Ladislas Jagellon et la bataille de Varna
Matériaux inconnus relatifs aux évènements qui occasionnèrent le désastre et la mort de Ladislas Jagellon à Varna.
Histoire de la Bulgarie par Joseph-Constantin JIRECEK (page 363-6).
L’avènement de Ladislas III, roi de Pologne, au trône de la Hongrie fut le signal de grands évènements en Orient. Les regards de la Chrétienté étaient fixés sur Jean Hunyad, qui anéantissait successivement, aux pieds des Carpathes, deux armées ottomanes (Metig-Bey avait été battu en Transylvanie le 25 mars 1442, Sahin-Pascha le 6 septembre 1442 en Valachie).
Il est certain que ce guerrier d’une haute valeur, signalé dans les chants populaires serbes sous le nom de Sibinjanin Janko (Jean d’Hermannstadt, chez les Byzantins Jaggos), était d’origine roumaine et connu sous le diminutif de Jankul (Schmidt : Die Stammburg der Hunyade in Siebenbürgen, Hermannstadt, 1865-78).
Le roi Ladislas entreprit une campagne en 1443. Parmi les troupes hongroises et polonaises se trouvaient aussi 600 chariots de guerre tchèques sous les ordres des commandants Jenik, Jüngeren von Meeker et Uhersko. Georges Brankovic, despote serbe, qui tenait beaucoup à l’expédition, en faisait aussi partie. Les détails sur cette entreprise hardie ne sont pas encore suffisamment relatés.
Les plus vraisemblables nous paraissent être ceux donnés dans les récits, publiés en Pologne, du serbe Michel Konstantinovic, qui, vers la fin du XVe siècle, avait participé comme janissaire aux campagnes du sultan Mohammed II.
L’armée était partie de Buda (Ofen) au mois de juin ; elle détruisit sur son passage Krusevac (Uladzahissar), Nis (Nich), Pirot, et, traversant sans peine les défilés, entra à Sophia. Trois jours de marche seulement la séparaient de Philippopolis. On avait joui constamment du beau temps et les approvisionnements avaient été suffisants. Les Bulgares accueillirent avec empressement leurs sauveurs, notamment les Polonais et les Tchèques, avec lesquels ils s’entendaient facilement. Tous les jours des volontaires Serbes, Bosniaques, Bulgares et Albanais venaient renforcer l’armée chrétienne qui, continuant sa marche, franchit les portes de Trajan et traversa la crête entre les Balkans et Sredna-Gora (près Mirkovo), jusqu’à la ville bulgare de Zlatica, située sur le versant de la mer Égée. Son but était de pénétrer par la vallée de Topolnica dans la plaine de Philippopolis, mais les Janissaires, occupaient les défilés, et le roi Ladislas se vit obligé de reculer. Dans sa retraite, l’armée incendia Sophia. On apprit à Pirot que Murad était à sa poursuite.
À Kunovica, entre Palanka et Nisch, se trouve un passage important, au versant des Balkans et de Sucha Planina, sur la route de Sophia à Belgrade, qui a conservé l’antique dénomination de redoute de Kunovica 1. À peine l’armée avait-elle pénétré dans les montagnes et les bois que les Turcs attaquèrent Brancovie, qui formait l’arrière-garde.
Le roi, laissant l’infanterie à la surveillance des bagages, s’empressa d’aller au secours de ce dernier. Les Turcs furent battus et mis en déroute. Parmi les morts, se trouvait un parent de Murad, auquel on éleva dans le village de Tamjanica un monument avec une inscription turque qui existe encore aujourd’hui. Mahmud Celebi, beau-frère de Murad, fut fait prisonnier.
Après la victoire, l’armée chrétienne résolut de passer l’hiver dans la plaine de la Dobrica, aux-affluents de la Morava et de la Toplica, mais le manque d’approvisionnements fit abandonner ce projet. Beaucoup de chevaux étant tombés, on dut brûler une partie des chariots et abandonner le butin pour faciliter le mouvement de retraite. L’armée victorieuse entra triomphalement à Buda, en février 1444.
Les Turcs furent obligés de conclure la paix de Szegedin, en juin de la même année. On stipulait que la Bulgarie entière resterait au pouvoir des Turcs ; en retour, Brankovic reprenait toute la Serbie 2. La Moldavie demeurait sous la dépendance hongroise.
Mais la même année, à l’instigation du nonce du Pape, le cardinal Julian, la paix fut rompue. Malgré les remontrances de Brancovic, le roi Ladislas et Hunyad, auquel la Bulgarie était promise, se mirent en campagne, en septembre, avec des forces inférieures à celles de l’année précédente. De sombres pressentiments avaient précédé le départ du roi. Après le passage du Danube à Orsova, on se dirigea sur Florentin et on arriva, en six jours, à Bdyn qui fut incendié.
Tandis qu’on assiégeait en vain Nicopolis, le voïvode moldave Drakul arrivait au camp ; malgré ses remontrances, on continuait d’avancer sans rencontrer aucune trace des troupes ottomanes. La brutalité des soldats qui ravageaient le pays exaspérait la population. Sumen ayant été pris d’assaut, on arriva à la mer Noire et on occupa sans résistance Varna, Kalliakra et Kavarna.
Cependant Murad II était arrivé d’Asie et livrait la bataille de Varna (10 novembre 1444). Le roi Ladislas succomba sur le champ de bataille ; les débris de l’armée chrétienne se réfugièrent en Valachie, en Serbie et en Albanie. Ce fut la dernière tentative de l’occident chrétien pour affranchir la Bulgarie. (Leunclavius, Hist. turc. 558 ; Szafarick : Pam, 78 ; Zinkeisen, loc. cit. I, 626, 649, 705. – Mich. Konstantinovic, Kap. XXIV).
Dr A. STEKERT.
Paru dans le Bulletin polonais en février 1893.
1 L’ancien défilé de Kunovica a été décrit par F. Kanitz : Donau, Bulgarien und der Balkan (Leipzig, 1875. I. 170-172).
2 Avec Smederevo, Golubac, Krusevac, Novo Burdo, Prokoplie, sur la Toplica, Leskovac sur la Morava et Zelenigrad près de Trna (d’après Dlugosz ; très défiguré chez Zinkeisen : Die Zusammensiellung türkischer und occidentalischer Berichte, I. 611-621 ; très exact chez Hajek, chroniqueur tchèque (418-6), qui a beaucoup emprunté à Konstantinowic (Kap. XXII. Serb. im Glashik 1891).