Le protestantisme

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Madame SWETCHINE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après avoir étudié l’histoire ecclésiastique, avoir observé sous tant de formes l’orgueil humain qui commence toujours par le raisonnement et finit par la révolte, je ne suis pas étonnée que les sectes croient toutes avoir raison. Je le serais plutôt que chacune d’elles ne crût pas avoir seule raison. Mais qu’on admire ici la force de la vérité : chaque novateur commence par se montrer très-exclusif ; un peu de temps se passe et ses continuateurs ne le sont plus. D’où cela provient-il ? Évidemment d’un travail de la conscience, mais d’un travail incomplet qui ne va pas jusqu’au bout de sa carrière.

Ainsi, par exemple, les protestants du XVIe et du XVIIe siècle, affirmaient sans hésitation qu’on ne pouvait faire son salut dans le sein de l’Église catholique ; aujourd’hui, il n’y a pas une communion, pas une secte, pas même un protestant isolé qui voulût soutenir une telle opinion.

 

 

Les protestants d’Allemagne sont généralement panthéistes ou naturalistes, et cela se conçoit facilement. Luther ayant brisé le lien vivant qui rattache l’élément supérieur à l’élément humain, on était dès lors mutuellement conduit à dire ou que tout est Dieu ou que tout est matière.

Depuis quelque vingtaine d’années, les naturalistes attaquent l’élément divin, tandis que le protestantisme orthodoxe, au contraire, anéantit l’élément humain. Le catholique, lui, a l’avantage de trouver dans sa foi la liberté et la grâce, le divin et l’humain ; disons mieux, son symbole est l’unité des deux natures ; il embrasse et confond le rationalisme et le panthéisme.

Les matérialistes trouvent dans la doctrine de Luther le droit de rejeter ses propres enseignements, et c’est là le secret de leur penchant pour la réforme. D’une autre part, les protestants ne sauraient logiquement exclure les matérialistes de leur communion, et c’est tout ce qu’ils ont de commun avec eux. Unies dans un même antagonisme contre l’Église romaine, les deux erreurs s’attaquèrent l’une à la racine, l’autre aux branches ; mais l’arbre est resté debout dans sa vigueur.

 

 

Que les catholiques se consolent d’être appelés papistes ; les ennemis des premiers chrétiens ne les nommaient-ils pas galiléens ! L’hostilité suit la même marche, elle ressent les mêmes emportements et affecte les mêmes mépris.

Tout ce que le protestantisme a ôté de positif à la religion, il l’a placé dans les intérêts de la vie, il s’est assuré des biens de la terre par la sécularisation, de la félicité du monde, par le mariage de ses ministres et leur immersion dans toutes les joies humaines.

Le vague, l’indécis, le flottant, le protestantisme l’a relégué dans la sphère où l’erreur et la vérité ne portent que des fruits immatériels. Pleine liberté de se sauver ou de se perdre, mais sans que les biens de cette terre soient jamais compromis.

Le protestantisme n’est qu’une contraction ; c’est un système qui rétrécit, dessèche, amoindrit le christianisme ; un système qui n’existe que par la négation, qui dispute, qui conteste et qui se pare des lambeaux qu’il arrache. Le protestantisme forme un contraste radical avec cette dilatation, cette expansibilité qui, dans le monde physique, est une des conditions de la chaleur, et dans le monde moral, donne naissance à la céleste charité. Le protestantisme, c’est le christianisme pris de glace et attendant, pour se répandre en eaux bienfaisantes, une de ces brises tièdes d’un ciel apaisé.

« La religion n’a qu’un esprit, me disait M. Desjardin, c’est l’esprit catholique, l’esprit d’expansion. »

Si l’Église cessait de subsister, les sectes séparées ne puisant plus leur force factice dans l’opposition et la haine, n’en conserveraient plus aucune. L’ombre disparaîtrait avec la lumière, et la terrible uniformité des ténèbres s’étendrait à tout.

 

 

N’est-il pas curieux que le protestant, qui ne veut pas des saints, invoque leur opinion quand il croit pouvoir se la rendre favorable, et prétende imposer leur autorité d’une manière infiniment plus absolue qu’aucun catholique n’a jamais essayé de le faire. Pour nous autres qui professons le culte des saints et en faisons un article de notre foi, le saint, le plus saint des hommes, peut se tromper comme le plus simple mortel, et lors même que sa sainteté est décrétée, nous ne sommes pas assurés de pouvoir embrasser aveuglément toutes les propositions contenues dans ses écrits. Les protestants, moins réservés, prétendent trancher la question de la grâce en s’appuyant sur l’opinion de saint Augustin. Philosophiquement, on ne saurait soutenir que le salut est attaché à la foi en dehors de tout concours, de tout effort, de toute participation de la part des hommes ; c’est une proposition absolument insoutenable au jugement de l’esprit humain.

Ainsi, d’une part, les protestants, qui s’appuient toujours sur la raison, partent d’un point que la raison repousse absolument ; et de l’autre, ils s’étaient d’une autorité récusée par eux-mêmes.

 

 

Les livres protestants, même les meilleurs, ne possèdent qu’une spiritualité faible et languissante, et c’est sans doute pour cela, que certaines personnes charitables croient pouvoir en recommander la lecture aux intelligences qu’un premier rayon de la grâce vient de toucher.

Ces livres, étant plus près de l’esprit des formes et du langage du monde, paraissent par cela même, propres à préparer la transition entre le monde et la vraie, haute et profonde piété. Ils ménagent encore les anciennes idoles que cependant ils veulent renverser ; ils leur substituent une sorte de fantôme, qui leur ressemble par bien des côtés. Pour soumettre la raison ils commencent par la flatter, espérant sans doute qu’enivrée de cet encens, elle ne demandera plus tard qu’à se perdre dans l’amour divin.

Les livres du protestantisme ne sont vraiment utiles au monde qu’en raison du mal même que le protestantisme lui a fait. Toutefois, on pourrait peut-être admettre ces moyens de transition pour les esprits qui ont pâti davantage de cette triste influence. La raison marche et ne vole pas, elle monte péniblement les degrés que la simplicité franchit ; à la simplicité, je me garderais d’indiquer de tels moyens, je lui conseillerais le chemin le plus court.

« Vous autres de l’Église d’Angleterre, disait Charles II aux évêques de son royaume, quand vous disputez avec les catholiques, vous employez les arguments des puritains ; mais quand vous disputez avec les puritains, vous prenez aussitôt les armes des catholiques. »

 

 

La religion du Verbe devait naturellement s’étendre par l’enseignement oral ; des bibles ne suppléeraient des missionnaires, tout au plus, que comme des machines là où les bras manquent.

 

 

 

Madame SWETCHINE, Méditations et prières,

publiées par le comte de Falloux,

de l’Académie française, 1863.

 

 

 

 

 

 

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