Les jugements
par
SÉDIR
La guerre mondiale a provoqué l’exhumation d’une foule de prophéties anciennes et la mise au jour d’un certain nombre de prophéties toutes neuves. Vous en avez lu certainement quelques-unes. Elles s’appuient toutes sur l’Évangile et sur l’Apocalypse. Or, ces textes demeurent obscurs, soit par leur généralité, soit par leur richesse de détails ; cependant, les glossateurs en sont innombrables.
N’attendez pas de moi un mille et unième commentaire. Je ne me propose que de relire avec vous les paroles tombées autrefois des lèvres omniscientes de notre Maître, et d’en tirer de nouveaux motifs d’amour et de travail. Que nous importent les évènements futurs, aussi graves soient-ils ? Si nous nous sommes véritablement unis à notre Jésus, ne vivons-nous pas avec Lui dans cette actualité toujours renaissante qui est la forme terrestre de l’Éternel ?
Je ne vous parlerai pas de l’Apocalypse, parce que ce livre est incompréhensible dans sa presque totalité. Relisez-le un soir, sous la lampe, la plume à la main, vous y distinguerez la description de quatre séries d’épreuves et de quatre séries de triomphes. Et, en effet, ce sont tous les types de jugements qui défilèrent devant les yeux du vieillard de Pathmos. Mais que veulent dire ces monstres, ces êtres fantastiques ? Quand nous saurons que les deux bêtes représentent les puissances politiques fondées sur la force matérielle, et les syndicats fondés sur le nombre ; quand nous croirons que ces images prendront une forme corporelle, quel sens attribuer aux vingt-quatre vieillards, aux quatre animaux, aux anges sonneurs de trompettes et verseurs de coupes empoisonnées, aux sauterelles, aux chevaux à têtes de lions, à la grande courtisane, à la femme vêtue du Soleil ? Du symbolisme serait facile ; tout le répertoire des sciences hermétiques trouverait là son application, mais le sens réel de ces emblèmes, personne ne l’a dit, et personne ne le dira qu’après que tout sera consommé.
Dans un couvent de Touraine, au temps de Louis XIV, une religieuse en extase vit un jour de longs serpents, des dragons vomissant la flamme et la fumée courir sur les routes de ville en ville, à une vitesse vertigineuse. Qui, parmi ses contemporains, pouvait se douter que cette femme apercevait les chemins de fer devenus une réalité seulement deux siècles plus tard ?
Ainsi, nous sommes en face de l’avenir, incapables de le concevoir, même si quelque génie nous le dévoile. Tenons-nous donc dans cette ignorance surhumaine de la foi, qui peut seule renouveler tout notre édifice intellectuel et conférer à notre cerveau des pouvoirs merveilleux.
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L’expression usuelle : « jugement dernier », fait comprendre qu’il y a des jugements provisoires. Et, en effet, pas un jour ne s’écoule, pas une minute ne tombe aux gouffres du passé, sans que des jugements ne soient rendus, en mille points de l’espace universel. Les jugements de Dieu sont les actes d’une justice distributive, mais non vindicative. Il faut enlever de notre tête l’idée que Dieu punit ; Dieu ne veut pas de cœurs pantelants d’effroi ; Il veut des cœurs palpitants d’amour. Dieu ne punit jamais, même les plus féroces, les plus profonds criminels. Judas lui-même sera prochainement absous ; les monstres aussi, dont l’ambition a fait couler des fleuves de sang et de larmes. Le petit enfant qui se brûle ou se pique les doigts, ce n’est pas une vengeance de sa mère parce qu’il lui a désobéi ; c’est une réaction physique qui lui apprend le danger du feu ou des épines. Il en est de même pour nous. Dieu, par la voix de la conscience, par la voix de Son Fils, nous prévient ; Il ne donne pas de motifs à Ses défenses, parce qu’alors c’est la crainte qui nous ferait obéir et non l’amour. Ne nous plaignons donc pas ; nous sommes les auteurs de toutes nos souffrances. Parfois, des gens, sinon vertueux, du moins inoffensifs subissent tout le long de leur vie des malheurs sans cesse renouvelés ; où est la bonté du Père ? Elle se cache sous ces malheurs, elle les surveille, elle les dose et les diminue jusqu’à la limite minima où ils ne seraient plus efficaces à l’amélioration de son enfant prodigue.
Voici un prince fauteur d’une guerre criminelle. Les mensonges de ses diplomates, les cruautés de ses soldats, c’est lui qui en porte la charge. Comment paiera-t-il cette dette écrasante ? Il faut qu’il restitue à la plus lointaine de ses victimes, qu’il efface jusqu’à la moindre des larmes dont il fut la cause impitoyable. Une existence ne suffira jamais à éteindre cette dette, car l’organisme n’a qu’une capacité restreinte de souffrir. Il traînera donc une série d’existences dans la misère, dans de perpétuelles douleurs, jusqu’à ce qu’il ait expérimenté quelles tortures il imposa aux milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, ses anciennes victimes. Il se retrouvera d’ailleurs face à face avec chacune d’elles, successivement, afin que toutes aient l’occasion de lui pardonner. Mais, à la fin, ce prince criminel deviendra, lui aussi, un serviteur du Christ.
Bien loin que le Jugement soit un phénomène isolé, on le rencontre à chaque pas. Pour les épis, la moisson est un jugement ; une amputation, c’est un jugement pour les cellules du membre qui la subit ; une épidémie, un cataclysme, une guerre, ce sont des jugements partiels. Et le véritable Jugement dernier n’aura lieu qu’à la fin de la Création, lorsque, tous les êtres ayant vu la Lumière, il ne restera plus qu’un seul révolté qui courbera enfin sa tête orgueilleuse et rentrera dans l’obéissance qu’il avait été le premier à rejeter.
Tous les jugements sont donc provisoires. Et, puisque toute créature est à la fois individuelle et collective, ils sont également individuels et collectifs. Ils ont lieu à la veille de chaque transformation des êtres. Un homme, une race, une planète sont donc jugés chaque fois qu’ils meurent. Et, lorsqu’un être a terminé son travail, lorsqu’il est prêt à rentrer dans le repos final, dans l’Absolu, il ne le peut qu’en vertu d’une dernière sentence du juste Juge, qui lui confère le baptême de l’Esprit.
Jugement n’est pas synonyme de condamnation. Cela consiste, pour les éléments constitutifs de la Créature, à se voir répartis sur d’autres cadres. Le moi est pourvu d’éléments nouveaux pour un travail nouveau dans un milieu nouveau.
Il se produit, sur terre, un jugement tous les 6 000 ans. Je ne referai pas la théorie astronomique des déluges, telle que la comprenaient les Égyptiens, les Hindous et les Chaldéens, basée sur la précession des équinoxes ; elle affirme un renversement périodique des pôles qui amène des cataclysmes variés et s’accompagne de divers bouleversements politiques, économiques et religieux. Le point intéressant serait de savoir la date, par exemple, du dernier déluge. Je laisse ces recherches à votre sagacité. Quant à moi, il ne m’est pas permis d’en dire davantage.
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Je vous ai déjà parlé du jugement que nous passons tous au moment de la mort. Il peut nous servir comme d’exemple typique, car tous les jugements se ressemblent.
Comme le disait la mythologie grecque, trois juges composent le tribunal. D’abord le Christ, puis la Vierge, puis cet être mystérieux, ami du Christ, intermédiaire entre nous et Lui, et que vous avez pu entendre nommer le Seigneur de la Terre, l’antipode, en un mot, du Prince de ce Monde.
Trois assesseurs complètent le Tribunal : l’ange gardien, le mauvais ange, et le groupe spirituel de tous les êtres avec lesquels le jugé a eu à faire durant son existence. Pas une plante, pas un objet, pas un animal que nous ayons soigné ou maltraité qui ne se présente à l’heure de la mort afin de rendre témoignage pour ou contre nous. Ainsi, trois en haut, trois en bas, et le sujet au milieu : voilà encore ce septénaire qu’on retrouve dans tous les actes caractéristiques de l’existence terrestre.
Aussitôt l’arrêt prononcé, avec toutes les mitigations qu’y ajoute la tendre miséricorde de notre éternel Ami, les différents organismes qui composaient notre personnalité retournent au milieu qui nous les avait fournis, et là où les destine l’usage que nous en avons fait. Puis notre moi se dirige vers celui des mondes invisibles où existe l’idéal en vue duquel nous avons travaillé, car tout est un être vivant. En cours de route, nous rencontrons, nous retrouvons ceux que nous avons aimés s’ils sont partis avant nous. Mais nous ne restons avec eux que si nous les avons aimés sans égoïsme, si, eux comme nous, avons fait le bien. Car nous sommes alors tous ensemble dans la Lumière du Verbe. Et, après le temps de repos nécessaire, nous revenons reprendre le travail terrestre au point où nous l’avons laissé. Ainsi, chaque matin, l’ouvrier retrouve sur l’établi son ouvrage inachevé de la veille.
Inutile de nous appesantir davantage ; la Nature suit toujours la même marche, quel que soit le théâtre sur lequel elle opère. Occupons-nous maintenant d’un sujet plus général : le prochain jugement que notre race devra subir.
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Et d’abord, quand aura-t-il lieu ? Rien ne nous l’indique avec précision. Une prophétie l’annonce pour le siècle où l’on verra les hommes voler : voilà donc quinze ans qu’il serait en instance. D’autres calculs, basés sur Daniel, sur l’Apocalypse, sur divers pieux auteurs, en reculent la date jusqu’en 2150. Vous voyez que la marge est vaste. Mais la curiosité humaine, incorrigible, n’entend pas le Christ qui lui dit : « De ce jour et de l’heure personne ne sait rien, personne, excepté le Père seul... Veillez, car vous ne savez pas l’heure à laquelle viendra votre Seigneur. Si le maître de la maison connaissait l’heure de la nuit à laquelle doit venir le voleur, il veillerait, il ne laisserait pas forcer sa maison. Eh bien ! vous, soyez prêts, car c’est à une heure où vous n’y penserez pas que viendra le Fils de l’Homme. »
Et encore : « Ainsi étaient les choses aux jours de Noé, ainsi seront-elles aux jours du Fils de l’Homme. Les hommes mangeaient, buvaient, se mariaient ou mariaient leurs enfants, et ils ne comprirent rien jusqu’au moment où Noé entra dans l’Arche, et où le déluge survint et les extermina tous. C’est encore ce qui est arrivé aux jours de Lot ; les hommes mangeaient, buvaient, achetaient, vendaient, plantaient, bâtissaient ; et, au moment où Lot sortit de Sodome, une pluie de feu et de soufre tomba du ciel et les extermina tous. Ainsi en sera-t-il au jour où le Fils de l’Homme sera manifesté. »
On pourrait inférer de ces deux exemples que le déluge de Noé fut un jugement, ainsi que la destruction de Sodome et de Gomorrhe. Mais à quelle date eurent lieu ces choses ?
Jésus a dit encore à Ses disciples : « Je vous le déclare en vérité, vous n’aurez pas achevé de parcourir les villes d’Israël que le Fils de l’Homme sera venu. » Et plus loin : « Les derniers jours viendront quand l’Évangile du Royaume aura été prêché par toute la terre et attesté à toutes les nations. » Tout cela reste bien vague. La parole célèbre : « En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera point que tout cela n’arrive » a été interprétée dans le sens de la ruine de Jérusalem qui survint quelque temps après le Christ. Mais, alors, les autres signes du Jugement ne se retrouvent pas. Et, en effet, Jésus n’a pas fait allusion à Ses contemporains ; la limite aurait été trop courte pour d’aussi vastes évènements. Souvenons-nous que l’idée de la réincarnation était courante à cette époque et que, selon la doctrine kabbalistique, les groupes d’âmes reviennent plusieurs fois sur la terre avant d’en avoir épuisé les leçons, avant de la quitter pour toujours. Jésus parlait du dernier passage de Ses contemporains sur la terre.
Bien que les intervalles entre les existences soient, en général, constants, il y a un assez grand nombre d’exceptions ; pour tels individus, les renaissances se succèdent très lentement, pour d’autres, beaucoup plus vite que la moyenne.
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Ainsi, dans la dernière guerre se sont retrouvés beaucoup des anciens soldats de Napoléon Ier. En outre, la génération actuelle, depuis une quarantaine d’années, comprend presque tous ceux qui, autrefois, furent les auditeurs du Christ, soit en Israël, soit dans d’autres pays. Mais, comme la moyenne des périodes de renaissance n’est que de trois ou quatre siècles, nous sommes tous revenus plusieurs fois depuis deux mille ans, et, ne sachant pas si la vie actuelle est la dernière, nous restons dans la même incertitude.
Et puis, si on connaissait la date du prochain jugement, qui est-ce qui y croirait ? Qui est-ce qui s’amenderait ? Et ne serions-nous pas alors dix fois plus coupables ? Non, ce que Dieu ne veut pas que l’on sache, tous nos furetages ne le découvriront jamais ; et, en ce cas comme dans tous les cas, Il ne nous laisse dans l’ignorance que par bonté. Tenons-nous-en à Sa recommandation pressante : « Ce que je vous dis à vous, disciples, je le dis à tous : Veillez. »
Où aura lieu cette manifestation universelle ? demandent encore les disciples. Jésus ne répond pas davantage : « Où sera le corps, là aussi les vautours se rassembleront. » « Partout où sera le cadavre s’assembleront les vautours. » Ainsi, le Juge apparaît sur le peuple, sur la race qui, dans une période donnée, auront acquis la plus grande supériorité matérielle au détriment de leur pureté spirituelle, dans la civilisation la plus égoïste, dans les patries de l’intellectualisme le plus athée. Il suffit de jeter un regard sur la race blanche pour obtenir une réponse ; quelque effrayante qu’elle soit, ne perdons pas courage, car la Miséricorde divine lie souvent la Justice.
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Ce que les Évangiles disent des derniers temps y marque comme trois périodes. Dans la première, préparatoire et comparée aux « douleurs de l’enfantement », paraissent les faux prophètes, les guerres générales, les famines, les tremblements de terre. Dans la seconde, la plus intense, ont lieu les persécutions contre les disciples du Christ, sous la poussée des faux Christs et des faux prophètes, « opérant signes et prodiges afin, si possible, de séduire même les élus », l’installation « dans le lieu saint de l’abomination de la désolation ». La troisième période termine ces calamités par des phénomènes astronomiques, l’apparition du Fils de l’Homme dans les cieux et le rassemblement des élus.
Permettez-moi de relire avec vous les paroles du Maître ; elles portent cet accent de réalité convaincante propre à qui raconte ce qu’il a vu. Et vous savez que, devant les yeux de notre Jésus, l’avenir se présente sans voile, comme le passé, comme les choses lointaines, puisqu’Il est, puisqu’Il demeure perpétuellement au centre de tout. Écoutons-le :
« Prenez garde de vous laisser séduire, car plusieurs viendront en prenant mon nom, disant : C’est moi qui suis le Christ et : Le moment approche. Ne marchez pas à leur suite. Quand vous entendrez parler de guerres et de révolutions, n’en soyez pas effrayés. Il faut, en effet, que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas tout de suite la fin. Se soulèvera nation contre nation, royaume contre royaume. Et il y aura de vastes tremblements de terre ; ici et là des famines, des pestes, d’effrayantes choses et de grands prodiges au ciel. Mais, avant tout, on mettra la main sur vous et l’on vous persécutera. Vous serez livrés aux synagogues, jetés en prison et, à cause de mon nom, traînés devant des rois et des gouverneurs. Cela vous arrivera pour que vous rendiez témoignage. Gravez bien dans vos cœurs que vous n’aurez pas à vous préoccuper de votre défense, car je vous donnerai, moi, un langage et une sagesse auxquels tous vos adversaires ne pourront ni résister ni répliquer. Vous serez livrés par vos pères et par vos mères, par vos frères, par vos parents, par vos amis ; ils feront mourir nombre d’entre vous ; et vous serez en haine à tout le monde à cause de mon nom. Et, cependant, pas un cheveu de votre tête ne doit périr. C’est par votre patience que vous sauverez vos vies. »
Reprenons tout ceci avec un peu plus de détails.
Nous trouvons, dans tout ce que Jésus a dit çà et là sur ce sujet, sept signes annonciateurs des jugements.
1o D’abord une invasion d’adeptes des mystères orientaux, tous remplis de sciences extraordinaires et pourvus de pouvoirs merveilleux. Ils pulluleront. Voici une trentaine d’années que les premières vagues de ce mouvement semblent se faire sentir ; et, de plus en plus, le public s’intéressera aux recherches psychiques, aux sciences occultes. Ces études, certes, ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, car nous devons tout connaître ; mais, parce que nous ne sommes pas des « sapients », elles peuvent devenir l’occasion de bien des erreurs.
2o À côté de ce déséquilibre très apparent, l’Adversaire aura préparé de longue main d’autres pièges dans les domaines plus rationnels de la science expérimentale et de l’intelligence philosophique. L’étude approfondie des merveilles de la matière entraînera vers une métaphysique et une morale matérialistes. Les cupidités individuelles se multipliant élèveront des barrières de plus en plus infranchissables entre les classes sociales, d’où disputes, séditions, d’abord dans chaque État, puis entre les peuples. Conflits économiques, guerres ; et l’incendie se propagera de proche en proche sur tout un continent, sur toute la terre peut-être. C’est alors que, « de deux hommes, l’un sera pris et l’autre laissé ». Et la plupart, ne voulant pas regarder leur conduite antérieure, ne comprendront pas la cause de ces calamités, douteront de Dieu et se révolteront contre Lui dans leurs cœurs.
3o Mais tout se tient dans la Nature. Ces bouleversements spirituels et sociaux s’accompagneront de bouleversements géologiques. L’esprit de la Terre, tourné vers le désordre, désorganisera le corps de la Terre. L’axe des pôles se renversera ; le Nord prendra la place de l’Équateur actuel, et celui-ci tournera jusqu’au Sud ; les courants magnétiques souterrains se rompront, d’où des cataclysmes, des tremblements de terre, des inondations. Et les hommes comprendront de moins en moins, sauf les vrais disciples. Des villes disparaîtront ; là où s’élèvent aujourd’hui des montagnes, des lacs se creuseront, ou plutôt des nappes d’eau souterraines viendront au jour. Les monuments de la justice et de la force civiles, les temples où le culte divin aura été déformé seront détruits.
4o Puis le sol, à son tour, s’insurgera ; il se mettra en grève. Les champs anémiés par la culture intensive, épuisés par les engrais scientifiques, ne produiront plus. Les céréales, la vigne rendront au cultivateur les fruits de son avarice et de son impiété, leurs maladies se multiplieront ; les forêts abattues n’assureront plus l’irrigation des collines et des vallées d’où la terre meuble disparaîtra. Le paysan qui, depuis de longues années, aura omis de faire descendre sur ses labours la bénédiction du Ciel, se verra réduire à la disette, et les citadins à la famine. Et les manœuvres cupides des accapareurs achèveront la ruine du peuple. En particulier, le Jugement prochain s’annoncera par la stérilité des vignobles.
5o La Terre ayant changé de position par rapport au Soleil, on sentira la chaleur ou décroître ou augmenter exagérément, suivant les régions. Au prochain jugement, il y aura une élévation générale de température, une évaporation telle que les arbres tomberont en poussière et les hommes sécheront. Un autre soleil inconnu fera sentir son influence occulte, l’atmosphère fluidique qui entoure la planète se modifiera profondément ; la lumière solaire perdra ses vertus antiseptiques ; les microbes morbides pulluleront ; et apparaîtront les épidémies dévastatrices et des maladies inconnues contre lesquelles la science sera impuissante.
6o Ces désorganisations, qui auront été transmises à la Terre par les astres dont elle dépend, se répercuteront sur ceux qu’elle entraîne. L’aspect du firmament changera, les orbites des planètes et leur inclinaison sur l’écliptique modifieront la carte du ciel. Des météores et des bolides inquiéteront les populations. Et parfois, comme certaines traditions antédiluviennes le racontent, l’un de ces mondes rencontrera le nôtre et y ajoutera ou en enlèvera tout un continent.
7o Cependant que se succéderont toutes ces convulsions, les serviteurs du Christ commenceront d’être persécutés à cause de Lui. « On vous livrera aux tourments, dit-Il, on vous mettra à mort ; vous serez, à cause de mon nom, en haine à toutes les nations. Et alors, beaucoup se laisseront prendre au piège ; ils se trahiront les uns les autres, ils se haïront entre eux... Et, comme l’iniquité augmentera, l’amour du plus grand nombre diminuera. »
Ces catastrophes seront telles « qu’il n’y en aura pas eu de semblables depuis le commencement du monde, et qu’il n’y en aura plus jamais. Si ces jours de tribulation n’avaient été abrégés, nulle vie ne serait sauvée ».
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Tout ceci porte donc le caractère de l’inévitable. Aucun de ceux marqués pour vivre en ces temps n’échappera à leur oppression. Le problème se réduit donc simplement à savoir comment se conduire pour tirer de ces épreuves toute la vertu purificatrice qu’elles contiennent. Nous avons besoin pour cela de savoir quelque chose des « faux prophètes et des faux Christs ». C’est une question assez importante pour remplir une prochaine causerie.
Aujourd’hui, nous finirons d’étudier les Jugements.
« Après l’ébranlement des cieux, dit l’Évangile, apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’Homme, et alors se frapperont la poitrine toutes les tribus de la terre, et elles verront le Fils de l’Homme arrivant sur les nuées en puissance et en grande gloire, et il enverra ses anges, lesquels, au son éclatant de la trompette, rassembleront ses élus des quatre vents, d’une extrémité du ciel à l’autre extrémité. »
Le chapitre XXV de saint Mathieu donne en outre le texte de la sentence que prononcerait notre Juge. Cette sentence, au moins sa première partie, exprime avec la simplicité la plus émouvante les rapports profonds de Dieu, de Son amour, avec nos souffrances. « Oui, dira Jésus, quand vous avez donné à manger et à boire, quand vous avez hébergé, vêtu, visité, consolé un seul parmi les plus petits de mes frères que voici, c’est à moi que vous l’avez fait. » Nul autre initiateur n’a su peindre aux hommes une image du Père si haute, si belle, si pathétique, si vraie. Cette identification mystique de quiconque pâtit dans la douleur avec le Verbe Jésus, c’est toute la religion, c’est toute la vie, c’est toute la Lumière. Ah ! que nous sommes heureux d’être nés dans le royaume d’un tel Roi !
Mais aussi dois-je déclarer avec franchise que la seconde partie de cette sentence, Jésus ne la prononcera jamais. Comment ce Jésus, qui ordonne de pardonner soixante-dix fois sept fois, c’est-à-dire toujours ; ce Jésus qui nous raconte l’histoire de l’enfant prodigue et de la brebis perdue ; ce Jésus de qui la dernière parole est : « Père, pardonne à mes bourreaux, car ils ne savent ce qu’ils font », cette Miséricorde vivante, enfin, condamnerait à des peines infinies la majeure partie de l’humanité ? Nous qui sommes méchants, oserions-nous faire cela à notre plus cruel ennemi ?
Le théologien répond que le réprouvé ne subit les peines éternelles que parce qu’il ne veut pas se soumettre. Mais une telle obstination est impossible à l’homme ; il n’existe pas de caractère assez ferme pour résister à une détention solitaire plus de quelques années. Or, les condamnés d’un jugement ne restent jamais dans les ténèbres plus d’une année platonique, soit 24 000 ans, et ceux-là étaient dans le mal des géants d’intelligence et de volonté. Imaginez un de ces types surhumains comme nous en dépeignent les vieux livres orientaux, un de ces hommes assez forts pour vouloir le même but sans la moindre défaillance pendant toute leur vie et par-delà encore ; imaginez qu’un de ces solitaires formidables se soit proposé comme idéal le non-agir. Le seul châtiment que Jésus lui inflige, c’est le châtiment de tous : être, après la mort, enfermé dans l’idéal qu’on a recherché pendant la vie. Eh bien ! je vous l’affirme – je crois savoir que le cas s’est présenté –, cet homme si fort ne sera pas resté dix siècles dans cette immobilité tant souhaitée qu’il demandera, avec larmes, d’en sortir.
En outre, la sentence n’est jamais juste. La balance du Juge penche toujours du côté de la Miséricorde. Toujours les ténèbres où l’on expie sont moins profondes que celles que nous aurions méritées ; toujours les paradis où l’on se repose sont plus beaux que ceux auxquels nous aurions droit.
Selon la théologie, le péché mortel qui, seul, entraîne la damnation, nécessite, pour être commis, la gravité de la matière, la connaissance parfaite de la Loi et la plénitude de la liberté.
Or, personne n’est libre sans avoir reçu la plénitude de l’Esprit ; tout être incarné est captif. La liberté est une force en nous qui se développe progressivement comme toutes les autres forces.
Et la connaissance parfaite de la loi morale ? Elle suppose une conscience d’abord parfaitement pure, puisque la pureté du cœur, au dire de Jésus, procure seule la possession de la vérité. Or, si la conscience est pure, le péché devient impossible.
Je crois donc que la possibilité du péché mortel est toute théorique.
Et puis, le seul péché qui n’est pas pardonné est le péché contre l’Esprit. Comme personne ne connaît l’Esprit et que, ainsi que je viens de le dire, la responsabilité exige la connaissance, le péché contre l’Esprit – le seul péché mortel – est impossible. Jésus n’a-t-Il pas dit, à propos du divorce, je crois, que la loi de Moïse sur ce point était telle à cause de la dureté de cœur des Israélites d’alors, et qu’Il la remplaçait par une autre ? Pourquoi le dogme de l’éternité des peines ne serait-il pas aussi un dogme temporaire ?
L’Église affirme la damnation éternelle, sans doute. On peut cependant remarquer que la théologie n’est qu’un commentaire humain à des faits divins. D’un si haut génie que les promulgateurs des dogmes aient fait preuve, je ne puis m’empêcher de me souvenir qu’ils ne sont que des hommes. L’Esprit Saint les inspira, certes, j’en suis persuadé ; mais le Ciel ne Se déverse en nous que dans la mesure où nous sommes capables de Le recevoir ; et l’eau de la Vie éternelle se trouble toujours d’un peu de boue qui reste au fond de nos cœurs, jusqu’au jour du baptême définitif. Dépouillez l’amas énorme des conciles œcuméniques ; combien de sentences contradictoires n’y relèverez-vous pas ?
Il est écrit d’ailleurs que les derniers temps seront abrégés « à cause des élus, de ceux que le Père a choisis ». Faut-il comprendre qu’en créant les âmes, le Père Se soit dit : Voilà telles et telles, je les destine à la béatitude ; voici par contre celles-ci, je vais les vouer aux supplices éternels ? Quelle aberration de prêter à Dieu de telles pensées ! Dira-t-on que ce sont ces âmes qui, par l’exercice de leur liberté, se vouent elles-mêmes à la damnation ? Alors « choisir » est un terme impropre ; c’est « prévoir » que l’Évangéliste aurait dû écrire.
Et il est encore écrit : « Il vient une heure où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils et en sortiront. Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour vivre ; ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour être jugés. » Voyez la parabole du serviteur impitoyable que « son maître livre aux bourreaux jusqu’à ce qu’il ait payé toute sa dette ». « Ainsi vous fera mon Père céleste », spécifie Jésus. Ailleurs : « Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. » Or, nos dettes peuvent-elles être incommensurables ? Non, nos offenses envers Dieu le seraient, mais nous ne pouvons pas offenser Dieu ; Dieu ne S’offense pas de nos fautes. N’est-Il pas infiniment au-dessus de nous ?
Non, Dieu n’a maudit et ne maudira jamais personne ; Il a tout le temps de patienter avec nous, Il a tous les moyens d’aiguillonner nos paresses et de dresser devant nos révoltes les barrières qui les calmeront. L’Éternité est à Ses ordres pour étendre ou rétrécir la trame du temps. Qu’est-ce, pour Dieu, que de créer de nouveaux mondes ? Non, il n’y a pas plus d’enfer éternel que de paradis éternel. La conclusion d’un arrêt provisoire ne peut pas être définitive. Tant que durera cet univers se succéderont les souffrances et les joies : souffrances passagères, joies approximatives. Et cet amalgame ne se résoudra en une harmonie permanente de béatitude et de beauté qu’au jour du Jugement véritablement final.
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C’est le Verbe en personne qui prononce le jugement. « Le Père a donné au Fils la puissance d’exercer un jugement parce qu’il est Fils d’homme. » Le Fils est le Seigneur ; Il fournit aux créatures le moyen de subsister ; Il S’est volontairement soumis aux travaux qu’elles doivent accomplir ; Il leur offre pour cela toutes les aides possibles. Vie, intelligence, conscience, règle, principe et but de tous les êtres, Lumière des lumières, incarnation de l’Amour, ce Christ a, en vérité, le droit de parler ainsi de Lui-même : « Je ne puis, moi, rien faire de moi-même ; comme j’entends, je juge, et mon jugement est juste, car je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé... Qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles a déjà son juge ; ce juge, c’est la parole même que j’ai dite ; elle le jugera au dernier jour. Car ce n’est pas de moi-même que j’ai parlé, mais c’est le Père qui m’a commandé de parler. »
J’aperçois, et vous aussi, n’est-ce pas ? dans ces quelques mots, des clartés sur Dieu, sur Jésus, sur l’homme, sur notre intimité mystique, des clartés effrayantes par leur profondeur, et si douces en même temps qu’il me semble impossible au cœur qui les a senties de ne pas se bouleverser de fond en comble, de ne pas s’anéantir devant le Père, dans une offrande adorante de tout soi-même, dans une extase bienheureuse, devant les perspectives indicibles ouvertes à ses élans. Si vous pouvez percevoir la qualité de cette union du Fils avec le Père par l’Esprit, et de notre union avec Eux, qu’importe l’Enfer éternel ? Ne l’affronteriez-vous pas pour en retirer une seule âme ? Et, lorsqu’on a goûté une ombre seulement de l’Amour, peut-on concevoir désormais la colère ?
Ah ! oui, l’Amour est le plus fort ; et notre Christ le détient tout entier. Ceux qui Le suivent du fond de leur cœur et de toute la force de leur corps ne s’égareront jamais. Et ceux-là même qui Le méconnaissent ou Le nient vont encore, malgré eux, vers Lui, quoique par de bien longs détours.
Je devrais ici vous parler de la seconde mort, de ce phénomène mystérieux que mentionne l’Apocalypse, et dont la définition a si fort mis à l’épreuve la sagacité des commentateurs.
De même que la date du prochain jugement, de même que la nature du péché contre l’Esprit, la seconde mort est un des mystères sur lesquels Dieu nous refuse toute éclaircie. Je ne puis même pas vous en rien laisser deviner par voie d’analogie. Tout ce qu’il m’est permis de dire, c’est que la seconde mort atteindra presque les 6/7es de l’humanité, et que dans la foule des coupables seront mélangés quelques innocents, pour mettre dans ces ténèbres épaisses les lueurs de la résignation et de la foi. Mais, pour ces victimes, en apparence arbitraires, ces douleurs exceptionnelles et librement consenties seront précieuses et leur vaudront une gloire singulière.
Je devrais aussi vous parler du Jugement final ; mais ne serait-ce pas simplement une pâture à la curiosité ? Je devrais enfin conclure. Peut-on donner en quelques paroles une conclusion à un drame aussi vaste, à des bouleversements aussi radicaux ?
Souvenez-vous seulement que Dieu est bon et qu’Il nous aime.
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Voilà de bien terribles tableaux, penserez-vous. Si Dieu est bon, comment ordonne-t-Il de pareilles catastrophes, comment les permet-Il seulement ? N’oubliez pas la longue suite d’existences qu’Il nous a laissées pour nous améliorer ; n’oubliez pas les infinies précautions qu’Il a prises pour nous sauvegarder ; recomptez les innombrables guides qu’Il a postés tout le long de nos chemins. Et puis, qu’est-ce que cinquante ans de souffrances au regard des béatitudes éternelles ? Nous voyons la souffrance, disent quelques-uns, mais le bonheur promis est-il bien certain ? Ces douteurs montrent qu’ils sont aveugles aux choses de Dieu, qu’ils ont été les élèves les plus mauvais, qu’ils n’ont jamais encore voulu se soumettre. Je connais quelques hommes serviteurs de Dieu, des hommes « vivants », puisque nous autres, nous tirons de la matière, c’est‑à-dire de la mort, la nourriture de nos âmes. Ces hommes-là n’ont pas mené une existence extraordinaire ; ils n’ont rien accompli de remarquable en apparence ; ce ne sont pas des ascètes, ni des visionnaires, ni des célébrités ; ils vivent de leur travail, ils élèvent le mieux qu’ils peuvent leurs enfants, ils obéissent aux lois ; les uns vont à l’église, les autres au syndicat, ce sont des gens comme tout le monde. Et, cependant, lorsqu’on s’entretient sérieusement avec eux, on aperçoit sous leurs paroles une force ; sur leurs visages transparaît une clarté ; au fond de leurs prunelles brille une certaine étoile. Le malheur les courbe, certes, mais ils savent se redresser ; le chagrin les poignarde, mais un baume secret cicatrise vite leurs blessures. Ces hommes, si semblables à tout le monde, qu’est-ce qui les fait différents de tout le monde ? C’est le sentiment du divin qu’ils possèdent en secret.
Le vieux Jacob, autrefois, se battit avec l’ange. Mais nous autres, depuis que le Christ est venu, c’est avec Dieu qu’il nous faut lutter. Dieu nous attaque par les épreuves, les chagrins, les maladies ; nous Lui ripostons par notre orgueil. Aussi n’y a-t-il jamais lieu de désespérer devant une catastrophe ou devant l’incompréhension que montrent les hommes. La catastrophe, c’est un petit mal pour un grand bien ; la mauvaise volonté, l’égoïsme, tout ce par quoi on se dérobe au devoir, cela ne compromet pas le résultat final ; au contraire, cela l’assure ; Dieu nous vaincra toujours, non parce qu’Il est le plus fort, mais parce qu’Il est le plus sage.
Nous passerons tous par ce duel mystérieux, ici ou là ; quelques-uns même (les plus mauvaises têtes) plusieurs fois. Nous en sortirons semblables à ces « vivants » dont je viens de vous parler, les mêmes en apparence, tout neufs dans notre interne ; ayant subi la bataille, nous posséderons la paix. Ayant connu le vide de la raison philosophique, nous savourerons la sapience de la foi. Nous saurons avouer nos ignorances. Nous saurons, de science expérimentale, que Dieu est là, dans cette ténèbre ; et ce mystère intérieur, reflet du royaume surnaturel annoncé par Jésus, revêtira nos paroles, nos gestes, notre présence d’une sérénité inexplicable mais rayonnante, d’une auréole invisible mais effective.
Quand quelque chose effrayante se dresse devant nos yeux, il faut l’affronter et la provoquer, la réduire ; nous sommes d’une race que les obstacles exaltent ; suivons notre génie. Et, si la raison, la bonté naturelle, la douceur native de quelques-uns d’entre vous s’effraye des difficultés actuelles, cela signifie que, pour cet homme-là, l’heure est venue d’engager la lutte avec Dieu. Mettez-vous en garde. C’est surtout cet avertissement que je dois vous donner à travers les détours de mes causeries avec vous. Entendez-le, je vous prie, car de plus en plus les anges recherchent les serviteurs du Ciel et les rassemblent pour des besognes de bénédiction.
SÉDIR, Mystique chrétienne, début XXe siècle.