Méditations religieuses
d’Eckartshausen
recueillies et traduites par
le baron de STASSART
À MES LECTEURS.
Pendant un séjour de six mois dans la petite ville d’Iserlhon, en Westphalie, où ma famille s’était réfugiée après la conquête de la Belgique par les armées républicaines, en 1794, je pris des leçons d’allemand. J’avais pour maître un émigré français qui possédait parfaitement les deux langues ; il me mit dans les mains un livre fort en vogue à cette époque : Gott ist die reinste Liebe, von der Hofrath Von Eckartshausen, c’est-à-dire Dieu est l’amour le plus pur. Je m’amusai dès lors à le traduire d’un bout à l’autre 1, mais on conçoit assez que cette traduction avait besoin d’être retouchée ; je m’en occupai par la suite. Elle s’échappa de mon portefeuille, quelques années plus tard, sous les auspices et pour le compte d’un de mes amis. La première édition se trouva bientôt épuisée, et les contrefaçons se multiplièrent de toutes parts, mais non toutefois sans que le texte en souffrît. M. Guitel, libraire de Paris, me proposa d’en donner une édition plus correcte ; elle parut en 1823, sous mon nom et précédée d’une notice sur Eckartshausen.
Je me borne maintenant à reproduire quelques extraits, quelques méditations qui, je le présume, seront toujours lues avec plaisir, quelle que soit la faiblesse du traducteur 2.
NOTICE
SUR LA VIE ET SUR LES OUVRAGES
DE CHARLES D’ECKARTSHAUSEN.
Charles d’Eckartshausen naquit au château de Haimbhausen, en Bavière, le 28 juin 1752 ; il dut le jour à la passion désordonnée du comte Charles de Haimbhausen pour Marie-Anne Eckart, fille de l’intendant de son père. Rien ne fut négligé pour l’éducation de cet enfant chéri dont la naissance coûta la vie à sa mère. Après avoir fait ses premières études au collège de Munich, il se rendit à l’université d’Ingolstadt pour y suivre les cours de philosophie et de droit ; ses efforts furent couronnés de tout le succès désirable. À peine était-il de retour que son père, en 1776, lui procura le titre de conseiller aulique. La place de censeur de la librairie, qu’il obtint en 1780, lui fit, malgré la droiture et la bonté de son caractère, des ennemis acharnés, mais la bienveillance de l’électeur Charles-Théodore le soutint contre toutes les cabales, et ce prince, afin de le rapprocher de sa personne, le nomma conservateur des archives de la maison électorale, en 1784. Néanmoins il fréquenta peu la cour : la nature ne l’avait pas doué de cette force d’âme qui rend l’homme supérieur à l’injustice des préjugés ; l’illégitimité de sa naissance lui avait inspiré, dès l’âge le plus tendre, une mélancolie habituelle et beaucoup d’éloignement pour le monde ; mais cette espèce de misanthropie lui rendait plus chers sa famille et ses amis, comme il le disait souvent lui-même. Il partageait son temps entre ces douces affections, les devoirs de ses emplois et la culture des lettres. Les ouvrages qu’il a publiés sont au nombre de soixante-dix-neuf, et roulent sur toutes sortes de matières ; sciences, beaux-arts, théâtre, politique, religion, jurisprudence, histoire... il embrasse tout. Son drame du Préjugé de la naissance, par lequel il débuta dans la carrière (1778), offre d’heureuses situations et de l’intérêt. Ragual, ou l’enfant de la nature mérite à peu près le même éloge, et sa comédie du Bouffon de cour abonde en traits comiques, bien qu’ils ne soient pas tous également de bon goût ; au surplus le véritable titre d’Eckartshausen à la réputation européenne dont il jouit, c’est le petit volume intitulé : Dieu est l’amour le plus pur, traduit dans presque toutes les langues vivantes, et qui, depuis 1790, compte déjà près de soixante éditions en Allemagne. Ce livre, auquel pourtant l’on serait en droit de reprocher quelques idées trop mystiques, respire un charme ineffable : c’est le langage et l’âme de notre Fénelon. Si l’auteur savait parler avec éloquence des devoirs de l’humanité, nous ajouterons qu’il savait encore mieux en donner l’exemple : chaque mois il consacrait religieusement le produit de ses économies à secourir l’indigence ; les prisonniers de guerre, les blessés surtout étaient l’objet de ses soins constants. On le vit un jour se dépouiller d’une partie de ses vêtements pour en couvrir de malheureux soldats français qu’on dirigeait par l’Allemagne sur la Hongrie, en janvier 1795, malgré les rigueurs de la saison.
Après une vie passée tout entière dans la pratique des vertus, Eckartshausen attendit avec résignation sa dernière heure, annoncée par des souffrances très-vives, et il mourut à Munich, le 13 mai 1803, laissant un fils de sa troisième femme, Thérèse Weiss, et quatre filles de son second mariage avec Gabrielle de Wollter ; sa première femme, Geneviève de Guiquerez, fille d’un capitaine français, était morte, dès l’année 1780, en mettant au monde, pour ne vivre que peu de jours, l’unique fruit de leur union.
MÉDITATIONS RELIGIEUSES
D’ECKARTSHAUSEN.
APRÈS LE RÉVEIL DU MATIN.
Encore une nuit écoulée ! je m’éveille, j’éprouve le plaisir d’exister. À qui dois-je ma première pensée, si ce n’est à toi 3, bonté infinie, à toi qui m’as donné la vie, à toi qui veillais pour moi pendant mon sommeil ?
Quelle est ta bonté, Seigneur ! tu prends soin de tout ce qui respire : la moindre créature éprouve tes bienfaits. Oui, la consolante pensée que tu es nécessairement bon ne sortira jamais de mon esprit : avec quelles délices je revois ce monde où tout me la rappelle sans cesse.
Je ne suis que poussière ; mais animé par ta toute-puissance, ô mon Dieu, je me sens un cœur qui s’ouvre à la sensibilité ; je me sens une âme susceptible de confiance et d’amour. À qui dois-je offrir les prémices de mes sentiments, si ce n’est à toi, qui m’as créé ? Tu es un pur esprit, je suis un faible mortel. Je ne saurais te comprendre ; mais tes ouvrages me prouvent que tu es ; ils me donnent l’idée d’un être sage et bienfaisant. Daigne écouter ma voix, daigne écouter la voix de ta créature qui proclame que tu es tout amour.
Oui, tu es tout amour, et tout ce que tu fais respire l’amour. Le soleil, dans son éclat, annonce ta majesté, et les délices d’un beau matin, ta bonté. Je revois aujourd’hui ma femme, mes enfants, mes amis ; je les revois en santé, et, pleins de joie, ils se jettent dans mes bras.
Qui donc a veillé sur eux pendant leur sommeil ? qui les a préservés des dangers d’une nuit obscure ? qui me les a rendus, ces gages si précieux et si chers ? C’est toi, Dieu de bonté. Pourrais-je me refuser à t’aimer ? – mais que signifie t’aimer ? J’y réfléchis... je trouve que c’est garder tes commandements, et tes commandements ne sont qu’amour. – Qu’exige de moi l’être indéfinissable qui m’a créé ? quels sont les commandements du maître de l’univers ? – L’amour, le pur amour. N’est-ce pas ce que répond la nature entière ? Aime Dieu, aime-toi, aime ton prochain. J’avais un père, et je l’aimais ; j’ai un ami, et mon cœur tressaille à sa rencontre ; j’ai un bienfaiteur, et mon âme est touchée quand je songe à lui : toi, mon Dieu, n’es-tu pas mon père, mon ami, mon bienfaiteur ? comment ne pas t’aimer ? Hommes, mes semblables, combien vous m’êtes chers ! vous êtes tous mes frères... Quand je vous embrasse, j’embrasse en vous l’Éternel, notre père commun. Reçois, ce matin, Créateur bienfaisant de tous les êtres, le vœu solennel que je fais de suivre ton exemple ; on me verra désormais secourir les malheureux, protéger les opprimés, vêtir ceux qui seront nus, distribuer des remèdes aux malades et ramener les hommes qui se trouveront égarés. Je veux être doux envers mes inférieurs, plein d’amour envers les êtres confiés à mes soins, et je considérerai comme mon frère, comme un enfant que tu chéris, chaque créature formée à ton image.
Ce que j’exprime ici, je le sens au fond de mon cœur. Ô mon Dieu, toi qui pénètres les plus profonds replis de mon âme, vois en moi la sincérité d’un enfant.
Reçois ainsi, dès les premiers instants de cette journée, les premiers témoignages de mon amour. Je pardonne à tous mes ennemis à cause de toi : je te promets, Seigneur, de faire du bien à quiconque m’aura fait du mal, de bénir celui qui me maudit, et de chérir même celui qui me hait. J’ai la ferme résolution de ne médire jamais de mon semblable, de n’interpréter en mal aucune de ses actions, de ne point le réprimander avec aigreur ni l’humilier, lorsqu’il aura commis une faute. Je me propose de ne pas le scandaliser par de mauvais exemples, de n’être point injuste envers lui, de ne jamais le tromper ni l’induire en erreur, mais d’agir constamment avec lui comme tu nous l’as recommandé. Si tu le bénis et le combles de biens, je n’en serai point envieux. Je ne serai pas avare de mes secours, s’il en a besoin. Suis-je hors d’état de l’aider de mon or, je l’aiderai de mes conseils, de mes démarches ; et tout cela, mon Dieu, pour obéir à tes saints commandements et par amour pour toi.
—————––
SUR LA DESTINÉE DE L’HOMME.
Hommes, mes semblables, qu’elle est grande, qu’elle est noble notre destinée ! ne nous trouvons-nous pas au sommet de la chaîne des êtres créés dans ce monde matériel ? Nous tenons le milieu, pour ainsi dire, entre les anges et les animaux. Notre âme nous élève, par le sentiment et par la raison, à la classe des esprits, quoique la masse pesante de nos corps nous retienne ici-bas. Les facultés dont nous possédons le germe sont infinies ; il en est de même aussi de nos moyens pour arriver à une plus haute destinée, à la perfection, à la ressemblance avec la Divinité. Nous ne sommes ici-bas que des voyageurs : tout nous l’annonce, et celui qui sait quel but il doit atteindre n’aime pas à voir prolonger inutilement le voyage : en suivant le chemin tracé par la Providence, il s’empresse de mériter l’autre vie ; il attend le signal de l’Éternel pour son départ.
Nous appartenons à la classe des animaux par notre corps, mais par notre âme nous sommes associés aux esprits immortels. La sensualité, la corruption, voilà le partage de notre dépouille extérieure ; mais notre esprit doit jouir de la liberté, de l’immortalité. Plus l’homme s’attache aux choses matérielles, et plus il se rapproche de la brute ; plus au contraire il recherche les choses spirituelles, et plus il s’assimile aux anges. On peut dire, par conséquent, qu’il existe mille et mille degrés depuis la créature la plus chétive jusqu’à la plus parfaite, depuis l’homme animal jusqu’à l’homme esprit, depuis le chaînon qui nous sépare des brutes jusqu’à celui qui nous sépare des anges.
Avancement progressif vers la perfection, tel est le bien, le vrai bien, le seul but de notre destinée : la religion révélée nous l’apprend. Être vertueux, c’est vouloir ressembler à la Divinité, c’est vouloir se rapprocher de la vocation de l’espèce humaine, faire un pas vers ce qu’on peut appeler l’union intime de la créature et du Créateur.
L’amour le plus pur et le plus parfait, c’est Dieu ; sa plus grande félicité consiste dans un amour constamment actif ; ses commandements sont amour, et notre vocation n’est autre chose qu’amour.
Aimez-moi, aimez-vous les uns les autres, voilà son principal commandement. Si nous l’observions avec soin et dans toute son étendue, quelle félicité régnerait sur la terre ! Les fureurs de la discorde détruisent en nous les liens de paix et d’amour. Que tous les hommes s’aiment entre eux, et le bonheur devient leur partage ; mais loin de s’aimer, ils se détestent, ils foulent aux pieds les sentiments d’amour qui devraient leur être naturels, ils s’entre-déchirent comme des animaux carnassiers ; à quoi bon cependant nous étendre davantage sur un semblable sujet ? Ah ! combien est borné le nombre de ceux qui comprennent le langage de l’amour ! et ces êtres privilégiés n’ont pas besoin du secours d’un faible mortel pour concevoir ces maximes que leur inspire la Divinité.
—————––
SUR
LE SENTIMENT DE NOTRE EXISTENCE.
Je sens que j’existe, que je vis ; je suis un être qui peut se rendre témoignage de son existence. Mon œil jouit du magnifique spectacle que présente la nature ; il voit les plaines émaillées de fleurs, les prés verdoyants et les forêts majestueuses ; mon oreille écoute avec délices le doux murmure des ruisseaux, les sons précipités de l’alouette, ou le chant mélodieux du rossignol.
Je respire avec ravissement le parfum des fleurs ; l’aimable zéphyr, en se jouant dans ma chevelure, rafraîchit, de son haleine bienfaisante, mon visage brûlant. Des branches chargées de fruits m’offrent une nourriture exquise. La pêche veloutée, l’abricot succulent, la riante cerise m’invitent, tour à tour, à les cueillir. Je le puis, si je le veux, et tous mes sens jouissent en quelque sorte à la fois. – L’être qui a la conscience de ces agréables sensations, c’est moi. – Qui, moi ? une énigme pour moi-même : j’existe maintenant, et je n’existais point autrefois ; mais je suis et je sens mon existence.
Qui m’a donc mis ici ? quelle puissance a donné cette admirable structure à mon corps ? qui m’a doué de la précieuse faculté de jouir de tout ce qui m’environne ? quel est l’être à qui je suis redevable de tous ces bienfaits ? – C’est celui qui a créé ces globes et ce firmament dont la magnificence nous étonne, c’est celui dont la constante sollicitude s’étend à tout ; mais que sont les plaisirs d’une nature matérielle auprès des sentiments de l’âme, auprès de ces tendres émotions qu’il a placées dans mon cœur ?
Les plus agréables jouissances de la nature me paraîtraient bientôt insipides, si j’étais isolé sur la terre ; aussi la main bienfaisante du Créateur a-t-elle voulu me donner, pour compagnons, des êtres doués comme moi d’un cœur sensible, des êtres susceptibles de partager les plaisirs d’autrui. Tout ce qui m’entoure est animé. Chacune de ces feuilles est couverte d’une foule d’insectes ; tous vivent, tous ressentent la bonté du suprême arbitre de toutes choses. Mille oiseaux charment à l’envi le bosquet par leur ramage enchanteur ; et tandis que le redoutable lion exprime en rugissant le bonheur d’exister, ici roucoule une tourterelle ; là j’entends siffler la linotte ; plus loin sautille la fauvette ; elle fredonne un air joyeux et se réjouit de son existence. Je suis au milieu de tous ces êtres divers, je vois, je sens, je partage leurs plaisirs ; mais un sentiment intérieur, un pouvoir inconnu m’avertit que j’ai de la ressemblance avec celui qui m’a créé.
Une voix secrète me dit : « Jouis de la vie qui t’est donnée. » Mille émotions alors, mille sentiments inconnus jusque-là s’élèvent dans mon cœur. J’éprouve l’amitié, l’amour : les mouvements de la nature me portent vers des parents chéris ; la sympathie m’attache à l’ami loyal et dévoué ; l’hymen et la tendresse paternelle me font trouver des charmes inexprimables dans la société intime d’une compagne vertueuse, et dans le cercle d’enfants dociles qui doivent être, au bout de notre carrière, les appuis de nos pas chancelants. – Toutes ces sensations sont produites par des objets extérieurs, pour accroître notre félicité.
Qu’il est bon cet être infini qui m’a comblé de tant de biens ! quelle doit être son inépuisable bonté ! il est tout amour. Te ressembler, par l’amour, ô mon Dieu ! voilà ma vocation ; tout m’annonce que c’est ta loi suprême. Ma conscience m’en avertit : ce précepte est gravé dans mon cœur en caractères ineffaçables. Le désir de voir heureux tout ce qui m’entoure est le plus ardent de mes désirs. Tout est bonheur pour l’homme de bien. Ses peines mêmes, par les consolations qu’elles lui procurent de toutes parts, ne sont pas sans charmes, et si nous ne sommes point heureux par nous-mêmes, ne le devenons-nous pas en partageant le bonheur de nos semblables ? Le plus pur des sentiments que tu as excités dans notre âme, Seigneur, n’est-ce pas la faculté de prendre part au chagrin et à la joie des autres ? « Mes enfants, nous dis-tu, c’est à vous-mêmes que je confie le soin de votre bonheur. Étendez ces bras que je vous ai donnés pour vous secourir mutuellement ; goûtez le plaisir d’essuyer une larme sur l’œil de votre frère. »
Voilà tes discours que répète la nature entière : la faible vigne soutenue par l’ormeau, le lierre rampant qui, pour s’élever, s’unit à l’arbre vigoureux, les fleurs des jardins, les moindres plantes des champs nous parlent le même langage. Oui, ce n’est qu’en aimant, en aimant comme tu nous l’ordonnes, que je sens le prix de mon existence.
—————––
SUR LES SENTIMENTS
QUI DOIVENT NOUS PORTER VERS LE CRÉATEUR.
Donne-moi, je t’en supplie, grand Dieu, la sagesse de l’innocence, car je reconnais que les anges mêmes ne sont sages à tes yeux que parce que leur âme est innocente et pure. Je ne puis me glorifier de mes vertus, elles me viennent de ta bonté ; c’est à toi que je suis redevable de tout.
Le mal est le triste fruit de ma faiblesse, mais le bien qui se trouve en moi n’est-il pas ton ouvrage ? Ô mon créateur et mon conservateur !
Inépuisable lumière de vérité, sois, je t’en conjure, mon guide dans les voies obscures et tortueuses de mon pèlerinage : c’est par toi seul et non par la fausse lueur de ma présomption, de mon amour-propre et de mon orgueil que je veux être conduit. Je m’écrie avec confiance, en m’adressant à toi, mon Dieu : sois mon protecteur et mon guide. J’adopterai, de cœur, tout ce que tu me diras être bon, tout ce que tu me diras être juste. – N’es-tu pas la bonté, la justice même ? Je reconnais et je sens qu’aimer le bien, le vouloir et l’exécuter, c’est aimer Dieu. Aimer ce qui est juste, le vouloir et l’exécuter, c’est aimer le prochain. Permets donc que je t’aime et que j’aime mon prochain.
Je suis satisfait de ce que tu m’as donné, Seigneur, parce que j’ai la certitude d’avoir reçu tout ce qui m’était avantageux. Ne m’as-tu pas appris d’ailleurs que celui qui reçoit peu n’a pas non plus de grands besoins à satisfaire ?
J’ignore, créature bornée, ce qui me convient ; mais tu le sais, toi, Seigneur, toi dont la providence s’étend à tout. Quiconque espère véritablement en toi, quiconque s’attache à toi, pourrait-il jamais périr ?
Seigneur ! je t’implore ; et quel autre que toi puis-je implorer ? N’es-tu pas mon père ? quel autre m’aime autant que tu m’aimes ? quel autre me tendrait comme toi les bras dans le malheur ? Je vois en toi l’amour éternel, l’amour immuable. Tu prêtes sans cesse l’oreille aux prières de tes créatures, et jamais tu n’es sourd à la voix de tes enfants. Tu ne ressembles point aux hommes, qui ferment, avec tant de légèreté, leur porte aux malheureux, qui reprennent, le lendemain, ce qu’ils ont donné la veille, qui regrettent le morceau qu’ils vous jettent, ou qui chargent d’insolents serviteurs de vous congédier avec mépris : non, tu ne leur ressembles point. Le monarque à tes yeux n’est pas plus que le mendiant. Ne sont-ils pas l’un et l’autre, nous tous ne sommes-nous pas les fils de ton affection ?
J’ai donc recours à toi, mon père, et ma confiance est sans bornes. Tu ne saurais rejeter de ton sein celui qui sollicite ton appui. Je te rappelle tes promesses ; je ne suis qu’un faible mortel, mais que mon enfant vienne à moi, qu’il sollicite ma pitié, je ne le repousserai pas ; et toi, Seigneur, toi dont l’amour surpasse infiniment l’amour de toutes les créatures, tu pourrais m’abandonner ! Ils ne te connaissent point, ceux qui pensent ainsi. – Tu es l’amour même ; et que n’exécute pas l’amour !
Sur cette terre où tu m’as placé, Seigneur, les maux nous assiègent de toutes parts. Vois mon œil humide de larmes dès l’aurore : le soleil éclaire, à son lever, mes pleurs de ses rayons ; il les éclaire à son coucher. Entends mes soupirs... Il est en proie au chagrin dévorant, ce cœur que tu m’as donné. Ces bras qui sont ton ouvrage, je les étends vers toi : maître du ciel et de la terre, sois mon libérateur.
Toi qui diriges toutes choses, toi qui n’ignores rien, écoute ma prière et viens à mon secours. Tu es mon créateur, mon père, je te dois toutes les facultés de mon âme ; tu ne permettras point que l’âme de ton enfant succombe à la douleur et qu’elle soit la victime de ses maux. Souviens-toi que je suis un être sensible, doué de faibles organes et que je souffre. Verrais-tu, sans émotion, souffrir tes enfants ? Non, non, tu es mon père ; tu seras aussi mon soutien, mon sauveur.
Si même j’avais abandonné tes voies, si je t’avais désobéi, je ne tremblerais point, Seigneur ; je ne désespérerais pas d’être écouté, d’être secouru par toi. Et pourquoi donc en désespérerais-je ? tu te plais à écouter ceux mêmes qui t’avaient oublié, pourvu qu’ils retournent à toi ; tu tends, avec plaisir, les bras à ceux qui se sont égarés.
Tu ne ressembles pas à l’homme, dont le caractère n’offre que bizarrerie et caprices ; tu n’es point colère et passionné comme lui ; tu n’as point l’injure à la bouche pour effrayer le coupable ; il ne faut pas de longs gémissements pour t’attendrir ; tu es toujours le même, toujours amour.
Tes ordres ne sont point comme ceux des rois de la terre ; notre bonheur seul est l’objet de ta loi. Tout ce que tu nous prescris, c’est par amour pour nous.
Si j’examine mes actions, Seigneur, j’en trouve beaucoup de contraires à tes saints commandements. Je ne m’excuse point, je reconnais ici mes erreurs, mais tu m’excuseras, toi qui connais l’humaine fragilité. Que peut une faible créature composée d’argile ? que peut un faible roseau toujours en butte à l’orage des passions ? Je reconnais, Seigneur, que j’ai, par ma conduite, offensé ton amour, et j’en ai le regret le plus sincère, non par la crainte de perdre tes bienfaits, ou d’encourir un châtiment, mais uniquement parce que je t’apprécie si tard, parce que je sais combien tu m’aimes et combien je suis coupable de ne pas répondre mieux à ton amour.
Si les tortures pouvaient apaiser ta justice, je les endurerais sans peine ; si de nouveaux supplices pouvaient réparer mes offenses, je m’y soumettrais avec plaisir ; mais au moins ne me prive point de la pensée de ton amour. Tes punitions, je le sais, ne sont point vengeance ; tu veux seulement qu’après avoir détesté notre injustice, nous revenions, de nous-mêmes, à la connaissance du bien ; voilà la loi de ton amour.
Je reconnais maintenant, Seigneur, que toi seul es la source du bien. Ne refuse donc point de me recevoir dans ton sein, lorsque j’y retourne avec confiance ; mon repentir ne consiste point en vains et puérils gémissements, en expressions d’un chagrin inquiet ; il consiste à réformer mon cœur et ma volonté ; il consiste à ne plus retomber en faute. – Corriger les mouvements déréglés de mon âme, voilà ma pénitence ; ma volonté est ferme ; mais je n’oublierai point que la chair est faible. Je ne suis pas orgueilleux de mes forces : que sont les forces d’un chétif mortel ? que puis-je de moi-même ? Rien, Seigneur, j’en fais l’aveu, et c’est parce que je reconnais mon impuissance, que je viens implorer ta protection. Conduis-moi donc à travers les voies périlleuses de ce pèlerinage ; envoie-moi tes anges et dirige mon âme par tes saintes inspirations ; rends-moi l’agent de ton amour, et que, par ta grâce, j’opère ici-bas autant de bien qu’il est possible ! Je n’oublierai jamais que c’est ton ouvrage, et que je ne suis, en l’accomplissant, qu’un fragile instrument privé de force pour le bien, dès que ta main bienfaisante l’abandonne.
J’espère en toi de toute la puissance de mon âme, et celui qui fait de toi l’objet de sa confiance, de son amour, de son espoir, ne sera point confondu, mon Dieu, mon appui, mon libérateur.
—————––
SUR
DIEU QUI EST TOUT AMOUR.
Sois l’objet de mes humbles réflexions, Être tout-puissant à qui je dois le souffle qui m’anime : ton existence est attestée par toute la nature. Tu brilles dans la rose pourprée et dans le calice argenté du narcisse. Je vis, j’éprouve mille sensations : à qui suis-je redevable de cette vie ? à qui suis-je redevable de ce sentiment délicieux qui parcourt toutes mes veines ? Qui m’a donné l’œil pour jouir de ce magnifique spectacle que présente la nature ? l’oreille, pour entendre les sons harmonieux du chant des oiseaux ? le palais, qui se rafraîchit à cette source d’eau limpide, ou qui savoure les fruits parfumés de cet arbre ? Qui m’a donné des mains pour cueillir ces fleurs, ornements variés de la prairie ? qui m’a doué de cette précieuse faculté de la mémoire, pour jouir des objets absents comme s’ils étaient encore sous mes yeux ? Qui a créé ce cœur susceptible des plus doux plaisirs ? ces lèvres qui sur les lèvres de mon frère impriment le baiser de l’amitié ? Qui a planté cet arbre dont l’ombrage bienfaisant est un baume pour nos sens échauffés ? qui précipite du sommet des roches escarpées ce torrent impétueux dont la chute bruyante et majestueuse procure un nouveau plaisir à mes sens étonnés ? qui a créé tous ces prodiges ? quel est-il cet être créateur ? On le nomme Dieu. Oui, le Dieu des hommes, le Dieu de mes frères, le Dieu de mes parents, de mes amis, d’une compagne chérie.
C’est par lui que tous les hommes jouissent, comme moi, de ces sens admirables par lesquels nous apprécions les bienfaits de la Providence, de ces sens qui charment notre existence et contribuent si puissamment à notre bonheur. Qui que tu sois, Être incompréhensible, quelle touchante bonté d’intention tu manifestes envers nous ! celle d’un père pour ses enfants. Il faut, ô mon Dieu, que tu sois tout amour, l’amour le plus pur. Mais qu’est-ce que l’amour ? Une question à résoudre par le sentiment de ce que j’éprouve lorsque j’aime. Fut-il jamais être assez malheureux pour n’avoir pas aimé ?... Pour moi, j’aime mes parents, mes frères, ma femme, mes enfants, mon ami ; mais qu’éprouvé-je en les aimant ? Un désir très-vif de les voir heureux, de vivre pour eux, d’être entièrement à eux, de chercher le bonheur pour le partager avec eux. Voilà ce que j’éprouve, ce que je sens comme homme. Mais Dieu qui, par lui-même, est déjà parfaitement heureux ; Dieu qui, à raison de sa nature, est si différent des mortels, peut-il sentir comme eux ? Assurément non ; son amour n’a point commencé ; il aime depuis des milliers de millions d’années ; il aime de toute éternité. Il est l’amour même, la source de tout amour ; son désir de faire jouir d’une félicité semblable à la sienne des hommes formés à son image existait avec lui, il existait même avant la création.
Qu’il doit être grand, qu’il doit être heureux, celui qui a le pouvoir de créer toutes les merveilles qui m’environnent sur la terre ! quelle toute-puissance et quelle félicité que la sienne ! et le projet de cet être heureux, de cet être tout-puissant est de me faire partager, un jour, son bonheur. Que ma destinée est grande ! et que je suis heureux ! je le suis d’autant plus que je vois autour de moi des millions d’hommes, mes semblables, destinés à la même félicité.
Combien mon cœur est satisfait et combien je sens le prix de mon existence ! Cet être à qui tout est subordonné ; le créateur des esprits célestes, qui a tout créé, suivant la mesure de son amour, depuis le chérubin jusqu’au dernier vermisseau ! ce Dieu si magnifique et si sublime dans toutes ses œuvres ! il daigne m’aimer ! ô bonheur suprême, bonheur inespéré ! quel ineffable sentiment m’attire à lui ! ce sentiment forme la chaîne de l’amour. Mais que dois-je faire ? quel est mon devoir ? quelle est ma vocation ? La nature entière m’en instruit : mortel, dès l’instant que le soleil commence à dorer les montagnes jusqu’à son coucher, ta vocation est d’aimer et d’être heureux.
Voilà tout ce que ton Dieu veut de toi.
Aime Dieu, aime-toi, aime le prochain. C’est à quoi se réduisent tous ses commandements ; ils sont tout amour. Celui-là seul qui fuit l’amour peut se rendre malheureux et faire le malheur des autres.
Ton amour, ô mon Dieu, te fait désirer de voir les hommes semblables à toi ; puissions-nous ressentir cet amour inaltérable qui mérite d’être assimilé à l’amour divin ! La vérité et la bonté ne sont-elles pas tes attributs ? la vérité et la bonté doivent donc m’élever à toi. Tu es amour ; l’amour est le but de la création ; l’amour est la vocation de l’homme.
Je ne puis m’élever jusqu’à toi ; je ne puis te ressembler qu’en proportion des degrés de mon amour. Plus mon amour sera pur, et plus je me rapprocherai de toi, l’amour éternel, l’amour d’une pureté sans égale.
Être aimant, embrase mon cœur du feu de ton amour ; que j’apprenne à t’aimer, comme tu nous aimes ! que j’apprenne à te ressembler chaque jour davantage !
—————––
SUR LA CRAINTE DE DIEU.
Quelle est cette crainte de Dieu qui fait aujourd’hui l’objet de mes réflexions ?
N’ai-je pas conçu dans mon enfance de fausses idées sur ce sentiment ? ce mot de crainte n’entraînait-il pas avec lui de l’aversion, même une sorte d’horreur ? Je me rappelle que je craignais les êtres malfaisants, les êtres dont j’avais à me plaindre. La crainte du Seigneur ne saurait être une semblable crainte. Dieu n’est-il pas amour, et peut-on redouter l’amour ? Non, sans doute : il faut donc que la crainte de Dieu soit un tout autre sentiment.
Craindre d’agir contre la volonté de celui qu’on aime, craindre ce qui est contraire à l’amour divin, voilà, si je ne me trompe, la crainte pure et salutaire, celle de l’amour. C’est de cette manière seule que je veux te craindre, ô mon Dieu ! tu ne ressembles point aux grands de la terre ; ils ont de nombreux esclaves qui rampent à leurs pieds et tremblent en recevant leurs ordres. Mais tes relations avec nous sont celles d’un père avec ses enfants ; l’amour et la confiance forment la chaîne qui t’unit aux mortels.
Ô mon Dieu, pardonne-moi de t’apprécier si tard. Je ne suis point coupable : comment ne t’aurais-je pas méconnu ? il te ressemblait si peu le portrait du Dieu de mon enfance ! Un orage venait-il à se former dans les airs : « Entends-tu, me disait-on, le tonnerre qui gronde ? c’est Dieu qui nous annonce son courroux. » Tel était le langage de ceux qui m’entouraient. Je tremblais en étendant vers toi mes mains suppliantes ; je te craignais comme un ennemi redoutable ; j’aurais voulu pouvoir éviter ta présence, car je t’assimilais à ces hommes capricieux qui ont leurs bons et leurs mauvais moments. Pardonne-moi, Dieu de bonté, pardonne-moi de t’avoir pris pour un Dieu terrible et sanguinaire ; à peine osais-je élever mes faibles regards vers toi ; je te comparais aux princes de la terre dont l’éclat nous fascine les yeux. Mon cœur cependant te devinait en quelque sorte. Combien de fois, au milieu de riantes campagnes, dans mes promenades solitaires, n’admirai-je pas les indices de ta touchante bonté ! la simple fleur des champs me la rappelait ; la rose épanouie m’inspirait de la confiance en toi ; la violette parfumée du vallon m’annonçait ta bienfaisance ; mais, hélas ! lorsque je commettais une faute et que je voulais recourir à toi, comme un enfant recourt à son père, on m’arrêtait par la crainte ; on te représentait armé de la foudre et prêt à punir sévèrement les moindres erreurs de la fragile humanité.
Que j’avais alors le cœur oppressé ! j’osais à peine diriger un regard furtif vers le ciel ; l’aspect d’un nuage me faisait frissonner, et je croyais déjà voir la foudre vengeresse me réduire en poussière. J’avais recours aux offrandes pour te désarmer, croyant que tu ressemblais aux hommes avides qu’on parvient à calmer par des présents. Quelquefois, étendu sous un arbre, dans ma désolation, je me dérobais aux rayons bienfaisants du soleil et je m’abandonnais à la plus violente tristesse. Tout à coup j’apercevais un jeune oiseau, je le voyais sautiller de branche en branche et folâtrer, avec délices, au milieu des plaisirs de la nature ; je l’entendais t’adresser un cantique de louange, et je me disais : « C’est toi qui le nourris, être incompréhensible, ô mon Dieu ! c’est toi qui l’as doué de cette légèreté, de cette gaieté, pour qu’il se réjouît de son existence. » Alors je reprenais courage ; un ange consolateur inspirait à mon âme des sentiments plus doux ; je me rapprochais de toi, je retrouvais un père. Lisant ensuite tes saintes écritures, j’y puisais du soulagement et de la consolation pour mon cœur. Persuadé que le mal, suite naturelle de nos mauvaises actions, n’est autre chose qu’un avertissement pour nous remettre dans les voies de la vérité et de la bonté, sans lesquelles l’homme ne peut trouver le vrai bonheur, je compris que tu ne châties point comme les hommes, par haine ou par caprice, mais que tes châtiments ont toujours pour but notre félicité, qu’ils sont de nouveaux témoignages de ton amour. À cette pensée, quelle joie inondait mon âme ! de quels doux sentiments se remplissait mon cœur ! quelle satisfaction n’aurais-je pas éprouvée si j’avais pu presser contre mon sein tous mes semblables courbés sous le poids de la douleur, et répéter à chacun d’eux : « Pourquoi trembler ? ne crains point un Dieu, père des hommes ; retourne à lui, cherche un asile dans ses bras ; il pardonne, car il ne cesse jamais d’être amour. »
—————––
SUR LES OFFENSES ENVERS DIEU.
Que signifie cette expression : offenser Dieu ? Je sens toute l’importance de cet objet ; on m’en a souvent parlé, mais il nous faut rectifier nos idées à cet égard. J’ai cru longtemps, ô mon Dieu, qu’on pouvait t’offenser, comme on offense un mortel. Je te considérais comme un maître qui donne des ordres dans sa maison et qui s’irrite, qui se laisse aller à l’humeur s’ils ne sont point exécutés. Je sens, aujourd’hui, combien ces idées sont fausses ! tu n’es point un homme, ainsi l’on ne t’offense pas comme on offense un simple mortel. Cet objet mérite des réflexions plus sérieuses. Qu’appelle-t-on offenser Dieu ? – Pécher, violer les commandements de Dieu ; voilà le sens ordinaire.
Mais que signifie ce mot offenser ? – Faire injure à quelqu’un. Ainsi donc lorsque je viole les commandements de Dieu, je fais injure à Dieu. Y a-t-il quelque justesse dans cette expression ? Je ne saurais, je l’avoue, te représenter à mon esprit comme un homme jouet des passions, mais tel que tu es, comme un Dieu, comme le plus pur amour ! Puisque tu nous aimes, tes commandements doivent être les desseins de ton amour ; tu nous as donné tes commandements pour nous rendre heureux ; et si je ne les observe point, j’agis contre tes desseins, ou, pour me servir d’une expression vulgaire, je fais injure à ton amour. – Comment rendre cette définition plus sensible à mes faibles lumières ? Je m’examine moi-même ; j’aime l’enfant que tu m’as donné, et par une conséquence toute naturelle, je veux tout ce qui peut contribuer au bonheur de mon enfant. Je lui dis : « Ne touche point à ce fruit, le suc en est mortel » ; néanmoins l’imprudent en mange et meurt. Mon fils agit en ce moment contre les desseins de mon amour pour lui ; il fait injure à mon amour.
C’est ainsi, Seigneur, que l’homme agit contre l’amour divin, lorsqu’il viole tes commandements ; car tes commandements ne sont point des actes de despotisme ou de violence, mais des actes d’amour, sans l’accomplissement desquels l’homme ne saurait être heureux. Il est donc de toute évidence, ô père des hommes, que tu ne m’ordonnes rien qui n’ait mon bonheur pour objet. À mesure que je t’étudie et que je te connais davantage, je te trouve toujours de plus en plus digne de notre amour. Tout ce que tu veux n’est que pour notre bonheur ; tout ce que tu commandes, nous le sentons déjà gravé dans notre cœur.
Aussi ton joug est-il doux, et ton fardeau léger.
Si je réfléchis à ton amour, à l’amour du Dieu-homme qui a donné sa vie pour notre salut, sous quel jour se présente, pour lors, la violation de tes commandements ?
Essayons, par un exemple, de nous la rendre plus compréhensible. Un roi chérissait ses peuples comme ses enfants ; leur bonheur était son unique occupation ; ses lois étaient des lois d’amour ; il avait fait de son pays un paradis sur terre. « Jouissez de tout votre bonheur, leur dit-il, mais gardez-vous de passer les frontières, car au-delà règne un prince barbare qui vous chargerait de chaînes et vous condamnerait à l’esclavage. » Qu’arriva-t-il ? les sujets du bon roi lui désobéirent ; ils s’éloignèrent du royaume, furent pris et jetés dans d’horribles cachots. Le roi voulut pourtant sauver les coupables, car son amour pour eux était toujours le même. Il envoya, vers le prince barbare, son fils unique qu’il offrit en otage ; on exigea plus, on demanda sa vie. « Je la donnerai volontiers, dit le fils du roi, pourvu que mon peuple, que les bien-aimés de mon père soient remis en liberté. » Cependant le désespoir avait pénétré dans la prison, et les prisonniers voulaient s’égorger. « Ne vous égorgez point, leur écrit le bon roi, conservez-vous, tel est mon commandement ; je ne veux que votre bien. Songez que mon fils unique donne sa vie pour vous ; ne rendez point inutile ce généreux sacrifice. » Ils n’en violèrent pas moins le commandement de l’amour, et se tuèrent. Le jour de la délivrance arrive : le fils du roi meurt pour les ingrats ; il croit les racheter par son sang précieux, et ils ont confondu ses desseins, ils ont offensé son amour.
Il me semble que ce récit, que cette image allégorique peint assez bien l’espèce d’offense que nous commettons envers la Divinité lorsque nous violons ses commandements. Ô Dieu ! comment ceux qui te connaissent et qui savent les desseins de tes volontés osent-ils s’y montrer rebelles ? Que mon âme conserve à jamais les impressions que j’éprouve en ce moment ; daigne me convaincre toujours, Seigneur, que tes lois sont des lois d’amour, que t’offenser, c’est commettre une offense contre l’amour, et que c’est aussi m’exposer à souffrir moi-même.
—————––
SUR LA VOCATION DE L’HOMME.
Si j’ai trop souvent agi d’une manière opposée aux desseins de Dieu, aux desseins de son amour, il m’importe de chercher à connaître ma destinée, ma vocation et le but de mon existence. Dieu est amour ; ma destinée est donc de correspondre, de m’assimiler en quelque sorte à l’amour divin. Ma vocation est donc amour, amour avant toutes choses ; je ne saurais trop répéter ce mot amour. Aime Dieu, aime ton prochain comme toi-même. Que signifient ces paroles ? – Que par ton activité tu dois étendre aux créatures qui te ressemblent les sentiments qu’a mis dans ton âme la Divinité pour ta conservation et pour ton bonheur. Traite-les donc à l’égal de toi-même, c’est-à-dire procure à ton prochain tout ce qui te fait plaisir ; épargne-lui tout ce qui te fait peine. Telle est la loi que Dieu lui-même a gravée dans notre cœur, afin qu’elle puisse nous accompagner partout. De cette manière, tous les jours, à chaque instant, je sens ce qui est juste et ce qui ne l’est point.
Ainsi, je n’ai besoin ni de science, ni de bibliothèque pour être un homme bon, un homme bienfaisant ; ainsi, toute ma vocation est de parvenir à la bonté. Oh oui ! que devenir le meilleur des hommes soit mon premier soin, mon premier, mon unique but !
Mais comment y parvenir ? qui me mettra sur la voie de la bonté ? qui me soutiendra pour que j’atteigne son dernier période ? L’amour. L’homme bon n’est-il pas celui qui aime les hommes ? le meilleur homme n’est-il pas celui qui les aime le plus ? – Celui qui s’assimile davantage à la Divinité se rapproche aussi d’elle par un degré plus éminent d’amour. Ma résolution est donc d’aimer les hommes. – Les hommes, c’est-à-dire tous les hommes sans distinction de climat, de pays, de croyance religieuse.
Tous les hommes ! Observons bien que nous devons aimer tous les hommes, et par conséquent nos ennemis. De quelle manière se conduit l’amour ? Il veille au bien-être de l’objet aimé ; il est doux, compatissant, miséricordieux ; il pardonne ; il est désintéressé ; il agit sans égoïsme, uniquement parce qu’il aime.
Qu’est-ce qui pourrait dès lors borner en moi l’amour du prochain ? Serait-ce l’amour de moi-même ? L’étendue du pur amour est en proportion de la faiblesse de l’amour-propre. Ainsi moins l’acte de mon amour tient à l’amour de moi-même, plus mon amour est pur, plus le degré que j’atteins en aimant aura d’élévation.
Mon amour propre ne doit donc tenir que la seconde place dans les actions qui concernent le prochain ; je dois aimer Dieu par rapport à Dieu, le prochain pour lui-même, et moi seulement autant qu’il est nécessaire, afin d’atteindre le but prescrit par le souverain arbitre lorsqu’il m’a créé, afin de me conserver pour le bien-être de mes semblables.
Voilà toute la mesure du véritable amour. Est-il donc si pénible de mener une vie qui nous conduise au ciel ? Il l’est beaucoup moins que je ne l’avais pensé.
Renoncer aux richesses, aux honneurs, vivre dans une perpétuelle contemplation, se mortifier sans cesse, se couvrir d’un cilice, coucher sur la cendre. – Serait-ce là peut-être la vie sainte que Dieu exige de nous ? Assurément non ; il nous a créés pour l’activité, non pour les faibles et stériles pratiques d’une existence passive. Enseigne-moi, Seigneur, à marcher dans tes voies.
Si je viens à considérer la vie humaine, je la vois sous un double aspect : la vie spirituelle ou morale, et la vie civile. La vie spirituelle ou morale doit vouloir le bien ; la vie civile doit l’exécuter. La volonté de mon Dieu est que je désire le bien et que je l’accomplisse ; ainsi l’action doit être unie à la volonté ; connaître le bien et ne pas le mettre en pratique, ce n’est point accomplir les devoirs de l’homme.
Celui-là seul vit selon les lois de l’amour, qui connaît ce qu’elles prescrivent et qui prend à tâche d’exécuter ce qu’il connaît. Mon Dieu, voilà la vérité ; c’est pourquoi tu nous as dit dans tes saintes Écritures : La foi est morte sans les œuvres.
Mais il ne suffit point de connaître nos devoirs et de les remplir ; c’est dans des vues pures qu’il faut le faire ; ce ne doit être ni par respect humain, ni par amour-propre, ni pour les avantages qui peuvent nous revenir de leur accomplissement. Il serait honteux, pour se bien conduire, d’attendre la louange des hommes ou d’avoir besoin de la réputation de bonté. Dans toutes ses actions on ne doit songer qu’à toi, mon Dieu, qu’à toi, qui es l’amour même et qui veux que nous te ressemblions par l’amour.
Ainsi, je continuerai d’être bon, quand même le monde me regarderait comme méchant ; je continuerai d’aimer, dussé-je ne pas rencontrer un seul cœur qui réponde à mon amour. Je porterai du secours aux malheureux, suivant toute l’étendue de mes forces, dussé-je être payé d’ingratitude. Mon amour pour l’humanité sera un sentiment réel et non pas une vaine affectation de sentiment. Je ne tendrai point la main au nécessiteux pour qu’il fasse mon éloge ; je n’aiderai point le misérable afin de l’éloigner de mes yeux et de n’être plus importuné par la vue de sa misère. Non, je ne serai pas bienfaisant parce que mon cœur ne peut supporter sans peine les larmes des infortunés ; mais je ferai toutes ces œuvres, ô bonté suprême ! par amour pour toi, pour toi qui m’as donné tous les hommes pour frères ; j’en prends ici la résolution la plus solennelle. Fais par ta bonté, Dieu d’amour, qu’elle parvienne à la maturité nécessaire pour son exécution !
—————––
SUR
LA CONFIANCE EN DIEU DANS L’ADVERSITÉ.
Mon Seigneur et mon Dieu, tu es tout amour ; je viens à toi, j’implore ton appui. Je souffre, je suis dans l’oppression ; tu peux m’aider et tu m’aideras, car tu es mon Dieu ; et qui met sa confiance en toi ne sera point confondu. Daigne te rappeler ta promesse : frappe, et l’on t’ouvrira. Je frappe maintenant, Seigneur ; tu es mon père, et tu ne repousseras point ton enfant, tu ne rejetteras point sa prière.
Il est vrai que j’ai violé tes saints commandements ; mais je reconnais ma faute, et cet aveu qu’accompagne un repentir sincère n’est-il pas tout ce que tu exiges de nous ? Parce que j’ai péché, dois-je trembler devant toi, comme un serviteur coupable devant un maître impérieux ? Non, tu es amour, et la crainte servile n’habite jamais auprès de celui qui aime véritablement ; tu tends les bras à quiconque retourne à toi ; je puis donc me présenter avec confiance. Tu sais que j’ai fait quelque bien à mes frères, que je n’ai pas abandonné ceux qui souffraient et qui éprouvaient des besoins. Je ne dis point cela, Seigneur, parce que je me crois meilleur que les autres hommes, je le dis parce que j’ai la conscience de n’avoir pas aidé mon prochain par orgueil ou par faiblesse, mais parce qu’il était mon semblable, mon frère, l’enfant de ton amour ; et maintenant que je suis accablé par la douleur, j’ai la certitude de trouver en toi les secours dont j’ai besoin.
Ce que tu auras fait au moindre d’entre vous, c’est comme si tu me l’avais fait à moi-même. Voilà ce que nous enseigne ton Écriture. Je te rappelle donc tes promesses, ô mon Dieu ! daigne accomplir ta parole en ma faveur.
Tu connais mon cœur et ma volonté ; tu sais que je sacrifierais ma fortune, ma liberté même si, par ce moyen, je pouvais assurer le bonheur de quelques-uns de mes frères ; je suis prêt à souffrir la soif et la faim pour abreuver et nourrir quelques nécessiteux. – Voilà mes sentiments, Seigneur ; ils te sont connus, à toi qui pénètres les plis et les replis de nos cœurs. C’est avec ces sentiments que j’implore ton assistance dans l’affreux danger qui me menace. Je ne demande rien d’injuste, je ne prescris point les remèdes à mon mal ; mais je me repose entièrement sur ta bonté, bien sûr que tu feras ce que mon salut et mon bonheur éternel exigeront. Je compte d’ailleurs que, s’il est nécessaire, tu me donneras la force de supporter le malheur. Toutefois, si tu daignes m’exaucer et m’accorder en même temps la grâce de connaître la sagesse et la vérité, je fais le vœu de n’être pas ingrat envers toi. Je n’ai jamais compté sur l’assistance des hommes, mais sur la tienne, car tu diriges le cœur des mortels. Je ne l’ignore point : tout le bien que je faisais était ton ouvrage, et le mal seulement l’ouvrage de ta créature ; je ne me suis jamais enorgueilli de mes œuvres. Ta volonté n’est-elle pas que toute créature soit heureuse ? accomplis ton dessein, mon Dieu ; fais que le malheur devienne une expérience salutaire pour moi, sans que j’en sois opprimé : ne m’ôte pas les moyens d’assister mes frères et d’être utile à la société. C’est ta créature qui t’implore, Seigneur ! c’est ton enfant qui se précipite dans tes bras, pourrais-tu le rejeter ? Non : ma foi dans tes promesses est sans exception, mon espérance sans fin, et mon amour sans bornes.
—————––
SUR LE BESOIN
D’OBTENIR LES BÉNÉDICTIONS DU CIEL
pour assurer le maintien de la société
et le bonheur des hommes.
Dieu m’ordonne d’aimer tous les hommes, mes frères, ses créatures ; je ne puis mieux leur témoigner mon amour qu’en les recommandant à cette divine Providence qui sans cesse veille sur la société humaine.
Fais régner au milieu d’eux l’esprit de concorde et de paix, ô mon Dieu ! Qu’ils s’aiment les uns les autres comme des frères ! Tous ne sont-ils pas tes enfants ? Pénètre-les de l’idée qu’ils ne doivent point se mépriser, se haïr et se persécuter à cause de leurs faiblesses et de leurs imperfections ; éclaire leur esprit, afin qu’ils reconnaissent que ta volonté sainte est qu’ils se supportent mutuellement et qu’ils s’entr’aiment.
Répands tes bénédictions sur les princes de la terre ; remplis-les de sagesse et de bonté : qu’ils apprennent à connaître la grandeur de leur vocation, qui consiste à rendre les hommes heureux. Donne de fidèles pasteurs à ton troupeau, de dignes ministres à tes autels : que ton esprit repose sur leurs lèvres, lorsqu’ils annoncent ta parole à ton peuple, et que le baume de la consolation coule de leurs bouches, quand ils approchent des affligés et des mourants !
Dieu de paix et d’amour, dispose les cœurs des rois à la concorde et au bonheur des humains ; étouffe dans leur esprit le germe des dissensions, éteins la soif des conquêtes dans leur âme.
Ne souffre point que des ruines défigurent l’œuvre magnifique de ta création ; épargne le sang des hommes que le crime et la folie se plaisent à répandre ; fais régner la paix et la tranquillité pour tous les êtres éclairés par les rayons de ton soleil.
Étouffe les haines de religion dans le cœur des hommes ; fais-leur connaître que l’amour ne hait et ne met à mort personne. Bénis ma patrie et conserve le prince qui préside à ses destinées ; rends-lui supportable le fardeau du gouvernement, entoure son trône de serviteurs fidèles. Dessille les yeux de ces riches aveugles qui s’imaginent valoir mieux que les autres hommes ; attendris la dureté de leurs cœurs, et fais-leur connaître la divine harmonie des sentiments de l’humanité ; qu’ils apprennent enfin que tu ne leur as distribué des richesses que pour secourir ceux de leurs frères qui se trouvent dans la détresse ! dispose les peuples à l’obéissance ; qu’ils se rappellent sans cesse que c’est toi-même, ô mon Dieu, qui institues les souverains sur la terre !
Fais régner partout les douceurs de la concorde. Que chacun soit satisfait de son sort ! donne à tous mes frères la nourriture et l’entretien de chaque jour. Envoie ton esprit saint aux hommes, afin qu’ils accomplissent le bien, et que le nombre des bons et des sages s’accroisse toujours de plus en plus. Sèche, ô mon Dieu, les larmes de la veuve et de l’orphelin ; prends soin d’eux lorsqu’ils sont abandonnés des hommes. Apaise les souffrances du malade étendu sur son lit de douleur ; répands la consolation et la force dans son âme affligée.
Souviens-toi, grand Dieu, des malheureux captifs qui languissent privés de secours et d’amis dans les ténèbres des cachots ; éclaire l’esprit de leurs juges, afin qu’ils rendent des arrêts équitables, et qu’ils évaluent le prix des larmes expiatoires que ces infortunés répandent en secret. Inspire de la compassion à leurs gardiens, afin qu’ils ne les maltraitent point et qu’ils n’oublient jamais qu’un criminel est aussi leur frère, et, comme eux, l’enfant de Dieu.
Accorde aux parents les lumières dont ils ont besoin pour l’éducation de leurs enfants ; accorde aux enfants la docilité, l’obéissance et un cœur susceptible de reconnaissance. Protège la jeune vierge innocente et le jeune homme encore pur ; défends leur cœur de la corruption ; soutiens leur vertu, mon Dieu, et fortifie-les au milieu des combats qu’ils auront à livrer aux passions. Rends tous les hommes heureux, et mes souhaits seront exaucés ; je dis tous les hommes, car c’est aussi pour mes ennemis que je t’implore.
—————––
SUR LE PARDON DES INJURES.
Dieu m’ordonne le pardon des injures ; c’est un des premiers devoirs du chrétien, c’est un des préceptes les plus recommandés par l’Évangile. Je dois donc considérer mes ennemis comme des frères, des frères égarés. J’appelle sur eux les bénédictions du ciel pour que leurs cœurs soient changés, leurs esprits éclairés, afin qu’ils reconnaissent l’injustice de leurs procédés envers moi. Si néanmoins ils se refusaient à rentrer en eux-mêmes, que Dieu prenne pitié de leur aveuglement et qu’il leur pardonne, car ils ne savent ce qu’ils font ! Je n’appelle point la vengeance céleste sur leurs têtes ; tout ce que je désire, c’est de n’être pas la victime des pièges qu’ils ne cessent de tendre sous mes pas.
Mais quand bien même, ô mon Dieu ! tu devrais permettre que leur méchanceté me devînt nuisible, je bénirais encore ta sainte volonté ; je bénirai, s’il le faut, mon assassin, et lorsque j’expirerai, j’aurai le pardon sur les lèvres pour celui qui m’aura donné la mort.
Je me garderai constamment de nuire à celui qui m’a nui ; je ne maudirai jamais celui qui m’a maudit, j’en fais ici le vœu solennel. Je traiterai, Seigneur, avec bonté celui qui me hait et je tendrai des bras pleins d’amour à celui qui m’a repoussé avec haine. Que mon ennemi m’accable d’injures, je ne l’en bénirai pas moins, et ma vengeance ne sera qu’un nouveau témoignage d’amour. Dans les jours de l’infortune, j’ouvrirai mon sein à celui qui m’a rejeté du sien, et je sécherai les larmes de celui qui n’aura point voulu voir les miennes.
Je louerai les bonnes qualités de celui qui me calomniera ; j’étendrai le voile de l’indulgence sur les fautes de celui qui, sans charité, se sera permis de relever les miennes. Telle est l’offrande d’amour que je t’apporte. Reçois-la, Seigneur, avec bonté ; envoie du haut des cieux bonheur et bénédiction à celui qui me persécute. Éclaire son âme encore susceptible de sentiments affectueux ; alors nous irons, les bras entrelacés, porter nos cœurs sur l’autel de l’amour en offrande de réconciliation, et nous nous écrierons vers toi : « Mon Dieu, pardonne-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés. »
—————––
SUR
LE DÉSIR D’OBTENIR LES FAVEURS DU CIEL
pour un ami, pour un bienfaiteur.
Dieu d’amour, c’est à toi que je suis redevable des sentiments si doux de l’amour et de l’amitié : en les plaçant dans mon cœur, tu m’as doué de la plus délicieuse des jouissances humaines. Auteur de la félicité des mortels ! répands salut et bénédiction sur celui que mon cœur chérit. Préserve-le des dangers sans nombre qui assiègent la vie, et protège-le de manière que rien ne porte atteinte à son bonheur. Que les premiers reflets d’un beau soleil fassent briller le plaisir à ses yeux, et que les derniers rayons éclairent encore, sur ses lèvres, le sourire de la félicité ! Envoie-lui des songes consolants pendant son sommeil, et que la joie accompagne son réveil ! Daigne guider les pas de cet homme juste dans le sentier de la vie ; ne permets pas que les noirs soucis et les chagrins dévorants sillonnent son front. Que les larmes de la misère ne mouillent jamais ses joues et que son esprit ne succombe point sous le poids de l’indigence ou de la maladie ! Que chacun de ses jours soit pur comme un beau jour de printemps, et que sa vie coule paisiblement telle qu’un limpide ruisseau à travers une riante prairie ! S’il est menacé du malheur, ou poursuivi par des ennemis implacables, sois son protecteur, afin que le mal ne puisse l’atteindre. Quelque part qu’il aille, que ta bonté l’accompagne, qu’il soit comblé de tes bienfaits ! Si la sueur d’un travail forcé couvre son visage, qu’un zéphyr rafraîchissant vienne la sécher de son haleine ! si son corps est fatigué, que ta Providence lui procure le frais ombrage des arbres touffus et lui prépare un lit de fleurs pour se reposer ! Que la soif n’altère jamais sa bouche sans qu’il trouve pour l’apaiser une source d’eau pure ! Accorde-lui, Seigneur, tous les plaisirs attachés à notre existence. Défends son âme contre les assauts des passions impétueuses, et s’il vient à s’égarer par faiblesse, fais-lui retrouver le sentier de la vertu ; ne le punis point dans ta colère ; mais traite-le suivant ta miséricorde infinie. Qu’un de tes saints anges l’accompagne dans toutes les circonstances de la vie ! qu’il soit son guide, son protecteur et qu’il nous réunisse enfin tous deux au-delà du tombeau, pour jouir d’une amitié pure et sainte, sans avoir à craindre d’être jamais séparés !
—————––
SUR
LE SOUVENIR DES PARENTS ET DES AMIS
DÉCÉDÉS.
Tu me permets, Seigneur, le souvenir de ces personnes chéries qui sont maintenant au-delà du tombeau. La mort a fermé leurs yeux ; elles n’existent plus pour moi. Pardonne si un sentiment d’humanité m’arrache encore une larme. La sensibilité n’est point un crime à tes yeux, Dieu d’amour.
Il ne m’est plus permis de les contempler, ceux que j’aimais d’un amour si tendre ! mes larmes ne peuvent plus ranimer leurs cendres ! un embrassement ne saurait plus vivifier la poussière de leur dépouille ! – Ô Dieu d’amour, fortifie mon esprit et verse la consolation dans mon âme. Oh ! non, ils ne sont pas entièrement perdus pour moi ces bien-aimés de mon cœur ; ils sont allés dans ton sein, père des hommes. Pourquoi les regretterais-je ? je les verrai de nouveau, oui, je les reverrai dans cette autre vie où il n’y a ni mort ni séparation. Ils sont maintenant auprès de leur père... où pourraient-ils être mieux ? Avant d’avoir abandonné cette dépouille mortelle, je les aimais comme mes frères ; ainsi, c’est pour mes frères que je t’implore, ô mon Dieu ! accueille-les avec l’amour d’un père dans le séjour de tes béatitudes. S’ils ont erré par faiblesse durant cette vie terrestre, si les attraits du péché les ont séduits, Seigneur, ne sois pas un juge sévère pour eux ; souviens-toi que tu es le père de tous les hommes. Tu m’as recommandé l’amour, et cet amour ne finit point avec la vie, ô mon Dieu !
J’aime encore décédés ceux que j’aimais vivants, et ne pouvant plus rien faire pour eux, ici-bas, que prier, je m’adresse à toi, comme un fils absent s’adresse à son père en faveur de ses frères qui sont dans la maison paternelle et qui ont besoin de pardon.
Dieu d’amour et de miséricorde, oublie leurs iniquités ; souviens-toi seulement qu’ils sont tes créatures et ton ouvrage. Conduis-les à la lumière éternelle, et reçois-les dans ton habitation bienheureuse, où j’espère aussi t’aimer et t’adorer éternellement avec eux.
—————––
SUR
LA CONNAISSANCE DU VRAI ET DU BON.
Si je porte mes regards autour de moi, Seigneur, et que je contemple la beauté des œuvres de ta création ; si je considère la sagesse de tes plans, tout m’annonce que la vérité et la bonté sont les bases fondamentales sur lesquelles reposent le ciel et la terre.
Il est donc indispensable que j’apprenne à connaître ce qui est vrai, ce qui est bon. Examinons cet important sujet.
Toi seul, ô mon Dieu ! tu es par essence la vérité et la bonté ; il n’y a de parfaitement vrai, de parfaitement bon que ce que tu es. Connaître l’amour du prochain, c’est le vrai, et le pratiquer, c’est le bon ; l’aimer et savoir qu’on l’aime, voilà le vrai ; l’aimer et prouver qu’on l’aime, voilà le bon.
Ainsi la vérité et la bonté doivent être réunies, car la vérité est le fruit de la connaissance, et le bien celui de la volonté. Sans la volonté, que serait la connaissance ? La sagesse des anges n’existe que par la réunion du vrai avec le bon. Sans cet accord, il n’y a plus rien qu’erreur et fausseté.
Tu es donc la vérité même, ô mon Dieu ! Ainsi, quand je cherche la vérité, c’est toi qu’il me faut chercher, c’est à toi que je dois ressembler.
Tu m’as donné, Seigneur, l’intelligence et la volonté. L’intelligence pour connaître mes devoirs et la volonté pour les remplir.
Tu es la bonté par essence, toutes tes œuvres le prouvent suffisamment ; mais connaître ta bonté ne suffit point, il faut encore que je manifeste cette connaissance par ma volonté, par ma conduite ; pour lors, je rends ta bonté visible et mon action devient vraie.
Ne me laisse donc jamais perdre de vue, ô mon Dieu ! que je dois réunir le bon avec le vrai... Accorde-moi la sagesse, afin que je me serve constamment de mon intelligence et de ma volonté.
Ne permets pas que je ressemble aux sages du siècle qui possèdent le savoir au lieu de l’intelligence, et qui n’ont que des désirs au lieu de volonté. Dispose ma volonté à conserver toujours le bon, et mon esprit à conserver le vrai.
—————––
SUR
LES DESTINÉES ET LES DEVOIRS DE L’HOMME.
Quand je viens à réfléchir sur moi-même, ô mon Dieu ! je sens pour ainsi dire en moi deux êtres, l’un extérieur et l’autre intérieur. J’ai un corps et une âme, je suis moitié animal, moitié esprit. L’enveloppe extérieure est nécessaire à mon état actuel, tandis que la substance intérieure me conduit à mon état futur. Être infini, permets-moi l’examen de cette vérité.
Le corps et les sens m’attachent à ce monde matériel, l’esprit et l’âme m’unissent à mon Créateur. Je reconnais ma vocation : je ne suis point ici comme l’animal irraisonnable, pour ne jouir que par les sens ; j’occupe une place plus élevée dans l’échelle de la progression des êtres.
Tu es la bonté, Seigneur, et la bonté active n’est-elle pas l’amour ? Si ma destinée est de devenir semblable à toi, ma vocation doit donc être d’aimer comme tu aimes.
Ton amour est pur, ainsi mon amour doit être pur comme le tien ; ainsi je dois aimer le bien pour le bien même, le vrai pour le vrai, sans aucun motif étranger.
Mon amour ne doit être excité ni par l’intérêt, ni par la vanité, ni par l’ambition. – Qui pourrait donc mettre obstacle à ce pur amour ? Rien autre chose que l’égoïsme, l’amour de moi-même. Je veux donc apprendre à le connaître cet ennemi du pur amour, pour le combattre et le vaincre, afin qu’il ne m’arrête point, ô suprême bonté ! dans le chemin de la vertu.
Je suis égoïste, je m’aime trop moi-même lorsque je réserve pour moi seul tous les avantages qui se présentent, et que je n’en fais part à personne, ou que je le fais seulement par rapport à moi. Je suis égoïste lorsque je fais le bien en vue des honneurs, de la gloire et des applaudissements humains.
Je sacrifie à l’amour de moi-même, si, toutes les fois que je pense, que j’agis, je ne songe point à mon prochain, au public, au maître de l’univers, mais à moi seul et aux miens. Je sacrifie à l’amour-propre, lorsque je ne cherche qu’à satisfaire mes passions, sans avoir égard aux suites fâcheuses qui peuvent en résulter pour autrui.
Un pareil amour de moi-même, inséparable de la méchanceté, de la fausseté, n’est-il pas l’opposé du pur amour, de cet amour dont la vérité et la bonté sont les principales bases ?
Seigneur, détruis jusqu’au germe de cet indigne amour ; embrase mon cœur de l’amour divin ; anime-moi de ton souffle pour que j’aime, que je me rende utile, que je sois bon, et cela pour l’amour, pour l’utilité, pour la bonté même ! Fais que j’aime tous les hommes sans intérêt, comme tu les aimes.
Puisse ta main bienfaisante me diriger, car je ne veux point prendre pour guide mon amour-propre ! Que mon plus grand plaisir, le plaisir de mon cœur, soit de faire du bien autour de moi, de répandre des bienfaits partout, et de me montrer serviable pour tout le monde ! Si j’obtiens un emploi, que je m’en réjouisse seulement à cause de l’occasion que cet emploi me procure de faire du bien ! Si je parviens à quelque dignité, que je sois moins flatté de cette dignité même que des avantages dont je puis disposer par elle en faveur de l’humanité !
Fais que ton pur amour me soit un préservatif contre l’amour-propre, afin que mon cœur ne se laisse point éblouir, et que jamais il ne cherche sa satisfaction dans les plaisirs passagers. Que l’argent n’ait de prix à mes yeux que pour autant qu’il me fournisse les moyens d’aider les nécessiteux ! Permets que les honneurs et la gloire ne fassent aucune impression sur mon âme, si mes actions sont indignes d’être avouées par toi. Enfin, persuade-moi que tout ce que je possède, fortune, talents, connaissances, emplois, dignités, bienfaits de ton amour, sont un dépôt dans mes mains, et que je les ai reçus pour les consacrer à l’utilité des autres, afin de me rendre semblable à toi par l’amour.
—————––
SUR
LA CONNAISSANCE DU VÉRITABLE PROCHAIN.
Tu m’ordonnes, Seigneur, d’aimer le prochain ; mais éclaire mon cœur de ta divine lumière, afin que je sache qui l’on doit entendre sous cette dénomination de prochain, et de quelle manière je dois l’aimer.
Mon prochain, pris dans l’acception générale, est tout homme, quels que soient son rang, sa religion et sa façon de penser. Ainsi je dois aimer tous les hommes comme moi-même ; ainsi je dois contracter l’habitude de me mettre pour ainsi dire à la place d’un autre homme, de m’identifier avec lui par une communauté de sentiments ; je dois ouvrir mon cœur à la sensibilité, j’entends la sensibilité vraie, et non point cette sensibilité factice des gens du monde.
Le divin modèle de toutes mes actions ne prescrit-il pas les principes suivants :
Mets-toi toujours à la place de ton semblable et agis envers lui comme tu souhaiterais qu’il agît envers toi.
Donne aux besoins urgents de ton prochain la préférence sur tes besoins éloignés, et fais ton possible pour le secourir ; souviens-toi, du reste, que ton prochain n’est pas seulement l’homme isolé, mais toute l’espèce humaine. Tu dois aussi des preuves de l’activité de ton amour à ta patrie, à la société dans laquelle tu vis. Travaille pour le bonheur des hommes ; remplis tes devoirs envers ta patrie, envers la société ; ce sont encore là des actes de l’amour du prochain.
Réfléchis encore que ton prochain est comme toi composé d’une âme et d’un corps. Former son esprit, ses sentiments, c’est revêtir son âme ; conduire à la vérité celui que la soif de la vérité dévore, c’est abreuver son âme ; briser les liens du vice, et ramener au chemin de la vertu celui qui s’est égaré, c’est délivrer un captif ; en un mot, toutes les œuvres de miséricorde, tu peux les exercer envers son âme. Que cette remarque devienne l’objet de tes sérieuses méditations !
Mais combien de mortels indignes, combien de méchants se plaisent à tromper les âmes bienfaisantes ! combien il en est qui se jouent de leur amour !... La faute n’en est pas à Dieu : l’homme n’en doit donc pas moins persévérer dans les voies de la charité. Celui qui veut épiloguer en fait de sentiment a peu d’amour. Ne vaut-il pas mieux que tu t’exposes à te voir tromper par le prochain que de te tromper toi-même ? Il est un Dieu dans le ciel ; témoin et juge de tes actions, il ne permettra point que tu deviennes la victime du méchant, ou, s’il le permet, ce sera parce qu’il veut te faire subir une épreuve dont le résultat te deviendra tôt ou tard favorable. Pratique l’amour de toute l’étendue de tes forces, et pour lors espère en Dieu qui est l’amour même.
L’amour-propre nous fait aisément illusion : celui qui met trop de prudence à se montrer bon a déjà cessé de l’être.
Un malheureux se présente pour implorer ton assistance. Il est robuste, diras-tu ; qu’il travaille !
– Mais sais-tu s’il a du travail ? peut-être aussi qu’une famille, que des parents malades ont exigé tous ses soins, et l’ont dérobé pour quelques jours au travail. N’examine pas les choses avec tant de méfiance, ne balance point ; que ta main gauche ignore ce que la droite aura donné.
Mais l’amour actif s’étend encore au-delà des pauvres et des nécessiteux. Être juste dans les fonctions de son état, remplir ses devoirs avec exactitude, avec zèle, c’est aussi se montrer actif en amour.
Comme juge, parler avec courage en faveur de l’équité ; comme ministre, prendre à cœur les intérêts de l’État ; comme prêtre, défendre la cause de la religion, c’est aimer aussi le prochain. Qui remplit son devoir par attachement au devoir, et qui se montre juste par attachement à la justice, exerce sans contredit l’amour.
Mon Seigneur et mon Dieu ! Dieu d’amour ! fais-moi connaître que l’amour actif est une disposition intérieure qui porte sans cesse l’homme à faire le bien sans récompense, et seulement à cause de toi, de toi le pur amour.
Dès cet instant, Seigneur, je m’efforcerai de devenir semblable à toi, par l’amour le plus pur, puisque le bonheur de mes frères dépend de cet amour. J’aimerai tous les hommes comme moi-même, je les aimerai sans aucun intérêt. Je servirai ma patrie, le monde, l’humanité tout entière, sans espoir de retour, et je veux renoncer à toute récompense, à tout remercîment.
Mes ennemis, même, je les aimerai sans trop songer à me les concilier par l’amour. Tu connais à fond le cœur des mortels. Ô mon Dieu, bénis ma résolution, et donne-moi la force nécessaire pour l’accomplir.
—————––
SUR LE DON DE LA FOI.
Je crois en toi, mon Dieu ; mais comment puis-je tenir ce langage, si ma foi se trouve contredite par mes œuvres ? Donne-moi donc la véritable connaissance de la foi, et permets-moi d’espérer, avec une humble confiance, que tu me rendras éternellement heureux dans l’autre vie. Pour y parvenir, il est nécessaire que la foi fasse naître dans mon cœur l’amour du bien, et que ma volonté se dirige vers tout ce qui est vrai et bon ! Je forme la sérieuse et ferme résolution de prendre pour modèle de toute ma conduite la sainte vie et les exemples du Sauveur du monde.
La foi consiste surtout dans le sentiment intérieur du vrai ; c’est mon inclination au bien qui doit donner à la foi son véritable prix. Comme la vérité n’est rien sans la bonté, de même la foi est morte sans les œuvres. Il n’y a point de chaleur sans lumière ; mais qu’est-ce que la lumière sans chaleur ? – Que je contemple un moment ta magnifique création, Seigneur ! j’y trouverai le symbole de la foi.
Lorsque la lumière qui vient du soleil est réunie à la chaleur, toute la terre se couvre de fleurs et de fruits ; quand au contraire cette même lumière est privée de chaleur, les campagnes sont en proie à la tristesse, et la nature se dépouille de ses grâces printanières.
Que cette image me ramène à la foi ! La foi n’est-elle pas la lumière sans chaleur, lorsqu’elle n’est point vivifiée par les œuvres ? Ainsi la lumière spirituelle est la véritable essence de la foi ; tandis que la chaleur spirituelle est l’amour en activité. L’amour fait de notre âme un séjour céleste, et sans lui nos cœurs sont des îles désertes et des landes sans culture. Seigneur, ce sera désormais par mes œuvres que je prouverai ma croyance en toi.
—————––
SUR LES DISPOSITIONS
QU’ON DOIT APPORTER DANS LA PRIÈRE.
J’entre dans ton temple, ô mon Dieu ! pénètre-moi des sentiments nécessaires pour que je t’adore comme il convient de t’adorer ; inspire-moi des idées pures de la sublimité de ton être, afin que mon cœur ne te considère point comme un homme semblable aux grands de la terre, dont la grandeur n’est qu’une vaine et trompeuse apparence. Fais-moi connaître que l’innocence des mœurs et la pureté du cœur sont la première offrande que tu exiges de nous, car l’argent et l’or n’ont aucun prix à tes yeux.
Donne-moi les lumières dont j’ai besoin pour bien apprécier ta grandeur ; éclaire mon âme, afin qu’elle se persuade qu’un cœur pur est le don le plus précieux, le repentir, la meilleure offrande de réconciliation, et l’amour de mes frères, le plus magnifique présent qu’un mortel puisse t’apporter. « Les véritables adorateurs de Dieu l’adorent en esprit et en vérité. » Ce sont les paroles, Seigneur. – Accorde-moi donc ta grâce, afin que je sois au nombre de ceux qui t’adorent en esprit et en vérité.
Être éternel, être incréé ! sage créateur de ce vaste univers, je reconnais que ta bonté nous assigne ce magnifique théâtre pour habitation. Permets que je t’adresse mes prières, comme à mon souverain maître, et que je t’aime comme le père de tous les êtres. Oui, tu es aussi bon que tu es grand : tout me le dit, et surtout mon cœur. Oh ! puissent tous les hommes t’adorer, et, pour te bénir, trouver en eux-mêmes les expressions les plus tendres, les plus affectueuses. Tu daignes nous parler, Créateur tout-puissant, par la voix éclatante de la nature. Tout notre service envers toi consiste à t’adorer, à te remercier, à nous écrier jusqu’à ton trône, que nous sommes des créatures faibles, misérables et bornées, qui avons besoin de ta main secourable.
Dissipe, Seigneur, les ténèbres de mon esprit, et tu me trouveras docile à tes commandements. Reçois aujourd’hui l’offre que je te fais de mon cœur ; puis-je te donner plus que mon cœur ? et si tu accueilles cette faible offrande, que je dois à ta grandeur et à ton amour paternel, accorde-moi la force de persévérer dans ces sentiments de vénération dont je suis maintenant rempli.
Conservateur du genre humain, toi qui l’échauffes tout entier d’un seul de tes regards, fais donc en sorte que l’amour embrase aussi les cœurs de tous les habitants de la terre ; qu’ils s’aiment tous entre eux comme des frères, et qu’ils entonnent d’une voix unanime un cantique universel de louanges et de remercîments ! Que ta main nous guide, afin que nous ne nous écartions pas des voies de l’amour ! Soutiens-nous, lorsque nous sommes près de tomber, et que ta main puissante nous retienne. Opère en nous la volonté et l’exécution.
—————––
SUR LA VERTU CHRÉTIENNE.
Qu’est-ce que la vertu chrétienne ? qu’est-ce qui s’appelle être chrétien ? La vertu chrétienne est une habitude de penser et d’agir à l’exemple et sur le modèle de Jésus-Christ. Être chrétien signifie donc suivre Jésus-Christ, imiter ses exemples, être semblable à lui d’esprit et de conduite ; et cette imitation consiste en une application sérieuse, active et continuelle à lui ressembler, aussi bien dans ses affections pieuses et vertueuses en général, que dans sa conduite envers Dieu et les hommes ; envers ses amis et ses ennemis, envers l’erreur et la vérité, la vertu et le vice, la gloire et l’abjection, la richesse et la pauvreté, le plaisir et la souffrance, la vie et la mort, le temps et l’éternité ; en sorte qu’il se trouve une ressemblance remarquable entre Jésus et nous, entre son cœur et le nôtre, entre notre conduite et la sienne.
Elle consiste à former notre sens intérieur, nos mœurs et notre probité sur son modèle, de manière à penser, parler, juger, vivre et mourir comme lui, dans tous les temps et dans toutes les circonstances, ou comme il aurait lui-même pensé, parlé, agi, vécu, s’il se fût trouvé à notre place.
Accorde-moi donc, Seigneur, la grâce d’adopter les pensées et la conduite de Jésus dans mes travaux comme dans mes récréations, dans la solitude comme dans la société, envers mes amis comme envers mes ennemis, à la vie comme à la mort. Que je pense et que j’agisse, comme il a pensé et agi dans toutes les occasions ! que cette idée m’accompagne partout, et que la ferme résolution de devenir semblable à lui soit mon guide habituel dans le chemin de la sagesse !
—————––
SUR LA CONSCIENCE ET LE REPENTIR.
Il ne suffit point de faire l’aveu de ses fautes, il faut encore, après en avoir imploré le pardon d’un cœur contrit, se tenir en garde contre les rechutes, et mener une vie toute consacrée aux œuvres de la charité, c’est-à-dire de l’amour du prochain et de la foi ; voilà ce qui s’appelle faire véritablement pénitence.
Auteur de toute lumière, tu connais, ô mon Dieu ! les replis de mon cœur, et tous mes péchés sont écrits devant toi.
Éclaire-moi donc, je t’en supplie, afin que je les connaisse aussi, et que je puisse me rendre à moi-même un compte sévère de ma conduite passée.
Je veux pénétrer jusqu’au fond de mon intérieur, et n’omettre aucune de mes fautes, afin de les déplorer toutes sans exception, avec la douleur dont je suis capable.
Donne-moi ta grâce pour guide dans cet examen de moi-même, et que ton esprit saint dont tu nous as promis, par la bouche de ton Fils, la puissante assistance, lorsque nous la demanderions, descende sur moi ! qu’il répande sa vive clarté dans mon âme, afin que je connaisse le nombre et l’énormité des offenses que j’ai commises par pensées, par paroles et par actions, envers toi, Seigneur, envers mon prochain, envers moi-même !
Comment ai-je vécu depuis mon dernier examen de conscience ? De quelle manière ai-je passé cette journée ? A-t-elle été du nombre de celles qui sont perdues pour l’éternité ? Pourrais-je terminer le cours de mes jours par celui-ci ?
Dans quelles dispositions mon cœur se trouve-t-il envers Dieu ? Ai-je pensé souvent à sa présence en tous lieux, à sa bonté, à sa sainte loi ? En ai-je parlé volontiers et avec le respect convenable ? Ai-je prié tous les jours le Seigneur, et comment ? L’ai-je remercié pour tant de bienfaits dont je jouis ? Qu’ai-je fait pour l’amour de lui ? Ai-je écouté et suivi ses inspirations ?
Comment me suis-je conduit avec mes frères ? L’amertume, la haine, la vengeance, le mépris, la satisfaction de les voir malheureux, les soupçons n’ont-ils pas tour à tour habité mon cœur ? Est-il maintenant pur et sans reproche.
N’ai-je offensé jamais mon semblable ? ne l’ai-je point maltraité, trompé, opprimé ? n’ai-je point silence calomnié l’innocent, soit de bouche, soit par mon silence accompagné d’un malin sourire, soit par quelque autre geste significatif ? n’ai-je point médit de mes frères et pris plaisir à publier leurs fautes ? n’ai-je fait tort à personne dans son bien ? ai-je réparé mes injustices, ou suis-je prêt à les réparer, et comment ?
N’ai-je excité personne à pécher ? n’ai-je pas causé du scandale et donné mauvais exemple ? ai-je pratiqué les œuvres de miséricorde ? le malheureux a-t-il trouvé des secours en moi ? le pauvre a-t-il reçu l’assistance dont il avait besoin ? me suis-je montré charitable, officieux, compatissant ? de quelle bonne action mon cœur peut-il s’applaudir ?
Comment ai-je rempli les devoirs de mon état ? Dieu sera-t-il satisfait du travail de ma journée ? puis-je l’être moi-même ? comment me suis-je conduit dans la peine et dans le plaisir ? ai-je ici montré de la modération ; là, de l’humilité, de la patience et de la résignation ? quel a été l’objet de la plupart de mes pensées et de mes désirs ? oserais-je les révéler en public ? n’ai-je rien commis dont je doive rougir à mes propres yeux ?
Ai-je combattu ma passion dominante et mes mauvaises habitudes ? comment ai-je tenu mes résolutions ? suis-je tombé par faiblesse, de gaieté de cœur, ou par légèreté ? ai-je reconnu mes fautes et m’en suis-je repenti ?
Suis-je maintenant meilleur ou plus pervers qu’autrefois ? dans quelles dispositions se trouve mon cœur ? quel est l’état de mon âme ? serais-je prêt à partir si Dieu m’appelait à lui ?
—————––
SUR LA NATURE DE DIEU
ET SUR L’IMMORTALITÉ DE L’ÂME,
EN VISITANT UN CIMETIÈRE.
Ô bonheur suprême, inonde mon âme d’un torrent de flammes ; l’Éternel sera l’objet de mes méditations. – Tu as été, tu es et tu seras ; quel nom te donnerai-je ? mes lèvres tremblantes deviennent muettes.
Être incompréhensible, comment penser à toi, comment te concevoir ? mon âme s’arrête d’étonnement ; mon esprit ne saurait atteindre jusqu’à toi. Père des hommes... c’est ainsi que mes lèvres pourront bégayer le titre qui te convient ; c’est ainsi que mon esprit pourra te concevoir et mon cœur te sentir. Père, père éternel !... il est notre père à tous ! hommes prosternons-nous pour l’adorer... Enfonce-toi dans les profondeurs de la méditation, ◊ mon âme ! Frémis de plaisir, ô mon âme ! tu fus créée pour l’immortalité.
Ce n’est point dans le bruit du tonnerre, ce n’est point dans le fracas des tempêtes, mais dans le souffle léger du zéphyr, que toute la nature annonce la perpétuité de ton être. – Où suis-je ? que se passe-t-il en moi ? serais-je déjà transporté aux portes de la tombe, ou bien sortirais-je déjà victorieux de la nuit du sépulcre ? ô paroles de vie éternelle ! voilà qu’avec les premiers rayons du matin, je suis assis sur les tombeaux. Aimable clarté de l’aurore, tu m’apportes la paix et le calme ; un jour nouveau m’annonce une vie nouvelle. Mes frères, par milliers, gisent ici réduits en poussière à mes pieds. – Que fîtes-vous, lorsque vous étiez encore sur la terre ?
Votre cœur fut-il aussi inquiet que le mien ? le commerce des hommes était-il aussi vide, aussi peu satisfaisant pour vous qu’il l’est pour moi ? combien je désirerais habiter parmi vous ! vous êtes maintenant dans le royaume de Dieu ! mortels enlevés à la terre, que vous devez vous trouver bien ! que vous devez vous trouver heureux !
Que je voudrais m’élever jusqu’à vous, mes frères, contemporains des siècles passés, qui que vous soyez ! Avec quel plaisir je verrais mes vœux se réaliser !
Louange, adoration et larmes de reconnaissance, grâces éternelles, Seigneur, pour notre immortalité !
« Une mère peut-elle oublier l’enfant qu’elle nourrit de son lait ? peut-elle être sans pitié pour le fils de ses entrailles ? si elle l’oublie, je ne l’oublierai point. » Ce sont là tes paroles, source de l’immortalité : quel est mon bonheur ! je me prosterne pénétré du plus profond étonnement ; ô mon âme ! âme immortelle, jouis de ton bonheur en silence ; car c’est ainsi qu’a parlé celui qui nous aime.
—————––
SUR LES DEVOIRS DE L’HOMME
QUI VIT À LA COUR.
Roi des rois, maître des maîtres de la terre, Dieu tout-puissant ! c’est par ta volonté que je vis à la cour d’un prince ; c’est par ta volonté suprême que je possède un rang distingué dans le monde : accorde-moi donc aussi la grâce de connaître les devoirs de mon état et de les remplir avec exactitude. Que je fasse autant de bien qu’il est en mon pouvoir dans le poste où tu m’as placé ! ne permets pas que je me laisse jamais séduire par l’éclat trompeur de la cour et par les fausses maximes des hommes.
Donne-moi un cœur sincère, qui aime véritablement la patrie et le prince. Fortifie mon courage dans mes travaux pour eux, et fais que toujours je consulte leur bien-être sans aucune vue d’intérêt. Rends-moi toujours supérieur à la corruption de l’or, aux perfides appâts des dignités et d’une honteuse ambition ; éclaire mon esprit, afin qu’il puisse discerner la véritable grandeur, et qu’il sache que celle-là seule a droit de plaire à tes yeux.
Écarte loin de moi le respect humain, cette fausse honte trop ordinaire dans les cours, ainsi que l’astucieuse politique, le crime le plus abominable à tes yeux. Que je dise constamment la vérité, Seigneur ! que je la dise avec une mâle intrépidité ! mais que ma franchise ne dégénère point en passion, de manière à devenir une offense pour ceux qu’elle inculpe. Conserve à mon âme son élévation, afin que je ne fléchisse point le genou devant les idoles de cour, et que je ne devienne point le fade et rampant adulateur de la puissance.
Que je marche sans cesse dans le chemin de la droiture, et protège-moi lorsque des orages s’élèveront sur ma tête. Accorde-moi une parfaite égalité d’âme, et que l’amour de la patrie, ainsi que l’attachement à mon souverain, ne sortent jamais de mon cœur. Ne permets pas que je renonce jamais à la justice, à la vertu ; et l’univers dût-il s’écrouler sur ma tête, que je sois soutenu par cette pensée : l’Éternel est là, présent à toutes mes actions, et sa main peut me sauver du milieu des ruines dont je suis entouré.
Il est difficile qu’un homme de bien s’enrichisse à la cour... Préserve mon cœur de la soif de l’or ; accorde-moi seulement ce qui m’est nécessaire pour m’entretenir moi et les miens. Qu’au lieu d’immenses richesses, je laisse pour héritage à mes enfants une éducation soignée, avec la noblesse de l’âme ! Daigne les bénir, Seigneur, afin qu’ils prospèrent ici-bas ; mais ne souffre point qu’ils s’élèvent jamais par des moyens iniques, et qu’on puisse leur reprocher une fortune dérobée à la patrie, ou dégouttante encore du sang de la veuve et de l’orphelin.
Ô mon Dieu, fais qu’en servant mon prince avec zèle, je n’oublie jamais que tu es mon souverain Seigneur et maître ; si mes services n’obtiennent, un jour, d’autres récompenses que l’ingratitude et la persécution, fais-moi trouver ma consolation dans une bonne conscience, dans mon espoir en toi, Dieu de justice et de bonté !
—————––
SUR LES DEVOIRS DU CHEF DE FAMILLE.
La Providence a permis que je fusse mieux partagé de la fortune que tant d’autres mortels : je bénis sa bonté sans égale, et je reconnais que je lui dois toute l’aisance dont je jouis. Ô Dieu d’amour, tu m’as confié les personnes qui me servent ; ce sont les enfants que tu me confies. Je me rappellerai, Seigneur, qu’ils sont hommes comme moi. Mon cœur les considérera comme mes égaux, bien qu’aux yeux du monde et par les lois de la société, ils me soient subordonnés.
Je n’oublierai jamais combien est dure la destinée de ceux qui sont dans un état de servitude, et mon amour s’efforcera d’alléger leur fardeau. Je montrerai de l’indulgence pour leurs fautes et pour leurs faiblesses ; j’éviterai de leur faire sentir l’amertume de leur condition. Lorsqu’ils seront malades, lorsqu’ils seront affligés, lorsqu’ils seront dans le besoin, ils trouveront des secours paternels dans mon sein, et je les traiterai comme je voudrais être traité par eux, si je me trouvais à leur place.
Dieu d’amour, inspire aussi des sentiments nobles à mes serviteurs, afin qu’ils n’abusent point de mon humanité, de ma bonté, de mon indulgence, et qu’ils ne les considèrent point comme des faiblesses.
Je jure, ici, de ne jamais retenir ni différer le salaire de l’artiste honnête ou de l’ouvrier nécessiteux ; j’espère ne me montrer jamais avare envers des hommes qui gagnent aussi péniblement leur subsistance.
Lorsque mes intérêts domestiques exigeront une réforme économique, je la commencerai par moi-même, et non par ceux qui doivent gagner leur pain à la sueur de leur front.
Ô mon Dieu ! c’est ainsi que je me propose de penser et d’agir : fortifie-moi par ta grâce, et rends ma résolution inébranlable.
Mais si mes subalternes venaient à méconnaître ma bienveillance, s’ils payaient mon amour d’ingratitude, ne permets pas que je perde courage, ni que mon cœur change à leur égard. Que j’excuse leur conduite par leur mauvaise éducation, par la servitude dans laquelle ils languissent, et par la grossièreté des traitements auxquels ils sont exposés, source de la corruption de leurs sentiments et de leur manière de penser ! Que je reste toujours fidèle à mes principes, et que je ne perde jamais de vue ton principal commandement, qui est d’aimer tous les hommes !
Qu’ils soient injustes à mon égard, je ne cesserai cependant pas d’être juste envers eux ; et s’ils s’avilissent jusqu’à me tromper, ma conduite leur prouvera qu’ils se seront trompés eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils auront, en moi, trompé, non leur maître, mais leur bienfaiteur et leur ami. Mon Dieu, toi qui connais mon cœur, bénis mes desseins, afin que ce cœur serve d’instrument à ton amour.
—————––
SUR LES DEVOIRS DE L’ÉPOUX.
Mon Dieu ! tu m’as donné une femme, la compagne fidèle de mes jours, pour partager mon destin durant le pèlerinage de cette vie. Fais-moi considérer, ô mon Dieu ! qu’en me confiant cette créature de tes mains, tu l’as destinée à partager mes plaisirs comme mes peines. Fais-moi considérer aussi que la beauté, la tendresse et la délicatesse étant l’apanage de ce sexe, il est aussi dans sa nature qu’il soit faible, susceptible et qu’il exige des ménagements continuels. Ne souffre donc pas que je sois injuste envers elle, et que je prétende des choses qui ne sont point dans la nature de son être. Peut-on exiger de la brillante rose qu’elle fleurisse encore au-delà de sa saison ? Peut-on exiger de l’humble violette la tige élancée du lis ? Peut-on exiger du flexible roseau la force du chêne ?
Inspire-moi sans cesse la volonté ferme de traiter avec douceur la femme que tu m’as donnée, et lorsqu’elle s’irrite, de la ramener à moi par mon affection. Détruis dans mon cœur cet orgueil inhumain, ce droit cruel du plus fort, qui maltraite une pauvre et faible créature que l’amour a jetée dans mes bras, et que les lois y retiendraient encore alors même que cet amour serait éteint. Pénètre-moi de l’idée qu’il est indigne d’opprimer un être sans défense, qu’il est honteux au cultivateur de fouler aux pieds la fleur qui fit son plaisir dans les jours du printemps.
La raison, d’accord avec la justice, me dit, ô mon Dieu ! que n’étant pas moi-même exempt de défauts, je ne puis exiger la perfection dans mon épouse ; elle me dit que l’erreur est le partage de l’humanité : pardonner les erreurs et supporter les faiblesses, c’est l’ouvrage de l’amour.
Fais, ô mon Dieu, que les incommodités sans nombre auxquelles la femme est sujette, particulièrement les dangers de la grossesse et les indispositions qui s’y trouvent attachées, m’inspirent des égards continuels. Donne à ma compagne la force et le courage de supporter ses maux avec résignation ; donne-moi, Seigneur, la satisfaction de les alléger par une continuité de prévenances et de soins. Ne permets pas que j’oublie jamais que ces enfants, qui volent avec tant de plaisir dans mes bras, et que j’y serre avec délices, sont un présent de son amour, et qu’il serait injuste de négliger l’arbre qui porte de si précieux fruits.
Préserve mon cœur du poison de la jalousie et du soupçon déchirant ; persuade-moi qu’ils sont destructeurs de la félicité des hommes et de l’amitié. Que toutes mes démarches tendent à convaincre mon épouse qu’elle trouvera toujours en moi le meilleur et le plus généreux ami ; seconde, ô mon Dieu ! les efforts que je fais pour en persuader son cœur.
L’amertume et la dureté aigrissent les esprits sans jamais les rapprocher, mais le cœur ne résiste point aux témoignages multipliés d’un amour inaltérable. – C’est en vain qu’une glace épaisse et solide enchaîne le cours d’un fleuve, la douce chaleur du printemps saura bien redonner un libre cours à ses eaux.
Ô mon Dieu ! toi qui diriges les cœurs des hommes, dirige aussi les nôtres, et qu’une sainte harmonie les réunisse ; mais si tu as résolu de m’éprouver, Seigneur, ne permets pas que j’agisse contre mes principes, ni que je devienne injuste parce que d’autres se seront montrés injustes envers moi.
Rappelle-moi sans cesse que les sentiments de l’âme ont seuls du pouvoir sur les âmes. Fortifie la mienne dans ses bons sentiments, Seigneur, et que jamais je ne rende malheureuse, par ma faute, aucune des créatures que tu m’as confiées !
—————––
SUR
LES VŒUX À FORMER POUR SES ENFANTS.
Mes enfants sont un présent de la bonté divine ; elle a mis en moi le sentiment qui les rend chers à mon cœur, le sentiment de l’amour paternel.
Seigneur, ce que tu m’as donné n’est-il pas également à toi ? J’appelle donc ta sollicitude sur ces intéressantes créatures dont tu m’as fait présent. Daigne être leur père : je suis un faible mortel : que puis-je pour eux sans toi ?
L’arbre que j’ai planté séchera sur pied, s’il n’est humecté de la rosée du ciel, et s’il n’est abreuvé des eaux qui s’échappent de tes nuages. Toi qui donnes au faible oiseau sa nourriture, qui conserves la fleur naissante au milieu des rochers, père des hommes, prends soin aussi de ces douces créatures, afin qu’elles deviennent heureuses dans cette vie et dans l’autre ; aide-moi, Seigneur, à cultiver en elles l’humanité, la bonté. Qu’une éducation soignée les rende un jour utiles à leurs semblables ! Accorde-leur l’intelligence et la connaissance du bien, avec la bonne volonté pour l’accomplir. Accorde-leur, je t’en supplie, les trésors du ciel ; je ne désire rien autre chose pour mes enfants. Ce sont là les seuls biens nécessaires : le reste doit leur être indifférent.
Je ne te demande point les richesses de la terre pour eux, ô mon Dieu ! Donne-leur seulement un corps sain et robuste, avec l’amour du travail, afin qu’ils puissent subvenir à leurs besoins ; mais daigne surtout les douer d’une manière de penser noble et ferme, qui ne fléchisse point sous la violence des orages de la vie.
Accorde-leur des yeux clairvoyants qui sachent discerner la vérité, des yeux que n’éblouissent point le faux éclat du monde.
Préserve leur cœur de toute passion honteuse, et protège leur innocence contre les pièges de la séduction. Mais si tu prévoyais qu’ils devinssent un jour les instruments du mal sur la terre, et qu’ils ne dussent vivre que pour le malheur de leurs frères, enlève-les, Seigneur, dans la fleur de l’âge, et ne prolonge point leur vie pour la malédiction de l’humanité ; ne les conserve qu’autant qu’ils seront la consolation du pauvre et de l’affligé.
Que le petit troupeau des élus soit glorifié par eux ! et lorsqu’à l’exemple du bon Samaritain, ils seront parvenus au terme de la vie, au milieu des œuvres de miséricorde, reçois-les dans tes habitations bienheureuses, afin que je puisse un jour me réjouir et t’adorer éternellement avec eux, père de tous les hommes.
—————––
SUR
LA RÉSIGNATION DANS L’ADVERSITÉ.
Seigneur, les nuages de l’infortune s’amoncellent sur ma tête, et les chagrins dévorants sont près de fondre sur moi. Mais aucun murmure ne sortira de ma bouche ; Seigneur, tu ne cesses pas d’être à mes yeux le Dieu d’amour. N’es-tu pas le roc inébranlable sur lequel j’ai fondé l’édifice de mes espérances ? Tu n’ignores point, Seigneur, pourquoi tous ces évènements arrivent ; tu prendras soin de mon sort. Je sais que tu m’aimes ; je sais que tous les hommes te sont chers, et la certitude de cette pensée fait toute ma force. Ce ne sera point l’adversité qui me vaincra, mais je vaincrai moi-même l’adversité ; je combattrai les afflictions de cette vie avec courage, et je ne leur laisserai point remporter la victoire sur mon cœur par ma lâcheté. Je sais que tu m’as subordonné les choses de ce monde, ô mon Dieu ! je suis ta créature, la créature d’un Dieu puissant.
C’est ainsi que je penserai, Seigneur. Armé de tels sentiments, j’attendrai sans pâlir l’ennemi dans le champ du combat. Que peut-il m’arriver quand tu veilles sur moi, Dieu de force et d’amour ?
—————––
PENDANT L’ORAGE.
Seigneur, tu continues d’être le Dieu d’amour dans la tempête, et le Dieu de bonté pendant l’orage.
Lorsque les vents se déchaînent en sifflant, que ton tonnerre gronde, que les éclairs sillonnent les cieux, lorsque la terre tremble et que les volcans ouvrent leurs profonds abîmes, je suis ici debout sans crainte, et je m’écrie : Tu es le Dieu d’amour, Seigneur, il ne m’arrivera rien de fâcheux, rien que tu n’aies ordonné.
Les œuvres de tes mains ne sont-elles pas toutes bonnes ? Ne tendent-elles pas toutes à la perfection de l’ensemble, à la divine harmonie des êtres ? Tout est vie dans la nature ; il n’y a point de mort, point de destruction absolue ; il n’y a que transmutation et passage à une nouvelle existence.
Commandes-tu que la foudre me frappe, qu’elle me réduise en poudre ? Me voici, Seigneur ; qu’elle me dépouille de ce mortel vêtement ; mais que peut-elle contre mon âme immortelle ? Qu’elle m’affranchisse des liens de la chair... mon esprit ira trouver en toi sa liberté. Seigneur, je t’adore au milieu du fracas des tempêtes, au milieu du choc des flots irrités et du bruissement des eaux qui tombent du ciel en longs torrents. Dieu d’amour ! si la grêle vient à ravager les champs de mon voisin, si la foudre met sa cabane en feu, préserve-moi de la cruelle pensée que mon voisin ait mérité cette infortune ; qu’une idée si contraire à la charité ne souille point mon amour ! inspire-moi plutôt de la compassion pour mon frère malheureux. Tu as tout prescrit avec bonté, Seigneur, et tes décrets sont des décrets d’amour ; c’est moins un châtiment qui frappe mon voisin qu’un accident destiné à mettre mon amour à l’épreuve.
Tu veux que je reçoive dans ma cabane celui qui perd la sienne, que je partage les fruits de mon champ avec celui qui voit détruire les siens par la grêle ; voilà ta sainte volonté ; tout est tendance à l’harmonie divine, à l’unité d’amour avec Dieu dans l’univers. Seigneur, je continuerai de t’adorer dans la tempête et pendant l’orage... partout n’es-tu pas également le Dieu d’amour ?
—————––
À L’OCCASION
DE LA GUERRE ET DE SES SUCCÈS.
Mon Dieu, nous avons remporté la victoire sur nos ennemis ; tout retentit de plaisirs et de chants d’allégresse. Pour moi, grand Dieu ! je me prosterne humblement en ta présence pour adorer tes saints décrets et te supplier de toucher le cœur des hommes, en leur inspirant des sentiments plus doux, afin qu’ils décident à l’avenir leurs querelles sans le secours du glaive.
L’homicide public ou particulier n’est-il pas toujours abominable à tes yeux, Dieu d’amour ?
Les actions d’amour et de douceur te sont agréables, non les actes de violence et de destruction ; toi qui nous as fait un précepte d’aimer nos ennemis, peux-tu te plaire à nous voir triompher de leur malheur ? Nous t’en prions, daigne seulement éclairer leurs cœurs, afin qu’ils reconnaissent les suites fatales de leurs passions, et qu’ils prennent, instruits par l’adversité, des sentiments plus pacifiques. Laisse pénétrer un rayon de ton amour dans l’âme des vainqueurs et des vaincus, afin qu’ils apprennent que, tous, ils sont les enfants du même père, tous créés à ton image, et que tu ne leur as donné cette magnifique habitation, cette terre si fertile, que pour y jouir des charmes de la vie, et non pour en faire un théâtre de meurtre où le frère égorge son frère. Adoucis, ô mon Dieu ! le cœur des monarques, et lorsque les circonstances les forceront à défendre leurs droits par le glaive, qu’ils épargnent le sang des hommes autant qu’il est en leur pouvoir.
Qu’ils n’oublient jamais, ô mon Dieu ! qu’un héros, s’il peut massacrer des millions de créatures, n’est point capable de rendre la vie à un vermisseau !
J’élève mon cœur vers toi, Père de tous les hommes ; éclaire le cœur des mortels, tes enfants, afin qu’ils reconnaissent que le Dieu d’amour ne peut pas être en même temps un Dieu de colère et de carnage. Embrase le cœur des hommes d’un amour universel, et détruis dans leur âme la violence des passions avec le fol esprit de conquêtes.
Envoie ton ange de paix sur la terre pour y sceller le bonheur des mortels par la réconciliation et par l’amour.
—————––
SUR LE JOUR
DU RENOUVELLEMENT DE L’ANNÉE.
Ce premier jour de l’année doit me rappeler plus particulièrement les bienfaits de la Providence. C’est par sa volonté que j’existe, et sans elle mon corps serait depuis longtemps réduit en poussière. Cette vie est un mélange de plaisirs et de peines, je ne l’ignore point ; mais lorsqu’on a placé sa confiance en Dieu, l’on n’éprouve plus que douceur et satisfaction sur la terre. Les grâces que j’en ai reçues sont innombrables. Je lui dois le calme et la paix de l’âme, la santé, l’amitié, cette source féconde d’agréments et de charmes ; je lui dois la modération qui me fait apprécier, comme le plus grand des biens, l’indépendante médiocrité dont je jouis ; je lui dois une compagne vertueuse, des enfants soumis et des serviteurs dévoués.
Accueille l’hommage de ma vive reconnaissance, Seigneur, Dieu bienfaisant, et si tu m’appelles dans ton sein avant que cette année ait achevé son cours, fais que, me résignant aux décrets de ta Providence, je paraisse sans crainte devant ton tribunal auguste et miséricordieux.
—————––
SUR
LA MODÉRATION DANS LA PROSPÉRITÉ.
Le succès dans mes entreprises, ô mon Dieu ! vient de surpasser mes espérances. Ne permets point que l’orgueil s’insinue dans mon cœur : rien n’arrive, ici-bas, que par ta volonté, Seigneur ; c’est donc à toi seul qu’il m’est permis de rapporter tous les évènements heureux de ma vie ; mais j’ai besoin plus que jamais, aujourd’hui, de tempérer mes vœux. Aidé de ta grâce que j’implore, je fermerai constamment l’oreille à la voix fallacieuse de l’ambition ; donne-moi la modération nécessaire pour sentir toute la vanité des biens fragiles de ce monde et pour apprécier toujours les charmes de cette douce médiocrité qui contribue plus puissamment que les richesses au bonheur de l’homme sur la terre.
—————––
SUR LA NÉCESSITÉ
DE SOUMETTRE À DIEU NOTRE VOLONTÉ.
C’est vers toi seul que je veux élever mon cœur, source primitive de tout bien, de toute vérité, de toute beauté. C’est toi seul qui dirigeras ma raison, ma volonté, mon activité ; tu seras mon unique moteur.
Je repousserai tout ce qui n’est pas toi. – Tout ce qui est toi, je le recevrai à bras ouverts. – C’est toi seul que je veux rechercher sans cesse. J’aimerai tous les hommes pour l’amour de toi ; je supporterai leurs défauts pour l’amour de toi ; pour l’amour de toi, je leur pardonnerai. Je te chercherai dans les choses qui passent, comme celui qui ne passe jamais ; dans les êtres sujets au changement, aux variations, je te chercherai comme celui qui n’éprouve ni variation ni changement.
Mon humble raison sera toujours la règle de ma volonté, et c’est toi qui dirigeras ma raison. Je l’affranchirai de ses erreurs et de ses préjugés ; je purifierai mon cœur de ses passions et de ses mauvais penchants. C’est ton esprit qui doit diriger le mien ; ton amour est la flamme dont mon cœur doit brûler : je veux ne rien négliger pour établir l’ordre et l’harmonie partout ; je veux tout rapporter à toi, source de l’ordre ; je veux régler ma raison, ma volonté, mes actions ; et quand j’aurai mis l’ordre en moi-même, alors je tâcherai de l’établir autour de moi, je tâcherai de tout rapprocher de toi.
Je te fais le sacrifice du principe de tous mes défauts, de mes préjugés, de mes penchants et de mes passions ; je t’immole ma volonté tout entière. Qu’elle expire sur ton autel ! tu dois seul constituer toute mon essence ; tu dois seul m’animer ; que telle soit l’alliance que je fais en ce jour avec mon divin Créateur ! J’immole en moi le vieil homme... fais de moi, par ton esprit, un homme nouveau, au nom de Jésus-Christ, ton fils, notre Seigneur.
—————––
SUR LA PRÉSENCE UNIVERSELLE DE DIEU.
Lorsque le Sauveur des hommes lutta contre la mort, lorsque, dans ce jardin de douleur, son esprit s’éleva vers son Père, lorsque le sang et l’eau, ruisselant sur son corps, humectèrent le terrain sous ses genoux affaiblis... dans ce moment terrible, il nous enseigna une vérité qui sera toujours incontestable tant que l’espèce humaine existera. Se levant tout à coup, il dit à ses disciples qui dormaient : L’esprit est docile ; la chair est faible.
Ce partage commun à tous les êtres, cette pesanteur terrestre, mon âme l’éprouve aussi quand elle veut s’élever jusqu’à la Divinité.
Je me prosterne dans la poussière, ô mon Dieu ! pour t’adorer et t’adresser mes humbles suppliques. Daigne entendre la voix d’un être faible et borné ; ne te refuse point à ses prières ; remplis mon âme de feu, et qu’elle s’élève jusqu’à toi. Tu es présent en tous lieux ; tu m’environnes, ô mon père ! que ma réflexion s’arrête ici ! que je savoure cette délicieuse pensée de ton universelle présence ! Que sera pour un faible mortel la vue de l’Éternel face à face, si la simple idée de ta présence m’inspire déjà des forces surnaturelles ! que sera-ce de ton aspect pour moi, souverain arbitre, Dieu tout-puissant !
Nul œil n’a vu, nulle oreille n’a entendu, le cœur d’aucun homme n’a senti, malgré la violence de ses désirs et de ses élancements vers Dieu, ce que Dieu prépare à ceux qui l’aiment. Qu’il est peu d’hommes dont l’œil voie le Créateur dans les choses créées ! qu’il en est peu qui comprennent cet être incréé, au milieu des ravages de la tempête et du fracas bruyant de la foudre ou dans le doux murmure d’un ruisseau ! qu’il est peu de cœurs pénétrés d’une sainte frayeur par la présence de Dieu !
Permets à ma pensée de s’élever jusqu’à ton trône environné de tes chérubins :
Que l’idée céleste de ta présence en tous lieux ne m’échappe jamais, afin que, m’accoutumant à la méditer, je me prépare à te contempler un jour face à face dans ton sanctuaire.
Je porte mon œil autour de moi, je l’élève vers le ciel, et je vois que le Seigneur est partout.
Ô terre ! réjouis-toi ; masse de poussière dont le premier homme fut tiré, terre où je passe ce temps d’épreuve qu’on appelle vie, terre où je suis exilé, mais d’où je dois sortir victorieux de la mort au jour de la résurrection ; terre, réjouis-toi : Dieu, le Dieu éternel daigne t’honorer de sa présence.
Je parcours les œuvres de la création : une fleur attire mes regards ; c’est avec un saint respect que je la cueille, car c’est Dieu qui l’a produite ; et Dieu n’est-il pas dans cette fleur ? C’est avec un saint respect que je sens l’haleine du vent qui souffle et qui purifie l’air, car c’est l’Éternel qui lui commande de souffler et de purifier l’air, et l’Éternel accompagne partout ce vent.
Réjouis-toi de ta destruction, ô mon corps ! car l’Éternel sera présent à l’endroit où s’opérera ta destruction. Réjouis-toi ; tes débris seront dispersés sur les hauteurs et dans les profondeurs de la création ; en quelque lieu que soit portée ta dépouille, en quelque lieu que repose un jour ta poussière, l’Éternel s’y trouvera. Les hauteurs de la terre s’abaisseront, les profondeurs de la terre se combleront, que l’Éternel, présent partout, saura tirer encore du sein de la poussière des êtres immortels.
Louange au Créateur, louange au bienfaisant Destructeur, louange au Dieu tout-puissant ! j’élève mon œil au-dessus de moi, et je suis convaincu que le Seigneur est partout. C’est toi, soleil, flambeau de la terre ; c’est toi, globe terrestre ; c’est vous, astres, lune, satellites de la terre, qui m’attestez sa divine présence autour de moi.
Voile mystérieux qui couvres les mondes, nous apercevons l’Éternel à travers ton obscurité, comme nous l’apercevons au milieu des paroles mystérieuses de l’Écriture.
Je vis, j’existe à la surface de cette terre. Qu’est-ce que mon corps auprès de ces mondes dont le nombre est inconnu même aux anges ?
Qu’est-ce que mon âme auprès de ces mondes innombrables ? Cependant cette âme immortelle, cette âme rachetée par le sang de Jésus Christ, est bien plus près de la Divinité que tous ces mondes, car ces mondes ne pensent point ; ils ne sentent point ta présence.
C’est dans un solennel silence que je te rends grâces de m’avoir donné la pensée ; c’est avec des larmes de joie, c’est avec des transports inexprimables de plaisir, que je te rends grâces, ô mon père ! quand je sens ta présence.
Ce sont des instants de grâce, des instants de miséricorde, que ceux où tu fais passer dans mon âme le sentiment céleste de ta toute-puissance. C’est pour moi le bonheur suprême. Mon âme soupire après de pareilles sensations, comme les ossements desséchés soupirent après leur résurrection. Je me prosterne la face contre terre, ô mon Dieu ! je me prosterne en toute humilité devant toi. Puissé-je plus profondément encore prosterner mon néant devant ton élévation !
Tu penses, tu sens, ô mon âme ! mais tu penseras un jour avec plus de sublimité, tu sentiras avec une plus grande effusion de bonheur, quand tu verras celui par lequel tu fus, tu es et tu seras ; celui qui fut et qui sera de toute éternité.
Ô toi que mes paroles ne sauraient peindre, fais que ta présence invisible éclaire et relève mes pensées ; être incréé, dirige-les vers toi ; remplis de ton feu céleste tous mes sentiments, afin qu’ils s’élèvent jusqu’à toi, le premier des êtres ! Que suis-je auprès de toi ? sans celui qui s’est offert pour mon salut, je serais indigne de toi ; sans lui, ta présence serait pour moi le feu dévorant, le feu de la vengeance.
Le ciel et la terre passeront, tes promesses ne passeront point, ô mon Dieu ! Depuis le premier être qui a failli, jusqu’au dernier racheté, qui doit ressusciter au son de la trompette sacrée, tous ont été secourus par toi ; tu les assisteras toujours.
Ce sont des paroles de vie éternelle que Jésus-Christ prononça dans sa prière, avant d’aller au jugement de Gethsémani... Que le ciel les répète ! que le ciel et la terre les répètent !
« Fais qu’ils ne soient tous qu’un seul, ô mon père, comme tu es en moi et moi en toi. Fais qu’ils ne soient qu’un en nous, moi en eux, et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits de toute perfection ! »
C’est ce que tu peux opérer par ta présence, Seigneur, en la rendant sensible à mon cœur et à mon esprit.
Ô paroles de la vie éternelle ! que le ciel les répète ! que le ciel et la terre les répètent !
—————––
SUR LA SAGESSE DIVINE.
Quand je considère la bonté, la sollicitude et la sagesse du Créateur, du maître de l’univers, je me perds dans mes méditations et je me prosterne dans la poussière, sans trouver de paroles pour le louer dignement.
Il n’y a que mon cœur et mes affections qui puissent pénétrer jusqu’à lui.
De quelque côté que je porte la vue, j’aperçois les ouvrages de son amour. Le soleil se lève revêtu de gloire et de majesté ; il dore le firmament et la vaste étendue des cieux ; son aspect réjouit toutes les créatures qui respirent, et ce soleil est l’ouvrage de ce Dieu magnifique, de ce Dieu tout-puissant.
La nuit étend son voile ; d’innombrables points lumineux tempèrent les ténèbres ; ils m’invitent à t’adorer, ô mon Dieu ! Partout j’aperçois les œuvres de ta sagesse ; tout m’annonce ta présence, ta grandeur, ton amour. Partout je trouve le temple de la Divinité.
Les doux zéphyrs agitent mollement l’air qui m’environne ; la rosée bienfaisante descend et rafraîchit le sein de la terre ; chaque goutte de pluie verse l’abondance et la fertilité dans nos champs. Tout annonce ta sagesse, Seigneur, tout annonce ta bonté. Ta magnificence s’étend aussi loin que les nuages, aussi loin que les étoiles, où ma vue se perd et se confond.
Le sable de la mer, la tempête qui soulève les flots écumeux, le vermisseau qui rampe dans la poussière, m’annoncent ta sagesse, aussi bien que ces beaux fruits qui décorent les arbres. Les moissons ondoyantes, l’antique forêt chenue, la prairie émaillée de fleurs, proclament ton amour et ta sagesse. Le chef-d’œuvre de ta sagesse, c’est l’homme ; l’homme doué d’un corps que ta main se plut à former d’une si prodigieuse manière, l’homme à qui tu donnas l’esprit et l’intelligence pour te connaître, et le cœur pour t’aimer.
Ô partie vivifiante de mon être ! ô mon âme, ô mon esprit ! enfant du Père éternel, élève-toi jusqu’à celui qui t’a créé ; célèbre son nom, espère en lui, ne cesse jamais de servir et d’aimer celui qui t’aimait avant même que tu fusses capable d’amour.
—————––
SUR LE JOUR ANNIVERSAIRE DE NAISSANCE.
Je te rends grâces, ô mon Dieu ! de la vie que tu m’as donnée ; c’est toi qui m’as tiré du néant. Ma vie est un présent de ta bonté ; c’est par ta grâce que je suis encore vivant. N’est-ce pas toi qui m’as conduit dans les voies de ce pèlerinage et qui m’as conservé jusqu’aujourd’hui ?
Qui m’a donné tant de jours heureux ? qui m’a fait goûter le bonheur de la vie, si ce n’est toi ? quel autre s’est chargé d’adoucir mes peines dans le malheur ?
Quel autre apportait de la consolation à mon âme, lorsqu’elle était oppressée par la douleur et par la misère ? quel autre que toi recueillait les larmes que je versais dans le silence de la solitude ? Tu pensais à moi, Seigneur, avant même que je pusse penser ; tu comptais mes larmes avant même que je connusse pourquoi je pleurais, et tu me consolais avant que je susse définir la consolation.
Combien de fois, me voyant écarté du sentier de la vertu, ne me donnas-tu pas des avertissements paternels ! combien de fois ne brisas-tu point les chaînes de fer qui m’attachaient au péché ! Tu m’ôtas ces chaînes dans ta miséricorde, et tu m’accordas mon pardon, comme le plus tendre des pères et le plus généreux des amis.
Je chancelais et tu me soutenais ; j’étais près de tomber, et tu t’empressais de me retenir. Si je t’abandonnais, c’était toi qui revenais me chercher ; et lorsque je retournais à toi, tu m’ouvrais de nouveau ton sein paternel. Oh ! qu’elles sont infinies mes obligations envers toi, pour la manière admirable dont tu m’as conduit dans la carrière de la vie ! Je veux consacrer cette journée tout entière à ma reconnaissance envers toi, Seigneur, pour tes innombrables bienfaits, et si tu daignes prolonger mes jours, donne-moi, je t’en conjure, un cœur docile et qui ne t’abandonne jamais. Prive-moi de tout, ô mon Dieu ! mais ne m’ôte point ton amour.
—————––
SUR LA MISÉRICORDE DE DIEU.
Mon âme s’élève avec confiance vers Dieu, vers le Dieu de miséricorde. Son plus beau titre n’est-il pas celui de père des hommes ? Mais il n’en est pas moins aussi le Seigneur, le maître de toute la nature. Il parle, et les mondes rentrent dans le néant. Une mer de félicité entoure son trône. Oh ! puisse-t-il permettre qu’une goutte de cette mer détrempe mon palais, afin que je me fasse une idée de cette félicité qu’il réserve aux hommes qui l’aiment !
Tu sais le nombre des jours que je dois encore passer sur cette terre, ô mon Dieu ! ils sont écrits dans ton livre ; et dans ce livre de ta prévoyante sagesse sont écrites aussi toutes mes pensées ; chacune de mes actions y tient sa place. Pourquoi faut-il que les bonnes y soient en si petit nombre, et que les mauvaises s’y multiplient sans cesse ? Qu’il serait affreux pour moi, ce livre, sans ta miséricorde ! mais tu blanchiras, comme la neige, la noirceur de mes péchés. N’es-tu pas mon père, un père indulgent, et mon libérateur en qui je place ma confiance et mon espoir, sans crainte d’être abandonné ? La miséricorde et le pardon sont tes attributs. Seigneur, pardonne-moi, j’espère en toi. Que la terre s’écroule, j’espère en toi ; que mon terrestre vêtement soit détruit, j’espère en toi ; que je sois moi-même réduit en poussière, ma poussière ne cessera d’espérer en toi.
—————––
SUR LA NÉCESSITÉ DE RECOURIR À DIEU
POUR MAÎTRISER NOS SENS ET NOS PASSIONS.
Que suis-je sans la bonté paternelle de Dieu ? Aussi ne cesserai-je pas de m’écrier : Ô mon Dieu, ne m’abandonne point : vois comme les ennemis de mon salut me dressent des embûches. Leur amorce est la sensualité, cette sensualité que je porte sans cesse avec moi. Le monde profane me sourit avec une trompeuse douceur. La volupté m’appelle, les corrupteurs me sollicitent, et, pour m’attirer, ils boivent à mes yeux, jusqu’à l’ivresse, dans la coupe du plaisir. Ô mon père ! sois mon sauveur. Fortifie-moi, pour que je ne me laisse point séduire à leur voix perfide, et que je ne porte jamais mes lèvres à cette coupe enchanteresse du vice.
Seigneur, quels seraient mes moyens de résistance par moi-même ? Si tu ne me fortifies, Seigneur, je succombe. Ne m’abandonne point, car j’ai confiance en toi. Prive-moi de mon œil, s’il voit faussement les objets ; rends mon bras impuissant, s’il veut toucher aux fruits qui lui sont défendus ; détruis ce vêtement de chair, s’il est en danger de t’offenser ; réduis-le en poussière, mais épargne mon âme ; elle est ton ouvrage. Eh ! voudrais-tu détruire l’œuvre de tes mains divines ? C’est ce que tu ne feras point, Seigneur ; tu m’accorderas au contraire la puissance et la force. Que les sens alors me provoquent au combat, tu seras mon bouclier ; ton nom sera le glaive avec lequel je combattrai ; ma victoire sera ton ouvrage. Prends pitié de celui qui combat.
—————––
SUR LES GRÂCES ÉMANÉES DE DIEU.
Ce Dieu, le père des hommes, le bienfaiteur des créatures, l’ami des mortels, le protecteur des malheureux n’est-il pas tout amour ? Le ciel et la terre ne le proclament-ils pas de la manière la plus solennelle ?
Le soleil et la lune qui luisent avec tant d’éclat sur nos têtes nous annoncent son amour.
Les étoiles qui brillent dans l’obscurité nous annoncent son amour.
Les zéphyrs qui rafraîchissent nos joues brûlantes nous annoncent son amour.
Les fleurs qui réjouissent la vue par la beauté de leurs couleurs nous annoncent son amour.
Les moissons dorées qui remplissent nos granges nous annoncent son amour.
Les raisins qui mûrissent sur la vigne nous annoncent son amour.
Les nappes d’eau qui tombent du haut des rochers nous annoncent son amour.
Les ruisseaux qui serpentent au milieu des prairies nous annoncent son amour.
Les herbes qui croissent au bord des rivières nous annoncent son amour.
Les oiseaux qui chantent dans les bosquets nous annoncent son amour.
Les poissons qui fendent l’onde nous annoncent son amour.
L’ombre qui nous rafraîchit lorsque nous avons à souffrir de l’ardeur du midi nous annonce son amour.
Les fraîches matinées du printemps nous annoncent son amour.
Les fécondantes chaleurs de l’été nous annoncent son amour.
La fertilité de l’automne nous annonce son amour.
Le repos de la nature durant l’hiver nous annonce son amour.
Les plaisirs d’un beau matin nous annoncent son amour.
La chaleur vivifiante du midi nous annonce son amour.
Le repos de la soirée nous annonce son amour.
La tranquillité de la nuit nous annonce son amour.
La structure admirable de notre corps est un présent de son amour.
La sensibilité de nos organes, source de nos plaisirs, est un présent de son amour.
Le délicieux parfum dont s’enivre notre odorat est un présent de son amour.
L’objet qui, par sa beauté, charme notre œil, est un présent de son amour.
L’harmonie qui flatte notre oreille est un présent de son amour.
Tous nos sens enfin (dont il nous est permis de jouir, mais sans toutefois en abuser) sont des présents de son amour.
Le charme qui s’attache à l’existence est un présent de son amour.
Le bienfait du sommeil est un présent de son amour.
La douceur du repos est un présent de son amour.
La joie d’un heureux réveil est un présent de son amour.
Le bonheur de sentir l’amitié est un présent de son amour.
Le sentiment de l’amour pur est un présent de son amour.
Notre bien-être est un présent de son amour.
Notre santé est un présent de son amour.
Notre conservation est un présent de son amour.
Nos joies domestiques sont des présents de son amour.
L’ami qui nous chérit est un présent de son amour.
Le père qui vit pour nous est un présent de son amour.
La mère qui prend soin de notre enfance est un présent de son amour.
Le frère qui nous aime est un présent de son amour.
La sœur qui nous est chère est un présent de son amour.
L’enfant qui nous intéresse est un présent de son amour.
Le prince qui travaille à notre bonheur est un présent de son amour.
Le juge qui veille pour nous est un présent de son amour.
Le pain dont nous sommes nourris est un présent de son amour.
Le breuvage qui étanche notre soif est un présent de son amour.
L’air que nous respirons est un présent de son amour.
La vie dont nous jouissons est un présent de son amour.
Nous reconnaissons tous son amour.
Nous espérons tous en son amour.
—————––
SUR LES SENTIMENTS INTÉRIEURS DE L’ÂME
ENVERS LA DIVINITÉ.
Ô toi, source éternelle de tout bien, toi de qui tout nous arrive, par qui tout se conserve, à qui tout doit retourner pour l’accomplissement des sublimes desseins de ton amour et de ta sagesse ; toi qu’on pourrait appeler l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le principe et la fin ! toi, dont la puissance et l’amour firent tout naître, dont la sagesse et la vérité conservent tout, dont la justice et la bonté règlent tout ! principe de l’harmonie et des accords, amour, vérité, sagesse, bonté, ordre et beauté de toutes choses ! je me prosterne devant toi ; je reconnais que je ne suis rien sans toi, que je suis tout par toi.
Nul ne peut atteindre jusqu’à toi... comment pourrais-je m’en rapprocher ? Tu es la force, je suis la faiblesse mème ; tu es la pureté par essence, je suis tout couvert de souillures. Mais c’est toi qui m’invites ; la voix de ton amour se fait entendre dans toute la nature ; cette voix, le héraut de ta majesté suprême, m’appelle, elle appelle tous ceux que le poids de la peine oppresse.
Lumière des lumières, pénètre-moi de tes rayons ; que ta présence chasse de mon âme les ténèbres, comme le soleil au milieu de sa course fait disparaître l’ombre ! Fournaise d’amour, que tes flammes purifient tout ce qu’il y a de souillé dans mon cœur ! Force à laquelle toutes les autres forces tendent comme à leur centre, attire à toi de nouveau mon âme immortelle ; que tout ce qui est de moi soit anéanti ! que ta seule essence constitue la mienne ! que je devienne l’organe de ton Verbe ! que ton esprit vive et se meuve en moi !
Dépose l’appareil de ta justice, Dieu de bonté ; ta vue me causerait la mort, car quel est celui qui peut ne pas être anéanti devant ton tribunal auguste ? revêts-toi de bonté ; tends-moi les bras comme le fait un bon père pour recevoir l’enfant dont les soupirs l’appellent.
Montre-toi sous les traits de ton amour : c’est là ton premier attribut. Reçois-moi dans ton sein, et que m’y nourrissant de ton divin amour, j’y puise la vie spirituelle. C’est vers toi, mon Dieu, vers toi, l’amour le plus pur, que mon esprit s’élève ; laisse-moi me perdre dans ta profondeur.
Imprime en moi la vertu de ta trinité ; que mon intelligence, ma volonté, toute mon activité, se confondent et ne fassent plus qu’un avec toi, l’intelligence infaillible, la volonté souveraine, l’esprit infiniment pur.
Que ta magnificence s’imprime sur mon front en caractères lumineux ! mais que ton amour soit gravé dans mon cœur en traits de flammes ! Puissent mes yeux ne plus voir que ta lumière ! mon oreille ne plus entendre que ta sainte harmonie ! Puissent tous mes sentiments se confondre dans le sentiment de ton ordre incomparable !
Souverain du ciel et de la terre, tu parles, et les tempêtes se taisent à ta voix, les vagues se calment... n’es-tu pas le maître de toutes choses ?
Souviens-toi donc de l’alliance que tu as faite avec ton peuple ; souviens-toi de ta promesse, lorsque tu te montras pendant la nuit à Salomon, que sa prière fut exaucée par toi, que tu choisis, pour y recevoir les sacrifices de ton peuple, le temple qu’il te bâtissait. « Quand ce peuple, lui dis-tu, quand ce peuple qui porte mon nom se convertira, qu’il me priera, cherchera ma face, abjurera le mal, et fera pénitence, je l’écouterai du haut des cieux. Je lui pardonnerai ses péchés et lui porterai des secours dans ses maux. »
Écoute donc notre prière ; notre cœur se convertit à toi... Dieu bienfaisant, écoute ton propre amour, ton Verbe qui s’est fait homme pour nous et qui n’a point craint de verser son sang pour tous les pécheurs. Écoute ce Verbe, c’est la voix de Jésus-Christ ; il prie pour le pécheur qui se jette dans ses bras.
Nous savons que notre langue mortelle n’est pas digne de prononcer son nom glorieux ; mais que sa grâce et sa miséricorde soient elles-mêmes les organes de notre cœur, et qu’ainsi ce saint nom pénètre jusqu’à ton trône ! qu’il implore ta bénédiction sur nous qui sommes pécheurs !
« J’en jure par toi-même, j’en jure par l’âme qui vit en toi, je ne t’abandonnerai point », voilà les paroles du Seigneur. Ne nous abandonne donc pas, nous qui mettons notre confiance en toi ; fais descendre sur nous ta vertu suprême, Être souverain à qui tout doit la vie, et que notre foi donne la santé à nos âmes ainsi qu’à nos corps !
—————––
EN TERMINANT LA JOURNÉE.
Comment remercier Dieu pour tous les biens dont il m’a comblé pendant cette journée ?
Qui m’inspirera des sentiments de reconnaissance dignes de sa bonté, d’une bonté d’autant plus grande qu’elle est moins méritée ?
Qui m’inspirera des paroles à l’aide desquelles je puisse dignement publier ses louanges ? Je ne puis que lui dire : « Tu es mon père, tu es le Dieu d’amour. »
Pour moi, je suis une faible créature, une créature indigne de ta grâce et de la miséricorde que tu ne cesses d’exercer envers moi, Seigneur. Je ne suis même pas digne de t’appeler mon père. Que de bienfaits n’as-tu pas répandus sur moi dans ce jour ! Tu m’as conservé, tu m’as vêtu, tu m’as nourri ; tu as détourné de ma tête mille espèces de malheurs qui pouvaient fondre sur moi.
Il faut maintenant que j’interroge mon cœur, et que je l’interroge avec sincérité : comment ai-je passé cette journée ? Suis-je devenu meilleur ? Ai-je été plus vertueux et plus digne de mon père céleste ? Ce jour qui vient de s’écouler m’a rapproché davantage de la fin de ma vie sur la terre ; me suis-je rapproché de même de la perfection chrétienne ? Il faut que je me demande si j’ai fait, aujourd’hui, moins de mal ou plus de bien qu’hier ; si je ne suis pas tombé dans les mêmes fautes dont je me suis repenti hier, ou dont j’aurais dû me repentir.
Accorde-moi, mon Dieu, cet esprit de fermeté nécessaire dans la pratique du bien, et que je n’achève pas cette journée sans être devenu meilleur et plus agréable à tes yeux... Tous les péchés que j’ai commis dans ce jour se retraceront à ma mémoire avant mon sommeil ; non-seulement tous mes péchés, mais aussi tous les bienfaits dont je te suis redevable, en ma double qualité d’homme et de chrétien, afin que pénétré d’une honte salutaire et d’une véritable componction, je puisse toujours compter sur ta miséricorde et sur la grâce.
Ô mon père et mon juge, toi pour qui rien n’est caché, témoin de mes actions les plus secrètes, de toutes mes paroles, de toutes mes pensées, je vais m’examiner en ta présence... Ne s’est-il point élevé de pensées et de désirs sensuels en moi ?
Ne suis-je pas, aujourd’hui, retombé dans les fautes qui me sont ordinaires ?
Ai-je toujours surveillé avec soin mes inclinations et mon cœur ?
Ai-je observé, dès leur naissance, les premiers mouvements de sensualité ? Ai-je fait en sorte de les étouffer ?
Ai-je mis un frein à mes sens, et un mors à mes désirs ? et me suis-je efforcé de préserver mon cœur de la tentation ?
Ai-je fermé mes yeux et mes oreilles aux attraits du péché ?
N’ai-je pas cherché, n’ai-je pas fait naître l’occasion de me livrer à des œuvres de volupté ?
Ai-je été modéré dans les plaisirs de la table ? et lorsque la bonté de Dieu me donne tout en abondance, ai-je songé à mes frères qui sont dans le besoin ?
N’ai-je pas abusé de tes dons, Seigneur ?
Ai-je été circonspect dans mes discours, réservé dans mes actions, dans mes démarches ? Ou me suis-je livré à toutes les impulsions, à tous les désirs de mon cœur ?
Me suis-je laissé entraîner à ce que ma conscience réprouvait, à ce que je savais devoir déplaire à Dieu ?
Ai-je arrêté, dans des vues désintéressées, les mouvements déréglés que je sentais s’élever dans mon âme ?
Suis-je disposé sincèrement à réparer, autant qu’il est en moi, par un redoublement de soins et de prévoyance dans mes paroles et dans mes actions, tout le mal que je puis avoir commis ?
Me trouvé-je assez de franchise et de droiture pour avouer, pour reconnaître mes fautes, devant ceux qui en auraient été les témoins et qui pourraient en être scandalisés ? Ou mon amour-propre s’occupe-t-il à celer les faiblesses de mon âme, à les excuser, à les colorer, aux yeux du monde comme aux miens, de prétextes spécieux ?
Qu’avec sincérité ou non je réponde à ces questions importantes, tu connais cependant le fond de mon cœur, ô Dieu, mon créateur et mon juge ! mais si je cèle mes fautes, comment pourrai-je m’en repentir et trouver grâce devant toi ?
C’est pourquoi j’avouerai toutes mes iniquités, Seigneur, et je ne déguiserai rien à tes yeux ; c’est ainsi que mon cœur s’humiliant devant toi, j’éprouverai la consolation que tu m’as promise. Je reconnais et je déplore mes nombreux péchés ; accorde-moi la grâce de les reconnaître encore mieux et d’en sentir plus profondément l’énormité. Qu’aucune de mes fautes n’échappe à mes regards ! pardonne-les-moi toutes, préserve-moi d’y retomber à l’avenir et fais-moi de plus en plus avancer dans l’œuvre de ma sanctification. Que, par ton secours, je combatte, je surmonte tous les jours avec plus de facilité les mouvements déréglés de mon cœur et de mes passions !
Je t’en supplie, Dieu d’amour, ne permets point que quelqu’un souffre des fautes que j’ai commises en ce jour. Que ta providence, dont l’œil embrasse tout, détourne les maux que pourraient avoir occasionnés mes erreurs ; préserve aussi mon âme d’en souffrir. Rétablis, par ta toute-puissance, tout ce que j’ai négligé ; répare en moi, comme dans les autres, le dommage que j’ai causé.
Je vais encore interroger mon cœur sur ma conduite envers les autres hommes, mes frères, afin de reconnaître jusqu’à quel point j’approche de ton amour.
Me suis-je aujourd’hui montré doux et bienfaisant ? N’ai-je pas été dur, impatient, emporté ?
N’ai-je point cherché mon intérêt avec passion, et ne me suis-je point abandonné à la colère pour le défendre ?
N’ai-je point été soupçonneux, mal pensant ? Ne me suis-je pas réjoui du mal des autres, de l’ironie dirigée contre eux, de la méchanceté ?
Ai-je pris une part active au bien, à l’utile, au vrai ?
Ai-je supporté tout avec la patience convenable ?
Ai-je toujours jugé mon prochain le plus favorablement possible ?
Ai-je souffert avec résignation, espéré avec confiance ?
Mon Dieu ! je n’ignore point combien je suis encore éloigné du pur amour ; mais tu connais mon cœur et ma volonté ; que ton amour répare ce qu’a négligé le mien ! Bénis tous les hommes, et répands tes bienfaits sur tous, même sur ceux qui me veulent du mal. Pardonne-moi comme je leur pardonne, et ne permets pas qu’il reste un seul mouvement de haine dans mon âme. Remplis mon cœur de cet amour dont tu aimes tous les hommes, afin que je devienne digne d’être ton fils.
Maintenant, ô mon Dieu ! qu’un nouveau jour s’est écoulé, pardonne encore, pardonne-moi toutes les fautes de cette journée, et ne me prive pas de ta grâce, durant la nuit qui s’avance. Détourne de mon habitation les malheurs, les craintes, les dangers ; accorde-moi, accorde aux miens et à tous ceux qui mettent en toi leur confiance, un sommeil tranquille et fortifiant.
Sois la force des faibles, la consolation des misérables et le secours de ceux qui sont délaissés.
Prends pitié de tous les indigents, de tous les malades, de tous les malheureux ; adoucis, abrège cette nuit pour ceux qui souffrent ; diminue la douleur et le chagrin qui les oppressent ; donne de la force à leur esprit, de la consolation à leur âme ; que leur misère soit moindre demain qu’aujourd’hui !
Prends pitié de tous les pécheurs, vivants ou mourants ; dis au cœur de tout affligé qu’en toi seul il trouvera de la consolation, et fortifie-le contre ses peines, par ta grâce, par ton amour.
Si ce jour doit être le dernier de ma vie, si cette prière est la dernière que je t’adresse, prends aussi pitié de moi, Seigneur, et que la pensée de la mort, qui pourrait si facilement se réaliser, n’ait rien d’effrayant pour moi ; ferme doucement mes yeux à la lumière, recueille-moi dans ton sein, ô mon père, auteur de la vie, toi qui es tout amour.
—————––
SUR LA MORT.
Qu’est-ce que la mort ? Qu’a-t elle de si terrible ? Pourquoi craindrais-je la mort qui me ramène dans tes bras, Dieu d’amour ? L’enfant doit-il trembler, lorsqu’il retourne dans la maison de son père ? Le nourrisson doit-il pleurer, lorsque sa mère l’approche de son sein ? N’es-tu pas le Dieu d’amour, le Dieu qui ne hait aucune de ses créatures ? et je tremblerais lorsque tu m’appelles ! Non, père des hommes, et par conséquent aussi mon père, je ne te craindrai point, toi que mon cœur aime, toi mon unique espoir, toi qui verses tant de plaisirs sur la vie, toi dont la sagesse a tout arrangé pour le bien-être de tes créatures ; ta bonté se signale et ton amour éclate jusque dans la destruction des choses créées. Cesserai-je d’exister par la mort ? – Non sans doute ; j’entre dans un meilleur monde, je me rapproche de toi, je me dépouille de ce corps matériel qui me séparait de toi. La mort est plus effrayante pour celui qui contemple le mourant que pour le mourant même ; elle est le terme de nos maux, elle nous dérobe aux injustices des hommes, aux persécutions d’un monde corrupteur.
Nulle sensation douloureuse ne pèsera plus sur ce cœur dont le battement a cessé ; nulle larme ne mouillera plus cet œil qui se ferme pour l’éternité. Je viens à toi, Seigneur, à toi que mon âme adore, tu prendras soin de ma destinée. Le ver file son tombeau, s’y renferme et meurt ; mais il renaît papillon brillant et léger dans les beaux jours du printemps : reptile autrefois, il se traînait dans la poussière ; maintenant il folâtre au milieu des fleurs.
Le faible grain de froment enfoui dans le sein de la terre s’y développe et devient un épi magnifique. Tout se métamorphose et se reproduit ici-bas ; tout s’élève par degrés jusqu’à la perfection ; et moi qui suis homme, moi, ta créature, l’empreinte de ton image, je serais plus chétif qu’un grain de froment, je serais moins favorisé qu’un ver !... Ô pensée injurieuse à ton amour ! Dieu n’est-il donc pas le père des humains ? Il les aime, et le rapprochement vers un centre d’unité n’est-il pas la tendance de l’amour ? Le père n’aspire-t-il pas au retour du fils qui s’est éloigné de lui ? La mère ne gémit-elle pas en l’absence de ses enfants ? L’oiseau ne couvre-t-il point de ses ailes sa tendre couvée, le fruit de ses amours ? Et toi qui nous aimes plus qu’un père, plus qu’une mère, tu serais indifférent envers les hommes !... Qu’ils te connaissent mal ceux qui te jugent ainsi ! Mais tu paraîtras, dit-on, tel qu’un juge sévère qui me demandera compte des actions de ma vie. Oui, tu paraîtras en juge, mais non point en juge semblable aux juges de la terre, qui trop souvent ne poursuivent avec ardeur le crime qu’afin de pouvoir châtier le criminel ; qui se croient meilleurs que d’autres, parce qu’ils sont établis pour les juger. Non, Seigneur, tu n’es point un juge de cette espèce : en devenant le juge des hommes, tu ne cesses pas d’être leur père.
Tremblerais-je devant mon père s’il devenait tout à coup mon juge ? et si je suis coupable à tes yeux, n’es-tu pas aussi miséricordieux que juste ? Ne ressembles-tu pas au bon pasteur qui parcourt les déserts, qui franchit les montagnes et qui gravit péniblement les rochers, pour ramener à son troupeau la brebis égarée ? Si cette brebis revient d’elle-même au bercail, le pasteur l’égorge-t-il ou l’abandonne-t-il en proie à la voracité des animaux féroces ? Quelle pensée indigne de toi, Seigneur ! quel être rempli de passions dans ce portrait qui ne peut être le tien ! Non, non, tu ne ressembles jamais aux hommes susceptibles de haine.
Oh ! combien je t’ai mal jugé depuis ma jeunesse ! je te croyais pareil aux faibles mortels : Dieu d’amour, pardonne-moi de t’avoir méconnu.
Tu es l’amour, l’amour le plus pur, et jamais homme n’aima comme tu aimes.
L’amour des hommes, le plus parfait même, n’est qu’une faible étincelle auprès de ton amour : cette connaissance me ramène dans tes bras, Seigneur ; elle enchaîne mon âme à toi pour jamais. À présent je mourrai volontiers quand tu l’ordonneras, et de la manière que tu l’ordonneras. Ton amour sera mon soulagement dans mes douleurs et ma consolation suprême à la mort. Si tu daignes au contraire prolonger ma vie, prolonge-la seulement assez pour que je puisse réparer encore les fautes que j’ai commises en manquant d’un véritable amour ; accorde-moi te loisir de former mon cœur et mon âme tels que tu les veux ici-bas.
Mais si c’est ta volonté que je cesse de vivre, pardonne-moi des erreurs terrestres ; songe que je suis un faible mortel ; oublie le pécheur, et ne considère en moi que ton enfant qui retourne dans les bras du plus tendre des pères pour implorer grâce et pardon.
—————––
VŒUX POUR LA PATRIE
ET LE SOUVERAIN 4.
Seigneur, Dieu des armées, j’élève mes regards vers ton trône suprême ; n’es-tu pas notre Dieu ? tu parles, et les mondes naissent à ta voix ; d’un signe tu les fais disparaître. Tu tiens dans tes mains puissantes ce globe fragile, tu pèses ses destinées, et la nature obéit à ta volonté... Rien n’est comparable à ta sagesse, à ton pouvoir, à ta force irrésistible ; c’est toi qui distribues les couronnes et les sceptres. L’élévation ou l’abaissement des puissances de la terre sont les résultats des impénétrables conseils de ta providence.
Jette un regard favorable sur ma patrie, ô mon Dieu ! ne permets point que l’esprit de désordre y pénètre. Puisse-t-elle présenter toujours le satisfaisant aspect d’une famille unie ! Resserre de plus en plus les liens qui l’attachent à son chef ; remplis notre cœur de sentiments d’obéissance et de fidélité pour notre souverain ; n’oublions jamais que c’est toi qui l’as mis au-dessus de nous ; orne-le de toutes les vertus qui font la prospérité d’un peuple ; que ta sagesse le dirige dans les voies difficiles du gouvernement, et que ta force l’aide à soutenir le poids dont tu l’as chargé ! Que ta justice l’inspire dans les punitions qu’il inflige, comme dans les récompenses qu’il décerne ! Qu’il regarde sans cesse comme un dépôt précieux la vie et le bonheur des hommes, tes enfants, que tu as confiés à ses soins ! Qu’il ne tire jamais le glaive que pour la défense de son peuple, et que la paix soit le but constant de ses démarches et de ses pensées ! Éclaire-le dans le choix de ses ministres et de ses conseillers ; qu’il accueille le langage de la vérité, et qu’il ferme l’oreille aux insinuations perfides des flatteurs mercenaires qui chercheront à le circonvenir ! Fais qu’il soit le père du pauvre et le protecteur de l’innocence opprimée ! qu’il respecte ta sainte religion, qu’il soit le modèle des princes et ton image sur la terre ! Permets, Seigneur, que l’aspect de ses États florissants et les bénédictions de ses peuples soient sa récompense, en attendant que tu remplaces, sur son front vénéré, la couronne terrestre par une couronne éternelle, par une couronne brillante des rayons de ta gloire.
Karl von ECKARTSHAUSEN, méditions religieuses recueillies
et traduites par le baron Gosvin-Joseph-Augustin de Stassart
dans Œuvres diverses du baron de Stassart, 1854.
1 Il n’en existait qu’une mauvaise traduction, d’ailleurs très-incomplète, in-32. Cologne, M. Odendall, 1795.
2 Plusieurs théologiens ont cru devoir blâmer, sous le rapport de l’orthodoxie, certaines prières d’Eckartshausen, notamment celles de la messe. Aussi me suis-je abstenu de les conserver ici.
3 Dans une édition imprimée à Lille, on a cru devoir substituer au singulier le pluriel comme plus respectueux envers la Divinité. Cette opinion n’est point fondée. Le tutoiement me semble avoir ici plus de noblesse et de solennité.
4 Ce morceau n’est point d’Eckartshausen, mais il a figuré déjà dans les dernières éditions de Dieu est l’amour le plus pur.