Maria Edgeworth
par
Charles SIMOND
MARIA EDGEWORTH naquit le 1er janvier 1767, dans le Berkshire. Son père, Richard Lovell Edgeworth, était irlandais. Très excentrique, mais fort intelligent, il s’occupait de travaux mécaniques. On lui doit toute une série d’inventions : la première idée du télégraphe aérien, la construction d’une voiture transportant un chemin de fer roulant, l’application des ressorts aux charrettes, un mémoire très remarquable sur l’établissement des routes, des embellissements de la ville de Lyon où il fit un long séjour. Nommé député de l’Irlande à la Chambre des Communes en 1798, il alla se fixer définitivement à Edgeworthtown, dans le comté d’Oxford. Il partagea dès lors ses loisirs entre ses travaux personnels et l’éducation de sa fille. Il fut aidé dans cette tâche par les deux femmes qu’il épousa successivement après la mort de la mère de Maria.
Grâce à cette tutelle bienfaisante, la jeune fille, entourée d’ailleurs d’un cercle de littérateurs d’élite, put donner tout son temps à l’étude. Son intelligence se développa solidement dans cet excellent milieu ; son goût pour la lecture des moralistes lui vint en aide et la critique d’amis éclairés lui servit de guide dans la direction de son esprit. De bonne heure elle s’essaya, sous la surveillance paternelle, dans l’art si difficile d’écrire, et elle trouva dans Richard Lovell, non seulement un conseiller dévoué, mais un collaborateur assidu. Elle ne se montra toutefois pas impatiente de livrer ses compositions au public, aimant mieux ne débuter qu’à coup sûr. Elle avait déjà vingt-huit ans lorsqu’en 1795 elle fit paraître son premier volume, des Contes pour les jeunes filles, qui obtinrent, mais dans son entourage seulement, un accueil assez favorable.
Sa réputation littéraire ne date, à vrai dire, que de trois ans plus tard. Ses Essais sur l’Éducation pratique et familière, qui parurent en 1798, furent signalés comme un ouvrage de valeur. Ils avaient été précédés par le Guide des parents, petit livre d’instruction morale pour la jeunesse, joignant à l’intérêt du fond l’agrément de la forme. À partir de ce moment, son nom sortit de l’obscurité. Elle prit rang parmi les écrivains en vue de l’époque.
En 1802, son premier roman de longue haleine, Castle Rackrent, produisit une grande sensation. C’était la peinture fidèle et très caractéristique de la condition des classes inférieures de la population irlandaise. Vinrent ensuite, sur le même sujet, l’Essay on Irish Bulls, tableaux de mœurs où la sincérité s’allie à la finesse de touche ; Belinda, qui avait pour objet de décrire les misères morales de la haute société, la Moderne Grisélidis, Leonora, le Patronage, Ormond, Contes moraux, Contes populaires, Contes du beau monde, Hélène, Protecteurs et protégés, Henri et Lucie, Les jeunes industriels, toute une série de livres bien pensés, bien composés, dénotant un talent qui méritait de l’attention.
Le trait distinctif de l’œuvre de Maria Edgeworth, c’est l’enseignement moral. Elle n’emprunte point ses récits aux caprices de son imagination, elle ne cherche point ses sujets dans la pure fiction ; elle observe avec une grande sûreté de coup d’œil, elle laisse mûrir le fruit de son observation, et elle s’impose la loi de n’écrire que lorsqu’elle a longtemps réfléchi. En outre elle veut, en écrivant, atteindre un but déterminé. Ce but s’aperçoit très clairement dans chacun de ses ouvrages. On a dit, avec raison, qu’il est impossible de lire dix pages d’un de ses volumes sans y trouver le battement de son cœur. En un mot, pour elle, l’écrivain a charge d’âmes. Aussi s’attache-t-elle sans cesse à corriger les erreurs de l’opinion, à combattre les préjugés, à montrer l’exemple du bien, à répandre la semence féconde et saine de la sagesse...
Les ouvrages de Maria Edgeworth, qui n’ont point perdu de leur popularité en Angleterre et en France, se recommandent par leur franchise, par leur style, par leur côté instructif, exempt de toute sécheresse. Ses romans irlandais ont une saveur de terroir toute particulière et une loyauté que les Anglais, si prévenus pourtant contre tout ce qui leur parle de l’Irlande, ont toujours été unanimes à reconnaître.
Il faut distinguer, en effet, dans l’écrivain dont il s’agit ici, deux tendances différentes : la première qui le porte à traiter de front les questions sociales, à protester avec fermeté contre les injustices dont sont victimes les faibles et les opprimés ; la seconde qui le fait descendre dans le cœur des enfants pour l’orner de vertus.
Dans l’un comme dans l’autre cas, Maria Edgeworth remplit un apostolat, mais elle n’exerce point cette mission toute de bienfaisance avec la rigidité d’un prédicateur austère ; elle a le don de plaire, elle a la puissance d’invention et elle possède le secret des effets artistiques.
C’est, à tout prendre, dans l’histoire littéraire de la première moitié de ce siècle, une des figures les plus sympathiques et aussi les plus aimées.
Miss Edgeworth perdit son père en 1817. Elle vécut depuis ce temps presque toujours à Edgeworthtown, en Irlande, continuant avec assiduité son œuvre de propagande morale. Elle atteignit un âge très avancé, et lorsque la mort vint l’enlever, en 1849, à quatre-vingt trois ans, à ses nombreux amis, elle laissa d’universels regrets.
Un grand nombre de ses ouvrages ont été traduits en français.
Charles SIMOND, Les grands écrivains de toutes les littératures,
Quatrième série, Tome premier, 1890.