieurs, invisibles ; il trace une image exacte ou belle selon la profondeur de son union avec cet être et son talent d’expression. À son tour, le lecteur communique avec cet être, par l’intermédiaire du livre, proportionnellement à son attention, à son humilité intellectuelle, à son enthousiasme ; ou, si l’on préfère, d’après le sentiment qu’il possède de son ignorance, l’absence d’idées préconçues, et le lieu invisible où habite son esprit.
Chaque lecteur remporte donc du même livre une conception particulière. Les anciens sages essayèrent de systématiser cette multitude de concepts en leur traçant des cadres préalables. Leur théorie vous est connue.
Ils classèrent les manifestations de la vie universelle. À chaque compartiment ils donnèrent un nom significatif, soit par la forme, soit par le son. De ces signes simples ils firent des alphabets, des mots, puis des idiomes. Ces langues sacrées ne sont pas identiques ; elles diffèrent chacune selon le point de vue, selon la cime spirituelle jusqu’où s’éleva le collège initiatique qui les conçut.
L’un divisa le monde, ou le savoir, en 22 titres ; l’autre en 25 ; d’autres en 28, en 42, en 50, en 64, en 108. Et le disciple est prévenu que chaque mot du texte peut s’appliquer à chacun des mondes qu’énumère son école. C’est ainsi que chaque livre sacré traite simultanément d’histoire, de sciences physiques, de physiologie, de psychologie, de sociologie, de magie, de cosmologie, etc., selon le nombre de cases du système adopté.
Les mystagogues furent des visionnaires plus ou moins conscients. Leurs dieux particuliers, Osiris, Adonaï, Brahma, Ahoura-Mazda les transportèrent chacun sur les sommets de leurs royaumes respectifs, d’où ils prirent une connaissance générale du cosmos ; car on prétend bien que l’adepte ne parle que des mystères qu’il est allé explorer personnellement par l’extase. Mais ces explorations, pour difficiles et méritoires qu’elles soient, n’équivalent guère qu’à la connaissance de l’alpiniste, qui se rend compte de la configuration du pays, de l’importance des villages, des forêts, des cours d’eau, des cultures, mais qui n’expérimente en réalité pas du tout les mœurs, les travaux et les connaissances propres aux habitants de la région. Ainsi les révélateurs religieux décrivirent ce qu’ils avaient vu au moyen d’une logosophie que leur dieu propre leur inspira.
Puisque tout est dans tout, chaque système renferme forcément quelques traits de la Vérité suprême ; aucune créature n’est privée de l’intuition intime de cette Vérité. En elle-même, c’est la Loi du Ciel, la volonté du Père, et, simultanément, la réalité de la Création et la règle biologique des créatures, puisque les milieux sont organisés pour leurs habitants et ceux-ci pour les milieux.
Cet organon universel est le Verbe. Quand le Christ prononce : « Je suis la voie, la vérité, la vie », il faut comprendre que la voie est la règle de l’action, la vérité est l’idéal ou le but, et la vie, les moyens de l’atteindre.
Ceux donc qui acceptent la donnée supra-intellectuelle de la divinité du Christ, Fils unique de Dieu et Dieu Lui-même – et c’est à ceux-là seuls que je m’adresse –, ils comprendront que l’Évangile est l’extrait inédit, authentique de la Loi des lois ; que, malgré les manœuvres de l’Adversaire et les adultérations dues aux vices humains, rien d’essentiel n’a pu y être effacé ; que, enfin, parce que ces récits proviennent du Centre vivant de la Vérité, ils possèdent le pouvoir unique d’être parlants par eux-mêmes, de s’adapter à l’intellect de chacun, d’étendre, de restreindre, d’éclairer, d’assombrir leurs horizons ; comme si, devant le lecteur, au-dedans de l’espace atmosphérique, un ange se tenait qui règle l’arrivée de la Lumière selon la force des yeux humains ouverts sur elle.
Tel est le secret, l’hiéroglyphe, l’anagogie des Évangiles.
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Si vous croyez que Jésus est Dieu, vous concevrez que Ses actes et Ses paroles dépassent le cercle terrestre. Leur rayonnement atteint les auditoires universels ; leur influence déborde le vaisseau du temps planétaire ; ils vivent de la vie même de leur Auteur ; ils sont, chacun, à parler juste, un ange même de ce Verbe qui les engendre et les profère perpétuellement.
Ne disséquez donc pas les évangiles selon des formules ternaires, septenaires ou denaires ; n’y cherchez pas 22, 52 ou un nombre quelconque de sens. Ils comportent tous les sens ou, plutôt, ils ne comportent qu’un sens, le sens vrai, le sens du Centre, dont ils émanent.
Ne les lisez pas avec votre seule intelligence, vous n’y percevriez point la vie ; ne vous servez point de vos connaissances acquises, vous limiteriez votre instruction. Votre intelligence et votre savoir sont partiels. Étudiez ces livres avec le supra-intellect de votre être, avec votre cœur. La compréhension viendra ensuite. Mieux encore. Vous souvenant que le Ciel pénètre tout, que la notion christique de l’Absolu n’est pas celle d’un domaine séparé, mais d’une essence, d’un mode vital contenu dans le sein de toutes les existences relatives ; que l’Unité est le monde de l’union synthétique, et non celui de l’isolement analytique, vous lirez l’Évangile, vous l’interrogerez avec toutes les forces de votre être. Il est écrit : « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence et de toutes tes forces. »
Les paroles du Christ contiennent des aliments pour notre cœur, pour notre raison, pour notre sens philosophique, pour notre sensibilité esthétique, pour nos fluides, et même pour notre corps. Si les organismes matériels et semi-matériels étaient de bonne volonté, ils recevraient des forces, eux aussi ; certains disciples en ont fait l’expérience ; toutefois, pour entrer dans le royaume de l’Unité, pour y vivre, il faut avoir construit l’unité en soi-même.
Or on ne trouve dans l’Univers que deux modes vitaux en somme. Celui que nous expérimentons, c’est la diversité ; celui que nous espérons, c’est l’unité. On n’entre dans celui-ci que si l’on quitte celui-là. Que le corps ne cherche donc plus à satisfaire ses propres désirs ; que le double renonce à ses jouissances ; que le corps astral, le corps mental, et tous les autres renoncent à leurs joies. Qu’ils ne cherchent plus, tous ensemble, qu’à saisir la Lumière, en vivant la vie de la Lumière, la Loi. C’est alors que l’individu connaît son ignorance, que la personnalité devient simple, et que le moi pressent les horizons magnifiques qu’il pourra parcourir en héritier légitime de la seigneurie divine.
La vie naturelle s’exalte par la mort, et se propage par la fragmentation. Ce n’est pas une vie ; cette bataille incessante contre le néant est un effort vers la vie.
La vie divine est une effluence sans arrêts, une plénitude sans interstices, un présent éternel, une génération sans luttes, une ubiquité stable, un mouvement sans obstacles, une harmonie pacifique. Car Dieu est le Vivant. Les paroles de Son Fils vivent ; ce sont des êtres, ce sont des anges. Que Jésus guérisse un aveugle, c’est un ange qui se pose sur la terre, et y demeure à la disposition de tous les aveugles, qui savent reconnaître l’auréole spéciale de ces messagers. Que Jésus parle des infirmes, du lis, du figuier, de l’enfant prodigue, de n’importe quoi, c’est encore des anges qui descendent habiter l’intérieur des espaces terrestres attribués aux souffrants, aux plantes, aux jouissances, au repentir.
Ces anges répondent aux appels lancés vers leur Seigneur. Nos désirs de la Lumière leur donnent les moyens de nous aider ; nous leur ouvrons la porte du jardin secret. Ils nous procurent une purification, une illumination et un pouvoir ; ils modifient notre avenir ; ils s’entendent ensemble, par de rapides conciliabules, pour coordonner à notre insu nos modestes travaux ; ils nous indiquent comment orner la chambre d’honneur, où nous hébergerons, quelque nuit de tempête, le Pèlerin éternel, leur Seigneur et notre Ami.
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Veuillez comprendre ici comment l’Évangile donne de la force à ceux qui le consultent avec confiance. Je ne crains pas de le redire, c’est un livre vivant. Nous sommes tellement stupéfiés par l’atmosphère suffocante de la vallée de la Mort, que nous ne concevons pas que la Vie resplendisse ailleurs. L’Évangile contient une bénédiction ; les doigts qui le feuillettent, les yeux qui le parcourent, les oreilles qui l’entendent, le papier qui compose le volume, les caractères reçoivent de son ange cette silencieuse bénédiction, la bénédiction la plus puissante, à cause de Celui de qui nous viennent ces pages.
Comment le recevoir, nous, créatures si fort au-dessus du papier, de l’encre, du métal, mais, à cause de notre grandeur, si justement responsables ? Comment recevoir cette vérité non humaine, non systématique, cette lueur légère et libre qui convient à notre état personnel et actuel, à l’état de tous les êtres liés avec nous ?
Si le lecteur n’est parvenu à l’Évangile qu’après avoir sombré dans tous les gouffres de la douleur, qu’après avoir extrait tous les sucs désenchanteurs de l’arbre de la science, après avoir épuisé les sentiments humains, s’il arrive vers cette source, nu, affamé, las et meurtri ; si l’espoir obstiné en lui n’a plus la force que de gémir, il n’a besoin d’aucune autre préparation pour boire à longs traits la lumière jaillissant du roc mystique.
L’étudiant ordinaire n’a pas besoin non plus de recourir aux procédés occultés d’investigation. Il sait que les obstacles essentiels au développement de l’intelligence sont d’abord le défaut d’application profonde, puis la certitude fausse et l’orgueil de son propre savoir, et enfin l’intention de ne retirer de sa science que des profits personnels. Il doit donc se concentrer, aérer son intellect, élargir son cœur. Qu’il se place devant Dieu, par un geste d’adoration totale ; qu’il oublie ses inquiétudes, de quelque nature qu’elles soient ; qu’il se plonge dans la bonté du Père, dans la confiance, dans le sentiment que tout est bien. Qu’il mesure son ignorance, qu’il se convainque de sa petitesse, de sa pauvreté puisque personne ne possède rien qui ne soit un don.
Qu’il aperçoive, à son côté, l’Ami, toujours prêt à le soutenir, à l’instruire et à l’aider.
Alors, au spectacle de cette immense et immuable tendresse, qu’il fasse un retour sur lui-même, sur ses paresses et ses égoïsmes ; et considérant tout le bien négligé, tous les secours dédaignés, qu’il se repente à fond. Le repentir est indispensable ; c’est la charrue qui laboure l’âme.
Il peut alors se représenter devant le Père pour Lui refaire hommage et s’offrir en entier à Lui, de la moelle de ses os jusqu’à la cime de son esprit, puisque tous ces instruments de travail viennent de Dieu.
Enfin, après avoir demandé que l’erreur s’éloigne de lui, le disciple commence son étude ; et, quand il la termine, s’il n’a pas reçu d’idées nouvelles, qu’il remercie à cause de la patience ainsi développée ; s’il a appris quelque chose, qu’il remercie encore. Il est toujours avantageux de noter succinctement les résultats obtenus.
J’ai dit tout à l’heure qu’il n’est pas utile d’employer des méthodes ésotériques pour la méditation ; et cependant je viens d’en indiquer une en douze ou treize points. L’ésotérisme ferait appel à des forces que l’homme n’a pas encore le droit d’employer ; tandis que ces méticuleuses prescriptions s’exécutent avec les forces affectives ; c’est le cœur qui se prosterne, se repent et s’enthousiasme. Et nous avons le droit de disposer de notre amour. De plus, dans les premiers pas du sentier mystique, la prudence est nécessaire ; il faut établir en soi des bases solides ; on ne saurait trop prendre de précautions. Ceux qui ont reçu directement du Ciel une consigne précise et qui, dans l’Invisible, portent l’uniforme du « soldat », ceux-là peuvent négliger la prudence ; ils n’ont qu’à marcher. Mais de tels hommes sont rares.
Et cependant cette fonction n’est encore qu’une étape vers la nouvelle naissance, vers le baptême de l’Esprit.
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Résumons-nous.
Les paroles par lesquelles le monde a été formé sont des fragments de la Vie divine ; en même temps elles animent cet univers. Les sages leur ont donné le nom de Verbe ; elles contiennent le développement des créatures ; elles en sont la loi biologique.
Quand ce Verbe prit une forme terrestre, Il prononça celles de ces paroles propres à notre planète ; Il les vivifia et les expliqua par Ses actes. L’Évangile contient l’essentiel de ces lumières. Et tous les autres codes religieux, parus avant ou après lui, ne renferment que les ombres des lumières christiques projetées par les collectifs spirituels des diverses races.
Dans l’Évangile se trouvent, en résumés pratiques, toutes les sciences, toutes les philosophies, toutes les religions, toutes les initiations, dans ce que chacune possède de la Vérité suprême. Ses trésors sont immenses, inépuisables ; depuis vingt siècles, c’est à peine si on en a inventorié la millième partie.
Il existe, dans cet univers, des créatures éblouissantes, d’une beauté, d’une intelligence, d’une puissance devant lesquelles l’admiration se tairait si nous pouvions seulement les imaginer. Auprès de ces génies prestigieux, l’air trop subtil serait mortel pour nous ; et le halo des énergies qu’ils rayonnent dissocierait à l’instant nos ternes organismes. Or, ces cherubs manieurs de foudres, ces seraphs nimbés d’intelligence splendide ne possèdent pas, dans leurs séjours paradisiaques, de lumières plus profondes que celles dont l’humble petit volume du Nouveau Testament est le foyer très mystérieux. Toutefois ils savent le prix de ce joyau, et ils l’apprécient mieux que nous.
Ainsi, quelque précaire que paraisse notre existence, quelque désolantes que soient nos incertitudes et nos faiblesses, nous ne sommes pas des déshérités. Sachons que la sollicitude du Père, la tendresse du Fils et le secours de l’Esprit vont d’abord aux faibles, à ceux qui se sentent faibles, mais qui travaillent comme s’ils étaient forts.
N’être rien par soi-même ; pouvoir tout par Dieu ; voilà le secret de la Vie éternelle. Il est expliqué dans ces pages divines que nous allons lire ensemble. Nous y trouverons – du moins j’en forme le vœu – des flambeaux pour toutes les ténèbres, une manne pour toutes les faiblesses, des remèdes pour tous les malaises, – et une Présence ineffable dans toutes les solitudes.
SÉDIR, L’enfance du Christ,
Bibliothèque des Amitiés Spirituelles.