De la vérité du christianisme

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Madame SWETCHINE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES MIRACLES ET LA DOCTRINE. – Rayez les miracles, et tâchez d’expliquer l’influence exercée par Moïse et Jésus-Christ sur leur temps.

Laissez subsister les miracles en rayant la doctrine, et voyez si l’Évangile enlèverait les esprits. Les deux sont nécessaires, mais les temps semblent avoir leurs préférences ; les uns sont plus accessibles à l’action extérieure, les autres à l’action du dedans.

 

 

INTÉGRITÉ DE LA FOI. – Toutes les vérités religieusement crues moins une, équivaudraient à la négation de toutes les vérités.

Cela paraît excessif ; mais la morale fait-elle différemment ? Reconnaîtrions-nous son caractère sacré dans un code qui légitimerait une infraction notable à un de ses préceptes ? Le christianisme n’en demande pas davantage. Qu’on applique à la foi, pour la faire complète, ce qu’on exige de la morale pour être reconnue intégrale, il en résultera que quiconque nierait un seul dogme en se soumettant à tous les autres, serait aussi coupable d’erreur, que celui qui à la pratique de toutes les vertus, joindrait l’abandon à un seul vice.

 

 

TÉMOIGNAGE DES PROPHÉTIES. – Les deux plus grands, plus anciens, plus importants témoignages rendus à la divinité du christianisme sont d’une part les prophéties accomplies dans l’état du peuple juif, de l’autre, les promesses accomplies dans la suite non interrompue des successeurs de saint Pierre. Ces deux puissants et visibles arguments, contemporains de l’établissement du christianisme, ont son impérissable durée ; visibles sur la terre, ils sont encore le type des deux états de la vie à venir, le triomphe de la justice et le triomphe de la miséricorde.

 

 

LES MOYENS D’ACTION DU PAGANISME. – Qu’on dépouille le paganisme de son luxe de vie extérieure, de ses arts, de son étroite liaison avec les institutions civiles, avec tous les intérêts de la patrie terrestre, de ses fêtes, de ses enivrantes couronnes, de ses plaisirs corrompus ou efféminés, de cette pompe du culte qui s’alliait à celle de la nature ; de cette fête perpétuelle dans laquelle il jetait la vie et qui contrastait si étrangement avec elle ; qu’on le dépouille de tant de prestiges, et puis qu’on juge si un moment il aurait pu s’en passer. Qu’on lui ôte ces moyens de séduction et d’empire sur l’imagination, et on le verra s’évaporer comme quelques grains d’encens aux rayons du soleil, ne laissant après lui que les débris des faibles et incertains supports qui l’établissaient dans la conscience des hommes.

 

 

PROGRÈS DU CHRISTIANISME. – Qu’est-ce qu’on a jamais pu voir de semblable dans l’univers aux rapides et solides progrès du christianisme, à la force ascendante d’une institution qui s’assimilait les idées et les mœurs, qui concentrait toutes les influences morales pour dominer par elles ? La force, la gloire des armes, un système tout sensuel explique sans difficulté l’entraînement des nations de l’Asie sous les drapeaux de Mahomet ; mais une loi d’amour céleste et d’intelligence pure subjuguant un peuple grossier, est un phénomène qui, cette fois seulement, apparut sur la terre.

Douze hommes ont concentré en eux toute la lumière évangélique.

Du temps d’Abraham, également pendant que la terre était déjà peuplée, la vérité divine se confiait par une révélation toute particulière, à un homme qui n’était le chef que d’une famille. Toujours la même économie providentielle : agir par les unités sur les masses, les opposer au monde, resserrer la lumière, pour ainsi dire, afin de la rendre plus vive.

 

 

LA RÉDEMPTION. – Unité des familles, unité des nations, unité du genre humain qui, aux yeux de Dieu, n’est qu’une grande famille et par conséquent solidarité pour tous ! La rédemption est la confirmation de cette idée, Dieu est venu pour tous, il nous a regardés tous comme ne formant qu’un homme. Honneur, gloire à celui-là seul qui a pu nous aimer tous, comme un père aime son fils, le frère son frère, l’ami son ami !

 

 

LA RÉVÉLATION. – Dieu supplée à toutes les omissions, à toutes les ignorances qu’il ne nous impute pas. Ne nous étonnons pas de nos surprises et de nos incompréhensions dans la conduite de Dieu à notre égard. Dans l’état actuel de nos intelligences, aucune vérité haute, aucune appréciation juste ne nous eût été possible sans la révélation implicite d’abord, explicite plus tard, qui nous en a été faite. Dieu a toujours parlé au monde, et le genre humain a vécu sur la parole de Dieu plus ou moins explicite. Les rayons partis du centre de vérité et de puissance, ont porté partout la lumière ; tous les peuples comme tous les individus ont eu une part de cette vérité que la pensée du Très-Haut a voulu communiquer et s’est attachée à répandre. Si l’homme, à lui tout seul, n’eût jamais trouvé les vérités consacrées comme devoirs dans le Décalogue, n’est-il pas plus sensible et plus évident encore que jamais les béatitudes ne seraient tombées sous son sens. Il a donc fallu que Dieu consacrât dans les consciences, les grâces qu’il voulait faire respecter.

Le génie a beau faire des trouées dans le ciel, il retombe grossièrement l’instant d’après ; toujours inégal à la grande tâche de la recherche de la vérité, incapable d’arriver par lui-même à sa libre et paisible possession, l’homme fait des prodiges d’intuition ; il entrevoit, il saisit, mais ne possède, ne tient la vérité, n’est sûr de la tenir que lorsqu’elle lui vient de Dieu.

 

 

LA VITALITÉ DU CHRISTIANISME. - Quand on voit la religion chrétienne persécutée dans tous les lieux, à toutes les époques, il est simple d’en conclure que le premier caractère de la vérité, est de subir la persécution. On dirait que c’est là son état normal ; car la persécution n’étant autre chose que la lutte violente des deux principes qui se partagent le monde, c’est dans ce mouvement et dans cette action que la vérité se développe, se dégage et se purifie. Aussi, jamais ne brille-t-elle ni si pure, ni si forte, ne vit-elle d’une vie si féconde, si propre et si intense, que lorsqu’on croit la tuer dans ceux qui la défendent.

 

 

GUSTATE ET VIDETE. Goûtez et voyez ! – Il y a des mondes qui restent fermés pour ceux qui ne veulent pas y pénétrer. Le monde de la science n’est point pénétré par l’ignorant ; le monde artistique par l’homme étranger aux arts ; le monde des passions, par le cœur resté tranquille. Le monde spirituel serait-il donc le seul dont on eût le droit de parler sans le connaître ? Pour l’homme placé en dehors de chacun de ces mondes, ils sont parfaitement incompréhensibles, il faut en avoir franchi le seuil pour se convaincre de leur très réelle existence. L’homme ne sait guère que ce qu’il a senti, ni comprendre complètement peut-être que l’impression qu’il a subie. Ainsi, la vie dans sa plénitude ne se représente pas la mort, la santé ne se rend pas compte de la maladie ; tout, dans les infirmités et l’affaiblissement de l’âge, est encore lettre close pour la jeunesse ; le monde spirituel dans sa réalité sainte n’est compris que par le chrétien.

Gustate et videte, c’est la condition universelle pour savoir et juger. Mais, si chaque monde offre à celui qui l’habite son point de départ, ses moyens, son but, combien ne doit-il pas être plus simple, plus nécessaire, que le monde pour lequel tous les autres sont faits et qui les résume, se place à leur tête, même rationnellement. Le monde spirituel procède par une marche à peu près analogue à celle que présentent toutes les initiations : d’abord quelques éléments saisis, quelques lueurs douteuses qui permettent d’apercevoir les ténèbres visibles du néant de toutes les choses qui passent ; on marche à tâtons à ce qu’on croit déjà pouvoir appeler du nom de crépuscule, et puis on aperçoit plus distinctement les objets, leur accord, leur régularité, leur beauté, leur harmonie éternelle ; le jour se lève enfin, le jour est levé. La perfection considérée comme moyen et Dieu seul comme but, fait entrevoir le secret de la destinée humaine. L’âme, pour la première fois, prend un juste sentiment de sa force et pour la première fois aussi elle aperçoit au-dehors d’elle, le point d’appui qu’elle invoquait en vain pour soulever le fardeau de ses misères. L’admiration s’ajoute à la surprise lorsqu’elle voit que l’appui divin venu à son secours, ne lui propose que des lois déjà gravées en elle-même, au dessus d’elle, mais en harmonie avec elle ; que le bonheur qu’elle appelle et dont elle a soif est précisément celui qui lui est promis. Ses promesses ne peuvent avoir rien de fallacieux, car à chaque pas fidèle, s’attachent des gages divins d’une félicité plus grande que la félicité déjà goûtée, et l’âme, en avançant, est éclairée, rassasiée, fortifiée. Plus de doute, plus d’hésitation, le monde spirituel révélé ainsi n’a ni ombre, ni mystère. Les vicissitudes, les inconstances s’agitent encore dans l’arène du combat, mais l’âme sait enfin où est l’immuable ; elle sait où ses sacrifices et ses efforts pourront lui faire trouver un jour sans limites, sans interruption, sans mélange, enfin ce qu’elle a poursuivi inutilement en elle et hors d’elle.

Et l’on voudrait que cela seul qui est, aux yeux qui ont pu tout comparer, fût la seule chose qui ne fût pas ! On voudrait que cela seul qui ne donne pas de mécompte, qui tient plus qu’il ne promet, qui donne comme par surcroît des biens que le monde convoite et qu’il empoisonne, fût un don misérable et vain ! que ce qui n’a jamais causé un regret aux approches de la mort, fût une faiblesse dans le cours de la vie ! Ah ! si l’erreur pouvait porter de semblables fruits, à quels caractères reconnaître la vérité ?

 

 

LE MONDE SPIRITUEL ET LE MONDE NATUREL. – La religion révélée aux hommes devait nécessairement être conçue sur le même plan que l’univers qui a été créé pour eux. Elle devait se composer d’un corps visible et d’une âme cachée, et nous imposer dans le culte la dualité qui est en nous-mêmes.

Les lois que Dieu, être immatériel, impose aux purs esprits, doivent différer de celles qui nous sont imposées, en différer non par leur essence, mais par leur manifestation. Aux esprits, Dieu ne parle qu’esprit ; aux intelligences liées indissolublement à des corps, Dieu parle un double langage, afin que la loi puisse les embrasser en totalité. De là vient que dans l’ordre auquel nous appartenons, tout principe spirituel doit se revêtir d’une forme, et que notre tâche est de le dégager de cette forme sensible. Quand ce principe spirituel appartient à la région de l’intelligence, nous arrivons en le dégageant, à la vérité. Quand il appartient à la région des sentiments, à la région morale, en le dégageant des passions, des désirs, des volontés de la nature, nous arrivons à la vertu.

Vérité et vertu, voilà les deux pôles de l’axe moral : la vérité qui est la vertu de l’esprit et la vertu qui est la vérité des choses du cœur. Vérité et vertu, deux forces latentes que nous devons tirer de toutes les choses extérieures, et faire triompher par le sacrifice de tout ce qui combat en nous contre elles.

 

 

TRAVAIL DE DIEU DANS LES ÂMES. - Encore ici les choses spirituelles ont précisément la même marche que celles de la nature ; on ne voit ni on n’entend croître l’herbe des prés, ou la laine des troupeaux, et pas davantage l’action de Dieu sur le cœur de l’homme. Elle commence souvent sans date précise, prend son accroissement dans le silence et dans l’ombre ; on sait à peine qu’elle est, puis un beau jour on aperçoit un fort et vivace rejeton qui s’appuie sur de profondes racines. Ce rejeton se laisse oublier encore, et puis à travers mille dangers, mille traverses et des luttes contre d’innombrables ennemis, il arrive, par une action difficile, à la plénitude d’une gloire très pure, celle de faire et de manifester la volonté de Dieu. Dans cette renaissance, l’âme sait à peine ce que Dieu veut lui dire, un état nouveau s’annonce à elle par des mouvements, des bruits étranges, par des paroles secrètes et cependant entendues. On y élève mille oppositions, tout en y songeant on s’en distrait et on revient à y songer encore ; des rêves on passe à la pensée qui articule enfin les impressions vagues. Ces pensées se succèdent, elles se multiplient, et puis l’ennemi vient et en apparence détruit la moisson. Quelques épis ont échappé ; ces épis sont pleins de bon grain, c’est l’action qui résulte enfin de la pensée victorieuse de l’hésitation. Cette action précise, positive, a presque toujours de la portée, et elle est quelquefois la pierre de l’alliance où le serment de Dieu vient défendre, contre leur inconstance, les serments des hommes.

D’autres fois, même pour ce qui doit surgir définitivement, le chaos vient encore remplacer la lumière, et la dévastation fait de nouveau disparaître le germe sans le détruire. Mais, qu’est-ce donc que cette chose si importante, qu’est-ce donc qu’un germe ? Un germe est à la fois la chose la plus petite et la plus puissante ; une chose qui commence tout et que rien ne peut commencer ; il n’y a rien avant lui, rien, absolument rien. On ne fait pas un germe comme il ne se fait pas. Dieu le crée en le douant de toutes les conditions de l’existence. Il est comme un point souvent imperceptible, et toujours insaisissable. C’est quelque chose qui est là, quelque chose de vivant, de fécond, d’actif, de puissant sors les apparences les plus contraires, et dont personne ne saurait expliquer la vertu.

Les faits historiques dans la conception divine, affectent les mêmes faiblesses, les mêmes mystères à leur origine, la même absence de couleurs tranchées. Sans doute les fins que se propose la Providence, soit dans le monde sensible, soit dans le monde des esprits, sont parfaitement déterminées, mais rien n’est moins annoncé.

Les gens passionnés et impatients voudraient faire prendre à Dieu la perpendiculaire ; les philosophes lui assignent la spirale ; mais avant de laisser surprendre sa marche, Dieu choisit ses routes et se plaît toujours à varier ses formes.

 

 

HARMONIES DU MONDE SPIRITUEL ET DU MONDE NATUREL. – Rien n’est identique dans ce monde et tout y est parallèle. Chaque chose peut être étudiée sous plus d’un aspect : les lignes qui représentent des ordres divers sont en rapport constant, elles se pénètrent par rayonnement mais en restant distinctes ; la nature, le monde moral, le monde intellectuel sont d’éternelles asymptotes, qui se rapprochent sans se toucher 1.

Chaque objet, chaque chose a sa philosophie, son sens positif, sa poésie, son sens rationnel. Si vous vous arrêtez à l’un d’eux, à l’exclusion des autres, d’une vérité partielle vous arrivez à une erreur d’ensemble ; vous faites pour l’intelligence ce que la maladie fait pour le corps, la maladie n’étant que le développement de la vie égoïste d’un organe au mépris de l’économie de l’organisation générale.

La vérité est dans la perception totale des parties qui composent un tout ; chacune demande une étude particulière. Il y a dans chaque objet, le point de vue spirituel, c’est-à-dire intérieur ; le point de vue moral, naturel, humain, dans le sens du contact qu’il établit entre les hommes ; le point de vue historique, c’est-à-dire le point de vue des faits, celui qui prend corps et place dans le domaine du temps. Tout cela est en puissance simultanée dans l’homme, en analogie avec la pensée qui a tout créé d’un mot.

Chaque homme peut être étudié comme individu ou comme type d’une race, et chaque fait comme réalité ou comme figure.

La vérité ne peut jamais se découvrir que dans l’intégralité d’un objet. Pour l’étudier on le divise, c’est l’œuvre de notre faiblesse ; mais c’est pour reconstituer son unité afin de la mieux connaître dans ce qui la compose. Ainsi, sous combien de faces la religion ne peut-elle pas être l’objet de notre étude ! Sa vérité, sa beauté, sa puissance, son utilité, sa perpétuité. On peut partir de chacun de ces points divers pour s’élever à l’unité qui les rassemble, comme aussi descendre de son immortelle unité à chacune de ses parties.

L’idée historique donne les faits et les dates dans l’ordre du temps ; l’idée morale, dans les fruits de salut ; l’idée spirituelle, dans le dessein providentiel.

Si on demandait ce qu’il importe de traiter le plus respectueusement dans la religion, de son histoire, de sa morale ou de son dogme, je demanderais à mon tour, ce qu’il serait permis de sacrifier dans l’homme des différentes parties qui le composent. Si on se représentait l’histoire de la religion par les parties osseuses, sa morale par les muscles, sa partie dogmatique et ascétique par les fibres et les nerfs, serait-il très raisonnable de demander lequel de ces trois éléments de la vie animale est moins nécessaire à sa conservation ? Un événement quelconque, pris au hasard, doit offrir selon la partie à laquelle l’étude s’attache, des enseignements divers également féconds : un enseignement de conduite humaine ou d’expérience, un enseignement moral, spirituel ou dogmatique. La complexité d’essence, réduite sous une même loi, ne forme qu’un seul tout.

 

 

LES DÉSORDRES DU MONDE PHYSIQUE ET LA DÉCHÉANCE DE L’HOMME. – Loin que l’impiété puisse se prévaloir des légers désordres qui apparaissent dans la nature, ils confirment dans toutes les parties de l’univers le dogme de la déchéance de l’homme qui fait la base de la religion révélée. S’il est tout simple que les chrétiens soient des membres souffrants, sous un chef couronné d’épines, je ne vois pas pourquoi le monde des corps n’aurait pas été entraîné par la chute des intelligences. Le caractère de la grandeur dans l’homme frappe bien plus que sa bassesse, partout le mal n’est que la négation du bien, le désordre la négation de l’ordre, ce qui prouve que c’est le bien et l’ordre qui sont l’état normal. Il en est de même pour la nature. Comme dans son maître, l’homme, tout ce qui ne porte pas le signe de la sagesse divine est une exception ; mais comme lui elle est punie, parce que dans lui elle a été coupable. C’est par le passé de l’homme que doit s’expliquer le passé de l’univers, leurs destinées présentes ne sauraient pas davantage être séparées ; le monde jusqu’ici a cheminé avec l’homme, seulement le monde à la fin des temps aura vieilli comme un manteau, et l’homme régénéré, vainqueur du monde et de lui-même par Notre-Seigneur Jésus-Christ, demeurera avec lui d’âge en âge.

 

 

ÉGALITÉ DES INTELLIGENCES DEVANT LA FOI. – Une des beautés de notre doctrine, c’est d’avoir gradué nos obligations sur nos forces individuelles en séparant le conseil du précepte, et d’avoir réuni en même temps tous les esprits dans un même symbole. De grandes disproportions existent parmi les hommes pour tout ce qui est d’exécution ; mais  lorsqu’il s’agit de croire, toutes les intelligences sont de niveau puisqu’elles sont toutes à une égale distance des vérités révélées.

 

 

LE DOUTE. – Le doute, dans les matières importantes, est coupable, s’il est sans souffrance et sans effort pour en sortir. À l’époque de l’émancipation de l’intelligence, à l’âge où le conflit des erreurs humaines la saisit et se presse autour d’elle, le doute peut venir de la force d’arrêt d’un esprit réservé et prudent ; plus tard il ne prouverait que la faiblesse. Le doute, dans la première hypothèse, est l’enfantement de la vérité, une sorte de crise où toutes les facultés, toutes les puissances de l’âme sont excitées par la poursuite de la vérité ; les ébranlements douloureux, les secousses, les déchirements accompagnent cet état auquel on peut appliquer les paroles de l’Évangile sur l’épouvante du dernier jour et si ces temps n’avaient été abrégés, nul n’y aurait résisté.

La définition de Fleury qui a dit : « Douter c’est ignorer » ne me paraît pas exacte. Il y a repos et absence de responsabilité dans l’ignorance, et c’est évidemment le contraire pour le doute.

Le doute est un don, le doute est une grâce. Quand les hommes l’excitent, il est stérile, il rend coupable ; quand Dieu le fait naître, le mal porte en lui-même son remède.

Zacharie doute, Élisabeth se trouble de sa joie même, Marie seule croit. Marie et Abraham, vrais et puissants modèles à travers les siècles, types de la foi, de la foi comme dévouement, de la foi comme sacrifice, de la foi qui accepte et s’humilie, de la foi qui se dévoue et s’exécute. La foi des deux sexes est marquée de son double sceau dans la foi de Marie et dans la foi d’Abraham.

 

 

LA RAISON ET LA FOI. – La philosophie hostile à la foi conduit fatalement à l’inactivité intellectuelle du scepticisme, et si la raison veut se retrouver elle-même, s’exercer noblement, largement, philosophiquement, il faut qu’elle retourne à la foi, parce qu’alors elle aura repos et activité dans une proportion exacte avec les forces de chaque intelligence.

 

 

LA LIBERTÉ ET LA FOI. – Pourquoi la foi n’enchaînerait-elle pas notre intelligence, comme la morale enchaîne nos actions ? Cessons-nous d’être libres pour être vertueux ? Pourquoi cesserions-nous d’être libres pour être croyants ? La véritable liberté ne s’exerce-t-elle pas toujours dans un espace donné ? ne lui faut-il pas un centre qui l’attire et une base qui l’appuie ?

 

 

LES OBJECTIONS CONTRE LA FOI. – Les obstacles à la foi ne sont dans les intelligences ni un signe de supériorité, ni un signe de faiblesse. Les plus hauts génies se rangent à cet égard dans les rangs opposés, et la même scission arbitrairement déterminée, se rencontre à tous les degrés de la hiérarchie intellectuelle.

La foi et l’incroyance ne s’expliquent donc pas par la force des intelligences respectives, mais peut-être davantage par leur trempe et leurs qualités spéciales. Quelque chose d’aiguisé et de fin dispose l’esprit incrédule à la recherche des objections ; l’esprit disposé à la foi procède par une manière plus large, plus haute et plus libre ; il est moins délié, mais beaucoup plus compréhensif. La tendance de l’un le conduit à l’analyse, celle de l’autre à la synthèse. La foi s’empare de prime abord de toutes les lois générales ; l’instinct raisonneur s’empare des exceptions ; l’une étudie les objets dans leur totalité, leur vertu, leur aspect général ; l’autre dans les détails de leurs innombrables divisions. Cette impossibilité d’expliquer la foi et l’incroyance par la seule trempe ou vigueur de l’intelligence, conduirait à penser que la principale force des difficultés vient d’ailleurs. Peut-être, en cherchant bien, trouverait-on que c’est toujours par une certaine disposition du cœur, par l’absence d’un instinct humble, doux et aimant, que l’incrédulité s’explique. Il y a dans le désir, même inarticulé, que Dieu soit, qu’il ait parlé aux hommes, il y a dans ce désir un des gages les plus certains de la foi, non que l’imagination crée ce qu’elle désire, mais parce que Dieu sanctionne la disposition volontaire et aimable qui prépare la vertu. C’est le plus beau et le plus imposant spectacle de ce monde, que le génie s’inclinant respectueusement devant la foi, seule force qui ne subjugue que pour élever et dont les conquêtes soient nos propres victoires.

 

 

L’AUSTÉRITÉ DU CHRISTIANISME RÉPOND AUX BESOINS DE L’ÂME HUMAINE. – On reproche au christianisme son coloris sombre, on l’accuse de tout expliquer dans le monde par le crime et la douleur, et de reléguer dans un avenir inconnu ces ineffables félicités, ces vives et enivrantes joies dont notre âme est avide. Mais la vie offre-t-elle un autre tableau dans ses redoutables réalités ? Tout souffre, tout gémit ici bas, et le christianisme, dans les faits historiques, dans les dogmes sur lesquels il s’appuie, dans la morale qui en découle, a résumé d’une main divine l’irréfragable et profonde misère de l’homme. L’enseignement du Christ s’adresse particulièrement aux coupables et aux faibles, hélas ! tous les hommes sont l’un ou l’autre ; sa religion appelle surtout les malheureux, voilà pourquoi elle est universelle. Elle détache du bonheur, n’est-il pas impossible ? Elle bénit les larmes, avons-nous un autre héritage ? Le christianisme nous annonce le Dieu trois fois saint, à qui il n’a pas suffi de créer l’homme, de le protéger, mais dont la miséricorde est descendue à l’aimer, à l’aimer le premier, à ne demander en échange de ce glorieux amour, qu’un amour qui soulage notre pauvre cœur de cette soif immense de bonheur, seul débris de sa grandeur primitive. En se donnant à lui, le Dieu des chrétiens donne à l’homme la certitude de pouvoir toujours aimer sur la terre, il ouvre devant lui l’espérance d’une vie de félicité, d’harmonie et de paix, il lui révèle le secret de ces désirs vagues et mystérieux qui, jusque dans les destinées les plus heureuses, entraînent puissamment vers un but innomé.

Le christianisme, c’est la solution de tous les problèmes au fond de l’âme humaine, c’est la dernière raison de Dieu. Son point de départ, c’est que l’homme trompant les magnifiques desseins de Dieu, a fait son sort ; c’est encore, que la profonde misère, dont il est l’artisan, modifiée sans cesse par une main réparatrice, peut s’élever de degrés en degrés à une réhabilitation complète.

Et quand il serait libre à vous de nier le bienfait du remède, le mal qu’il est venu guérir en subsisterait-il moins ? Quand vous retrancheriez de cette terre en bannissant le christianisme, toute solide, sincère et intime grandeur, toute réelle et haute spiritualité, tout sacrifice consciencieux fait du présent à l’avenir ; quand vous frapperiez par cela même le ciel de néant, la nature humaine porterait-elle moins sa large et saignante cicatrice ? en serait-elle moins ce que l’abjection du péché l’a faite ? En écartant le premier dogme du christianisme, l’homme coupable et malheureux par sa volonté, vous devrez en conclure que la pensée de Dieu s’est résolue tout entière dans une œuvre imparfaite, et vous êtes forcé de convenir que tout ce qui nous afflige, accuserait son impuissance. Ah, il n’en est pas ainsi ! l’univers est trop plein des preuves de la puissance divine pour que des lois sévères ou de légers désordres, soient autre chose que l’écho ou le reflet d’une prévarication primitive, qui, lorsque les temps de lutte et d’expiation seront accomplis, fera place au règne dont chaque jour nous rappelons la promesse.

La bonté de Dieu pour l’homme éclate en preuves trop nombreuses, pour que cette bonté même ait été enchaînée autrement que par le respect envers une volonté créée libre. N’oublions jamais que le suprême honneur de l’homme est dans la liberté morale ; on pourrait presque dire que Dieu a passagèrement sacrifié à cet honneur et sa propre gloire et le bonheur qu’il destinait à l’homme.

 

 

IMMUTABILITÉ DU CHRISTIANISME. – Que de menaces de chute, de décadence, de renversement total, n’ont pas frappé le christianisme depuis son établissement jusqu’à nos jours ? Que de forces invoquées contre lui, que de calculs limitant mathématiquement sa durée, que de profondes et insidieuses recherches pour découvrir et assigner en lui-même le principe de sa destruction !  Et cependant, il est là le christianisme, il est encore là, debout au milieu des clartés de la civilisation et de la science, éclatant de majesté, de force et de beauté, inébranlable et toujours semblable à lui-même. Au milieu des erreurs, des contradictions qu’on lui oppose, les masses ne se maintiennent que par lui, ses blasphémateurs vivent de ses bienfaits ; il règne tandis que ses ennemis conspirent.

 

 

Madame SWETCHINE, Méditations et prières,

publiées par le comte de Falloux,

de l’Académie française, 1863.

 

 

 

 

 

 



1 En géométrie, on nomme asymptote, une ligne qui, étant indéfiniment prolongée, s’approche continuellement d’une autre ligne aussi indéfiniment prolongée, de manière que sa distance à cette ligne ne devient jamais zéro absolu.

 

 

 

 

 

 

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