Le cantique de Zacharie

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

SÉDIR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alors Zacharie son père fut rempli du Saint-Esprit, et il prophétisa et dit : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, de ce qu’il a visité et racheté son peuple ; et de ce qu’il nous a suscité un puissant Sauveur de la maison de David son serviteur ; comme il en avait parlé jadis par la bouche de ses saints prophètes ; que nous serions délivrés de nos ennemis, et de la main de tous ceux qui nous haïssent. Il a exercé sa miséricorde envers nos pères, se souvenant de sa sainte alliance, du serment qu’il a fait à Abraham, notre père, de nous accorder qu’après avoir été délivrés de la main de nos ennemis, nous le servirions sans crainte, dans la sainteté et la justice, en sa présence, tous les jours de notre vie. Et toi, petit enfant, tu seras appelé le prophète du Très-Haut ; car tu marcheras devant le Seigneur pour préparer ses voies, et pour donner la connaissance du salut à son peuple ; tu lui diras la rémission de ses péchés, par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, qui nous a regardés du haut des cieux ; que le soleil levant paraît pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort, et pour conduire nos pas dans le chemin de la paix. »

Et le petit enfant croissait, et son esprit se fortifiait et il demeura dans les solitudes jusqu’au jour où il devait se manifester à Israël.

(LUC ch. 1, v. 67 à 80.)

 

 

ZACHARIE prophétise. Qu’est-ce que la prophétie ?

Le prophète est au-dessus du devin. Deviner, c’est une science et un art découverts par les hommes. C’est assembler des correspondances, collectionner des conjonctures, induire des probabilités, diagnostiquer du présent au futur, comme le médecin remonte des signes extérieurs aux troubles fonctionnels. La divination ressemble à la science positive. Théoriquement, elle est vraie ; pratiquement, elle est aventureuse. L’avenir est à peu près contenu dans un thème généthliaque, ou dans le lacis des lignes de la main. Mais les combinaisons de cette vingtaine d’éléments se chiffrent par milliers ; aucune patience ne peut les épuiser, ni en extraire une conclusion mathématiquement exacte. Le devin comble les trous par l’intuition ; sa science devient un art. Sans compter qu’il est malsain à l’homme de connaître son sort ; la sollicitude du Ciel le lui cache le plus possible. Sans compter d’autres causes techniques d’erreur.

Le prophète, lui, ne cherche pas à voir l’avenir. Cela ne l’intéresse pas. Rien ne l’intéresse, sauf que « le zèle de la maison de Dieu le dévore ». Il va parmi les hommes, non plus tel qu’un homme, mais tel qu’une force formidable ; tel que la voix du Tout-Puissant. Il ne sait pas ce qu’il crie ; ce n’est pas son affaire. Son rôle, c’est de désirer, de se consumer, de brûler et d’incendier tout autour de lui. L’intelligence, la science, les desseins profonds du conducteur de peuples, la patience ingénieuse de l’éducateur, il n’en a cure. Là n’est pas son travail. C’est de brandir la torche de Dieu. Il en secoue les flammèches sur les tristes échines courbées ; il les oblige à se relever ; il tire les regards des pauvres hommes vers le haut. Il parle sans savoir ; oui. Mais c’est Dieu qui parle par lui. Et Dieu sait ; cela suffit. L’Esprit éternel possède l’esprit du prophète ; il l’introduit dans le monde des décrets providentiels ; il lui fait prendre des routes interdites aux autres hommes. Et, par intervalles, la bouche redit ce que la conscience a retenu des conciliabules entre l’âme et les anges ; mais involontairement, pour ainsi dire. Le prophète n’aperçoit pas toujours l’envergure de ses vaticinations ; il ne vit pas une vie normale. Il offre le spectacle extraordinaire d’un équilibre instable, mais permanent entre la stase terrestre et la stase céleste. De sorte que ses auditeurs comprennent autre chose que ce qu’il dit, à moins qu’ils ne soient avec Dieu. Il parle, en un mot, pour ce qui, dans son public, en dépasse l’altitude mentale ; il est le magicien à la voix duquel l’impossible commence à devenir possible ; l’imaginaire, réel ; et l’occulte, manifeste.

Les adeptes, les génies, les dieux font les devins ; le Père seul fait les prophètes.

 

 

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Le cantique de Zacharie, comme celui de la Vierge, est une louange en deux parties. Dans la première, c’est la miséricorde de Dieu qui est célébrée ; dans la seconde, ce sont les bienfaits du Sauveur.

On y aperçoit à nu le mécanisme de la vie spirituelle collective. Le genre humain, comme nous l’avons déjà dit, se consume d’abord à obtenir des dieux des privilèges. Il ne s’agit pas ici seulement des contrats de la magie, mais des actes ordinaires dont se tisse la trame de notre existence. Les activités que nous déployons dans le but de satisfaire nos propres désirs se canalisent en réalité vers les royaumes substantiels des dieux objectifs qui gouvernent chacun de ces désirs, nos « mois » signent des pactes tacites avec ces dieux. Ils sont des emprunteurs à courte vue. Et ces dieux, comme nos banquiers terrestres, ne rendent pas service sans intérêts. Ces intérêts s’accumulent ; il arrive un moment où nous ne pouvons plus rembourser, et nous devenons les esclaves du prêteur impitoyable. À ce moment, notre sort spirituel périclite ; notre esprit court vraiment un danger, et aucune autre puissante créature ne peut nous venir en aide ; ce ne serait que retarder l’échéance et l’alourdir. Si le Père veut nous sauver, il faut qu’Il puise dans Son trésor. Heureusement, ce trésor est sans fond. Cette indemnité offerte par le Père à nos créanciers spirituels est le « rachat du peuple » que célèbre Zacharie.

Toutefois, étant indociles et de tête dure, il n’est pas mauvais que nous expérimentions quelque peu la dureté de nos prêteurs spirituels. Mais alors nous ne les flattons plus ; nous les déclarons nos ennemis, puisqu’ils nous font souffrir, et nous les invectivons. Or, c’est quand ils comblaient nos vœux qu’ils étaient vraiment nos ennemis ; maintenant qu’ils nous font travailler, ils nous rendent des services véritables ; nous devrions les en remercier. Le Ciel pourrait leur interdire de nous réclamer nos dettes ; ce ne serait pas juste ; Il les rembourse de Ses propres deniers ; Il nous libère en Se substituant à nous.

Voilà pourquoi le Verbe a pris un corps de chair.

À part ces inimitiés, logiques et normales en somme, certains êtres nous haïssent, il est vrai. Mais les hommes à qui il est donné d’avoir des ennemis réels sont très rares. Souvent ceux qui paraissent nous attaquer par pure méchanceté ne sont que des créanciers très anciens. Seuls, les soldats du Ciel ont des ennemis authentiques. Car on ne peut être enrôlé dans l’armée de la Lumière que lorsqu’on a presque fini de payer ses dettes personnelles ; alors on est haï à cause du Roi que l’on sert. Les êtres sont jaloux de l’homme, qui pressentent en lui une force secrète dont ils voudraient se nourrir. Ces êtres-là sont les séides des Ténèbres, et les « soldats » les combattent et les vainquent par la toute-puissante douceur en se laissant dépouiller par eux.

Aux quelques-uns qui brûlent du désir d’être enrôlés dans cette glorieuse et obscure milice, je me permettrai d’adresser un avertissement ; c’est que le titre de soldat est lourd à porter. Nous trouvons déjà très pénible d’être obligés de réparer les dégâts que nous avons commis ; et nous crions à l’injustice. Et ce n’est là que du travail passif ; c’est le défrichement. Il faudra subir la charrue ; et enfin recevoir les semailles. Le soldat, c’est l’épi qui sort de terre.

Vous avez vu parfois dans les jardins zoologiques des promeneurs agacer un animal jusqu’à ce que la pauvre bête s’irrite, bondisse et secoue en grondant les barreaux de sa cage. Nous sommes ces animaux parfois, enfermés dans les cages de la matière. Et des génies d’une race supérieure passent et nous excitent, pour se distraire de notre impuissance et de nos colères. Et puis, au bout d’une minute ou deux, ils s’en vont.

Voilà ce que c’est que ces tentations précises et terribles des saints qui durent parfois vingt-cinq années, comme il advint par exemple au vénérable César de Bus ; dans l’invisible, c’est la courte station d’un promeneur. Or, ces saints si constants, si fidèles et si courageux ne sont pas toujours des « soldats ».

Le soldat ne se contente point de subir stoïquement la pluie, la fatigue et la faim ; il attaque aussi. Seulement, pour lui, attaquer, c’est se sacrifier ; c’est se dépenser, se donner sans rien garder pour soi ; c’est conserver le même sourire bénévole devant les ingratitudes et les haines ; c’est convertir tout l’amour-propre, toute la vanité, tout le besoin si naturel d’être payé de retour, en un oubli total de soi-même. C’est que rien ne nous puisse plus sortir de ce Royaume du Père, de cet état d’âme où règnent seules la tendresse, la lumière et la paix.

Ce martyre, que le soldat accepte pour des siècles et des siècles, et dont il subit les tourments avec une immuable sérénité, dure jusqu’à ce que la Lumière ait complètement transmué les ténèbres chez les êtres adverses. C’est la grande bataille qui commença dès la première aube du monde, du résultat de laquelle la venue du Christ a décidé, et qui ne se terminera qu’avec le triomphe final de Notre-Seigneur.

Mais tout le long de ces péripéties innombrables nous sommes réconfortés par la présence du Maître. Présence presque toujours invisible ; de temps à autre comme tout à fait disparue ; mais qui aussi, parfois, s’affirme jusqu’à la réalité la plus physique. En effet, dans la suite des existences d’un soldat, des années bénies se trouvent où il combat avec, à ses côtés, l’appui de son Chef sous une forme corporelle. Ce miracle a lieu toutes les fois qu’un homme libre nous prend avec lui à sa suite. L’homme libre n’est pas le Verbe en personne, et cependant il est le Verbe ; il en est une nouvelle incarnation.

Il apparaît dans l’humanité comme une cellule brillante et toute pure qui arrête la décomposition des autres cellules, qui les guérit de toutes manières, leur redonne de la vie, les réorganise, les rassemble et les ramène à l’assaut.

Dans toutes les planètes, par intervalles, descendent des hommes libres, par l’esprit desquels se concentrent les lumières naturelles descendantes.

Ils sont plusieurs et ne forment qu’un seul esprit ; ils sont les étincelles, et leur réunion, c’est le corps éblouissant du Verbe ordonnateur des destinées de l’univers. Ceux-là seuls les connaissent, ou les reconnaissent, à qui la grâce en est donnée. Personne ne la mérite, cette grâce ; sa réception constitue le privilège le plus extraordinaire, et charge ceux qui en sont les objets de la plus lourde des responsabilités. Car, si l’homme libre passe inaperçu de quiconque n’appartient par corps et âme au Ciel, si sa personnalité physique n’est revêtue d’aucun signe, la clairvoyance d’aucun visionnaire ni l’enquête d’aucun adepte ne peuvent arriver à le discerner, à moins qu’il ne le permette ; la clarté que porte un tel être, pour impénétrable qu’elle demeure, est la clarté même de l’Éternel.

 

 

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Les dernières strophes du cantique de Zacharie s’adressent au petit Précurseur. Ce que nous avons déjà dit de l’esprit de cet enfant démontre qu’il fut par excellence le Prophète.

Sa fonction, non seulement dans sa vie terrestre, mais dans la permanence de sa vie spirituelle, est quadruple. Il prépare les voies du Seigneur. Il apporte le salut aux hommes. Il éclaire les aveugles. Il les conduit.

Pour comprendre ceci, il faut savoir que le Christ fut, avant même le commencement du temps, le premier acte du Père, en vérité le premier-né. C’est d’ailleurs pourquoi Il reste toujours sacrifié. Mais la personnalité même de ce Christ croit parallèlement à la croissance de la Création. Elle ne sera parfaite que lorsque cette dernière aussi aura évertué toutes ses énergies et parachevé tous ses développements. Voilà dans quel sens total le Verbe est l’Alpha et l’Oméga.

Synchroniquement, par un prodige de sacrifice, cette croissance mondiale du Verbe reste subordonnée à notre bon vouloir ; pour qu’elle soit, il faut que nous, hommes, la désirions. Il faut que nous lui préparions les voies ; il faut que nous aplanissions ses chemins. Le Précurseur est le modèle de ce travail collectif.

Là est notre salut. Par là seulement la béatitude nous est accessible. Ce travail n’est autre que l’accomplissement de la volonté du Père. Cette volonté, c’est la loi biologique même de la Nature. Comme chacune de nos infractions appelle sur nous la souffrance et la mort, il est nécessaire que le Ciel intervienne et que Sa miséricorde annule les suites de ces dérèglements. En cela consiste la rémission des péchés.

Une fois le mal spirituel ou moral, ou mental, ou physiologique enlevé, le Ciel complète Son œuvre de guérison en dressant au-dessus de nos têtes un flambeau. Le Précurseur est le bras qui tient ce flambeau.

Ses fatigues, ses douleurs, sa vie même sont l’aliment de cette flamme. Cette torche vivante brûle dans d’inexprimables angoisses, pour éclairer la foule grouillant dans les marécages. Il flamboie la nuit sur la colline. Et quelques-uns lèvent vers ce brasier des regards jusqu’alors sans espérance ; le désir leur naît de le rejoindre. C’est ainsi que son martyre intérieur et extérieur, invisible et visible, psychique et physique, nous attire peu à peu sur les hauteurs, d’où nous pouvons enfin apercevoir la cité pacifique du Roi et ses jardins éternels.

Ici, l’évangéliste baisse le voile sur ces horizons ineffables et nous remet en face du petit enfant d’Élisabeth. Les exégètes prétendent que ces paroles : « Il se fortifiait en esprit et il demeura dans les déserts jusqu’au jour qu’il devait être manifesté à Israël » cachent l’initiation essénienne de Jean-Baptiste. Mais cette opinion est erronée. Celui auquel « Jéhovah est propice » – c’est ce que signifie le nom de Jean ou Jochanan – n’a que faire d’aucune sagesse humaine, si haute et si pure soit-elle.

« Croître en esprit », cela ne veut pas dire augmenter ses forces psychiques par des méthodes plus ou moins savantes ; les forces que les entraînements initiatiques augmentent en nous, pour subtiles qu’elles soient, n’appartiennent pas à l’esprit, mais à la substance. Quand l’esprit croît en nous, c’est de son propre mouvement, par sa spontanéité de nature, en dépit de tous régimes, sans excitation extérieure. À mesure que la volonté, c’est-à-dire le cœur, se purifie, en se renonçant à soi-même, l’esprit grandit sans autre soin.

Mais, selon la loi commune, pour grandir, il faut se nourrir. Et le petit Jean passe sa jeunesse dans les déserts, au propre et au figuré.

Entendons ici le sens large et profond de l’Écriture. Il y a toutes sortes de déserts. Et le terrain d’où les plantes du Ciel ont été arrachées, si fertile et si riche soit-il des plantes de la Nature, le terrain où ne coulent pas les ruisseaux de la Grâce, pour une âme comme celle du Baptiste, c’est vraiment, réellement un désert. C’est un lieu d’aridité, de désolation, d’impuissance et de mort.

Paris, Londres, Ninive, Chicago peuvent être des Saharas ; l’enfant de Dieu n’aperçoit, dans les multitudes grouillantes, rien qui lui rappelle sa patrie. Voyez ici le mode extraordinaire de l’activité du Ciel. Selon la Nature, tout être qui ne trouve pas d’aliment périt. Selon Dieu, le missionné qui ne reçoit rien de cette terre, mais qui, au contraire, lui donne sans cesse, vit, se sublimise, et rayonne à travers les continents et les siècles. Le petit Précurseur, grandissant loin de la civilisation et de la sagesse humaines, n’est éduqué que par l’Esprit. Les spectacles majestueux du désert lui enseignent tous les arcanes. Les drames de la lumière solaire représentés sur cette scène immense habillent son intelligence de beauté. Avec les aurores, il prie pour d’infinis espoirs ; avec les midis, il s’exalte dans la puissance qui le couvre ; il suit, les soirs, la lente descente de l’astre-roi derrière les nobles collines ; et se lèvent dans le jeune cœur les nostalgies grandissantes de la patrie spirituelle. La nuit, en contraste avec l’apaisement auguste de la Nature, l’enfant s’exerce aux contentions internes, aux luttes invisibles, aux expérimentations secrètes préparatrices des actes publics futurs.

Que cette adolescence nous devienne un exemple. Nous aussi, quels que soient nos travaux et notre destin, pensons au désert ; recherchons-le ; aimons-le. La solitude est l’aliment des forts. L’absence de compagnons humains attire les invisibles ; mais la solitude psychique évoque irrésistiblement les anges de la Présence divine. C’étaient là les visiteurs du petit Jean. Les pierres, les torrents, les buissons, les cactus, les figuiers barbaresques, les oiseaux, les fauves dépouillaient pour lui leurs formes de matière ; il voyait leurs esprits terrestres ; et, remontant de proche en proche, il en discernait les chefs de file qui, dans la profondité des espaces mystiques, administrent la vie universelle. Il se tenait dans cet état si rare où les êtres se montrent au voyant selon leur éternelle réalité. Cet état n’est point inaccessible. Nous en avons des exemples contemporains. En voici un, entre autres. Un soir, le Curé d’Ars conférait dans sa chambre avec la Vierge ; il se sent tout à coup tiré par sa manche ; c’était sa servante qui venait le chercher pour dîner ; et sans surprise, le saint candide se détourne et dit : « Est-ce vous, mon Dieu ? »

Quand serons-nous assez préoccupés du Ciel pour vivre ainsi avec Lui ?

Tel était Jean-Baptiste : misérable, nu, sans toit ; mais les cieux ouverts, et leurs habitants tangibles et familiers. Voilà le vrai bonheur, immuable, infini, perpétuel. Puissions-nous bientôt en goûter les prémices !

 

 

SÉDIR, L’enfance du Christ,

Bibliothèque des Amitiés Spirituelles.

 

 

 

 

 

 

 

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