Léon Bloy
LE PAMPHLÉTAIRE. – LE POÈTE
par
VALDOMBRE
Léon Bloy, le plus grand écrivain inconnu de notre époque, naquit à Périgueux, le 11 juillet, 1846. Il fit ses premières études au lycée de cette ville. Enfant d’une violence et d’une tendresse infinies, né pour la grandeur, et venu, semble-t-il, pour épouser la Misère, Léon Bloy ne put jamais se plier à la discipline du lycée, où la vie en commun, ne manqua pas de révolter son âme farouche. Dès la quatrième, son père dut le retirer. Plus tard, l’inquiétant jeune homme refit ses études, seul. Il apprit, à fond, et sans maître, le latin, cette langue de Dieu qui le consolait dans ses plus grandes douleurs, cette langue du combat qu’il maniait avec une fougue romaine, cette symphonie des larmes, qu’il berçait comme un enfant, dans ses bras amoureux.
Absolu, réfractaire à toutes les doctrines en vogue ; homme du moyen-âge, Léon Bloy soumit à sa volonté infatigable le beau et le vrai. Catholique contemplatif, il lui répugnait de provoquer d’indignes adversaires, couverts d’immondices, abreuvés de crimes. Aussi s’abîma-t-il en l’amour de Dieu, espérant, de la sorte, oublier le monde et déserter les fleuves de fange. Mais son âme, en perpétuel incendie d’amour, se cacha dans la lumière, selon la magnifique parole de Dante. Cette âme qui voulait se donner, par excès de tendresse ; cette âme que cravachait incessamment l’orage d’un siècle en démence se précipita dans le torrent littéraire. Venue par le chemin de la révolte, elle atteignit le cœur de l’abîme.
Chute inattendue qui secoua le monde des lettres, et dont la chronique parle encore avec mystère. C’était en 1887. Léon Bloy se révélait enfin à la France avec son Désespéré, roman autobiographique, d’un art exceptionnel, chef-d’œuvre de pensée et de style. Il faut crier, passionnément, à la face du monde que ce livre est admirable.
Imaginez une œuvre qui renferme le vocabulaire le plus riche de la littérature française, le style le plus violent, parfois le plus tendre, d’où s’envolent les images, pareilles à des broussailles enflammées. Songez à une exégèse de l’absolu qui serait psalmodiée par un pèlerin, tout en pleurs, sur le seuil de la maison Mystique.
C’est le Désespéré.
L’épée à la main, un pauvre terrible, le Mendiant ingrat, s’attaquait aux ennemis de la foi, de l’art, du bien. Mieux que Veuillot, et dans des conditions beaucoup plus difficiles, ce belluaire engageait avec la société intellectuelle la lutte la plus inégale, la plus cruelle, la plus retentissante qu’on ait jamais vue, et qui devait durer trente ans.
« Je suis entré dans la littérature, écrit Bloy, après une jeunesse effrayante, et à la suite d’une catastrophe indicible qui m’avait précipité d’une existence exclusivement contemplative. J’y suis entré comme en un enfer de boue et de ténèbres. » (Mon journal, p. 61.)
Pendant trente ans, Léon Bloy luttera contre la misère, la calomnie, contre la conspiration du silence, sabrant les ténèbres du monde. Pendant trente ans, à travers des embarras de toutes sortes, au milieu de tribulations sans exemple, capables d’effrayer la bohème la mieux aguerrie, le mendiant ne cessera pas de souffrir, mais il ne cessera pas non plus de parler, de chanter son affliction, de jouer de son âme comme d’un violon surnaturel. Et jamais, dira l’histoire, jamais on n’entendit musique aussi douloureuse ! ! On a tout fait pour casser les reins à ce catholique téméraire, mais il resta debout, plus solide qu’un croisé, poursuivant sans cesse dans les ténèbres les maraudeurs de lettres et les soudrilles de l’intelligence. Seul contre l’ennemi, malgré toutes les misères imaginables, lui, le plus pauvre des pères et le plus amoureux des hommes, il trouva en son âme le courage d’écrire quarante ouvrages, dont vingt-cinq, au moins, sont des chefs-d’œuvre. On serait tenté de crier au miracle, si on ne réfléchissait aussitôt que cet écrivain portait en lui la Vérité, et que c’était là le secret de sa force, le secret de son mystérieux génie.
Il semble que l’on ne puisse lire ces choses sans verser des larmes d’amour, préludant sur la harpe la plus pure des apologies et des enthousiasmes.
Et cependant, qui parle de Léon Bloy aujourd’hui, qui a lu ses livres, qui oserait le comprendre ? Le plus illustre des écrivains catholiques, mort, les bras chargés d’œuvres, le 3 novembre, 1917, reste ignoré, méconnu surtout chez les chrétiens. Nous appelons à grands cris la Justice.
N’est-ce pas désespérant pour l’art et la raison de constater que les critiques les plus lus en France, pratiqués officiellement ici, n’ont jamais nommé Léon Bloy, pas même cité une seule image de lui ? Je défie qui que ce soit de me prouver le contraire. Et alors ? Alors, goujats, tous ces dilettantes, dont on nous a nourris depuis quinze ans, et que depuis quinze ans, nous nous efforçons de vomir afin de pouvoir sauver l’honneur de toute une race, goujats, ces faiseurs de manuels, ces historiens châtrés, écrivant à la solde de l’état ou d’un public avachi. On pouvait, ce nous semble, nommer au moins Léon Bloy et ses œuvres principales. On ne l’a pas fait. Non par ignorance, mais par méchanceté. Nous appelons cela une ignominie, une honte pour la France démocratique. Nous appelons cela une ignominie, une honte pour le Canada français et chrétien.
Nous possédons (possédons, c’est beaucoup dire), nous possédons des journaux catholiques, des écoles catholiques, des législateurs catholiques. La rue est catholique et le peuple est catholique. Mais nous ne possédons pas, décidément, nous ne posséderons jamais l’art catholique. Nos esprits cultivés, nos légionnaires catholiques, qui n’ont pas vu la Bérézina, s’arrêtent à M. Joseph de Maistre et à M. Louis Veuillot. Ils ne peuvent aller au-delà, incapables d’imaginer que de l’autre côté du rivage, c’est la Victoire.
Ils ne peuvent, mais ils devinent l’invisible ; ils touchent même à son ombre de feu. Nos catholiques, très perspicaces, ne sont pas sans savoir qu’au-delà, c’est l’exagération, c’est le danger, l’enthousiasme. Au-delà, c’est l’abîme de justice et du beau, c’est le gouffre de lumière, habité par Léon Bloy. Mais les hommes finiront bien par se pencher avec amour sur cette âme qui attire l’amour. La vérité éclatera sous le ciel le plus pur, emportant dans sa constellation l’œuvre la plus artistique qu’ait créée le Génie.
I
Le Pamphlétaire
La critique, gueuse stérile, s’accroupit sur un jugement infaillible. Veut-elle injurier un auteur, elle l’appellera « pamphlétaire », croyant, de la sorte, épuiser l’intelligence humaine.
De tous temps, le pamphlet fut tourné en dérision. Pour rappeler la langue si chaste et insondable des dictionnaires, le pamphlet « se dit souvent en mauvaise part ». Il serait plus difficile d’expliquer pourquoi.
Car, il n’est pas nécessaire de s’être rafraîchi pendant dix ans dans les rinçures d’un cuistre, tel que M. Brunetière ou M. Faguet, pour savoir que les plus illustres écrivains de France s’adonnèrent au pamphlet, tantôt par plaisir, le plus souvent par devoir. Ce fut là, pour quelques-uns, le point de départ d’une doctrine admirable, que devaient consolider, par la suite, les évènements et les hommes.
Pascal, Voltaire, Rousseau, Paul-Louis Courier resteront des pamphlétaires célèbres. Et de Maistre ? Et Veuillot ? Et Vallès ? Et d’Aurevilly ? Encore aujourd’hui, les plus illustres journalistes français sont des pamphlétaires : Léon Daudet, Maurras, Gohier, Téry, tous ceux enfin qui défendent une doctrine et qui, pour la bien défendre, s’attaquent à la personne même des adversaires. Il ne s’agit plus là de plaisir intellectuel mais de défense légitime, et, en certains cas, du bien public, de justice immédiate.
L’héroïque catalan Balmès jeta dans le monde cette idée que, pour nuire efficacement à une doctrine dangereuse, il importe de s’en prendre à ceux qui la propagent. Avouons que c’est juste. Et que si les polémiques ad principia ont leur prix, seules les polémiques ad personas donnent des résultats positifs. Il n’y a que les lâches et les coupables qui s’opposeront à cette méthode.
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Léon Bloy, que son tempérament, son indignation toujours croissante, son amour, poussaient, sans qu’il le voulût, vers le journalisme personnel, déploya dans le pamphlet, cette manœuvre redoutable de guerre, une incomparable puissance. Il y apporta ses plus éclatantes qualités : l’ironie, le don de l’image, du portrait ou de la caricature, une parole fiévreuse, l’injure spirituelle ou meurtrière.
« Je suis incapable, déclara-t-il, de concevoir le journalisme autrement que sous la forme du pamphlet. » Fière parole, que seul le Paladin du XIXe siècle pouvait lancer à la gueule des Cochons. Relisez Léon Bloy devant les cochons. C’était bien dans l’esprit de cet enthousiaste de secourir le pamphlet, abandonné depuis Veuillot sur le chemin d’une littérature avilie. Pourchassant les profanateurs d’un art qu’il voulait plus haut que son idéal, il égorgea, tel un justicier obéissant, les « illustres et chers maîtres » contemporains que le délire poussait insolemment aux abattoirs de lettres. La littérature française n’est pas encore revenue de ce coup terrible, et chancelle, blessée, sur le granit de ses Hugos. Elle se voyait traînée, incapable de se défendre, par un vociférateur de génie, dans le fleuve des justices inexorables que l’ennemi s’efforçait en vain d’endiguer.
Léon Bloy, excité par l’orgueil, toujours légitime en de telles circonstances, et voulant maîtriser la tempête d’amour qui grondait au fond de son cœur, restaura le pamphlet. Le public, craintif et trop enfant, lisait Drumont, admirait Rochefort, mais lorsqu’apparut le Pirate sur la mer des âmes, il devina tout de suite qu’un orage terrible allait éclater. Afin d’éviter ce châtiment, prévu depuis un siècle, le public, instruit par la ruse et par le mal, jeta le pamphlétaire dans la conspiration du silence, abominable bagne, où le pauvre expia, pendant près d’un demi-siècle, son péché d’enthousiasme.
Ah ! l’enthousiasme, fruit si doux aux lèvres sincères, nourriture des Prophètes, fruit sacré qui ne connaît point de saison, et dont la fleur mystérieuse consolera éternellement les désespérés au fond des gouffres poétiques creusés par le Dante. L’enthousiasme fut le champ de bataille où Bloy manœuvra les phalanges de sa polémique.
L’homme qui vocifère, qui laisse tomber sur les âmes sa parole plus violente que la foudre, l’homme qui ne garde pas une mesure parfaite, qui s’emporte, est presque toujours un homme qui aime beaucoup. C’est la colère de l’amour, disait l’excellent Joseph de Maistre. Bloy fut, en ce sens, un grand amoureux, le plus tourmenté de la littérature française que huit siècles de beautés et de puissances éclairent avec splendeur.
L’enthousiasme, annonciateur de la vérité, s’infiltra dans son âme, et, toute sa vie, il le porta comme un fardeau délicieux. Il épousa la parole de justice, celle qui pardonne et celle qui châtie. Se nourrissant de cette idée que « toutes les vérités sont bonnes à dire », idée salvatrice qui met instantanément en fuite la chie-en-lit intellectuelle, il édifia la tour du pamphlet, d’où il domine ses adversaires cruellement punis.
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Arraché à la contemplation, ce dépositaire de la parole de feu, qu’avait deviné immédiatement Barbey d’Aurevilly, débuta au Chat Noir, en 1884. Il y conditionna ses premiers éreintements, publiés plus tard en volumes, sous les titres de Propos d’un entrepreneur de démolitions et Belluaires et Porchers.
Déjà, il forçait l’énorme Hugo à descendre de son rocher d’images, châtiment que l’illustre exilé n’avait point prévu. Il se produisit alors un beau tumulte au temple des lettrés aveugles. Bloy fut calomnié outrageusement, traité d’assassin, poursuivi sans relâche par les chacals que le lion courageux devait marquer, pour la vie, de ses crocs incassables.
Un pamphlétaire vociférait, hurlait, frappait à droite et à gauche. Quelques-uns échappèrent à ses coups : ce ne sont pas les plus célèbres. Car l’intuition de Bloy le trompait rarement. Il s’attaquait, d’ordinaire, à des hommes de lettres adulés, arrivés, payés, lesquels ne méritaient cependant aucun salaire.
Le journaliste-juge (tout journaliste est un juge avant que d’être un “reporter” et un chroniqueur) pardonnait à des auteurs complètement idiots, mais il ne pouvait souffrir les écrivains qui prostituaient leur talent pour de l’or. De l’or, toujours de l’or. Indigné, le pauvre volontaire se précipitait dans une fournaise ardente. Il n’en sortait que pour allumer la guerre, effrayant la racaille et forçant les rois à demander grâce. Le pamphlétaire marchait dans les allées lumineuses de son génie, laissant échapper des clameurs d’indignation, dont le tonnerre roule encore sur nos têtes inquiètes.
« L’avilissement volontaire de la Parole, écrit-il, dans cette langue mâle et sonore qui nous enthousiasme, est, sans contredit, un des attentats les plus bas qu’on puisse rêver. Qu’un misérable sabrenas de roman-feuilleton se pollue chaque jour, comme un mandrille, à son rez-de-chaussée, pour la joie d’un public abject, c’est son métier et il n’a pas même assez de surface pour le mépris. Mais qu’un écrivain de talent, pour augmenter son tirage, pour être lu par des femmes et par des notaires, pour obtenir de l’avancement dans l’administration de la gloire, descende son esprit jusqu’à cette ordure et contraigne sa plume à servir de cure-dents à des gavés imbéciles dont il ambitionne de torcher les plats, – c’est un genre de déloyauté qu’il faut divulguer, s’il est possible, dans des clairons et dans des buccins d’airain, car c’est l’éternelle Beauté qui se galvaude en ces gémonies. » (Belluaires et Porchers, p. XL.)
De parler de la sorte, ce n’est point exagérer l’avilissement dans lequel se vautrait, depuis le XVIIIe siècle, le plus grand des peuples. Certes, les mandrilles ne manquaient pas, il faut l’avouer, et leurs ordures inondaient les trottoirs. Un homme fier apparaissait enfin pour guérir les animaux malades de la peste (ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés) et pour nettoyer l’écurie. Qu’il se soit servi d’un balai, comme ose l’écrire Remy de Gourmont, espèce de Diderot qu’aurait éduqué Anatole France, on ne peut lui en faire un reproche. Lorsqu’il s’agit de décrasser des porcs, un balai conviendra toujours mieux que le glaive des Paladins.
Il est certain que les articles de Léon Bloy n’empêchent pas les imbéciles de lire encore Georges Ohnet, Zola, les frères Concourt, Bourget, About, Pontmartin, Péladan, Sarcey, Coppée, Brunetière, Mendès, tous les stériles enfin et les maniaques, mais pour ceux qui savent lire, Bloy corrige, annonce le danger et prévient les pires maladies.
Il voyait l’abîme ; il empêchait les aveugles de s’y précipiter. Seul un être fier et charitable et par surcroît appelé à cet office (lequel ne lui a rapporté que de la misère et la haine de ses contemporains) pouvait accomplir ce geste qui n’a peut-être pas instruit les hommes de son temps, mais qui nous a guéris en nous délivrant de la peste littéraire.
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Il paraît plutôt inutile de définir les qualités de Bloy pamphlétaire. Belluaires et Porchers déborde de ces portraits réalistes, de ces caricatures tout en larmes qui nous forcent à plaindre les suppliciés. Bloy possède une manière originale de rapetisser l’adversaire, de l’invectiver en le situant dans une posture ridicule. Écartèlement sans exemple dans l’histoire des polémiques, même les plus barbares.
Il mena à coups de bottes les littérateurs de son temps. Il nivela les derrières, pour rappeler une de ces images pittoresques. Abrutis par des critiques pions et es-pions, les enthousiastes ne pouvaient que se réjouir de cette méthode très militaire. Certaines exécutions de Bloy resteront des chefs-d’œuvre et, en ce genre de critique, la matière est certainement épuisée.
Peut-on, par exemple, ajouter une injure à l’article sur M. Francisque Sarcey, intitulé comiquement : Il y a quelqu’un. Veuillot ne s’abstiendrait pas de citer le début fort prometteur :
« On a beau être pressé, il y a toujours quelqu’un, toujours le même, toujours Francisque Sarcey ! Il n’en sort pas depuis trente ans. Il y mange, il y dort, il y fait l’amour, il y a vieilli, et toutes les fois qu’un coupe-jarret de l’écritoire a voulu se délester d’une ordure, la place était déjà prise. C’est, je crois, l’unique exemple d’une aussi fabuleuse pertinacité de dévoiement. » (Belluaires et Porchers, édition Stock, p. 289.)
C’est crevant quand on songe que ce lourdaud, recherché des cabotins, a connu une heure de gloire et qu’il étonnait des admirateurs. Lemaître, Jules Lemaître, tant vanté dans nos écoles, souvent aimable en prose, toujours ironiste à la France, et narquois comme lui, c’est-à-dire un peu lâche, n’a-t-il pas chanté les louanges de l’hippopotame Sarcey ? Désolation. Ou l’amuseur de Sérénus était fou, réellement épris de Francisque, ou il blaguait. Nous préférons croire à la blague, sauvegardant l’honneur d’un homme d’esprit qui a laissé de fort belles pages, particulièrement En marge des vieux livres.
Nous ne pouvons dire la même chose du sur-pion Sarcey qui brûla son existence dans les écritures sans pouvoir jamais créer une idée ou une phrase originale. Léon Bloy que dirigeait vers la lumière une psychologie puissante, et dont le coup d’œil scrutateur restera légendaire, ne manqua pas de voir l’incommensurable sottise de ce critique en théâtre, et justement l’abîma d’invectives, de ridicules, de sarcasmes. Le portrait qu’il en trace est d’un comique délirant (celui de Sâr-Péladan-Mage, excepté) ; et il serait criminel de n’en pas détacher ce dernier trait, qu’exploitera plus tard l’impayable Léon Daudet dans ses Souvenirs politiques et littéraires :
« Lorsque, par hasard, la pièce est bonne, on affirme qu’il s’endort toujours à partir du second acte et qu’il ronfle même. Je n’en sais rien, mais qu’il dorme ou veille, son vaste nez lui sert toujours d’attitude. Il y plonge sans relâche les énormes boudins de ses doigts et en retire d’inépuisables mucosités qu’il roule et pétrit en fines boulettes, assez nombreuses pour qu’il en puisse offrir à tous ses voisins.
« Dire que toute la littérature contemporaine a dû passer entre ces boulettes ! » (Belluaires et Porchers, p. 300.)
Coup décisif porté à toute une époque littéraire, à la bande des vendus et des eunuques. Quelle consolation pour les artistes pauvres, méprisés de la foule, cette chienne des épouvantes.
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Daudet, Bourget, les Concourt, Péladan, About, Pontmartin subissent le même sort. Léon Bloy les poursuivra sans miséricorde jusque sur le seuil de leur âme commune, décochant des traits dignes de Juvénal. Il les montrera à la foule tels qu’ils sont, penseurs médiocres, plagiaires audacieux, écrivains de troisième ordre. Ne nous récusons pas ; attaquons les gloires. Que Bloy ait méprisé Bourget, cela s’explique. L’auteur de la Psychologie contemporaine, œuvre de talent, n’avait aucune raison de prostituer sa plume, prétextant réhabiliter une psychologie pour dames, ce qui lui valut des corbeilles de fleurs et des corbeilles d’argent. Bourget fabrique des romans à la mode où les dessous féminins tiennent beaucoup plus de place que l’intelligence. C’était tomber dans l’ornière de Médan, refuge des écritures salopes, commerciales ; et, Bloy, son ancien compagnon de lettres, feignant de le relever, lui asséna un coup de massue que les chroniqueurs irréfragables ont enregistré avec plaisir. (Voir notamment Belluaires et Porchers, Le Vieux de la Montagne, Dernières Colonnes de l’Église.) (Je demande pardon à toute la terre de ne pas citer plus abondamment Léon Bloy. L’espace étant restreint, le lecteur comprendra qu’il faille parfois se priver, même du nécessaire. C’est bien dommage.)
Cette exécution de Bourget, faux converti et romancier à la mode, personne ne la regrettera. La justice la plus effacée l’exigeait depuis longtemps. Les journaux, où baguenaudent des copistes sans génie, étaient unanimes à proclamer Bourget « prince de l’intelligence ».
Tout sorbonnard, si Lanson soit-il, admettra que l’auteur de Némésis est, au contraire, très inégal. Bloy voulut rétablir les valeurs, et dans les plateaux de la balance, dressée par l’extraordinaire Hello, il pesa les vérités, non pas à la manière des critiques stériles, lesquels n’épousèrent jamais la franchise, mais comme l’eût fait tout homme animé du désir de rendre justice, cherchant le Mal dans les coins les plus obscurs de l’écurie, où l’histoire avait parqué ses ânes de lettres.
Les idiots, dont la méchanceté communicative n’est certes pas une excuse, des journalistes complètement bouchés, ont écrit, répètent encore que Bloy, incapable de se faire lire (évidemment ! ! !), orgueilleux, haineux, affamé de gloire, méprisait par jalousie les écrivains encensés de son temps, tous ceux que les gros tirages nourrissaient, fruit d’une prostitution telle que l’histoire se refuse à l’office de la rappeler. Est-ce là une preuve que Bloy manquait de talent ? De ne point s’aplatir devant tous les imbéciles de la terre (qu’ils soient arrivés, ils n’en restent pas moins des médiocres) ; de ne pas lécher journellement les bottes vernies de messieurs les académiciens, est-ce là manquer à la justice et démolir la vérité ? Est-ce là faire œuvre mauvaise ? Nous demandons simplement aux hommes équitables si, de mépriser, par exemple, A. Daudet, Coppée ou toute autre célébrité en écritures bourgeoises, si c’est là faire preuve de vilenie, de méchanceté ; si c’est rendre enfin témoignage contre soi-même ?
Voyons. Il fut une période, vers la fin du XIXe siècle, où, les ténèbres couvrant la littérature française, on ne distinguait plus rien ni personne. Les parvenus de lettres marchaient, en jouissant des biens terrestres, vers leur damnation inévitable. Impuissants à égorger le mal (l’art tombé en pourriture aux mains des potentats), les critiques, seuls juges commis à la restauration de l’art-bonté et de l’art-beauté, se turent honteusement et souffrirent que les écrivains les plus médiocres fussent connus du public, volant ainsi le pain des artistes pauvres, ignorés, que la gloire couvait avec amour au fond des retraites les plus ténébreuses d’un Paris en ruines. Des exemples ? Mais ils pullulent, galopant pareils à la vermine sur la charogne littéraire.
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Tout le monde veut aujourd’hui que M. Alphonse ait troussé de jolis contes « pour enfants et personnes sages », mais il ne fut pas aussi heureux dans ses romans, épais de calembours, livres sans imagination, farcis à la « méridionale ». Tartarin tant que vous voudrez, Daudet n’est pas le génie qu’on veut nous faire croire et tel qu’il apparaissait au public « gobeur », ignorantin, « caf’conc » de 1885.
Bloy a vu tout de suite les à-côtés artificiels chez ce romancier au souffle court ; il a chiffré ses tics les plus amusants, remarqué ses faiblesses ; il a dénoncé le fabricant de sincérités et il fut le premier à découvrir sous l’enveloppe de cet ami de Zola, grand fécal, un plagiaire, dont la honte n’a jamais effleuré l’auguste front.
Le pamphlétaire s’acharna sur cette proie redondante de promesses et il en fit dans le Désespéré un portrait saisissant que Léon Daudet, digne fils de l’autre, ne peut lire, à cette heure, sans verser des larmes de joie. Franchement peut-on résister au plaisir de reconnaître ce profil :
« Le talent de Gaston Chaudesaigues (il s’agit d’Alphonse Daudet), dont les médiocres ont fait tant de bruit, est, surtout une incontestable dextérité de copiste et de démarqueur. Ce plagiaire, à la longue chevelure, paraît avoir été formé tout exprès pour démontrer expérimentalement notre profonde ignorance de la littérature étrangère. Armé d’un incroyable et confondant toupet, voilà quinze ans qu’il copie Dickens, outrageusement. Il l’écorche, il le dépèce, il le suce, il le râcle, il en fait des jus et des potages, sans que personne y trouve à reprendre, sans qu’on paraisse seulement s’en apercevoir. » (Le Désespéré, p. 314.)
« Les livres des autres sont les grands chemins par lesquels il rôde et sa besace est toujours pleine quand il a fini sa tournée. Il prospère ainsi de toutes les façons imaginables, récoltant l’or ou le billon des passants intellectuels et le plaçant avec sagesse pour en tirer le meilleur profit. Il se fabrique de la gloire avec la pensée d’autrui et transmue cette gloire en très bon argent par la vertu philosophale du caillou qui lui sert de cœur. » (Belluaires et Porchers, p. 42.)
Bien à plaindre le « collégiard » qui n’admirerait pas un tel dessin ou un pareil coup de gueule, puisque jusqu’à la fin des fins, Bloy doit rester un « engueuleur ». Soit !
On s’explique maintenant que « l’horrible tapette » des Rois en exil ait répondu à un littérateur sans patrie qui lui parlait de Bloy : « Léon Bloy, connais pas. » Bon mot qui appartiendrait aussi bien à M. France en pantoufles qu’à M. Alphonse en couillardise. C’est répondre d’une façon habile, diront les modérés, mais lâche, ajouteront les hommes supérieurs. Nous savons qu’il le connaissait bien, mais qu’il préférait n’en point parler, protégeant, par cette méthode pratiquée officiellement à l’Académie, sa peau, son amour-propre, son âme de conteur tartare-abscon que les clairs de lune rendaient malade. Tout cela amusait fort le pamphlétaire. Et nous donc aujourd’hui ? On ne lit plus M. Alphonse. On relira le Désespéré cinglant M. Alphonse. Au reste, de tels châtiments renferment de si grandes joies que nous implorons la justice de s’affranchir.
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Certes, Bloy ne fut pas toujours aussi heureux. Il a commis des erreurs inexplicables, et s’est trompé cruellement sur certains écrivains de son siècle. Il était homme. Mais lui-même s’accusera plus tard de ses faiblesses et criera sa misère au monde, lequel sera étonné de voir tant de franchise et tant d’humilité chez un être orgueilleux que la passion du beau fouettait incessamment. On serait porté à croire, par exemple, que sa haine de Huysmans découlait surtout de ses relations avec l’auteur d’À Rebours. Bloy a écrit sur ce sujet un curieux pamphlet, aujourd’hui introuvable : Sur la tombe de Huysmans.
On y lit les deux articles louangeurs avant la conversion et les deux après qui veulent être des éreintements. Tout cela reste obscur. Bloy se plaint quelque part de l’offense et de « l’horrible injustice » que lui aurait faites Huysmans. Mais il ne s’explique pas davantage et, quant au grief en soi, à peine un mot. Est-ce là son fameux secret ? C’est pousser un peu loin le plaisir de combattre un ennemi imaginaire.
Ce fut là, du reste, (et tant mieux) la seule injustice grave qu’ait commise le Mendiant ingrat. Toujours il eut raison contre tous, maltraitant des auteurs qui le méritaient. Poussant plus loin sa mission d’appeler les âmes, il châtia les coupables, qu’ils fussent catholiques ou libres-penseurs, religieux ou laïques.
Qui, de bonne foi, oserait blâmer son attitude vis-à-vis le clergé ? Il le voulait romain, catholique, apostolique et fort. Jamais il n’attaqua particulièrement un membre du clergé, si ce n’est dans le cas du Père Didon (qu’il appelait le R. Père Judas) à propos de sa Vie de Jésus. Et l’absolu et l’apôtre, et le chrétien obéissant encore une fois n’avait pas tort. Pour s’en convaincre, il suffit de lire ce qu’en pensaient les Jésuites qu’on n’accusera pas d’enthousiasme ou d’irréflexion, de ce Dominicain, révélateur de Jésus, frotté de Taine et d’Ernest Reniant (cf. Études, novembre 1890, pp. 511 et suivantes). Si les Jésuites, écrivains modérés, que seuls les faits exaltent, trouvent à redire au livre du Père Didon, comment voulez-vous qu’un catholique absolu, littérateur, laïque, homme du XIIIe siècle, qu’aucune discipline monacale n’entrave, se taise ? Il a parlé, il a parlé violemment, la justice lui dictant des trouvailles de style et de pensée qu’un Veuillot eut admirées sans réserve malgré la crainte que lui inspirait Léon Bloy. Et l’histoire nous assure que Judas découvert rendit une seconde fois les deniers.
Bloy ne souffrira jamais la médiocrité chez les prêtres, ni non plus la tiédeur. Il a écrit dans le Sang du Pauvre (livre foudroyant par la profondeur de pensée et l’ampleur du style) un article intitulé : Les Prêtres Mondains, qu’on ne peut lire sans frémissement et sans appeler les bénédictions sur le signataire de telles pages immortelles.
La violence de ce pamphlétaire catholique est le résultat de son amour inextinguible. Plaçant très haut l’art d’écrire et de penser, il poignardait en plein cœur les écrivains médiocres. Ainsi il corrigea certains prêtres parce que, lui, bon serviteur, adorait l’Église ; qu’il La voulait un exemple perpétuel de perfections et de grandeur.
Cet homme que les lecteurs distraits ont toujours pris pour un bourreau et un tortionnaire, n’était au fond qu’un justicier ardent, et il n’appartient qu’à Dieu seul de juger son âme.
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Les premiers pamphlets de Léon Bloy ne sont pas sans défauts. Amené par surprise sur le champ de lettres, il écrivit à la hâte et sous l’empire d’une violence inexplicable (souvent), des pages que, lui-même, il réprouvera. Il s’attaquait avec trop d’ardeur aux pilastres de la plume qui, sans lui, seraient demeurés dans l’ombre. Son style se ressentait de ces chevauchées romantiques, et il manque de cette concision, de cette « superbe » classique qui le caractérise dans les livres postérieurs.
À côté d’impressionnantes pages, il en est où la phrase s’alourdit d’épithètes, de redondances, de néologismes inutiles. On sent que Bloy se complaît trop dans les images pittoresques, il est vrai, mais écrasantes par la minutie du détail. Sa pensée se dégage mal à travers ces faiblesses de style, dont il se débarrassera plus tard. Les meilleurs pamphlets de cet esprit retardataire, là où il a mis sa pénétration puissante, son style classique, musclé, retentissant, ce sont : Les dernières Colonnes de l’Église, Je m’accuse (exécution capitale du cochon Zola) et les huit volumes qui composent son journal intime, dans lesquels on trouve de nombreux articles inédits ou publiés dans des feuilles éphémères. Poèmes admirables par le fond et par la forme qui nous révèlent un polémiste en pleine possession de son génie. Je ne sais rien de plus vivant, de plus sincère que ce journal où Léon Bloy découvre son âme, tantôt soumise, tantôt indignée.
Du tond de sa retraite misérable, le Méconnu surveillait attentivement la marche des grands hommes politiques et littéraires. Pendant vingt ans il travaillera à son œuvre d’épuration morale. Il eût préféré écrire des livres mystiques, mais c’était là chose difficile qui demandait la plus grande tranquillité d’esprit, presque une vie contemplative. Sa vie de pauvre, son existence d’enfer, ne lui permit jamais de réaliser une ambition aussi magnifique. Il revint vers les lettres contemporaines, édifiant son journal qui restera l’un des monuments les plus originaux et les plus parfaits de ce siècle. D’autres avant lui firent du pamphlet. D’autres se précipitèrent dans la polémique. Jamais personne n’alla aussi loin que lui sur le chemin de la révolte, sur la route de l’art qui conduit à l’abîme. Et comme il avait raison ce Pèlerin de l’Absolu de laisser tomber sur le monde cette parole de beauté et de prophète, épigraphe symbolique : « Je suis seul à savoir la force que Dieu a mise en moi pour le combat. »
II
Le Poète
Léon Bloy écrivait à son ami Alfred Pouthier, auteur des Soliloques, cet aveu déconcertant :
« Malheureusement je n’entends rien à la poésie. Je suis le bourgeois du Surnaturel, le philistin du Miracle, et je comprends rarement ce qu’il m’est dit en des lignes d’inégales longueur par des personnes chevelues qui entreprennent de me révolutionner. Lorsqu’il m’est arrivé d’écrire sur Baudelaire, Verlaine ou Jeanne Termier, vous avez dû admirer la virtuosité peu ordinaire de mes réticences et combien j’excelle à ne rien exprimer du tout. C’est bien simple. Je ne sais pas. » (Le Pèlerin de l’Absolu, p. 182.)
On doit entendre que l’illustre prosateur s’accuse de ne savoir pas aimer la prosodie. Alors de retrouver sa pensée en des « lignes d’inégale longueur » l’horripile étrangement. N’a-t-il pas commis, à ces débuts littéraires, d’impardonnables erreurs ? Quand on songe qu’il mit du temps à saisir toute la beauté poétique d’un Verlaine et de Jehan Rictus, lesquels promulgateurs de la pensée harmonieuse sont faits pour être compris de Bloy, lui mystique, catholique et symboliste dans ses proses imagées que les siècles n’entameront pas.
Il racheta plus tard cette faute contre le Rêve, et publiquement il confessa sa culpabilité de visionnaire à rebours. Un tel courage en face de l’Ennemi, chez cet intendant de l’absolu, découvre assez le ciel de justice que peut atteindre parfois la Conscience de l’art.
Bien nombreux sont les critiques autorisés (j’encense ce mot, idole des sorbonnards) qui tombèrent dans le mauvais goût, l’ignorance, l’erreur répugnante, incapables de reconnaître un tel égarement. On ne rencontre pas chez Léon Bloy de ces lâchetés d’homme de lettres. Il criera plutôt sa faute, repoussant du pied les contradicteurs, et seule cette confession lui donne droit à la critique, encore qu’il n’y prétendît jamais.
« Moi-même, écrit-il, qui ne parle ici de ce grand homme (Verlaine) qu’en balbutiant et en frémissant je confesse, pour la seconde fois, qu’au début de ma misérable carrière, il m’arriva de l’insulter un jour, sans même l’avoir lu, me tenant pour suffisamment édifié par quelques menus potins. S’il en est ainsi de ceux qui semblent faits pour le comprendre, que doit-il espérer des autres ? » (Belluaires et Porchers, éd. Stock, p. 178.)
Et ce repentir consolateur des grandes âmes lui dicte alors l’article le plus sincère et le plus pénétrant qu’on ait peut-être jamais pensé sur le converti de Sagesse. De même il vouera une admiration sans bornes à Rictus, ce troublant des Soliloques du Pauvre, dont la langue argotique l’avait d’abord irrité. Un poète invisible accompagnait le pamphlétaire, et la Beauté, à la fin, devait éblouir cette âme qui retrouvait son souffle dans les torrents de la poésie :
« Je demande la permission de citer une lettre extraordinaire que m’écrivit Jehan Rictus, en 1900, un peu après les Doléances, Nouveaux Soliloques mal jugés par moi. Je lui reprochais l’argot et certaines façons de parler que j’avais trouvées trop profanes. J’ai renoncé de tout mon cœur à cette critique, restée, d’ailleurs, entre nous. Obstrué de rhétorique traditionnelle et de protocoles dévots dont je n’ai jamais su me débarrasser, je me trompais complètement, et je voudrais aujourd’hui pouvoir le confesser avec splendeur. » (Les Dernières Colonnes de l’Église, p. 186.)
Certes, de pareils exemples de fierté et d’abdication salvatrice n’encombrent pas l’histoire littéraire du dernier siècle. Il a fallu attendre la venue soudaine d’un écrivain LIBRE pour rencontrer la lumière dans l’hypogée de lettres, dont l’Académie française demeure la redoutable ouverture.
Léon Bloy marchant sur la route des certitudes poétiques épousera désormais la Beauté que lui procuraient comme une rédemption les grands poètes de l’époque. Il admirait éperdument Baudelaire, Verlaine, Rictus, Hugo (celui de la Légende), Balzac, Villiers de l’Isle-Adam, Veuillot (malgré les faiblesses de l’homme), Flaubert (pour son art consciencieux), Barbey d’Aurevilly et Ernest Hello. Glorieuse pléiade qui sauva le XIXe siècle de la ruine où l’attiraient violemment les chaînes de la décadence. Ces écrivains que la trembleuse Académie ne reconnut pas (Hugo excepté) édifient toute une littérature, muraille imposante du style et de la pensée contre laquelle sont venues mourir les vagues du matérialisme, des écritures modernes, de l’intellectualisme salonnard, toute la pourriture amassée depuis le XVIIIe siècle. Consolante épopée que Bloy, lui-même, éventra pour la gloire de son nom et la gloire de son art essentiellement poétique.
À vrai dire, ce Léon Bloy demeure inaccessible au grand public (le lecteur-peuple aimant surtout les coups de gueule, les polémiques, le blasphème et le sang) mais c’est l’écrivain admirable dont les derniers livres immortaliseront la mémoire ; c’est le poète dont le style et la pensée étonneront toujours les esprits susceptibles de comprendre le Beau, d’aimer l’art dans sa perfection.
C’est la Poésie, Âme et Chair.
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Les deux qualités essentielles révélant un poète s’élèvent, telles deux flammes immenses, de l’œuvre bloysienne : l’imagination et la sensibilité. Une imagination puissante et mystique (L’Âme de Napoléon, l’Exégèse des lieux communs, Méditations d’un Solitaire, Le Salut par les Juifs) ; une imagination souple (Le Désespéré, La Femme pauvre, Sueur de sang, le Sang du Pauvre) ; variée et très amusante (son journal intime, ses pamphlets, Histoires désobligeantes).
On ne connaît pas d’écrivains en prose qui aient creusé plus profondément le gouffre de l’imagination. Il puisait là toute la force de son génie. La pensée mystique, la conception de ses personnages et la pénétration des moindres évènements prennent sous sa plume une ampleur, une majesté inconnue avant lui.
Cette force est une création, une personnalité ; c’est Bloy lui-même, romancier, journaliste, penseur. Il ne sera pas réduit, tel un France stérile et plagiaire, à fouiller son imagination un peu partout dans les ouvrages français du XIIe au XIXe siècle. Les sources de Bloy restent invisibles. Des esprits perspicaces s’épuiseraient à les chercher. Après la Chevalière de la Mort qui trahit la manière du parpaillot Carlyle, il trouvera sa voie, et l’imagination demeurera la maîtresse inspiratrice de son œuvre principale, qui en 1887, ouvre devant le Désespéré les portes de l’orage pour s’épanouir Dans les Ténèbres vers 1917, pareille à une fleur de paix et de lumière.
Fresque imposante qui dévoile la main d’un artiste délirant d’amour et de force, d’esthétique et de lucidité.
L’imagination fut la maîtresse fidèle, mais la maîtresse brûlante, luxueuse qui poussa Léon Bloy aux plus admirables prodigalités dans le dédale des extravagances qu’illuminait la pensée mystique. C’est l’imagination qui fit sangloter dans les bras du poète ces tragédies, profondes comme les tombeaux et plus harmonieuses que les aurores, qui s’appellent : l’Âme de Napoléon, le Salut par les Juifs, Méditations d’un Solitaire, le Sang du Pauvre, Jeanne d’Arc et l’Allemagne. C’est l’imagination qui apporte à ce poète privilégié, enfant prodigue de la littérature française, des trésors de livres, dont les titres seuls attestent une incomparable originalité : Le Mendiant ingrat, L’Invendable, Le Pèlerin de l’Absolu, Au seuil de l’Apocalypse, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, Sueur de Sang, et combien d’autres.
C’est encore l’imagination, REINE du logis, qui précipite le poète dans la pensée mystique, abîme de lumières, où l’intelligence agit fortement sur les âmes les plus lointaines, impuissantes à barrer les flots d’une semblable illumination.
Symphonie dantesque que seul pouvait écrire un esprit méditatif, instruit par l’enthousiasme, impérissable création d’un esprit catholique secouru par la prière et la pratique quotidienne des sacrements.
Ce n’est plus le poète romantique du Désespéré et de la Femme pauvre, forban qui a vaincu les tempêtes, réfractaire, à l’imagination vagabonde, un peu d’aurevillesque, mais c’est le poète des profondeurs, soumis à la raison, le méditatif, capable de sonder l’âme humaine et d’irradier la vie. Sa plume alors dramatise les évènements, commande les êtres. L’imagination, faculté active, ne crée pas les personnages ou les scènes : elle les ressuscite. Elle porte en elle la vie, tandis que l’art l’anime de son souffle sacré. Puissance impénétrable du poète qui vainc les âmes afin de pouvoir les conduire vers le salut éternel. Et cependant cette qualité, si forte soit-elle, en invite une autre non moins nécessaire, non moins convaincante. Bloy fut chargé du don de la sensibilité. La sensibilité, caresse infinie, fille de douleur, qui chante sur tous les seuils abandonnés, apportant dans les refuges de l’âme, cette lampe hospitalière qui consolera jusqu’à la fin des siècles les assoiffés d’art, les mourants d’espoirs.
Lorsque le Mendiant ingrat semble avoir tari les sortilèges de son imagination, il laisse parler son cœur, et la sensibilité jaillit alors comme une eau pure et vivifiante.
Cet homme violent, combatif, venu pour guerroyer, est le plus tendre des écrivains. Son amour absolu de la vérité lui arrache, il est vrai, des invectives, des colères, des paroles sanglantes que les esprits faibles ont souillées de leur silence, mais pour ceux qui veulent l’entendre, il parle avec la plus grande douceur, épuisant la caresse des mots et l’harmonie des pensées. Là où les lecteurs distraits ne trouvent dans son œuvre que blasphèmes et ordures, invectives et coups de bottes (bonne instruction du reste, pour des universitaires salonnards et amuseurs, incapables de poursuivre à fond la lecture d’un auteur sérieux), les autres verront combien Bloy est sensible, tendre, délicat, plus vrai que Chateaubriand, moins funèbre que Lamartine. Il n’est que larmes et amour. Il faut lire ses Lettres de jeunesse et Lettres à la fiancée pour comprendre le tréfonds de cette âme sensible que l’amour de Dieu, aussi bien que l’amour des hommes, embrasait. Le mariage, ses enfants, ses amis (peu nombreux mais sincères, êtres prédestinés qui l’encouragent et l’empêchent souvent de mourir de faim), attisent sa sensibilité, psalmodiant le réalisme de la vie. La misère qui ne l’abandonna jamais (épouse terrible !) le trouve, non pas abattu, mais rayonnant de douceur et fort de son humilité. Il la berce, cette misère, âme de son âme, rythmant pour elle seule des sonates douloureuses, symphonie de son existence méditative.
Le poète est triste, et sans l’apparition de Jésus, il marcherait aveuglément vers les puits du désespoir : Il est seul. Il est LE seul au centre de la terre poétique ; réfléchissant une sensibilité lumineuse, comme jamais peut-être les hommes n’en avaient vue. Vient un moment redoutable pour chacun de nous où l’âme cherche sa raison d’être. Le poète alors laisse échapper cette plainte pathétique, exégèse du surnaturel :
« Plus on s’approche de Dieu, plus on est seul. C’est l’infini de la solitude.
« À ce moment-là, toutes les paroles saintes, lues tant de fois dans ma cave obscure, me seront manifestées et le Précepte de haïr père, mère, enfants, frères, sœurs, et jusqu’à sa propre âme, si on veut aller à Jésus, pèsera sur moi autant qu’une montagne de granit incandescent.
« Où seront-elles, les humbles églises aux douces murailles où je priais avec tant d’amour, quelquefois, pour les vivants et pour les défunts ? Où seront-elles, les chères larmes qui étaient mon espérance de pécheur quand je n’en pouvais plus d’aimer et de souffrir ? Et que seront devenus mes pauvres livres où je cherchais l’histoire de la Trinité miséricordieuse ?
« Sur qui, sur quoi m’appuyer ? Les prières des bien-aimés que j’ai donnés à l’Église auront-elles le temps ou la force d’arriver ? Rien ne m’assure que l’Ange commis à ma garde ne sera pas lui-même tremblant de compassion et grelottant comme un pauvre mal vêtu oublié à la porte par un très grand froid. Je serai ineffablement seul et je sais d’avance que je n’aurai pas même une seconde pour me précipiter dans le gouffre de lumière ou le gouffre de ténèbres.
« – Je suis forcée de t’accuser ! dira ma conscience, et mes plus tendres amis confesseront, d’infiniment loin, leur impuissance. Défends-toi comme tu pourras, pauvre malheureux ! » (Méditations d’un Solitaire en 1916, pp. 13, 14.)
Nous ne connaissons rien de plus beau dans la littérature catholique, dans la littérature sensible, poésie suppliante, douce comme un murmure de prières, poésie qui subjugue, qui transporte, qui grandit. Lumière !
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La sensibilité, l’imagination, la pensée originale, composent les assises puissantes sur lesquelles Léon Bloy a édifié son œuvre. Mais il y a encore le style qui lui vaut tous les jours des admirateurs sincères. Le style ! Tout Bloy est là, et l’artiste égale le penseur. Même ceux qui ne partagent pas ses croyances sont fascinés par cette prose purement poétique.
« Léon Bloy est un des plus grands créateurs d’images que la terre ait portés », écrit Rémy de Gourmont, enfin raisonnable. Seul Hugo peut lui être comparé. Il possède, comme le poète de la Légende, l’image épique, qui passe, tel un orage, sur les mondes épouvantés. C’est tantôt l’image douce, lumineuse, tout en larmes qui surgit d’un horizon bleu. C’est encore l’image spirituelle, que lui fournit l’exégèse des lieux-communs et de la civilisation moderne, prodigue en aperçus plaisants. Le poète ne saurait être épuisé, sa parole naturelle étant la métaphore.
Qu’on n’aille pas, cependant, affubler Bloy d’un romantisme verbal, dont la distinction, même admirable, serait l’image nombreuse ou symbolique. Certes, il y a beaucoup du romantique chez ce contemporain du Prêtre marié, mais peu de Chateaubriand. Nourri de Virgile et de Juvénal, Bloy, excité par la plus vigoureuse, la plus poétique des langues, écrit par images, trouvant là un moyen assuré de conquêtes. Mais jamais son style (celui des derniers ouvrages) n’est entaché de cette « splendeur du faux » dont parle Pierre Lasserre, cette maladie subversive qui caractérise un Chateaubriand, un Musset, un Lamartine, ravagés par la chimère du cœur ou par la chimère de l’esprit. Leurs métaphores aussi sont des chimères. Et dedans leur sincérité sentimentale, on découvre l’écriture artificielle, l’impropriété des termes, et le frelatage même des comparaisons. Le style toujours trahit le cœur. Bloy n’est point de cette école, et son romantisme découle beaucoup plus de son imagination que de son style. Sa prose toujours est classique, appartenant à la meilleure tradition latine et française. C’est la période nombreuse, musicale qu’escortent les images, s’avançant à pas de dieux sur les plaines de lumières.
La clarté ! Première et puissante qualité du style de Bloy. Ses comparaisons alors appellent l’intelligence. Elles stimulent la raison par l’éclat même qu’elles dégagent. C’est le classicisme pur. Il faut revenir bien loin en arrière pour trouver un écrivain passionné comme lui de l’image « romantique » (dans son meilleur sens) et qui cependant ne se départit jamais de la précision, de la clarté, de la vie, indices d’un style vraiment français. Est-ce saisissement, est-ce excès de louanges, je ne puis me défendre d’admirer ces éclats de prose, ces déchirements, ces plaintes, toute la vision palpitante aux bras infatigables, où viennent s’apaiser les poètes ?
C’est presque toujours l’image épique, rappelant Hugo :
« La grande Armée se détire, allongeant ses membres puissants, baillant à la mort. Pour la réveiller tout-à-fait, le vent lui jette à la figure des paquets de neige. La voilà debout, frissonnante et frémissante dans les vallées, sur les collines, sur les lacs gelés, au milieu des bois »... « Dieu a des déguisements et le Feu prend bien des formes. C’est un Vagabond qui fait ce qu’il veut, sans qu’on sache d’où il vient ni où il va. Quelquefois il tombe du ciel, comme on l’a vu pour Sodome – perpendiculairement »... « Il pleuvait des clefs de lumière pour leur ouvrir l’entendement »... « L’extermination viendra quand même, elle viendra comme la Volonté divine sur les flots de la mer ou sur le dos des montagnes qui se déplaceront, s’il le faut, à l’instar des plus dociles éléphants »... « Le vacarme du canon lointain continue, semblable au bruit d’un pilon énorme répercuté, par des falaises colossales... »
Ou bien c’est l’image élégiaque, meurtrie par l’amour ou la tendresse :
« Lorsque le Seigneur dormant du Prophète-Roi se re tournera sur son lit de siècles »... « Mais toi, sordide Bourgeois, prétendu chrétien sur qui meurent tous les symboles de la vie divine, comme les perles sur les lépreux »... « Une page adorable de naïveté chantait en lui comme une harpe d’Éole de fils de Vierge, animée par les soupirs des séraphins »... « Plus belle qu’autrefois, elle ressemble à une colonne de prières »... « Son visage où l’on voyait l’enthousiasme religieux promener sa torche »... « Clotilde belle comme le premier jour du monde »... « Un ciel bas et lourd qui semblait s’accouder sur la montagne »... « Le Voile de cette Épouse magnifique dont les cheveux de lumière ont flotté, vingt siècles, sur tous les tombeaux des Saints, de l’Orient à l’Occident »...
Quelles images et combien nombreuses, qui tombent des livres de Bloy, tantôt comme la foudre, tantôt comme une rosée consolante sur les mondes poétiques !
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J’aurais cru tromper l’art si je n’avais pas cité quelques exemples de ces images, procédé constant d’écriture bloysienne. J’ai voulu simplement indiquer à de vénérables professeurs, obstrués de rhétorique pâteuse, le moyen bien simple d’instruire les esprits de demain, de les éclairer parfaitement sur la poésie française. La lumière finira par traverser les murs de la critique autorisée et jusqu’aux cervelles de plomb. Demain, l’on appréciera à sa valeur le style brûlant d’un génie méconnu devant qui pâlissent les Anatole France, les Bourget, les Barrès et autres eunuques de la même Académie, lesquels sont goûtés, sucés et resucés au Canada par des esprits fins, colonnes de la survivance française, la fleur extraordinaire du latinisme.
Mais bientôt viendra l’agonie de ces erreurs. Les murs de la Conspiration du silence s’écrouleront sous le tonnerre du génie, et le poète aux mains de lumière apparaîtra enfin, prodiguant aux désespérés la consolation attendue depuis tant de siècles. Les supplantateurs qui s’évertuèrent à sabouler les foules abdiqueront pour l’éternité devant la gloire, soutenue par la justice impitoyable. Les écrivains illustres, académiciens et prostitués qui se désaltérèrent à toutes les coupes terrestres assisteront eux-mêmes, du fond des tombeaux, à l’éboulement de leurs ouvrages aussi bien que de leurs triomphes. La vérité éclatera enfin comme la foudre ; elle viendra demain, dans quelques heures peut-être. Il faut que Bloy soit entendu des catholiques, des amoureux de Jésus, des témoins séquestrés que la parole purificatrice éclairera jusqu’à l’aube du dernier jour.
Où seront alors les colonnes de la littérature livresque ? Que seront devenus les fabricants de lettres, les fossoyeurs de la pensée ? Anatole France dans son cadavre ne sera pas encore refroidi que les hommes l’auront oublié. Encore dix ans de sonnailles, encore dix ans d’illustrations en pantoufles et la charogne Bergeret pourrira dans la fosse de son scepticisme criminel (vieille image de Voltaire), de son ironie « renanisante », symbole des apostats.
Certes, Léon Bloy ne connut pas de son vivant les succès et les honneurs. Il parlait trop franchement aux âmes pour qu’elles pussent le tolérer. Au reste, son mysticisme d’une essence particulière ne pouvait être compris d’un public sans lettres que seul Bourget, avec ses dessous, pouvait captiver.
Mais il est encore des âmes sensibles, des âmes vivantes que l’enthousiasme le plus convoitable allume comme un incendie à la seule pensée d’une évolution possible. Celles-là marcheront vers Bloy le suppliant de fixer le terme de l’indignation. Et ce sera l’amour s’épanouissant pareil à une fleur dans les serres brûlantes du cœur chrétien.
Ah ! si le maître-pauvre, si le Désespéré eut consenti à flatter les instincts de son triste siècle, à louanger le mal et décider l’ancrage des passions, il eut obtenu alors un succès sans exemple dans la littérature française, car tous les dons de l’écrivain lui furent octroyés. Jamais un Anatole France (il faut le nommer une dernière fois, sa charogne fumant encore) lui eut porté ombrage, ébréché seulement sa gloire. Mais jamais Léon Bloy ne voulut descendre dans ce puits d’ordures. Il préféra vivre pauvre, abandonné, calomnié, mais ne cessant d’écrire pour Dieu, pour l’illustration de sa gloire dans le monde. Dès lors ses livres viennent comme un éclaircissement, tel qu’il est dit dans la Genèse, et toutes les âmes susceptibles de comprendre le beau et le vrai s’évanouissent d’admiration devant une pareille sublimité.
Léon Bloy a des disciples nombreux appelés à la répercussion de son chant prophétique. Ceux qui l’ont lu lui appartiennent désormais ; ils ne peuvent arrêter le fleuve rapide et bleu de la poésie qui va les entraîner infailliblement vers les rivages de l’art. S’il convainc les esprits par l’écriture, il conquiert les cœurs par sa sincérité, par sa foi absolue, par son amour de Dieu et son amour des hommes. Il est l’élu, dénombrant les privilèges. Nous assistons à cette heure au renouveau catholique intellectuel en France, dans le monde entier. L’histoire dira combien les livres de Léon Bloy ont contribué fortement à cette rénovation désirable dont l’appétence annonce irrévocablement la chute des lettres païennes.
Lorsque le monde catholique se sera enfin réveillé, lorsqu’il aura compris Léon Bloy, l’enseignant dans toutes les écoles, il ne restera plus rien alors des vieux livres sceptiques, qu’ils soient de Renan ou de France, dont la rancidité pervertit le goût, empoisonne le cœur. La lumière jaillira de partout, pénétrant dans les caves les plus obscures, purifiant les malades et sauvant de la ruine spirituelle les héros de Dieu sur qui repose la Destinée. Ceux-là seuls vivront qui fouillèrent les âmes en les attirant vers l’abîme des enthousiasmes. Et Léon Bloy viendra, porté sur les eaux de la gloire, ne permettant à personne d’échapper à sa domination. Malgré la vomissure du présent siècle, malgré les ennemis de l’Église, malgré les riches et le mal, Bloy fera son intrusion retentissante dans les âmes, et forcera la gloire à lui ouvrir les portes de l’immortalité, promise aux seuls écrivains venus pour apporter aux hommes, comme un flambeau, l’amoureuse et pathétique Vérité.
VALDOMBRE, dans Les soirées
de l’École littéraire de Montréal, 1925.