Notre-Dame d’Arabie

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

le R. P. THÉOPHANE DE SAINT-JOSEPH, o. c. d.

Ahmadi (Kouweit), Golfe Persique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Beatam me dicent omnes generationes. »

Les Arabes étaient-ils compris dans cette prophétie de la Toute-Sainte ? Oui, sans doute, à leur insu.

L’histoire nous dit peu de choses du christianisme primitif en Arabie. Dans le Yémen où, pendant quelques décades, dominèrent les Abyssins, la Très Sainte Vierge fut certainement vénérée sous l’influence de ce peuple qui lui était si dévot. C’est là que Nagra, ville de 20 000 habitants, fut saccagée et détruite par des hordes de Juifs, donnant ainsi au Christ autant de martyrs, avec leur vieux chef Saint Arétas : fait dans les annales de l’Église.

Le petit nombre de communautés chrétiennes que l’Islam submergea en Arabie étaient composées de dissidents Nestoriens, qui niaient la Maternité divine.

Mais dès le début de l’Hégire les louanges de Marie résonnèrent dans les tentes des Bédouins, comme dans les Mosquées de la Mecque et de Médine.

Quand le fidèle d’Allah lit le Chapitre III – Section 5 du Coran, au verset 41, il répète : « ... les anges dirent : Ô Marie, certainement Allah t’a élue et purifiée et choisie entre toutes les femmes du monde. »

Ne semble-t-il pas que ce soit là une paraphrase du salut d’Élisabeth à Celle qui chanta le Magnificat, « Vous êtes bénie entre les femme » ?

Il y a environ un siècle, en 1854, pour la première fois une église fut élevée en Arabie, à Aden. Elle était dédiée à la Sainte Famille. Ainsi en l’année même du triomphe de l’Immaculée, le culte marial commençait en cette terre.

Mais de cette extrême frange de la Péninsule, Marie décida de venir s’installer au cœur même de l’Arable, là où jamais encore le nom du Christ n’avait résonné.

À Kouweit, sur le Golfe Persique, un Missionnaire fut envoyé en 1948 pour prendre soin des catholiques de tous pays et de toutes langues, qui accouraient afin de travailler aux puits de pétrole récemment découverts et qui sont parmi les plus riches du monde.

C’était un Carme Déchaussé. Lorsqu’après quelques mois de travail intense il put transformer un hangar en chapelle, vous pouvez aussitôt deviner à qui il dédia sa « nouvelle église ». Reine du Carmel, tel est le nom qui se présentait à son esprit comme le meilleur. Le Mont Carmel n’est-il pas dans un pays Arabe ? Mais alors pourquoi ne pas La saluer comme Souveraine de son nouveau pays ? C’est ainsi, avec l’assentiment de l’Évêque, que naquit le titre de NOTRE DAME D’ARABIE.

Dans tout le désert d’Arabie, c’était la première église, la seule encore, en l’honneur de la Madone.

L’église était provisoire, mais la dévotion devait être stable. Le Père pensa aussitôt à faire sculpter une statue de sa Reine, une grande statue, copie exacte de celle qui est vénérée sur le Mont-Carmel. Le même artiste qui avait fait celle-ci sculpta la nouvelle à Rome.

Mais pouvait-elle venir de Rome sans avoir été bénie par le Pape ? Le pauvre Missionnaire rêvait, sans doute : un Cardinal lui fit répondre « impossible ». Mais à peine Pie XII, le Pape de Marie, eut-il appris cette demande qu’il répondit aussitôt oui. « Une statue de la Madone ? ajouta-t-il, mais bien volontiers ; certainement, certainement. »

Et le 17 décembre 1949, peu de jours avant l’Année Sainte, dans la salle du « Tronetto » au Vatican, la bénédiction fut donnée. Encore une demande : une photographie du Saint-Père à côté de la statue ; et de nouveau la réponse enthousiaste du Grand Dévot de Marie : « Près de la Madone ? oui, oui. »

De l’aéroport de la Ville Éternelle la statue prit son vol vers la terre de son trône, l’Arabie.

La population catholique de Kouweit attendait avec ardeur de pouvoir recevoir en triomphe la grande Reine. Des circonstances imprévues la firent arriver en la fête de l’Épiphanie. Combien elles sonnaient belles et prophétiques en ce jour, les paroles de la liturgie : « Les Rois des Arabes et de Saba apporteront des présents. » C’était afin de préparer la venue du Roi son Fils dans le cœur de tous les Arabes, que cette Reine, plus grande que l’antique « Reine de Saba », venait se fixer dans le pays.

La réception eut lieu près de la porte de la ville, dans un campement d’ouvriers de la Compagnie du pétrole. Festons et arcs de triomphe décoraient aussi les chemins d’alentour, excitant la curiosité et l’intérêt des Arabes.

À trois heures de l’après-midi la Sainte Messe fut célébrée devant la statue ; ensuite commença le cortège qui devait la porter à Ahmadi, où se trouve la chapelle. Mais auparavant les employés et les ouvriers voulurent faire une procession dans leur camp.

Enfin la longue file d’automobiles, exactement cinquante voitures, se mit en mouvement pour escorter le char triomphal de la Madone. Et pendant cinquante kilomètres la céleste Reine d’Arabie passa à travers les sables du désert, là où jadis ne passaient que les caravanes des pèlerins de la Mecque.

En route il y eut un arrêt dans un autre campement, en face de l’hôpital de la Compagnie. La statue fut déposée sous un pavillon bien orné (combien d’heures, dérobées au sommeil pendant plusieurs nuits, avait coûté cette décoration) et on chanta les litanies avec d’autres cantiques. Mais il fallait repartir et, quand le cortège arriva à son terme, il était déjà nuit. À l’entrée des habitations d’Ahmadi attendait une foule d’au moins cinq cents catholiques. De là, sur une distance de plus d’un kilomètre, s’avança la procession de tant de fils de la Madone, pleins de piété et de recueillement : la première en ce coin de terre. C’était à n’en pas croire ses yeux : en Arabie, où le fanatisme musulman est encore si fort ; au milieu de la curiosité et l’admiration de centaines de protestants et d’anglicans, Marie se montrait vraiment « Reine des cœurs ».

Enfin après la bénédiction solennelle du T. S. Sacrement et la statue posée sur son trône dans la chapelle, se déroula le défilé des fidèles qui allaient lui baiser le pied revêtu d’argent. Tant et tant de catholiques de douze nations différentes, Anglais et Palestiniens, Australiens, Américains du Nord, Indiens, Irlandais, Français, Pakistanais, Libanais, Syriens, Iraquiens, Iraniens. Mais à quand les Arabes ?

Au mois de mai dernier un jeune Bédouin, attiré par la curiosité, prit place dans l’église pendant une cérémonie mariale. À la fin, voyant les assistants qui allaient baiser le pied de la Madone, lui aussi s’avança, fit un dévot « salaam » et à son tour lui baisa le pied. Le Missionnaire le voyait et les larmes lui vinrent aux yeux : c’était le premier hommage d’un Arabe, un authentique fils du désert, à sa Reine.

Un jour ils seront nombreux les Arabes qui, comme le jeune Bédouin, viendront lui prêter obéissance et La saluer comme leur Mère et leur Reine. Reprenant le texte que leurs pères lisent depuis tant de générations dans leur livre saint, ils pourront lui redire : « Ô Marie, certainement Dieu t’a purifiée, prédestinée et sanctifiée entre toutes les femmes du monde. »

Voilà pourquoi Marie est « NOTRE DAME D’ARABIE ».

 

 

 

R. P. THÉOPHANE DE SAINT-JOSEPH, o.c.d.

 

Paru dans la revue Marie en novembre-décembre 1952.

 

 

 

 

 

 

 

 

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