L’hérésie albigeoise au temps d’Innocent III

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

E. VACANDARD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les auteurs qui ont abordé, directement ou indirectement, ce sujet au cours du XIXe siècle, sont si nombreux et si érudits 1 qu’on aurait pu croire épuisés les problèmes qu’il soulève. Dans son Cartulaire de Notre-Dame de Prouille, M. Jean Guiraud est cependant parvenu à en renouveler l’intérêt 2. Vers le même temps, M. Molinier en entretenait les lecteurs de la Revue historique 3. Mais il se trouve que les deux historiens, dont personne ne saurait d’ailleurs suspecter l’entière loyauté, arrivent, sur plusieurs points importants, à des conclusions difficilement conciliables. Il nous a donc paru utile de rechercher et de marquer, avec le plus de précision possible, où en est, après des études si variées et si approfondies, la question de l’albigéisme. Pour cela, la magistrale Introduction que M. Guiraud a placée en tête de son ouvrage 4 nous fournira presque toutes les indications dont nous avons besoin. Elle nous aidera notamment à rectifier le jugement que M. Molinier a cru pouvoir porter, hier encore, sur la portée morale et sociale de la révolution que l’hérésie cathare tenta d’accomplir au XIIIe siècle.

 

 

I

 

La valeur des documents forme, à elle seule, un véritable problème d’histoire. Le malheur veut, en effet, que la plupart, sinon tous, proviennent des adversaires du catharisme. Or, il est à peu près de règle en critique de se méfier de la probité de tels témoins. Aussi, en 1874, Albert Réville rejetait-il franchement, comme calomnieuses ou suspectes, les imputations contenues dans les écrits catholiques contre les Albigeois 5. M. Charles Molinier est bien près de prendre la même attitude : « L’historien, dit-il 6, n’est pas sans quelque embarras en face d’un néant aussi parfait de documents cathares. Des deux voix sur lesquelles il pouvait compter pour s’instruire, l’une a été radicalement étouffée. Nous n’avons plus que l’autre dont l’impartialité n’est rien moins que certaine, puisque c’est la voix des juges devenus trop souvent des bourreaux. » La difficulté n’est pourtant pas aussi grave qu’elle en a l’air. Bien que de source ordinairement catholique, les documents qui servent à l’histoire du catharisme sont de provenances diverses. Leur accord n’est pas sans former une puissante présomption en faveur de leur exactitude. Et il faudrait des raisons qu’on n’a pas pour écarter des témoignages qui, soit français, soit allemands, soit italiens, soit espagnols, se confirment l’un l’autre.

Pour nous en tenir au catharisme languedocien, ses théories dogmatiques et morales, ses agissements et les dangers qu’il faisait courir à la chrétienté sont suffisamment attestés par les documents qui nous restent.

Il y a d’abord les procès-verbaux de l’Inquisition. La plupart ont été perdus : « L’un d’eux toutefois figure encore de nos jours à la Bibliothèque municipale de Toulouse où il porte le numéro 609 ; les copies de plusieurs autres furent exécutées sur les originaux par ordre de Colbert et forment aujourd’hui plusieurs volumes de la collection Doat à la Bibliothèque nationale 7. »

Le manuscrit 609 de Toulouse renferme le résultat d’une enquête poursuivie de 1242 à 1247, par les dominicains Jean de Saint-Pierre Ferrier et Bernard de Caux, dans les villes, les bourgades et jusqu’aux plus petits hameaux du haut Languedoc. On interrogea « devant témoins des personnes de tout âge et de toute condition sur les doctrines, les croyances, l’organisation, l’activité de la secte albigeoise dans les cinquante années précédentes. Les réponses, plus ou moins détaillées selon la qualité de ceux qui les faisaient, furent soigneusement recueillies. La seule enquête de Bernard de Caux a centralisé les dépositions de cinq mille six cent trente-huit (5.638) témoins jurés ». Les manuscrits 25-28 du fonds Doat sont des copies d’enquêtes partielles du même genre. On y peut remarquer celles que dirigèrent « en 1273-1274 le dominicain Raoul, et en 1285-1290 le dominicain Guillaume de Saint-Seine, ainsi que les interrogatoires que fit subir aux hérétiques, à la fin du XIIIe siècle, le terrible évêque d’Albi, Bernard de Castanet 8. »

Dira-t-on que ces dépositions, influencées par la crainte qu’inspiraient les enquêteurs, sont dénuées de valeur historique ? Remarquons qu’on peut les contrôler les unes par les autres. Sur cinq mille six cent trente-huit témoins qui furent interrogés en 1244-1246 par Bernard de Caux, plus de cinq cents – soit environ un dixième – firent des confessions négatives. D’autres témoignages sont incomplets et portent sur un point déterminé sans égard aux autres questions. L’accord sur les points les plus importants indique bien que les réponses sont conformes à la vérité. Du reste, les inquisiteurs de 1242-1247 n’avaient pas précisément en vue le châtiment des hérétiques, mais plutôt la connaissance aussi exacte que possible de leur situation. Ils avaient donc tout intérêt à provoquer des dépositions sincères. Cela seul donne une réelle autorité à leurs procès-verbaux.

Les traités dans lesquels plusieurs auteurs catholiques ont essayé de définir les doctrines et les pratiques cathares confirment les Actes de l’Inquisition. C’est le cas notamment de la Practica inquisitionis hereticae pravitatis que Mgr Douais a publiée d’après le manuscrit 387 de la Bibliothèque municipale de Toulouse 9. Ce manuel est de Bernard Gui, qui fut l’un des théologiens les plus marquants de l’ordre des Frères Prêcheurs au XIIIe et au XIVe siècle, et qui exerça pendant dix-sept ans (1306-1323) les fonctions d’inquisiteur dans le Toulousain. Son long commerce avec les hérétiques le mit à même de connaître tous les faux fuyants par lesquels ils essayaient d’échapper au tribunal de l’inquisition. Et c’est le résultat de son expérience qu’il consigna dans un ouvrage destiné à former ses successeurs. S’il avait « donné de l’hérésie un faux signalement, il aurait dupé ceux-là mêmes dont il voulait éclairer les enquêtes et favorisé les déguisements de ceux qu’il prétendait démasquer 10. » Il suffit d’ailleurs de lire son livre pour reconnaître que c’est un ouvrage de bonne foi.

Il faut en dire autant des différentes Sommes qui ont été composées par des controversistes catholiques pour aider les inquisiteurs à discerner les hérétiques 11. Fictives ou erronées, elles auraient été sans objet ; elles ne pouvaient avoir d’utilité qu’autant qu’elles se rapprochaient le plus possible de l’idéal de l’exactitude. On peut donc se fier à elles pour les erreurs qu’elles imputent aux Cathares. « La Summula du manuscrit 301 de Toulouse, par exemple, a évidemment appartenu à l’un des missionnaires qui, au cours du XIIIe siècle, argumentaient en Languedoc contre Croyants et Parfaits. Dès lors, elle nous renseigne sur le manichéisme tel qu’il était prêché et pratiqué en France et d’une manière toute particulière dans les pays du Midi 12. »

Plusieurs ouvrages du même genre sont dus à des auteurs qui avaient passé leur vie dans l’hérésie et qui avaient franchi tous les degrés de la hiérarchie cathare. Tel, par exemple, Raynier Sacchoni 13. Le thème qu’il développe dans son ouvrage lui était donc familier. Aussi bien, pour ôter tout motif de soupçon sur la fidélité de sa mémoire, il en appelle aux écrits des Cathares eux-mêmes ; il nous atteste qu’il s’est servi d’un gros volume en dix cahiers de l’hérétique Jean de Bergame : cujus exemplarium, dit-il, habeo et perlegi et ex illo errores supradictos extraxi. Moneta de Crémone 14 déclare pareillement qu’il a extrait les propositions hétérodoxes dont il entreprend la réfutation, in scriptis cujusdam heretici Tetrici nomine. Ce sont là des garanties d’exactitude qu’on ne saurait sérieusement contester.

Mais la meilleure preuve de la valeur historique de ces divers documents, c’est leur parfaite concordance. Sauf en quelques points de détail, après tout secondaires 15, ils reproduisent les mêmes doctrines, et signalent les mêmes pratiques. Une pareille coïncidence doit frapper tout esprit non prévenu. M. Charles Molinier n’a pu s’empêcher de le constater. « Dans l’ordre unique des témoignages que nous avons conservés, dit-il en parlant des écrits catholiques concernant le catharisme, toutes les indications qui le composent s’accordent entre elles de la manière la plus complète 16. »

Il y a plus. Bien qu’on en ait dit, tous les documents d’origine cathare n’ont pas disparu. Nous en connaissons deux, dont l’un est une version en langue vulgaire du Nouveau Testament vers le milieu du XIIIe siècle, et l’autre « un fragment important d’un rituel cathare 17 qui renferme les détails de plusieurs cérémonies et le texte de certaines prières en usage dans la secte. Notre pénurie de documents hérétiques nous rend ceux-ci d’autant plus précieux. Or cet unique coup de sonde, qu’il nous est permis de donner au sein de l’hérésie, nous permet de constater une parfaite concordance entre ces derniers vestiges des écrits cathares et les écrits catholiques. Dans les registres de l’inquisition, nous voyons passer en action les prescriptions du rituel, et ainsi se complètent l’un par l’autre le texte d’origine hérétique et le texte d’origine orthodoxe 18. »

Il semble donc que M. Charles Molinier ait mauvaise grâce à écarter ou même à suspecter gravement, en raison de leur provenance, les documents que nous possédons sur l’hérésie albigeoise. Ses scrupules sont excessifs 19. Sans doute il serait désirable que nous eussions la contrepartie, en nombre égal, de source cathare. Mais j’imagine que ce que nous rencontrerions surtout dans ceux-ci, ce seraient des récriminations contre l’Église romaine et un portrait peu flatteur du clergé catholique ; les traits du catharisme, doctrine et pratiques, y apparaîtraient sensiblement les mêmes. Il nous est donc permis d’utiliser les textes qui nous sont parvenus, quitte à les contrôler soigneusement les uns par les autres et à rejeter, si l’occasion s’en présente, ceux qui sont manifestement d’un caractère tendancieux.

 

 

II

 

La vie des Cathares ne se comprendrait pas sans leur métaphysique et leur théologie. Ce n’est pas ici le lieu d’exposer leurs théories sur Dieu, sur Satan, sur l’origine du monde, sur l’origine de l’homme, etc. Qu’il nous suffise de remarquer qu’ils étaient pour la plupart dualistes, c’est-à-dire qu’ils attribuaient la création de tout l’univers, y compris l’homme, à deux principes, l’un bon et l’autre mauvais. Ceux que l’on appelle monarchiens, et qui ne croyaient qu’à un seul et premier principe, n’en enseignaient pas moins que l’apparition du mal ici-bas était due à l’intervention d’un être secondaire mauvais et principe de tout mal. Si l’âme humaine provient de Dieu, principe du bien, le corps de l’homme est l’œuvre de Satan ou du Mauvais ; de là ce désaccord, cette lutte de deux principes en nous, cette inclination au mal qu’il faut combattre à outrance et dont la mort seule nous délivrera.

Cette métaphysique avait de graves conséquences en morale 20. Comme les âmes ne peuvent se passer d’un corps, contribuer à propager la vie, c’est collaborer à l’œuvre de Satan. La génération est donc un mal. Aussi les Cathares réprouvaient-ils absolument l’union des sexes. Qu’une femme vînt à concevoir, c’était le plus grand malheur qui pût lui arriver : elle avait littéralement « le diable au corps 21 », et si elle mourait dans cet état, elle ne pouvait être sauvée 22, car elle se trouvait sous la domination absolue de Satan. Le mariage est donc une abomination : Matrimonium malum est, disaient-ils 23, et par conséquent nul ne peut se sauver en y restant : In matrimonio non est salus 24. Les Cathares prétendaient justifier cette doctrine par les textes du Nouveau Testament qui glorifiaient la virginité. « Les enfants du siècle, dit Jésus dans l’Évangile de saint Luc (XX, 33-35), épousent des femmes et les femmes des hommes, mais ceux qui seront jugés dignes d’avoir part au siècle à venir et à la résurrection des morts ne se marieront pas. » « Il est bon à l’homme, reprend saint Paul (I Corinth., VII, 1), de ne point toucher de femme. » Et si on leur répliquait que Dieu avait dit au lendemain de la création de l’homme et de la femme : « Croissez et multipliez 25 », ils répondaient que cette recommandation était l’œuvre du Mauvais, ainsi que l’Ancien Testament tout entier 26. Conséquents avec eux-mêmes, ils considéraient le mariage chrétien comme la légalisation et la régularisation de la débauche : Matrimonium est meretricium ; matrimonium est lupanar 27, « le mariage est un concubinat légal ». Bernard Gui résumait ainsi la doctrine des Albigeois sur ce point : « Ils condamnent absolument le mariage entre l’homme et la femme : ils prétendent qu’on y est en état perpétuel de péché : ils nient que le Dieu bon l’ait jamais institué. Ils déclarent que connaître charnellement sa femme n’est pas une moindre faute qu’un commerce incestueux avec une mère, une fille ou une sœur 28. » Et ce n’est pas là une imputation calomnieuse. Dans leur aversion pour le mariage, ils vont jusqu’à lui préférer le libertinage déclaré : « À voir un commerce avec son épouse, disaient-ils, est pire que de l’avoir avec une autre femme 29. » Simple boutade, dira-t-on ; non pas : ils prétendaient justifier ce sentiment par la raison. Le libertinage est chose passagère ; on peut en avoir honte et ne s’y livrer qu’en cachette ; on peut même s’en repentir et y renoncer. Ce qu’il y a au contraire de particulièrement grave dans l’état du mariage, c’est qu’on n’en a pas honte et qu’on ne songe pas à s’en retirer, parce qu’on ne se doute même pas du mal qui s’y commet, quia magis publice et sine verecundia peccatum fiebat 30.

En conséquence, nul n’était admis au Consolamentum ou initiation cathare sans renoncer à tout commerce conjugal. C’est dire que les époux devaient se séparer au moins de corps. La femme en ce cas « donnait son mari à Dieu et aux bons hommes (les Parfaits) ». Et il n’était pas rare que des épouses touchées de la prédication des Cathares, pendant que leurs maris y demeuraient réfractaires, condamnassent ceux-ci à un veuvage forcé 31.

Mais si la propagation de la vie est un mal, ceux qui vivent et qui sont, du fait même qu’ils ont un corps, sous la domination du Mauvais, ont-ils quelque moyen d’échapper à cet esclavage et de gagner le bonheur du ciel ?

Les Cathares, qui nient l’existence de l’enfer et du purgatoire 32, croient, en effet, au ciel. Pour le gagner, il faut s’y préparer par une purification de tous les instants ; il faut tendre à la perfection, il faut devenir « Parfait ».

On arrive à cet état par une initiation particulière qu’on appelle le Consolamentum. Le Consolamentum est une sorte de sacrement de baptême, non par l’eau (le baptême d’eau institué par saint Jean-Baptiste est une œuvre du Mauvais), mais par l’Esprit ; il remet tous les péchés qu’on a pu commettre et confère à l’âme la sainteté ou, comme parlent les Cathares, la « perfection 33 ». La réception de ce sacrement exige une préparation, une probatio d’un an. L’épreuve achevée, le candidat se présente devant un évêque de la secte ou tout simplement devant un « Ancien » ou un « Parfait », qui procède à quelques cérémonies préliminaires empruntées aux usages anciens de l’Église catholique, par exemple, la « tradition » du Pater et l’Abrenuntiatio. Suit une allocution où le ministre rappelle les obligations que le croyant va contracter par la réception du Saint-Esprit. « Dieu te bénisse, ajoute-t-il, qu’il fasse de toi un bon chrétien et te conduise à la bonne fin 34 ! » Le candidat prend alors les engagements solennels dont la formule nous a été à peu près conservée par Sacchoni 35 : « Je promets de me rendre à Dieu et à l’Évangile, de ne jamais mentir ni jurer, de ne plus toucher une femme, de ne tuer aucun animal, et de ne manger ni viande, ni œuf, ni laitage ; de ne me nourrir que de végétaux et de poisson, de ne rien faire sans dire l’oraison dominicale, de ne voyager, ni passer la nuit, ni manger sans socius et, si je tombe entre les mains de mes ennemis et suis séparé de mon frère, de m’abstenir au moins pendant trois jours de toute nourriture, de ne dormir jamais que vêtu, enfin de ne jamais trahir ma foi devant n’importe quelle menace de mort. » Le rituel cathare exige ensuite « que l’Ancien prenne le Livre (le Nouveau Testament) et le mette sur la tête du candidat tandis que les autres « bons hommes » lui imposent les mains et disent : « Père saint, recevez votre serviteur dans votre justice et envoyez votre grâce et votre Esprit sur lui. » L’Esprit descend, la cérémonie du Consolamentum est terminée, et le « Croyant » est devenu « Parfait ».

Les engagements que prenaient les « Parfaits » sont, on peut le dire, au-dessus des forces ordinaires de la nature humaine. Aussi les Cathares n’auraient-ils obtenu qu’un nombre bien restreint de prosélytes s’ils avaient imposé à tous les membres de la secte de pareilles obligations. Mais au-dessous des « Parfaits » il y avait les simples « Croyants », dont la règle de vie était beaucoup moins sévère 36. Les grandes abstinences cathares, qui comprenaient trois carêmes, ne leur étaient pas imposées. Ils pouvaient vivre extérieurement à peu près comme le monde des profanes, notamment manger de la viande et user du mariage. Leur principal devoir était d’adorer les « Parfaits », toutes les fois qu’ils se trouvaient en leur présence. Un seul lien les rattachait aux « Parfaits » : c’était un pacte formel (la convenenza 37) par lequel ils s’engageaient à abandonner les pratiques de la religion romaine et à recevoir, ne fût-ce qu’au moment de la mort, la pleine initiation cathare ou Consolamentum. Ce pacte était un gage de salut éternel. Les « Croyants » n’avaient pas à redouter l’avenir qui les attendait ; ils étaient sûrs de recevoir le Consolamentum avant de mourir ; la convenenza leur en donnait le droit. Et alors toutes les fautes qu’ils auraient commises leur étaient pardonnées. Un hasard ou un accident pouvait seul les priver de cette « bonne fin » : l’absence d’un « Parfait » qui accomplît sur eux l’imposition des mains.

« Parfaits » ou simples « Croyants » formaient une société religieuse plus ou moins homogène. En dehors des principes métaphysiques et moraux qui les dirigeaient, un sentiment commun les animait et les unissait entre eux, c’était la haine et l’horreur de l’Église catholique, de sa doctrine, de son culte et de ses pratiques. S’ils reconnaissaient l’autorité du Nouveau Testament 38, ils refusaient d’y voir le germe des institutions que l’Église en a tirées. La hiérarchie ecclésiastique est l’œuvre du Mauvais ; l’Église romaine est la femme de l’Apocalypse, ivre du sang des saints, et le pape est l’Antéchrist. Les sacrements dont l’Église se dit la dispensatrice sont des chimères ; il n’y a d’autre sacrement que le Consolamentum 39. Les prêtres sont « des fourbes qui volontairement et par intérêt ont imaginé de toutes pièces un culte aussi faux qu’inintelligible 40 ». Ces prêtres, quelles sont leurs mœurs ? Les Cathares, dit Bernard Gui, « dénoncent aux laïques la mauvaise vie des clercs et des prélats de l’Église romaine, leur orgueil, leur cupidité, l’impureté de leurs mœurs, racontant tout ce qu’ils peuvent savoir à ce sujet. Ils invoquent, en l’exposant et l’expliquant à leur façon, l’autorité de l’Évangile et des Épîtres contre la dignité des prélats, des clercs et des religieux, qu’ils appellent pharisiens et faux prophètes, ayant une conduite en opposition avec leurs paroles 41 ». Ils étaient à leur aise pour critiquer « la fiscalité parfois excessive que le clergé faisait peser sur les fidèles, les droits qu’il fallait lui payer pour les différents actes de la vie chrétienne et la réception de certains sacrements, les abus auxquels donnaient naissance les œuvres satisfactoires pour les vivants et pour les morts, les fondations pieuses, les indulgences. Précurseurs de Luther, ils s’élevaient avec virulence contre la cupidité et l’avarice des clercs, dont parfois le peuple lui-même se plaignait, et ils lui persuadaient que c’était pour l’exploiter et lui soutirer son argent que l’Église avait institué ses sacrements et imposé ses pratiques. Le baptême et l’extrême-onction n’ont été imaginés, disaient-ils, que pour faire vendre l’eau bénite et les saintes huiles ; la confession pour établir le commerce des absolutions et des indulgences ; la messe pour obtenir des fidèles de riches oblations ; les funérailles religieuses pour faire vendre fort cher la terre de la sépulture. En somme, l’Église est un vaste système d’exploitation de la crédulité humaine, par des prêtres désireux de vivre grassement aux dépens des pauvres et des simples. Telle était la conclusion à laquelle invariablement les prédicateurs de l’hérésie ramenaient leurs controverses sur les dogmes et les pratiques de l’Église 42 ».

Faut-il s’étonner que les foules ignorantes, incapables de distinguer entre les abus d’une institution et l’institution elle-même, se soient soulevées contre l’Église romaine ? Dès lors, tous les signes extérieurs du culte catholique devinrent pour elles des objets d’abomination. Les cérémonies de la messe étaient-elles autre chose que des simagrées ? Que signifient ces vêtements sacerdotaux, ces autels de pierre avec leurs candélabres étincelants, cet encens, ces chants et ces clameurs ? Que signifient même ces vaisseaux immenses où se font les exercices du culte et auxquels on donne le nom d’églises, appliquant ainsi à des murs le vocable qui devrait être réservé à l’ensemble des âmes saintes 43 ? Dans leur horreur pour les objets sacrés, les Cathares vomissaient contre les images et surtout contre la Croix les plus odieuses injures. Les images et les statues des saints n’étaient, suivant eux, que des idoles 44 qu’il fallait abattre. La croix sur laquelle Jésus avait rendu le dernier soupir, en guise d’hommages, ne méritait que le mépris. Quelques-uns d’entre eux niaient, du reste, que le Christ eût été vraiment crucifié ; un démon était mort ou avait feint de mourir à sa place 45. Ceux mêmes qui croyaient à la réalité du crucifiement du Sauveur se prévalaient de leur foi pour réprouver le culte de la croix. « Quel est l’homme, disaient-ils, qui, ayant vu mourir sur un poteau une personne qu’il aime, son père, par exemple, n’éprouverait une profonde horreur en apercevant l’image du bois infâme 46 ? » Ce n’est donc pas l’adoration, mais le dédain, les injures et les crachats 47 que mérite la croix. « La croix, ajoutait un Cathare, je la mettrais volontiers en morceaux à coup de hache, et je la jetterais au feu pour faire bouillir la marmite 48. »

Cette insurrection contre l’Église et son culte se compliquait d’une révolte contre l’État et ses droits.

On sait que la société féodale reposait tout entière sur la foi jurée : le ciment qui faisait sa force et garantissait sa solidité était le serment, jusjurandum. Or, les Cathares prétendaient tenir du Christ que tout serment est un crime et qu’un fidèle doit se borner à affirmer ses engagements par ces simples paroles : est, est ; non, non 49. Ils faisaient donc profession de ne jamais jurer, pour quelque motif que ce fût 50.

L’autorité de l’État, même chrétien, leur paraissait, du reste, à certains égards fort contestable. Le Christ, interrogeant saint Pierre, n’avait-il pas dit : « Simon, que t’en semble-t-il ? De qui les rois de la terre reçoivent-ils le tribut et le cens ? de leurs fils ou des étrangers ? » Pierre répondit : « Des étrangers. » Donc, lui répliqua Jésus, « les fils sont libres (de toute obligation) 51 ». Les hérétiques s’autorisaient de cette parole pour refuser l’obéissance aux princes, en qualité de disciples du Christ que la vérité a délivrés 52. Et non contents de contester la légitimité de l’impôt, quelques-uns allaient jusqu’à absoudre le vol, pourvu qu’il ne lésât pas les « Croyants 53 ».

Ceux mêmes qui ne poussaient pas aux extrêmes le principe de l’indépendance refusaient au moins à l’État le droit du glaive. Dieu n’a pas voulu, disait Pierre Garsias, que la justice des hommes pût condamner quelqu’un à mort 54 ; et lorsque l’un des adeptes de l’hérésie devint consul de Toulouse, il lui rappela cette règle impérieuse, en lui recommandant de ne jamais consentir à la mort de personne dans ses jugements 55. Plusieurs semblaient restreindre aux sentences capitales cette négation du droit de l’État. Mais la Somme contre les hérétiques déclare que toutes les sectes cathares enseignaient que la « vindicte (publique) n’est pas licite et que l’homme n’a pas le droit de faire la justice 56 » : doctrine qui ôte absolument à la société tout droit de punir.

Les Cathares prenaient à la lettre le mot du Christ à saint Pierre : « Quiconque se servira de l’épée périra par l’épée 57 », et ils étendaient à tous les meurtres possibles le précepte : Non occides. « En aucun cas, disaient-ils, on n’a le droit de tuer 58 » ; ni l’ordre intérieur, ni les intérêts extérieurs des pays ne peuvent justifier une exception à cette règle. Il n’y a pas de guerre légitime. Le soldat qui défend sa patrie est un assassin au même titre que le plus vulgaire des malfaiteurs. Ce n’était pas une aversion particulière pour la croisade, mais bien leur horreur de la guerre qui faisait dire aux hérétiques que par des signes bien visibles, ces dissidents forment une minorité, mais en même temps une élite, dont les vertus ne laissent pas de doutes 59. » Ce qui a inspiré à M. Molinier cet éloge, plutôt excessif, des vertus cathares, ce sont quelques exemples de dévouement et de générosité des Croyants à l’égard de leurs frères et surtout des « Parfaits ». De tels actes sont assurément louables. Mais on en trouverait aisément de pareils dans le monde catholique. Et pour ne parler que du Languedoc, la fondation de Prouille, comme témoignage de la charité chrétienne, peut être sans désavantage mise en comparaison avec ce que le catharisme offre de plus beau.

Du reste, la générosité, même inspirée par les motifs les plus nobles, n’est pas toute la morale. Est-il exagéré de dire que les Cathares, en dénigrant le mariage, sapaient la base de la famille et par conséquent de la société ? Ils ne se contentaient pas de réprouver l’union des sexes et d’essayer d’arrêter la propagation de l’espèce humaine ; pour eux, « quiconque voulait être sauvé devait se soumettre à la loi inexorable de la chasteté rigoureuse ». C’est pourquoi « le mari quittait sa femme, la femme son mari, les parents abandonnaient leurs enfants, et les enfants fuyaient un foyer domestique qui ne leur inspirait que de l’horreur, car l’hérésie leur enseignait que personne ne saurait se sauver en restant avec son père et sa mère. Et ainsi disparaissait, avec la famille, sa raison d’être, toute la morale domestique 60. »

On a fait un reproche semblable au christianisme lui-même, en raison du vœu de chasteté que l’Église romaine impose à son clergé. Tout récemment encore, on écrivait : « En fin de compte, et en dépit de la théorie (des Cathares), le mariage se trouve entendu, dans la société dualiste, de la même façon que le comprend elle-même l’Église catholique. Il est permis aux fidèles et interdit aux parfaits, c’est-à-dire aux prêtres 61. »

Qu’une pareille confusion se trouve sous la plume d’un historien tel que M. Charles Molinier, il y a lieu d’en être surpris. Si l’Église catholique interdit le mariage à ses prêtres, ce n’est pas qu’elle voie dans l’union des sexes une abomination, c’est uniquement pour tenir le clergé dans une sphère plus élevée que celle des intérêts humains, et pour mettre son apostolat à l’abri des soucis de la vie de famille. Ce n’est là qu’une question de discipline, et l’Église a le pouvoir de changer la règle qu’elle a posée. Pour le faire, il ne serait nullement besoin de modifier sa doctrine sur le mariage. Elle prêche à la masse des fidèles le précepte de l’Ancien Testament : « Croissez et multipliez », avec la même force qu’elle recommande la virginité à une élite en qui elle reconnaît les marques d’une vocation particulière, selon la parole du Sauveur : Qui potest capere, capiat. Bref, elle déclare et elle a déclaré dans tous les temps que « le mariage est un état saint 62 », dans lequel l’humanité, sauf exception, est appelée à trouver le chemin du ciel. Il y a un abîme entre cette doctrine et celle des Cathares, et s’il est arrivé à ceux-ci, même aux simples « Croyants, » de respecter les lois du mariage, c’est en violation flagrante de leurs principes. Pour eux, l’union des sexes reste toujours un mal, et la procréation le plus grand des crimes 63. Vienne l’heure du Consolamentum, il faudra y renoncer, dût-on pour cela rompre le lien du mariage.

Les Cathares poussèrent si loin les conséquences de leur doctrine qu’ils en vinrent à commettre un autre crime contre la société, par ce qu’ils appelèrent l’Endura 64. L’Endura ne regarde que les « Parfaits » ou « Consolés ». Le danger que pouvait courir leur vertu et la crainte de faiblir au cours de l’âpre lutte qu’ils menaient contre la nature viciée leur fit chercher quelquefois dans la mort volontaire un refuge assuré. C’est cette sorte de suicide qui constitue l’Endura. On en connaît deux formes : l’asphyxie et le jeûne. Le candidat à la mort est interrogé sur le titre qu’il préfère : celui de martyr ou celui de confesseur. Lorsqu’il choisit le martyre, on lui pose un mouchoir ou un coussin sur la bouche jusqu’à ce que l’étouffement s’ensuive. Si l’état de confesseur lui semble préférable, on se borne à lui supprimer toute nourriture, sauf l’eau, afin qu’il meure d’inanition 65.

Le plus souvent les « hérétiqués » ou « Parfaits » se condamnaient eux-mêmes à l’Endura. Grâce à l’usage de l’eau, leur jeûne pouvait durer plusieurs semaines. Les documents en citent nombre d’exemples. Parfois ce suicide était suggéré. Les « Croyants » qui demandaient le Consolamentum au cours d’une maladie étaient généralement suspects de ne pouvoir tenir les engagements de la foi nouvelle, s’ils venaient à guérir. Aussi, pour prévenir toute chute, les engageait-on fortement à assurer leur salut par l’Endura.

À vrai dire, « si l’Endura était assez fréquente pour que la Practica de Bernard Gui contînt une sentence particulière de condamnation contre ceux qui ajoutaient ainsi au crime d’hérésie le crime de suicide, elle n’en reste pas moins une exception ; dans le catalogue des erreurs cathares, dressé dans les Sommes contre les hérétiques, la pratique du suicide n’est même pas indiquée. D’autre part, elle est rarement mentionnée dans les dépositions reçues par l’Inquisition, et nous devons conclure de tout cela que les docteurs cathares, tout en reconnaissant la beauté du suicide, n’osaient pas en prêcher à tous l’usage. L’intérêt de la conservation, et peut-être aussi une certaine conception fataliste de la vie, tempéraient chez la plupart de leurs adeptes la brutale logique qui les aurait portés à la mort 66 ».

Il n’en reste pas moins que les principes du catharisme menaient à la destruction de la famille et de la race humaine 67. Il ne tint pas à lui que l’humanité arrêtât sa course à travers les âges. Tous les crimes que la secte pouvait commettre contre la propagation de l’espèce n’étaient que la conséquence de sa doctrine. Et si les « Croyants » continuèrent à procréer, avec la tolérance des « Parfaits », ce ne fut jamais qu’en dépit des idées morales ou plutôt immorales qu’ils professaient.

On comprend donc que l’Église catholique ait essayé d’enrayer les progrès de l’albigéisme. Aussi bien elle ne faisait que se défendre elle-même. Les Cathares essayaient de lui porter des coups mortels en attaquant ses dogmes, sa hiérarchie et son apostolicité. C’en était fait d’elle si leurs insinuations perfides, qui troublaient violemment les esprits, étaient parvenues à prévaloir.

Les princes, qui accueillaient volontiers les doctrines des hérétiques tant qu’elles ne visaient que la société spirituelle, n’étaient pas moins sérieusement atteints. Nier la valeur du serment, n’était-ce pas briser le lien qui rattachait les sujets aux suzerains et ruiner d’un seul coup l’édifice de la féodalité ? Et à supposer que le régime féodal pût sombrer sans entraîner dans sa chute toute espèce de gouvernement, que restait-il à l’État pour maintenir l’ordre social si le pouvoir de punir lui était refusé, comme l’entendaient les théoriciens du catharisme ?

 

 

IV

 

Ce qui rendait, dès le XIIe siècle et au commencement du XIIIe, la secte particulièrement redoutable, c’était le nombre toujours croissant de ses adhérents. Elle se recrutait dans toutes les classes de la société. La noblesse aussi bien que la bourgeoisie et le peuple s’y affiliaient. « L’hérésie a pénétré partout, écrivait Raymond V, comte de Toulouse. Elle a jeté la discorde dans toutes les familles, divisant le mari et la femme, le fils et le père, la belle-fille et la belle-mère. Les prêtres eux-mêmes ont cédé à la contagion. Les églises sont désertes et tombent en ruines. Pour moi, je fais tout le possible afin d’arrêter un pareil fléau ; mais je sens mes forces au-dessous de cette tâche. Les personnages les plus importants de ma terre se sont laissé corrompre. La foule a suivi leur exemple ; ce qui fait que je n’ose ni ne puis réprimer le mal 68. » Raymond VI, non seulement laissa le mal sans répression, mais favorisa même la diffusion de l’hérésie dans ses États.

Et ce n’était pas seulement dans le Toulousain que l’hérésie exerçait ainsi ses ravages. Le chapitre que M. Guiraud a écrit sous ce titre : La noblesse languedocienne et les Cathares 69, est, à cet égard, très suggestif. Il y passe en revue, avec la noblesse toulousaine, la noblesse du Lauraguais, la noblesse de Fanjeaux, la noblesse de Mirepoix et de Dun, les comtes de Foix, les Castelverden et les Lordat, les seigneurs de Montréal, la noblesse de Cabardès, les vicomtes de Carcassonne, les sires de Niort, les seigneurs du Razès, etc., et fait voir que toute cette élite de la société languedocienne était sous l’influence des Cathares.

Pareillement « le peuple, depuis les riches bourgeois jusqu’aux plus humbles vilains, se pénétra de leurs doctrines. Si nombreux que fussent les hobereaux du Languedoc, ils n’auraient pas suffi à constituer les immenses assemblées hérétiques qui se réunissaient dans les villages du Toulousain, du Carcassès ou du Mirepoix. D’ailleurs, lorsque les inquisiteurs les interrogeaient, les curés catholiques ne faisaient aucune difficulté de reconnaître que, dans la plupart de leurs paroisses rurales, la population tout entière était passée à l’hérésie. Les dépositions reçues par l’inquisition nous montrent le culte catholique délaissé dans beaucoup de villages et remplacé, même dans les églises, par le culte cathare. À leur lit de mort, la plupart des habitants du Haut-Languedoc recevaient le Consolamentum. On a dit que « les Albigeois se trouvaient peut-être en majorité dans certains bourgs du Languedoc maritime, point de départ de la secte 70 ». En réalité, dans tout le comté de Toulouse, c’était la presque totalité de la population rurale qui était sous la domination des « Parfaits ». Sans doute, ce n’était qu’une élite qui demandait l’initiation complète ; mais la grande masse se composait de « Croyants », obéissant, au cours de leur vie, aux instructions des ministres cathares, et décidés à leur demander, au lit de mort, le Consolamentum qui fait les « Parfaits 71 ».

L’évaluation, même approximative, du nombre des hérétiques serait chose bien difficile. Nous savons seulement que, pour le service des Croyants et la facilité de l’apostolat, les Cathares avaient divisé le Languedoc en cinq diocèses : « La liste de Sacchoni, qui est du milieu du XIIIe siècle, indique trois évêchés hétérodoxes, ceux d’Albi, de Toulouse et de Carcassonne. Les registres de l’Inquisition confirment ces renseignements. Ils les complètent même, car ils mentionnent d’une part l’église d’Agen qui avait disparu vers 1230, et celle de Razès qui fut créée à la même époque 72. » Cette multiplicité d’églises marque sûrement le progrès extraordinaire que l’hérésie avait fait dans la région.

L’ouvrage de Sacchoni nous fournit le moyen de préciser un peu davantage. L’auteur assure que le catharisme comprenait de son temps environ quatre mille Parfaits des deux sexes, répartis entre seize églises différentes, et ce recensement, dit-il, est l’œuvre des hérétiques eux-mêmes : et dicta computatio pluries olim facta est inter eos 73. « Parmi ces églises cathares, qui s’espacent de l’extrémité orientale de la péninsule des Balkans à l’Atlantique, se place au premier rang l’église lombarde de Concorezzo avec quinze cents Parfaits. Viennent ensuite, pareillement en Lombardie, celles des Albanais et des hérétiques dits de Bagnolo, avec cinq cents Parfaits pour la première et deux cents pour la seconde. Les églises de la Marche d’Ancône, de Toscane et du Val de Spolète en réunissent deux cents environ ; celle que composent les Cathares français établis en Italie, cent cinquante à peu près ; celle enfin des Cathares habitant la France, environ deux cents. Des églises d’Orient, celle de Constantinople ne compte que cinquante Parfaits ; quatre autres, celles d’Esclavonie, de Philadelphie, de Bulgarie, de Trau 74, en ont entre elles cinq cents, soit pour chacune cent vingt-cinq environ 75. » Si l’on additionne ces chiffres de détail donnés par Sacchoni, le total est un peu supérieur à celui qu’il indique, soit quatre mille trois cents Parfaits au lieu de quatre mille.

Le nombre des Parfaits peut-il nous aider à connaître celui des « Croyants » ? Sacchoni attribue à l’église de l’Esclavonie environ cent vingt-cinq Parfaits. Or, dans cette province, on comptait à la fin du XIIe siècle plus de dix mille « Croyants » parmi lesquels Kulin, le seigneur du pays, et toute sa famille 76. Si la proportion entre les deux ordres de Cathares était la même dans les autres églises, nous arriverions au chiffre d’environ trois cent cinquante mille hérétiques pour toute l’Europe, et de seize mille seulement pour le Languedoc. Ces chiffres sont évidemment au-dessous de la réalité.

M. Charles Molinier est parti d’un autre principe pour évaluer le nombre des Cathares. Il compare les Parfaits aux prêtres catholiques, et les Croyants aux simples fidèles, et il prend la France comme champ d’expérience. « Quarante mille prêtres, en chiffres ronds, y existent pour environ trente-cinq millions d’adhérents au catholicisme, ou d’individus auxquels s’applique plus ou moins légitimement une désignation de ce genre. Ce qui ferait, en s’en tenant à la même proportion pour les Cathares, dont les Parfaits ou prêtres sont dix fois moins nombreux en Europe, suivant Sacchoni, que les ministres de l’Église romaine en France, dix fois moins de Croyants ou de fidèles, soit, en fin de compte, à peu près trois millions cinq cent mille adhérents. Ce chiffre de trois millions passés de Croyants cathares paraîtra probablement fort considérable. Peut-être conviendrait-il pourtant de l’élever encore de façon très sensible, sinon de le doubler 77. » Et M. Molinier le double, en considération du zèle des ministres cathares, et de la facilité de leur service, qui leur permettait d’avoir une fois de plus de fidèles que les prêtres catholiques. De la sorte, la France, avec ses deux cents Parfaits, aurait réuni deux cent mille Croyants, selon le premier calcul, et environ quatre cent mille suivant le second.

Cette évaluation repose sur une conjecture bien fragile, et il n’y a pas lieu de lui accorder un crédit sans réserve. Elle n’est acceptable qu’autant qu’elle donne l’impression que villes et villages du Languedoc étaient fortement entamés par l’hérésie, ou même parfois lui appartenaient tout entiers.

Il ne faut pas d’ailleurs oublier que nos calculs ont pour base la statistique de Sacchoni, et que « Sacchoni écrivait en 1250 78, c’est-à-dire en un temps où l’hérésie était déjà à son déclin, et où la mort ou l’apostasie avaient dû faire beaucoup de vides, même dans les rangs de ses plus solides représentants. La croisade victorieuse qui avait été dirigée contre les Albigeois avait supprimé un grand nombre de Parfaits qui avaient succombé en masse sur les champs de bataille ou dans les prisons ; dans tous les pays de la chrétienté, l’inquisition s’était établie, et avec ses redoutables répressions, elle envoyait un grand nombre de Parfaits à la mort ou à l’abjuration ; par là même elle réduisait singulièrement, d’année en année, l’effectif de ceux qui restaient membres actifs de la secte 79 ». Pour ne parler que du Languedoc, par exemple, ne savons-nous pas que deux cent cinq Parfaits avaient été massacrés, en 1235, dans le seul château de Monségur 80 ? Si la statistique de Sacchoni avait été dressée à cette date, il est probable que le nombre de Parfaits qu’il attribue à la France aurait été plus que doublé. Et peut-être conviendrait-il de multiplier dans les mêmes proportions le nombre des Croyants.

 

 

V

 

Le péril que l’hérésie, par le caractère antisocial de sa doctrine et par le nombre énorme de ses adhérents, faisait courir à la chrétienté, était donc l’un des plus graves que l’histoire eût encore enregistrés. Comment le conjurer ? L’Église s’y essaya de diverses manières. De 1177 à 1205, les missions cisterciennes se succédèrent dans le Languedoc, mais elles échouèrent tristement 81. Les prédications et les controverses laissèrent les choses en l’état, au grand désappointement du pape Innocent III.

Ici se place l’apostolat de saint Dominique dont M. Guiraud a esquissé l’histoire 82. Le saint ne travailla d’abord qu’en sous-ordre. Son évêque dom Diego d’Osma marqua la voie à suivre. Il était très justement convaincu « qu’il fallait ramener les hérétiques par la force de la prédication ». Aussi est-ce à la controverse que l’évêque d’Osma et saint Dominique eurent recours. « Ils indiquaient à l’avance le jour et le lieu d’une conférence contradictoire ; hérétiques et catholiques s’y rendaient de tous les pays voisins ; l’assistance comprenait à la fois des chevaliers, des femmes et des paysans. D’ordinaire par acclamation, la foule désignait, parmi les personnes bien vues dans toute la région, un président et des assesseurs chargés de tenir la balance égale entre les deux parties ; le bureau constitué, on se livrait à des débats souvent sérieux et approfondis. De part et d’autre on présentait des libelli, vrais mémoires rédigés à l’avance sur des questions controversées et qui servaient de base à la discussion. Alors commençait entre les chefs des deux groupes une joute oratoire, un tournoi d’argumentation qui se terminait le plus souvent par un vote de l’assemblée. Jourdain de Saxe parle en effet de scrutins qui avaient lieu à l’issue de ces réunions. C’étaient sans doute des « ordres du jour » par lesquels l’assemblée émettait son sentiment sur la discussion qu’elle venait de suivre 83. »

Les réunions de ce genre furent nombreuses. On signale celles que Diégo et saint Dominique tinrent à Servian, près de Béziers, à Béziers même, à Verfeil où jadis avait échoué saint Bernard, à Montréal, à Fanjeaux et à Pamiers. Elles ne donnèrent pas tous les fruits qu’on en pouvait attendre ; mais elles ne furent pas sans succès.

L’attention des missionnaires se porta particulièrement sur les femmes. L’hérésie avait des « Parfaites », comme elle avait des Parfaits 84, et le zèle des femmes cathares n’était pas moins ardent ni moins dangereux pour l’Église que celui des hommes. Elles formaient même des espèces de couvents où elles élevaient les jeunes filles nobles de la secte 85. Dominique comprit l’avantage qu’il y avait à soustraire cette force vive aux hérétiques. Sa prédication à Fanjeaux convertit plusieurs élèves des Parfaites 86. Elles abjurèrent. C’est parmi elles qu’allaient se recruter les premières Dominicaines de Prouille.

« Il ne suffisait pas, en effet, de convertir Croyantes et Parfaites, il fallait encore préserver leur foi naissante contre toutes sortes d’influences contraires. Appartenant le plus souvent à des familles hérétiques, elles avaient à craindre les objurgations ou les supplications de leurs proches. Considérées comme des transfuges, elles n’étaient pas sûres, à leur sortie de la maison des hérétiques, de trouver un asile auprès de leurs parents. Souvent même leur dénuement complet et la pauvreté de leurs proches leur faisaient entrevoir une vie de misère au lendemain de leur conversion. Rebutées d’avance par toutes ces difficultés, certaines âmes timides pouvaient reculer devant une abjuration qu’elles souhaitaient pourtant au fond du cœur. Pour y remédier, il fallait créer un lieu de refuge où, après leur conversion, elles viendraient chercher un asile sûr contre tout ce qui pouvait compromettre leur retour définitif à l’Église. Il fallait, en un mot, organiser une œuvre de nouvelles converties 87. »

C’est de ce besoin qu’est né le monastère de Prouille. L’évêque de Toulouse, Foulques, en facilita la création. Par un acte dont nous n’avons pas la date exacte mais qu’on peut fixer, sur des indices certains, entre le 22 juillet et le 27 décembre 1206, il donna « à Dominique d’Osma l’église de Sainte-Marie de Prouille (jusque-là paroissiale) et le terrain adjacent, sur une longueur de trente pieds » ; il faisait cette donation « en faveur des femmes converties et à convertir 88 ».

À quelque temps de là, « les premiers Prêcheurs s’établirent dans les bâtiments contigus à ceux des religieuses, et ainsi Prouille devint un centre de mission, comme de vie contemplative ». Le monastère des hommes était déjà fondé, lorsque, vers le milieu de 1207, l’évêque d’Osma, leur chef, retourna en Espagne. Avant son départ, nous dit Jourdain de Saxe, Diégo avait « préposé à ceux des siens qu’il laissait à Prouille pour le spirituel le bienheureux Dominique comme étant rempli de l’Esprit-Saint, et pour le temporel Guillaume Claret, de Pamiers, mais sous la dépendance du saint à qui il devait rendre compte de tout 89 ».

On sait que des missions bottées essayèrent d’accomplir ce que n’avaient pu faire les missions pacifiques de Dominique et de ses collaborateurs. Mais les troupes de Simon de Montfort ne vinrent pas elles-mêmes à bout de l’hérésie albigeoise 90. Il fallut qu’une forme de mission nouvelle fût instituée par les papes pour traquer les Cathares dans les derniers repaires où ils s’étaient réfugiés : nous avons nommé l’Inquisition monastique. Ce n’est pas le lieu de décrire ici son activité, ses gestes et son succès final 91. Disons seulement que saint Dominique ne fut pas, à proprement parler, comme on l’a cru, l’un de ses principaux agents. Le titre de « premier inquisiteur » qu’on lui a appliqué est inexact 92.

 

 

E. VACANDARD, Études de critique

et d’histoire religieuse, 2e série, 1910.

 

 

 

 



1  Citons C. Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des Cathares ou Albigeois, 2 vol. in 8o, Paris-Genève, tm : Döllinger, Beitrdge zur Scktengechichte du Mittelalters, 2 vol. in 8o, Munich, 1890 (le second volume n’est qu’un recueil de Dokumente) ; Ch. Molinier, L’Inquisition dans le midi de la France au XIIIe et au XIVe siècle, études sur les sources de son histoire, in 8o, Paris, 1880 ; L’Endura, coutume religieuse des derniers sectaires albigeois, dans Annales de la Faculté des lettres de Bordeaux, 1881 ; Mgr Douais, Les hérétiques du Comté de Toulouse dans la première moitié du XIIIe siècle, d’après l’enquête de 1245, dans Compte rendu du congrès international des savants catholiques, 16 avril 1891 ; Luchaire, Innocent III. La croisade des Albigeois, Paris, Hachette, 1909 ; Vidal, Doctrine et morale des derniers ministres des albigeois, dans Revue des Questions historiques, juillet 1909.

2  Cartulaire de Notre-Dame de Prouille, précédé d’une étude sur l’Albigéisme languedocien aux XIIe et XIIIe siècles, t vol. in 4o, Paris, Picard, 1907.

3  Livraisons de juillet-août, septembre-octobre, novembre-décembre 1907.

4  Elle est divisée en deux parties : 1o L’Albigéisme au XIIIe siècle ; 2o La diffusion du Catharisme (= Albigéisme) en Languedoc au commencement du XIIIe siècle. La première comprend neuf chapitres ; après une critique minutieuse des sources, l’auteur l’examine successivement ; 1o la métaphysique et la théologie des Albigeois ; 2o la morale cathare ; 3o catholicisme et catharisme ; 4o parfaits et croyants ; 5o les églises cathares ; 6o le Consolamentum ou initiation cathare ; 7o le culte cathare ; 8o l’essence du catharisme. Dans la seconde partie, on passe en revue les forces cathares, auxquelles va s’opposer l’action de saint Dominique : 1o liberté absolue des cathares ; 2o la noblesse languedocienne et les cathares ; 3o les cathares et le peuple ; 4o le clergé et l’hérésie ; 5o les missions cisterciennes ; 6o Diégo d’Osma et saint Dominique ; 7o la fondation de Prouille (1206-1221).

5  Revue des Deux Mondes, 1er mai 1874.

6  Un traité inédit du XIIIe siècle contre les hérétiques cathares (p. 10), dans Annales de la Faculté des lettres de Bordeaux, 1883.

7  J. Guiraud, Cartulaire, t. I, p. XXII.

8   Ibid., p. XXII-XXIII.

9  Paris, 1885.

10  Guiraud, Cartulaire, t. I, p. XXVI.

11  Sur ces Sommes, voir Guiraud, Cartulaire, t. I, p. XXVI-XXVII.

12  Guiraud, Cartulaire, t. I, p. XXVII.

13  Summa de Catharis et Leonistis et pauperibus de Lugduno, dans Martène, Thesaurus novus anecdotorum, t. V, p. 1759-1776.

14  Adversus Catharos et Valdenses libri quinque, éd. Richini, Rome, 1743.

15  Nous voulons parler de la question de moralité des hérétiques. Quelques auteurs paraissent avoir excédé dans l’accusation. Mais ces excès n’annulent pas la valeur du reste de leur témoignage, qui est conforme à celui de leurs contemporains. Nous reviendrons sur ce point.

16  Un texte inédit du XIIIe siècle, p. 10.

17  Le Nouveau Testament traduit au XIIIe siècle en langue provençale, suivi d’un Rituel cathare, édition en phototypie par Clédat, dans Bibliothèque de la Faculté des lettres de Lyon, Paris, 1888.

18  Cartulaire, t. I, p. XXXII-LX ; cf. p. CCII-CCXXIII.

19  M. Molinier a renouvelé l’expression de ses scrupules dans les articles sur l’Église et la société cathare qu’il a publiés dans la Revue historique, juillet-décembre 1907.

20  Sur la morale des cathares, cf. Cartulaire, p. LXI-LXXXIV, CII-CXIV.

21  « Praegnans de demonio. » Doat, t. XXXIV, fol. 100. « Daemone quem habebat in ventre. » Doat, t. XXV, p. 14.

22  « Quod si decederet praegnans, non posset salvari. » Doat, t. XXII, p. 57.

23  Somme (la) de l’autorité, à l’usage des prédicateurs contre l’hérésie au moyen âge, éd. Douais, Paris, 1896, p. 132.

24  Ms. 609, de Toulouse, p. 1, 2, 5, 12.

25  Genèse, I, 28.

26  Sur l’idée que les Cathares se faisaient de l’Ancien Testament, cf. Guiraud, Cartulaire, t. I, p. XLVIII et suiv.

27  Ms. 609, fol. 41 et 64.

28  Practica Inquisitionis, éd. Douais, p. 130.

29  Ms. 609, fol. 225.

30  Döllinger, ouv. cit., t. II, Dokumente, p. 23. Ici se placent des imputations plus graves encore ; il s’agit d’un tarif des incestes signalé par le moine allemand connu sous le nom d’Anonyme de Passau : « Incestum naturalem cum matre propria vel sorore, aut commatre, dicunt (haeretici) esse mundam fornicationem, dummodo fiat secundum ritum sectae qui talis est : Si quis ab ipsis vult abuti propria matre, dabit ei XVIII denarios, sex pro eo quod confecit (concepit) eum, sex pro eo quod peperit eum, sex pro eo quod nutrivit eum. Et sic soluta lege naturali seu naturae, licenter abutitur ea, quia nihil et attinere putatur, et omnino liber efficitur ab omni naturali reverentia matris, sicut saccus liber efficitur a frumento, quando fuerit excussus. Qui sorore voluerit abuti, dabit ei novem denarios. Et sic licitum esse dicunt incestum sine omni peccato. » Bibliotheca maxima Patrum, t. XXV, p. 272. Les Sommes contre les hérétiques ne connaissent rien de pareil. Si l’Anonyme a entendu dire ce qu’il raconte, il semble que ce soit une légende peu fondée. Il semble pareillement que Pierre de Vaux de Cernay ait confondu les Paterins (Paterini) avec les Paterniens (Paterniani) dont parle saint Augustin quand il leur attribue l’opinion : « quod nullus poterat peccare ab umbilico et inferius ». Hist. Albigensium, cap. II. Cf. Schmidt, ouv. cit., t. II, p. 152 ; Charles Molinier. Revue historique, sept.-octobre 1907, p. 3-4.

31  Cf. Doat, Acta inquisitionis Carcass., t. II, fol. 115 ; t. IV, fol. 204 ; Döllinger, ouv. cit., t. II, p. p. 24, 229, etc.

32  Sur cette négation, cf. Guiraud, Cartulaire, t. I, p. LXIV et suiv. Suivant les cathares, les Croyants ou autres qui ne recevaient pas le Consolamentum subissaient les avatars de la métempsycose.

33  Sur le Consolamentum ou initiation cathare, cf. Guiraud, qui lui consacre un chapitre, Cartulaire, t. I, p. CTVIII-CLXXVI.

34  Tous ces rites sont indiqués dans le Rituel cathare publié par Clédat, Paris, Leroux, 1888.

35  Summa de Catharis, dans Martène, Thesaurus novus anecdotorum, t. V, p. 1776.

36  Sur ces deux classes de cathares, cf. dans Guiraud, Cartulaire, t. I, p. CII et suiv., le chapitre intitulé Parfaits et Croyants.

37  Sur la convenenza, cf. Ibid., p. CXIV.

38  Cf. Guiraud, Ibid., p. CXIX et suiv.

39  Sur tout ceci, cf. Guiraud, Cartulaire, t. 1, p. LXXXV-CI.

40  Guiraud, Ibid., p. XCVIII.

41  Practica Inquisitionis, éd. Douais, p. 241.

42  Guiraud, Cartulaire, t. I, p. XCIX.

43  Cf. Döllinger, ouv. cit., t. II, Dokumente, p. 23, 40, 56, 156, 377.

44  Döllinger, ouv. cit., t. II, p. 26, 56, 156, 323.

45  Moneta, Adversus Catharos, éd. Richini, 1743, p. 461 ; Disputatio inter catholicum et Paterinum, dans Martène, Thesaurus novus anecdotorum, t. V, p. 1748.

46  Döllinger, ouv. cit., t. II, p. 6, 29, 73, 223.

47  « Imo homo debebat spuere contra eam et facere omnem vilitatem. » Döllinger, Ibid., p. 26 ; cf. p. 21.

48  Döllinger, ouv. cit., t. II, p. 168, 169.

49  Matth., V, 37 ; Jac. Ep., V, 12.

50  Döllinger, ouv. cit., t. II, p. 15, 83, 167, 323 ; Moneta, ouv. cit., p. 470 ; Doat, XXII, p. 90 ; Bernard Gui, Practica, éd. Douais, p. 239.

51  Matth., XVII, 24-25.

52  Döllinger, ouv. cit., t. II, p. 69, 75 ; cf. t. I, p. 183.

53  Ibid., t. II, p. 248, 249 ; cf. p. 245-246 ; Vacandard, L’Inquisition, p. 92-93.

54  Doat, XXII, p. 89.

55  Doat, Ibid., p. 100.

56  « Quod vindicta non debet fieri ; quod justitia non debet fieri per hominem. » Summa contra haereticos, éd. Douais, p. 133 ; Moneta, ouv. cit., p. 513.

57  Matth., XXVI, 52.

58  « Nullo casu occidendum. » Doat, XXII, p. 100 ; cf. Guiraud, Cartulaire, t. I, p. LXXXVIII.

59  Cf. Molinier, art. cit., p. 285.

60  Guiraud, Cartulaire, t. I, p. LXXX.

61  Ch. Molinier, art. cit., sept.-octobre 1907, p. 1.

62  « Matrimonium temporale sanctum et justum. » Somme, p. 96-99. C’est l’enseignement ordinaire de l’Église. Nul ouvrage autorisé par elle ne contient une doctrine différente.

63  M. Molinier, pour justifier son jugement et la phrase que nous avons citée, écrit en note : « La conclusion à laquelle nous croyons pouvoir nous arrêter ressort fortement des paroles suivantes d’Étienne de Bourbon : Uxores electis (= perfectis) eorum prohibentur, auditoribus (= credentibus) conceduntur. Lecoy de la Marche, op. cit., p. 302. » Le savant critique ne pouvait faire un choix plus malheureux pour montrer qu’en matière de mariage, l’Église catholique et le catharisme se valaient. Le texte auquel il renvoie ses lecteurs est, en effet, très significatif : le voici en entier (pourquoi M. Molinier l’a-t-il mutilé ?) : « Uxores electis eorum prohibentur, auditoribus conceduntur, monentes eos ut qua arte possunt generacionem impediant, etc. » Voyez-vous les prêtres catholiques autorisant le mariage, mais recommandant aux époux d’empêcher par tous les moyens possibles la génération ? Quelle clameur ce serait ! Et comme on crierait, justement d’ailleurs, à l’immoralité ! Mais alors que faut-il penser des Parfaits, de leur doctrine et de leurs conseils ?

64  Pour les exemples d’Endura, voir Guiraud, Cartulaire, t. I, p. LXII-LXIII ; Döllinger, ouv. cit., t. II, Dokumente, p. 20, 24, 25, 26, 37, 136, 138, 139, 141, 142, 147, 157, 205, 234, 238, 242, 248, 250, 271, 295, 370, 373 ; Vacandard, L’Inquisition, 5e éd., Paris, 1909, p. 115-120.

65  Döllinger, ouv. cit., t. II, p. 373. C’est un renseignement de Sacchoni. M. Molinier, L’Endura, p. 293-294, estime que cette coutume fut localisée dans le Languedoc. Sacchoni ne laisse entendre rien de pareil.

66  Guiraud, Cartulaire, t. I, p. LXIII. Cependant M. Molinier écrit (l’Endura, p. 188) : « Si atroce qu’elle fût, l’Endura paraît avoir toujours accompagné le consolamentum, au moins dans les prescriptions de quelques-uns des ministres albigeois. »

67  On a dit (G. Monod, dans Revue historique, nov.-décembre 1907, p. 354) que les pratiques cathares n’étaient pas plus dangereuses que l’ascétisme catholique et que « les excès de jeûne et de macération des Carmélites sont une forme de suicide analogue à l’endura cathare. » Erreur ; que l’on compare, si l’on veut, la mortification des Carmélites aux jeûnes et aux carêmes des Parfaits, mais à l’endura, jamais.

68  M. Guiraud (t. I, p. CCXXVll·CCXXVIII) cite celle lettre d’après Luchaire, Innocent III et la croisade des Albigeois, p. 8.

69  Cartulaire, t. I, p. CDX-CCLXV.

70  Luchaire, ouv. cit., p. 8.

71  Guiraud, Cartulaire, t. I, p. CCLXVI.

72  Ibid., p. CXXXIII.

73  Dans Doat, t. XXXVI, p. 78.

74  En slave Tragir, anciennement Tragurium, chez les écrivains catholiques et Sacchoni lui-même Dugunthia ou Dugunithia ; petit port sur l’Adriatique au nord-ouest de Spoleto, dans la province autrichienne de Dalmatie.

75  Molinier, art. cit., novembre-décembre 1907, p. 276-277. C’est un résumé de Sacchoni ; cf. dom Martène, Thesaurus novus anecdotorum, t. V, p. 1767-1768. Pour plus de détails, voir Guiraud, Cartulaire, t. I, p. CXXIX et suiv.

76  Cf. Schmidt, ouv. cit., t. I, p. 108.

77  Art. cit., novembre-décembre 1907, p. 277.

78  M. Guiraud, que nous citons ici, écrit (ouv. cit., p. CXXVII) : « 1250 » ; à la page précédente, il avait dit : « vers 1240 » ; plus loin (p. CXXXI), il semble indiquer que Sacchoni écrivait en « 1250 ». Il y a là un petit flottement. « La date est expressément 1250 », remarque M. Molinier (art. cit., novembre-décembre 1907, p. 276).

79  Guiraud, Cartulaire, t. I, p. CXXVII.

80  « Anno 1234 (vieux style), mense martii, fuit captum castrum Montissecuri et ruerunt ibidem inventi ccv haeretici utriusque sexus atque ibidem juxta pedem predicti montis combusti. » Histoire du Languedoc, éd. Molinier, t. VIII, p. 214.

81  Sur ces missions, voir Guiraud, Cartulaire, t. I, p. CCXCII-CCCI.

82  Saint Dominique, coll. « Les Saints » ; Cartulaire, t. I, p. CCCII et suiv.

83  Cartulaire, t. I, p. CCCXI.

84  Sur les « Parfaites », cf. Guiraud, Cartulaire, t. I, p. CVII et suiv.

85  Guiraud, Cartulaire, t. I, p. CCCXXI et suiv.

86  Humbert de Romans, chap. XII, dans Quétif et Échard, Scriptores ordinis Praedicatorum, t. I, p. 264-299.

87  Guiraud, Cartulaire, t. I, p. CCCXXII.

88  Guiraud, Cartulaire, t. I, p. 1.

89  Guiraud, Ibid., p. CCCXXVII.

90  Cf. Luchaire, Innocent III, la Croisade des Albigeois, Paris, Hachette, 1907.

91  Voir notre volume L’Inquisition, 5e éd., Paris, Bloud, 1909.

92  Nombre d’auteurs graves, par exemple les dominicains Benoît (Histoire des Albigeois, 1691, t. II, p. 129) et Percin (Monumenta conventus Tholosani, 1693, p. 74-89) s’accordent pour donner à saint Dominique ce titre de « premier inquisiteur ». Bernard Gui déclare qu’il exerça Inquisitionis officium contra labem hereticam auctoritate legati apostolicae sedis sibi commissum in partibus Tholosanis. Cependant l’inquisition papale ou monastique ne fut instituée qu’en 1231. À cette date, saint Dominique était mort. Il faut donc s’entendre sur le titre d’inquisiteur que lui attribuent les historiens. « Il me semble, écrit Mgr Douais (L’Inquisition, ses origines, sa procédure, Paris, 1907, p. 25-26), que nous serons bien près de la vérité si nous disons qu’en vertu d’un principe ancien dont l’Église ne s’est jamais départie, saint Dominique exerça, comme beaucoup d’autres, la persecutio hereticorum, moyennant une délégation nécessaire, mais non l’inquisitio hereticae pravitatis qui fut une des applications de ce principe. Saint Dominique n’a pas été inquisiteur dans le sens rigoureux, canonique et complet du mot. »

 

 

 

 

 

 

 

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