Bernanos au presbytère 1

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

VALDOMBRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’auteur du Journal d’un curé de campagne vient à nous les mains chargées d’œuvres. N’apparaît-il pas comme l’apologiste chrétien de notre temps ? On s’explique.que son nom ne se trouve pas dans les manuels de la littérature catholique, et qu’un abruti comme l’abbé Bethléem ne le prise guère. C’est normal et selon la plus dévote des traditions. Rien n’empêche, toutefois, que l’auteur de Sous le soleil de Satan, de L’imposture, de La grande peur des bien-pensants demeure un écrivain catholique dans toute la force et l’acception du terme. En tout cas, que les bondieusards le veuillent ou non, c’est peut-être Bernanos gui nous fait le mieux comprendre aujourd’hui le catholicisme et la nécessité de la présence de Jésus dans le monde moderne.

Il s’agit sans doute d’un pamphlétaire, et à le lire d’un peu près, je me demande s’il ne sort pas à l’instant de chez Léon Bloy ou de chez Drumont. Mais c’est un pamphlétaire assagi (si ces deux vocables ne jurent pas trop), et son amour de Jésus et de l’Église provoque une Joie intense, une Joie profonde qui nous rend meilleurs et nous fait aimer la vie.

On n’ignore pas que Bernanos s’est toujours plu à peindre des prêtres, parfois avec violence toujours avec un réalisme et une chaleur de tous qu’on ne rencontre pas souvent dans le monde des lettres d’aujourd’hui. Ce poète croirait manquer à son honneur d’écrivain catholique s’il prenait ses personnages ailleurs que parmi le clergé.

Il ne se trouvera, du reste, que des anticléricaux (il par rait que cette chie-en-lit, issue du pharmacien limais, n’est pas morte au pays de Québec) pour ne pas admirer une pareille liberté d’écriture et de pensée.

Dans son nouveau livre, Bernanos ne met pas seulement en scène un curé de campagne, mais une galerie complète et fort variée de portraits d’ecclésiastiques et jusqu’à un défroqué, ce qui m’enchante et m’arrache des cris de joie. Seul, Bernanos, avec l’héroïsme (car il en faut de nos jours) qui le caractérise, pouvait aller jusque-là. Laissez-moi l’admirer.

Un Français m’avouait candidement qu’on ne doit pas juger le curé de campagne par la peinture qu’en fait Bernanos. C’est le même Français sans doute qui vous affirmera que toute la France n’est pas peuplée de Grandet, de Madame. Bovary ou de Rougon-Macquart. La belle affaire ! De telles remarques si intelligentes ont le pouvoir de me jeter dans une violence d’enfer, à laquelle je supplée tant bien que mal par la brutalité de mon langage.

Chose certaine, c’est que le curé de campagne, tel que créé par l’un des plus admirables écrivains de l’heure présente, ressemble trait pour trait et jusque dans les profondeurs de l’âme aux curés de chez nous (je parle des humbles, des véritables disciples de Jésus et il y en a beaucoup, Dieu merci ! dans la province de Québec). Même mode de vie quotidienne, même façon de repérer les pêcheurs, même besoin irrésistible de sauver les âmes, puis de s’occuper discrètement des choses temporelles.

Ce n’est pas exactement le « curé de village » de Robert Choquette, mais nous n’en sommes pas très éloignés.

Certes, tous les curés ne sont pas intelligents comme Bernanos, mais je me les représente lumineux de spiritualité, à la poursuite du Vrai et je remarque que c’est le même amour de faire le bien qui les guide et les inspire.

Il faut voir avec quelle patiente sagesse, le romancier parle de l’Église. « Un peuple de chrétiens, écrit-il, n’est pas un peuple de saintes-nitouches. L’Église a les nerfs solides, le péché ne lui fait pas peur, au contraire. Elle le regarde en face, tranquillement 2, et même, à l’exemple de Notre-Seigneur, elle le prend à son compte, elle l’assume. Quand un bon ouvrier travaille convenablement les six jours de la semaine, on peut bien lui passer une ribote 3 le samedi soir. Tiens, je vais te définir un peuple chrétien par son contraire. Le contraire d’un peuple chrétien, c’est un peuple triste, un peuple de vieux. »

Je n’ai jamais rien lu de plus clair et de plus chrétien dans son sens le plus vrai. Il m’arrive souvent de causer avec des laïques qui se croient et qui se disent catholiques et qui pratiquent. Or, ils sont toujours tristes pour la plupart et ils abordent les plus simples problèmes de la vie quotidienne en prenant des airs de condamnés à mort. C’est le péché qui les rend ainsi anxieux, inquiets, troublés et mélancoliques. Que la conversation des moines est autrement vivante, claire, joyeuse ! Je n’en ai pas rencontré un seul qui fût triste. On voit qu’ils sont en état de grâce, et je ne sais pas pourquoi, mais leur présence nous rassure. On devine qu’ils possèdent la force surnaturelle de retenir le bras de Dieu. Quelle paix de l’âme, quelle âme limpide, plus transparente qu’un lac dans une aube de printemps. Que de curés de campagne ressemblent aussi à ces moines ! Mais j’en ai connu d’autres (il faut bien le dire) qui sont d’une tristesse inquiétante. Ce sont des prêtres mondains.

Celui de Bernanos ne refuse pas de rendre visite à M. le comte et à Madame la comtesse de Chantal. Pourtant, il n’est jamais mondain. S’il court souvent au château, c’est pour en sermonner les hôtes avec un art incomparable. Il devine le moindre de leurs secrets de luxure ou de haine, et chaque fois qu’il jette la sonde dans l’abîme de ces âmes, c’est pour en atteindre le fond. Grand et terrible Bernanos !

Il faut lire et relire passionnément (comme j’ai fait) le dialogue entre le curé de campagne et la comtesse de Chantal. C’est un chef-d’œuvre d’analyse, de psychologie et de raisonnement à froid.

Comme le fait si bien remarquer Mauriac, qui a écrit un article pénétrant sur le Journal d’un curé de campagne, comment Bernanos a-t-il réussi à peindre purement l’impureté ? Il y a en effet, dans ce roman, une petite campagnarde, Séraphita Dumouchel 4 qui devient amoureuse du curé. Le pauvre prêtre pose un regard tranquille sur cette petite femelle, et, par un de ces sortilèges que confèrent le sacerdoce et le vrai catholicisme, il éloigne du péché de la chair, la petite Séraphita, effrontée et curieuse. « C’est, ajoute Mauriac, le regard même du Christ sur les cœurs perdus qu’il est venu chercher et sauver. »

Les pensées du curé de campagne, je veux dire de Bernanos, sont de celles qui révèlent la plus profonde intelligence au service de la religion. « Les moines souffrent pour les âmes, écrira-t-il. Nous, nous souffrons par elles. » Ou bien encore : « Aucune société n’aura raison du Pauvre 5. Les uns vivent de la société d’autrui, de sa vanité, de ses vices. Le Pauvre, lui, vit de la charité. Quel mot sublime ! » Ou encore : « Nous nous faisons généralement de la prière une si absurde idée ! Comment ceux qui ne la connaissent guère – peu ou pas – osent-ils en parler avec tant de légèreté ? Un trappiste, un chartreux travaillera des années pour devenir un homme de prière et le premier étourdi venu prétendra juger de l’effort de toute une vie ! » Et enfin ceci que je trouve admirable (car je veux bien vous laisser le plaisir de lire plutôt le volume) : « J’ai beaucoup réfléchi depuis quelques jours au péché. À force de le définir un manquement à la loi divine, il me semble qu’on risque d’en donner une idée trop sommaire. Les gens disent là-dessus tant de bêtises ! Et, comme toujours, ils ne prennent jamais la peine de réfléchir. Voilà des siècles et des siècles que les médecins discutent entre eux de la maladie. S’ils s’étaient contentés de la définir un manquement aux règles de la bonne santé, ils seraient d’accord depuis longtemps. Mais ils l’étudient sur le malade, avec l’intention de le guérir. C’est justement ce que nous essayons de faire, nous autres. Alors les plaisanteries sur le péché, les ironies, les sourires ne nous impressionnent pas beaucoup. »

Voilà de quoi satisfaire les beaux esprits. Que je juge l’Église fortunée et divine de trouver dans son sein de tels apologistes et de tels exégètes ! Elle n’est pas près de disparaître du cœur des hommes tant qu’il y aura des Bernanos pour la défendre.

Et pourtant avec quelle simplicité il en parle. Cet écrivain possède le don incomparable de rendre le surnaturel naturel et c’est là toute la puissance aussi bien que tout le charme du Journal d’un curé de campagne. Et quand il parle de la misère et de l’enfance si tragique du grand Gorki, il me semble entendre l’accent même de Charles Péguy et la voix sacrée de la Vieille France, capable d’ouvrir les tombeaux.

Je ne peux pas m’empêcher de citer encore cette réflexion sur Claudel qui restera aussi vraie et aussi éternelle que l’Église elle-même : « Remarque que ce Claudel est un génie, je ne dis pas non, mais ces gens de lettres sont tous pareils : dès qu’ils veulent toucher à la sainteté, ils se barbouillent de sublime, ils se mettent du sublime partout ! La sainteté n’est pas sublime ! »

Il n’y avait que Bernanos pour trouver cela.

C’est triste à dire, mais comment se fait-il que les catholiques de chez nous s’abrutissent à lire des livres dévots et des romans écrits à l’eau bénite, quand il y a des ouvrages si pleins de vérité, de style et d’art, signés par des maîtres de la littérature française contemporaine ?

Un de ces ouvrages, c’est le Journal d’un curé de campagne que tout catholique véritable devrait posséder dans sa bibliothèque.

Du reste, la langue de Bernanos est la plus claire, la plus simple, la plus naturelle, la plus proche du sol et du soleil. Tous les paysans, tous les prolétaires la comprendraient. Et j’y découvre là un don presque divin.

Je l’écrivais ici même le mois dernier « que Jésus parla le langage le plus poétique et le plus simple et le plus compréhensible qu’il fut donné aux hommes d’entendre ». Bernanos, sans effort, trouve de tels accents qui vont au cœur et nous donnent cet amour de la vie et de la Joie que l’homme recherche sans cesse et que le vrai catholique seul rencontrera dans la paix du presbytère, et pour nous laïques, dans la paix du confessionnal.

Un critique français n’a pas hésité à écrire que le Journal d’un curé de campagne restera le chef-d’œuvre de Bernanos. Je laisse à un Français l’orgueil de parler ainsi. J’ajouterai cependant, que ce livre, que je viens de relire pour la troisième fois, est un des plus beaux et l’un des plus grands et l’un des plus nobles de l’année 1936.

C’est sans doute à cause de cela que la « bonne » presse de chez nous n’en a pas soufflé mot. Les saletés de l’Enquête sur les comptes publics l’intéressaient bien davantage. Ça se comprend, quand on est catholique...

 

 

VALDOMBRE.

 

Paru dans Les Pamphlets

de Valdombre en 1936.

 

 

 

 

 



1 Journal d’un curé de campagne, roman de Georges Bernanos, Plon, éditeurs, Paris. Un salaud m’a reproché de parler trop longuement des écrivains catholiques. Je réponds que je ne fais que commencer. Et parce qu’à vrai dire, il n’y a à l’heure actuelle que les écrivains catholiques qui écrivent et qui pensent, je me vois bien forcé de parler de ceux-là. J’en demande pardon à toute la province de Québec.

2 Bernanos écrit toujours « tranquillement » pour « doucement », « paisiblement », « avec calme ». Voilà qui en bouche un coin à certain critique envieux et ignare qui me reprochait des « tranquillement » dans mon roman, Un homme et son péché. Et quand on sait que Bernanos est un maître de la langue française. Franchement et tranquillement, j’en tire gloire et orgueil.

3 Voilà encore un autre beau mot, employé couramment dans la langue canadienne par nos draveurs, tous bonshommes intelligents et qui possèdent le langage français de la terre, des champs et de la campagne.

4 Peut-on trouver un nom plus canadien ? Mais Bernanos peut se compter chanceux de vivre à quatre mille milles du pays de Québec.

5 Je note avec infiniment de plaisir que Bernanos écrit toujours « Pauvre » avec une majuscule, comme Léon Bloy, du reste. Les grands catholiques se touchent et gardent la même unité de pensée et de doctrine. C’est là toute la force de l’Église et de ses apologistes.

 

 

 

 

 

 

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