Premières reculades d’un Duplessis

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

VALDOMBRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’étais fait pour

le pouvoir.

(Duplessis à la session

d’octobre 1936).

 

 

Il m’aura été accordé, comme suprême faveur, de voir de près M. Maurice Duplessis, premier-ministre actuel de la province de Québec. Un ami me le présenta un jour, et je garde bonne souvenance de n’avoir, à partir de ce moment-là, jamais salué l’amusant politicien des Trois-Rivières. Pourtant, je le croisais et le toisais souvent, à la Chambre, dans les couloirs de la Maison des parlementeurs et de Messieurs les ronds de cuir. De ma nature, je ne suis pas un salueur de morts ni de vivants. Et parce que M. Duplessis n’est pas dépourvu d’intelligence, je sais qu’il n’a pas tenu compte de ce manque de civilité de ma part. Je sais que le premier-ministre n’aime pas les aplatis, les arrivistes, les flagorneurs et les salueurs, encore qu’il sache les utiliser à l’occasion, jusqu’au jour où il les boutera dehors à coups de pied dans le derrière. Et je l’en féliciterai.

C’est vous dire tout de suite que je connais pas mal notre cher, premier-ministre, et, à certains moments de sa profitable carrière, je n’ai pu me défendre de l’admirer.

Je l’aurai vu se battre et se débattre tout seul (car ce n’est pas le « Popaul » à papa Sauvé qui pouvait l’aider) comme un preux et comme un homme contre un Gouvernement d’une domination scandaleuse, où les votes, si nombreux, ne se comptaient même plus. J’ai encore dans les oreilles le beau tumulte de la session de 1935. J’aurai entendu M. Duplessis dans des envolées qui ne manquaient ni de cœur, ni d’à-propos, ni d’intelligence. Il était chef de l’opposition à cette époque-là ; il était sincère ; il était lui-même. Il était beau. Il vomissait à pleine bouche contre les trusts, contre les puissances d’argent, contre les Forts, contre les Arrivés. Contre le pouvoir. Je me disais avec une candeur, qui eût enchanté Voltaire, qu’un tel homme n’était pas né pour jouir de la force et de la multitude des votes, et j’étais sûr qu’il ne consentirait jamais à se départir de la Vérité et de la ligne droite, qui resteront toujours la seule raison d’être d’un vrai polémiste et d’un homme honnête. Je le revois le Duplessis de ce temps-là. Il n’avait de larmes, d’émotions et d’estime que pour les pauvres, pour les humbles, pour la sueur et le sang d’un peuple, qu’un régime démocratique et pourri, tenait, depuis soixante ans, sous la botte des financiers anglais.

J’aurai vu ce chef d’une opposition disloquée, usée jusqu’à la corde, abrutie ; je l’aurai vu lutter absolument seul contre le régime le plus extraordinaire qui ait jamais glorifié notre belle province de Québec. Je vous répète que je l’ai vu maintes fois, ses deux poings délicats posés sur le bedon et commencer d’une voix calme : « M. le Président », puis s’échauffer peu à peu, enfler la voix, gémir, tonitruer, devenir tragique, et soudain, comme en un rêve, sabrer, de ses deux petits bras, l’atmosphère lourde et empoisonnée d’une Chambre britannique en décomposition.

Dans ce temps-là, M. Duplessis vomissait à pleine bouche contre les trusts, contre les puissances d’argent, contre les Forts, contre les Arrivés. Contre le pouvoir.

Admirable chef, va ! tu fus toi-même jusqu’à l’heure fatale où le Destin devait t’étrangler.

 

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Il advint que M. Duplessis rencontra sur sa route un nommé Paul Gouin. Pourquoi ne pas tirer bon parti d’un homme qui portait un nom, se dit-il sans doute ? Ils se serrèrent la main. Je connais des coalitions moins honorables. Ils se jurèrent fidélité. Il existe dans notre lamentable histoire politique des unions moins légitimes.

Et un beau matin, ils partirent tous deux en campagne contre l’empereur Alexandre. Don Quichotte et Sancho ne furent pas plus heureux dans leurs expéditions. Ce fut le plus beau tumulte jamais vu en terre québécoise. Nos deux guerriers réintégrèrent la patrie natale, chargés de chevelures, couverts de médailles et marqués au front du suffrage universel. M. Duplessis, étant le plus âgé et le plus habile, conçut le projet de chausser les bottes de l’empereur Alexandre. Il les savait bien un peu grandes pour lui, mais de loin, le peuple n’y verrait pas. Retournons en guerre. Chose étrange, et que des historiens sérieux cherchent encore à expliquer, c’est que cette fois-ci, le général des Trois-Rivières décida de marcher seul. Que s’était-il passé ? On a parlé de trahison. Je n’ose pas y croire. Demandez-vous simplement lequel des deux avait le plus d’intérêt à trahir l’autre ?

Il reste que l’audacieux Duplessis remporta une victoire éclatante et qu’il laissa l’empereur Alexandre agonisant sur les Plaines d’Abraham. Bien fait et bienfaits !

Voilà une touchante histoire, telle que la raconteront les jeunes patriotes d’aujourd’hui à leurs petits-enfants de demain.

 

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Maintenant, je m’adresse aux contemporains. Les génies qui servent de ministres à M. Duplessis trouveront la chose moins drôle. Voici. Le premier-ministre sait mieux que quiconque l’horreur du régime démocratique. Il le sait si bien qu’il n’hésita pas à descendre jusqu’à faire remonter à la surface, afin que rien n’échappât à la bêtise du peuple, tous les scandales, tous les péchés et toutes les faiblesses d’un régime que la maudite Démocratie tenait dans ses griffes de vautour. Pourquoi diable ! ne pas en profiter puisqu’il gardait le pouvoir à la portée de sa main ?

Il fit éclater la bombe de l’Enquête sur les Comptes publics. Le peuple s’émut ; le peuple gigota d’aise. M. Duplessis a toujours su que le pauvre peuple canadien-français est friand de scandales et des péchés... des autres. Il lui en a servi à souhait. Il parcourut toute la province, depuis la triste et si belle Gaspésie jusqu’au fond du comté de Labelle, traînant derrière lui toute la crasse de soixante-quinze ans de régimes conservateurs et libéraux. Il traita ses adversaires de vendus, de forbans, de pirates et de pourris. Il trouva des invectives qui m’enchantent. Le talent qui l’honorait, lorsqu’il se trouvait chef de l’opposition, lui servit de pelle pour « vider les écuries d’Augias », ainsi qu’il le répéta souvent à la populaille qui l’applaudissait à tout rompre. On se trouvait en face d’un autre Duplessis, d’un Orgueilleux à l’approche du Pouvoir, rempli de farouches clameurs, de malédictions et d’injures qui resteront célèbres.

Il a crié à tous les vents qui, « de feuille en feuille » (ou de journal en journal) portaient ses paroles « qu’en face des scandales qu’il allait révéler, le Ministère Taschereau, affolé, démissionna dans la nuit ».

Mais Duplessis devant les hurlements d’un peuple misérable qu’il avait exalté, qu’il avait excité, se trouva pris lui-même d’un affolement tel, qu’il s’engagea avec une imprudence, inexplicable, chez un avocat de sa trempe, dans un monde de promesses et de chimères qui ruineront à tout jamais la province de Québec, si jamais elles se réalisent.

Dans son affolement, il a tout promis à la jeunesse. Il lui a promis du travail, de l’argent, du pain et des cirques. Il s’est servi de la jeunesse pour débarrasser la province d’une poignée de vieillards. Et la jeunesse généreuse, la jeunesse qui a faim de pain temporel et qui a soif d’idéal, crut en cet homme et vota pour lui.

Duplessis, dans son affolement, avait oublié une chose, une seule. C’est que « l’homme mûr ne doit approcher la jeunesse que s’il a une nourriture à lui offrir ».

Que lui a-t-il donné depuis le 17 août 1936 ? Des ministres, et les ministres que l’on sait. Je me rends compte que M. Duplessis ne fréquente pas beaucoup les cercles de jeunes, car devant l’indignation qui menace sa tête, il s’empresserait davantage à remplir ses promesses et à courir chez les chefs des jeunes patriotes plutôt que chez Sir Herbert Holt ou le sieur Pitfield. Il verrait clair, il comprendrait, il redeviendrait chef de l’opposition pour la défense de la Vérité et le salut du peuple. Mais il ne veut rien voir, ni rien entendre. Il respire béatement dans une atmosphère de louanges et de parfums. Il règne. « J’étais fait pour le pouvoir ! » s’est-il écrié dans un moment d’incommensurable vanité. Un Néron n’aurait pas mieux dit.

Le temps est proche, toutefois, où la racaille lui fera payer cher certains engagements solennels. A-t-il déjà oublié l’assemblée monstre et monstrueuse au stade de Montréal, alors qu’une espèce d’énergumène lui posa cette question : « Que ferez-vous de la taxe de vente ? » Affolé, M. Duplessis jeta cette réponse : « Je l’abolirai ! » Il se rendit compte aussitôt de la gravité de l’engagement qu’il venait de prendre devant quatre-vingt mille personnes. Il savait bien, à ce moment-là, ne jamais pouvoir remplir une telle promesse. Il n’ignore pas que les extravagances des secours directs, dans une ville comme Montréal, où grouille le communisme, doivent se payer, et que si ce n’est pas au moyen de la taxe de vente ce sera sous forme d’une autre contribution. Pourquoi alors mentir, face au peuple et face au ciel ? Mais le démagogue approchait de plus en plus du Pouvoir. Il n’hésiterait pas à tout promettre pourvu qu’il s’en emparât. Coulé comme en un bronze d’orgueil et d’éloquence fantaisiste, il défia l’avenir. Il défia la Vérité.

Cinq mois à peine se sont écoulés depuis ces heures de griserie et de triomphe et voici, déjà venu, le jour de l’échéance. M. Duplessis recule.

Il a reculé bassement devant sa promesse d’abolir la taxe de vente. Et il aura fallu un Candide Rochefort, un prolétaire, pour le lui rappeler amèrement. En effet, si M. Duplessis était sincère au mois d’août 1936 au sujet de cette maudite taxe de vente, que n’a-t-il, au cours de la session d’urgence d’octobre 1936, légiféré, dans le sens qu’il avait lui-même indiqué ? Il a reculé et il a reculé bassement.

Ce n’est pas tout. Mieux que personne, l’avocat des Trois-Rivières connaît la défection du système démocratique et l’horreur du suffrage universel. Mieux que personne, il sait que les élections ne se font pas avec des prières (même si on en récite publiquement pour mieux tromper le peuple) et il sait que la caisse électorale ne se doit pas dégarnir si on veut gagner les élections. En retour, il faut bien rembourser aux souscripteurs, sous forme de contrats plus ou moins « intéressants », les sommes versées avec tant d’enthousiasme. Honnête comme il l’est, M. Duplessis n’a pas hésité à crier partout, durant la dernière campagne, « qu’il ferait une refonte de la loi électorale et qu’il rédigerait une clause par laquelle, les partis politiques seraient tenus et obligés de publier la liste de leurs souscripteurs ». Voilà un langage honorable. J’estime que c’était là le seul moyen de purifier le suffrage universel et de couper le mal à sa racine. Cette seule promesse valut à M. Duplessis des milliers de votes honnêtes et sincères.

Or, qu’a fait l’avocat des Trois-Rivières ?

Au cours de la dernière session, il a retapé, à sa manière, la Loi électorale. Seulement, il a oublié (?) d’y insérer la fameuse clause. Devant les protestations très énergiques et fort intelligentes de M. Bouchard, le premier-ministre s’est contenté de répondre : « En face des obstacles que présente cette clause, nous avons décidé de prendre notre temps afin de trouver une formule effective, efficace et féconde. Remettons cela à plus tard. »

Encore une fois, M. Duplessis a reculé et il a reculé bassement.

Ce n’est pas tout.

Depuis trois ans, M. Duplessis a protesté avec violence contre l’ancien régime, l’accusant de protéger le capital étranger (en fait, le capital anglais) au détriment des Canadiens-français. Sur ce sujet, qui fit éclater les plus beaux feux d’artifices, le meneur de l’Action nationale témoigna d’un patriotisme édifiant, d’un patriotisme sacré, auprès duquel celui d’un abbé Groulx, par exemple, paraît être un relent d’eaux de vaisselle. M. Duplessis, naturellement, s’engagea devant les masses laborieuses des faubourgs, à défendre les intérêts des Canadiens-français, à protéger et à encourager les firmes et les industries canadiennes-françaises.

Or, une fois à la tête du gouvernement, que fit notre patriote de la Cité de Laviolette ?

Il se jeta simplement dans les bras de Sir Herbert Holt et dans ceux, non moins ensorceleurs, de M. Pitfield. Il retira de la Banque Canadienne Nationale (une institution qui nous fait honneur) le compte de la province de Québec pour le déposer à la Banque Royale du Canada. Beau et grand geste qui honore un homme de cœur et un Canadien-français qui n’a qu’une parole.

Il recula et il recula bassement devant les Anglais. Est-ce dans la tradition des petits noblets ?

Mieux encore. Il accorda, sans soumissions, des contrats à des firmes anglaises afin de permettre aux beaux petits enfants blonds de l’Ontario de se procurer à Noël beaucoup de jouets et de joie avec l’argent des Canayens, tandis que les enfants en guenilles de nos colons et de nos ouvriers crèveront de faim et se rongeront le cœur en fixant l’étoile des Mages.

 

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Et voilà une partie de l’œuvre d’un Ministère qui règne depuis cinq mois à peine.

M. Duplessis a reculé devant la taxe de vente, il a reculé devant le suffrage universel, il a reculé devant les souscripteurs aux caisses électorales et il a reculé devant les Anglais. Il a reculé et il a reculé bassement devant ses promesses. Notez que je ne parle pas de toutes celles qu’il a faites au sujet de la réduction du nombre des ministres, au sujet des employés civils, au sujet des économies indiquées et réalisables au sein même de l’administration de la chose publique. Non.

Il a reculé devant tout et devant les hommes. Mais il n’a pas reculé devant le Christ. Et pour bien montrer sa bonne foi, il a fait accrocher un « beau » crucifix dans la Chambre sacro-sainte de la Démocratie.

Que le premier-ministre, mon serviteur, sache bien une chose. Je ne suis peut-être qu’un « vil pamphlétaire », qu’un écrivain obscur et l’humble villageois rivé à sa patrie natale ; que je ne consentirai jamais non plus à monter sur les barricades, tant que je n’aurai pas mesuré jusqu’où veut monter la jeunesse fiévreuse, brutale et si admirable d’aujourd’hui, mais j’ai deux mots à lui dire, comme conclusion et je m’exécute.

Le Christ, on le porte dans son cœur et, pour un politique, on légifère dans le sens et la doctrine du Christianisme, et pour un premier-ministre, on n’agit pas en sorte qu’un pauvre peuple, foncièrement catholique et français, devienne un ramassis de fonctionnaires, de flancs mous, de désœuvrés et de vieillards socialistes à la merci de l’État. Tout cela reste beaucoup plus grave que les petites histoires folichonnes de l’Enquête sur les Comptes publics et des destitutions en bloc. L’ancien chef de l’opposition devrait le savoir. S’il l’a oublié, la jeunesse se chargera de lui rafraîchir bientôt la mémoire, soit avec l’aube d’un nouveau Printemps.

 

 

VALDOMBRE.

 

Paru dans Les Pamphlets

de Valdombre en 1936.

 

 

 

 

 

 

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