Révocation de l’édit de Nantes

 

 

À chaque époque de l’histoire, le génie du mal revêt un caractère différent, approprié à l’oblitération graduelle du sens moral. Et d’abord c’est le protestantisme, premier degré de la corruption sociale dans les temps modernes. Il voulut remplacer le catholicisme par un autre culte ; ce projet insensé enfanta une religion absurde, mais enfin c’était une religion. La réforme se métamorphosa bientôt en philosophisme, deuxième degré de corruption : la religion fut mise au pilori et l’homme invoqua la nature et adora la raison. Nous sommes arrivés à la troisième période de ce mouvement rétrograde : à la période d’indifférence. Nous ne voulons pas employer le mot de tolérance ; tolérer, en effet, signifierait ici supporter une religion qu’on croit ne pas être bonne. Or, notre siècle, ne reconnaissant aucun culte, ne saurait être compétent pour décider si une religion est bonne, ni conséquemment en tolérer une qui soit mauvaise, à son avis.

Un fait digne de remarque, c’est que le siècle de la réforme, le siècle du philosophisme et le siècle de l’indifférence sont d’accord en un point : celui d’attaquer le catholicisme, de l’écraser comme infâme, de l’étouffer dans la boue. L’Église se rit des vains efforts tentés par les Julien de l’apostasie moderne : cette audace tournera à leur perte, comme celle de l’ennemi du Galiléen tourna à sa honte.

Il n’en est pas moins vrai cependant, que la tyrannie et la pression des hommes d’État et les calomnies, sans cesse répétées par les écrivains antireligieux, font un tort immense à la foi, parmi le peuple. C’est ainsi que pour affaiblir et détruire la salutaire influence des principes de l’Église, on l’accuse elle-même ou ses ministres d’actes auxquels ils sont complètement étrangers, ou auxquels ils ont pris une part toute différente de celle qu’on leur attribue. Faut-il citer ici l’inquisition d’État espagnole, dont on a injustement exagéré les actes et plus injustement encore attribué les rigueurs à la papauté ? Faut-il citer le procès de Galilée, si indignement travesti en dépit de toutes les affirmations de l’histoire ? Faut-il citer la Saint-Barthélemy, ce thème éternel de déclamations mensongères ? Faut-il citer la révocation de l’édit de Nantes, si audacieusement dénaturée, pour attribuer au catholicisme l’immense responsabilité assumée par le protestantisme au XVIIe siècle ? Nous avons traité ailleurs les trois premiers faits ; nous nous arrêterons ici à la révocation de l’édit de Nantes.

Abordons franchement la question et demandons-nous :

1. Faut-il attribuer la révocation de l’édit de Nantes à l’Église catholique ?

2. Cette révocation était-elle logique au point de vue religieux ?

3. Était-elle prudente au point de vue politique ?

4. Louis XIV avait-il le droit de révoquer cet édit ?

5. Quelles furent les Suites de cette révocation ?

La première question est résolue négativement par la presque unanimité des historiens ; nous ne citerons que le duc de Noailles, Lacretelle, la Biographie universelle, Rohrbacher, Berault-Bercastel, et même Saint-Simon, auquel personne ne refusera la triste gloire d’être un ennemi acharné de l’Église. L’opinion de ces auteurs, qui est la seule vraie, s’explique, du reste, lorsqu’on réfléchit à la position que Louis XIV s’était faite par la déclaration de 1682. Elle avait en effet soustrait les souverains français à la surveillance que les papes exerçaient, de par le droit public, sur les chefs temporels des nations ; elle les avait détachés de cette fédération catholique dont la papauté avait toujours été l’âme ; elle les avait fait juges d’eux-mêmes, mais elle les avait aussi rendus seuls responsables de leurs actes. L’influence politique de l’Église avait cessé ; et Louis XIV, absolu par caractère, s’était placé, comme dit L. Blanc, au-dessus de toute juridiction ecclésiastique. Un simple rapprochement de dates fera encore mieux ressortir cette vérité.

À la fin du XVe siècle, le précédent système social n’avait pas encore été altéré. Aussi que voyons-nous ? Ferdinand et Isabelle établissent l’inquisition d’État espagnole ; cette institution abuse de son pouvoir et des innocents sont persécutés. À qui recourent les victimes ? À Sixte IV, qui leur fait rendre justice.

À la fin du XVIIe siècle, Louvois, trompant son maître, convertit les huguenots par la force. Mais alors plus d’appel, plus de recours, si ce n’est au roi, qui se contrôle ainsi lui-même.

Les faits et les historiens impartiaux de toutes les opinions ne permettent donc pas d’attribuer la révocation de l’édit de Nantes à l’Église catholique.

Cette solution négative, qui sera confirmée par la suite de notre récit, ne doit cependant faire préjuger en rien les autres questions que nous nous sommes posées, car nous n’en soutiendrons pas moins que la révocation était logique au point de vue religieux comme au point de vue politique.

Et d’abord, quant à la religion, les calvinistes étaient fidèles à leur culte parce qu’ils le croyaient le seul vrai ; c’est du moins l’unique supposition admissible, toutes les autres changeant complètement la question. Or, les catholiques soutenaient le contraire.

Écoutons ce que dit à ce sujet le duc de Bourgogne :

« Sans entrer dans des discussions théologiques qui ne sont pas de ma compétence, et dans lesquelles je suis très-peu versé, je demande au plus habile des huguenots si jamais un législateur laisse une société sans juges, établis pour terminer les différents, en donnant à chacun le droit de se faire justice à soi-même ? Un tel législateur ne serait certainement pas un Dieu, il ne serait pas même un homme sensé. « Mais, dira-t-on, Dieu a donné ce juge en matière de religion, c’est sa parole, c’est l’Écriture sainte. » N’est-ce pas vouloir que les remèdes suffisent pour la guérison des malades sans médecins pour les appliquer ? La parole sainte c’est le remède : le juge, c’est le médecin qui l’applique. La même parole ne signifie pas la même chose pour tout le monde. L’ignorance et les passions des hommes sont des sources intarissables d’erreurs. Ne sait-on pas que les luthériens ne pensent pas, sur plusieurs points essentiels de la foi, comme les zwingliens, ni ceux-ci comme les calvinistes ? Il y a plus : c’est que, par la licence que chacun se donne parmi les huguenots de juger de l’Écriture et de la foi, on voit éclore tous les jours de nouvelles erreurs, et comme de nouvelles sectes du sein de chaque secte. Non-seulement ils se contredisent dans leurs professions de foi, mais, sur dix ministres de la même confession, on n’en trouverait pas deux qui ne diffèrent en quelques points essentiels de doctrine. Or, une religion dans laquelle tout serait ainsi abandonné aux interprétations arbitraires des particuliers, pourrait-elle être regardée comme l’œuvre de la sagesse divine ? En vain dira-t-on que les erreurs viennent des hommes, et non pas de l’Écriture, celui qui forma l’esprit de l’homme en connaissait bien la portée ; et, puisque par le fait (les huguenots en sont une preuve bien frappante), puisque l’homme est incapable de se conduire, et qu’il s’égare à chaque pas, en croyant suivre la voie que lui indique l’Écriture, il était de la sagesse et de la justice de Dieu de lui donner un guide pour le diriger sûrement dans la matière sur laquelle il importe le plus de ne pas se tromper ; comme un prince, non content de faire des lois, doit encore donner à ses peuples des juges pour les interpréter au besoin, et en faire l’application aux contestations qui surviennent. Ce guide dans la foi, que Dieu devait donner à l’homme, il le lui a donné, en lui ordonnant de se soumettre à son autorité. Et, puisque les huguenots en appellent à l’Écriture, que l’Écriture soit juge : c’est l’Écriture elle-même qui me dit d’écouter l’Église, et qui me le dit dans les termes les plus clairs. Or, cette parole claire, et que j’entends clairement, me tranquillise sur celles que je n’entendrais pas, en attendant que l’Église, que je dois écouter, m’en donne l’intelligence, si elle le juge expédient, suivant les temps et les circonstances. L’Église est dans la nouvelle loi ce qu’était la tribu de Lévi dans l’ancienne.

« On dira que l’Église est composée d’hommes qui peuvent se tromper, et Luther est donc infaillible ? et Calvin n’est donc point sujet à l’erreur ? Mais le Dieu qui me dit d’écouter l’Église savait bien encore de quels hommes serait composée l’Église : ce n’est donc pas à ces hommes sujets à l’erreur que j’ai affaire, c’est au Dieu qui me dit de les écouter. Et, quand ils voudraient me tromper, ces hommes, dès qu’ils sont l’Église, ils n’y réussiraient pas : ils prophétiseraient plutôt comme Balaam, par un esprit qui ne serait point le leur. Que si quelqu’un ne prend pas cette idée claire et simple dans son vrai point de vue, il ne faut plus contester avec lui, mais prier Dieu de l’éclairer et de le toucher, car le cœur et la volonté ne sont pas moins malades en lui que l’esprit.

« Il est, dis-je, assez évident que Dieu devait établir un juge certain des questions et des disputes qu’il prévoyait bien devoir s’élever sur la foi ; il est assez évident encore que Dieu a désigné ce juge, et que c’est l’Église. Mais il faut être de bonne foi pour avouer ce que l’on voit, et sans passions pour suivre ce que l’on croit. Et de là, je trouve encore un argument pris dans la raison, qui me paraît bien propre à rappeler de l’hérésie un esprit droit et un cœur libre, le voici : c’est qu’en remontant jusqu’à Luther et au delà, nous trouvons, par des faits certains consignés dans les histoires, que la prétendue réforme n’a eu pour fondateurs et pour apôtres les plus distingués que des esprits emportés et séditieux, des prêtres concubinaires et des moines apostats, qui, dégoûtés du célibat, s’unissaient par des alliances scandaleuses, tantôt à des filles libres qu’ils enlevaient à la maison paternelle, quelquefois à des femmes qu’ils ravissaient à leurs maris, et plus souvent à des religieuses auxquelles ils procuraient l’évasion de leur cloître 1. Or, ne serait-ce pas bien étrange que le Saint-Esprit eût suscité de pareils ministres pour donner aux hommes de nouvelles lumières sur la religion ?

« Pour les hommes grossiers et incapables de saisir une idée, quand elle n’est pas simple et palpable, ils doivent bien au moins sentir la force de ce raisonnement : qu’avant Calvin il n’y avait point de calvinistes ; que leurs pères étaient catholiques, et qu’avant la venue de Calvin, ils connaissaient le chemin du ciel, qui leur était tracé par Jésus-Christ et par les saints qui ont vécu dans tous les siècles.

« Calvin fut élevé dans l’Église catholique. Est-ce cette Église qui mérita d’être répudiée par Calvin, ou est-ce Calvin qui mérita d’être retranché de sa société ? »

Les calvinistes, de leur côté, soutenaient qu’on pouvait aussi se sauver dans l’Église catholique, aussi bien que dans la leur.

« Les huguenots, continue le duc de Bourgogne, en se séparant de l’Église catholique, accordent la possibilité du salut à ceux qui restent dans sa communion ; et ils seraient inconséquents s’ils ne le faisaient pas, puisqu’ils accordent cette même possibilité de salut aux différentes sectes qui partagent leur prétendue réforme, et dont quelques-unes diffèrent entre elles en des points aussi grands que ceux qui les séparent de l’Église catholique. Et de ceci naît un raisonnement frappant et à la portée des plus simples. Vous convenez, et vous êtes forcé de le faire, que les catholiques sont encore dans la voie du salut ? Les catholiques, malgré votre indulgence pour eux, soutiennent, et sont obligés de soutenir, que vous êtes dans la voie de la perdition : vous ne risquez donc rien à être catholique ; vous risquez de vous perdre en ne l’étant pas ; ce n’est donc point un acte de tyrannie, mais un acte de charité qu’on exerce envers vous quand on emploie tous tes moyens possibles pour vous rappeler à la religion de vos pères, au parti le plus sûr. Henri IV, qui avait l’esprit juste, sentit toute la force de ce raisonnement, et s’y rendit.

Donc la possibilité de salut dans les deux religions était reconnue par les calvinistes, et l’impossibilité de salut dans la réforme soutenue par les catholiques. Nous nous demandons quelle nécessité il y avait dès lors pour les protestants de fomenter la révolte dans leur patrie, et de mettre la France à feu et à sang, pendant de longues années ? La raison, l’équité et la justice, à défaut d’autres sentiments, ne leur ordonnaient-elles pas de prendre, comme Henri IV, le parti le plus sûr pour leur âme et le plus salutaire pour le pays ?

Nous allons voir que la loyauté des huguenots en politique équivalait à leur aveugle obstination dans l’erreur religieuse.

Les Mémoires de l’époque prouvent, à chaque page, que les huguenots étaient de fort mauvais citoyens. Ils livrèrent le Havre aux Anglais, ils appelèrent en France les reîtres et les lansquenets, ils livrèrent la Provence au duc de Savoie, ils tentèrent d’enlever le roi, et voulurent même démembrer le pays, car il est constant qu’ils projetèrent d’ériger le midi de la France en république, ou du moins en état indépendant.

En signant l’édit de Nantes, Henri IV ne réussit pas à faire revivre l’amour de la patrie dans le cœur de ces Français que l’erreur religieuse avait rendus traîtres à leur pays et complices de l’étranger. Ce monarque le savait, et les Mémoires du cardinal de Richelieu nous apprennent qu’au lit de la mort Henri IV dit à Marie de Médicis « que les huguenots étaient les ennemis de la France, et qu’ils feraient un jour du mal à son fils, s’il ne leur en faisait ».....

Ces paroles sinistres n’étaient que trop vraies. « Sous Louis XIII, dit un historien protestant lui-même, les assemblées générales des protestants se constituèrent en assemblées souveraines, à l’exemple des états-généraux de Hollande, et provoquèrent le trouble et la rébellion... On revit alors le spectacle étrange d’un roi de France, voyageant dans son royaume à la tête d’une armée, et faisant son entrée dans ses bonnes villes, précédé de canons avec les mèches allumées. L’odieux en retomba sur les protestants, devenus sans nécessité les alliés d’une noblesse factieuse. On put les accuser avec raison d’être toujours prêts à seconder les ennemis de l’État... Pour subvenir aux frais de la guerre civile, leur assemblée ordonna de saisir tous les revenus ecclésiastiques, et d’arrêter les deniers royaux provenant des tailles, des aides et des gabelles. Elle confirma dans leurs charges les seuls officiers de justice et de finance qui faisaient profession de religion, et assura le traitement des ministres sur le plus clair des ressources de l’Église. C’était proclamer ouvertement une république protestante, à l’instar de celle des Provinces-Unies, élever La Rochelle au rang d’une nouvelle Amsterdam, et donner le signal d’une guerre fatale, qui pouvait amener le démembrement du royaume 2....

Bien que sous le règne de Louis XIII, les huguenots eussent levé six fois l’étendard de la révolte, bien qu’ils eussent rappelé en France l’Anglais, cet ennemi séculaire, qu’elle avait eu tant de peine à confiner dans son île, bien qu’ils eussent ainsi provoqué contre eux des mesures de juste répression, on usa envers eux d’une clémence que M. Weiss se plaît à reconnaître, en les tolérant encore dans le royaume, par l’édit de grâce de 1629.

Ce côté politique de la question qui nous occupe a été judicieusement examiné par le duc de Bourgogne, qui avait étudié la révocation dans tous ses détails.

« Je ne m’attacherai pas, dit ce prince, à considérer les maux que l’hérésie a faits en Allemagne, dans les royaumes d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, dans les Provinces-Unies et ailleurs ; c’est du royaume seul dont il est question. Je ne rappellerai pas même dans le détail, cette chaîne de désordres consignés dans tant de monuments authentiques ; ces assemblées secrètes, ces serments d’association, ces ligues avec l’étranger, ces refus de payer les tailles, ces pillages des deniers publics, ces menaces séditieuses, ces conjurations ouvertes en tant de villes, ces incendies, ces massacres réfléchis, ces attentats contre les rois, ces sacrilèges multipliés et jusqu’alors inouïs ; il me suffît de dire que depuis François Ier jusqu’à nos jours, c’est-à-dire sous sept règnes différents, tous ces maux et d’autres encore ont désolé le royaume avec plus ou moins de fureur. Voilà, dis-je, le fait historique, mais que l’on ne peut contester substantiellement, et révoquer en doute. Et c’est ce point capital qu’il faut toujours envisager dans l’examen politique de cette affaire.

« Or, partant du fait notoire, il m’est peu important de discuter si tous les torts attribués aux huguenots furent uniquement de leur côté. Il est hors de doute que les catholiques auront aussi eu les leurs, et je leur en connais plus d’un dans l’excès de leurs représailles. Il ne s’agit même pas de savoir si le conseil des rois a toujours bien vu et sagement opéré dans ces jours de confusion ; si la sanglante expédition de Charles IX, par exemple, fut un acte de justice devenu nécessaire à la sûreté de sa personne et à celle de l’État, comme le soutiennent quelques-uns, ou l’effet d’une politique ombrageuse, et une indigne vengeance, comme d’autres le prétendent ; que l’hérésie ait été la cause directe, ou seulement l’occasion habituelle et toujours renaissante de ces différents désordres, toujours est-il vrai de dire qu’ils n’auraient jamais eu lieu sans l’hérésie ; ce qui suffit pour faire comprendre combien il importait à la sûreté de l’État qu’elle y fût éteinte pour toujours.

« Cependant, on fait grand bruit, on crie à la tyrannie, et l’on demande si les princes ont le droit de commander aux consciences et d’employer la force pour le fait de la religion ? Comme c’est de la part des huguenots que viennent ces clameurs, on pourrait, pour réponse, les envoyer aux chefs de leur réforme. Luther pose pour principe : qu’il faut exterminer et jeter à la mer ceux qui ne sont pas de son avis, à commencer par le pape et les souverains qui le protègent ; et Calvin pense à cet égard comme Luther. Nos principes sont bien différents sans doute. Mais sans donner au prince des droits qui ne lui sont pas dus, nous lui laisserons ceux qu’on ne saurait lui contester, et nous disons qu’il peut et qu’il doit même, comme père de son peuple, s’opposer à ce qu’on le corrompe par l’erreur ; qu’il peut et qu’il doit même, comme l’ont fait les plus grands princes de tous les temps, prêter son épée à la religion, non pas pour la propager, ce ne fut jamais l’esprit du christianisme, mais pour réprimer et châtier les méchants qui entreprennent de la détruire. Nous disons enfin que, s’il n’a pas le droit de commander aux consciences, il a celui de pourvoir à la sûreté de ses États, et d’enchaîner le fanatisme qui y jette le désordre et la confusion. Que les ministres huguenots comparent, s’ils le veulent, la conduite modérée que l’on a tenue à leur égard avec la cruauté des premiers persécuteurs de la religion. J’admets la comparaison, tout injuste qu’elle est, et je dis que les Césars eussent été fondés à proscrire le christianisme s’il eût porté ceux qui le professaient à jeter le trouble dans l’empire ; mais les chrétiens payaient fidèlement les charges de l’État ; ils servaient avec affection dans les armées ; on les éloignait des emplois publics, on les emprisonnait, on mettait à mort des légions entières ; ils ne résistaient point ; ils n’appelaient point les ennemis de l’État ; ils ne criaient point qu’il fallait égorger les empereurs et les jeter à la mer. Cependant ils avaient pour eux la justice et la vérité. Leur invincible patience annonçait la bonté de leur cause, comme les révoltes et l’esprit sanguinaire des huguenots prouvent l’injustice de la leur.

« Il est vrai qu’ils ont occasionné moins de désordres éclatants sous le règne actuel que sous les précédents ; mais c’était moins la volonté de remuer qui leur manquait que la puissance. Encore se sont-ils rendus coupables de quelques violences et d’une infinité de contraventions aux ordonnances, dont quelques-unes ont été dissimulées et les autres punies par la suppression de quelques privilèges. Malgré leurs protestations magnifiques de fidélité et leur soumission en apparence la plus parfaite à l’autorité, le même esprit inquiet et factieux subsistait toujours et se trahissait quelquefois. Dans le temps que le parti faisait au roi des offres de services et qu’il les réalisait même, on apprenait par des avis certains qu’il remuait sourdement dans les provinces éloignées et qu’il entretenait des intelligences avec l’ennemi du dehors. Nous avons en mains les actes authentiques des synodes clandestins, dans lesquels ils arrêtaient de se mettre sous la protection de Cromwell, dans le temps où l’on pensait le moins à les inquiéter ; et les preuves de leurs liaisons criminelles avec le prince d’Orange subsistent également.

« L’animosité entre les catholiques et les huguenots était aussi toujours la même. Les plus sages règlements ne pouvaient pacifier et rapprocher deux partis dont l’un avait tant de raisons de suspecter la droiture et les bonnes intentions de l’autre. On n’entendait parler dans le conseil que de leurs démêlés particuliers. Les catholiques ne voulaient point admettre les huguenots aux assemblées de paroisses : ceux-ci ne voulaient point contribuer aux charges de fabrique et de communauté ; on se disputait les cimetières et les fondations de charité ; on s’aigrissait, on s’insultait réciproquement ; les huguenots, dans les campagnes où ils n’avaient pas de temples, affectaient, dans leur désœuvrement des jours de fêtes, de troubler l’office divin par des attroupements autour des églises et par des chants profanes. Les catholiques indignés sortaient quelquefois du lieu saint pour donner la chasse à ces perturbateurs ; et, quand les huguenots faisaient leurs prêches, ils manquaient rarement d’user de représailles. Il arriva un jour que les habitants d’un village de la Saintonge, tous catholiques, mirent le feu à la maison d’un huguenot qu’ils n’avaient pu empêcher de s’établir parmi eux, donnant pour raison qu’il ne fallait qu’un seul homme pour répandre peu à peu l’hérésie dans tout le village. Les protecteurs de la réforme firent grand bruit de cette affaire, où il s’agissait d’une chaumière estimée à quatre cent soixante livres, et il en fut question dans le conseil. Le roi, en condamnant les habitants du lieu à dédommager le propriétaire de la maison, ne put s’empêcher de dire que ses prédécesseurs auraient épargné bien du sang à la France s’ils s’étaient conduits par la politique prévoyante de ces villageois, dont l’action ne lui paraissait vicieuse que par le défaut d’autorité. »

En effet, ils n’auraient pas permis au duc de Rohan de ravager le Languedoc, ni donné occasion à ce seigneur félon de s’engager vis-à-vis de l’Espagne, moyennant 600,000 ducats d’or « à entretenir sur pied une armée de douze mille hommes, qui ferait telle diversion qu’il plairait au roi d’Espagne, en Languedoc, en Dauphiné et en Provence, à favoriser tous les desseins de Sa Majesté Catholique, à ne faire aucun accommodement avec le roi de France sans sa volonté, et à les rompre quand il plairait à Sa Majesté Catholique. »

L’esprit de révolte et l’esprit d’hérésie restèrent constamment unis de la manière la plus étroite ; fomentés par les émissaires du dehors, ils étaient encore à craindre dix ans avant la révocation. « Les étrangers arrivés ici, écrivait à cette époque l’intendant de Guyenne à Colbert, fomentent de leur côté le désordre, et je ne crois pas, monsieur, vous devoir taire qu’il s’est tenu des discours très-insolents sur l’ancienne domination des Anglais ; et si le roi d’Angleterre voulait profiter de ces dispositions et faire une descente en Guyenne, où le parti des religionnaires est très-fort, il donnerait dans la conjoncture présente beaucoup de peine 3. »

Cependant les doctrines des calvinistes étaient devenues alors beaucoup plus dangereuses en morale qu’en politique ; elles poussaient moins les citoyens à la révolte ouverte qu’elles ne les préparaient à la funeste commotion du XVIIIe siècle. Bossuet signale ce danger et ses paroles sont confirmées par les protestants de Hollande et d’Angleterre, lorsqu’ils eurent accueilli les huguenots que la révocation avait chassés de France. Jurieu s’écriait à Rotterdam :

« Le rideau a été tiré, l’on a vu le fond de l’iniquité, et ces messieurs se sont presque entièrement découverts depuis que la persécution les a dispersés en des lieux où ils ont cru pouvoir s’ouvrir en liberté. Les jeunes gens venus tout nouvellement de France, gros de la tolérance universelle de toutes les hérésies et de leur libertinage, ont cru que c’était ici le vrai temps et le vrai lieu de s’en accoucher. Il est temps de s’opposer à ce torrent impur, et de découvrir les pernicieux desseins des disciples d’Episcopius et de Socin. Quand le poison commence à passer aux parties nobles, il est temps d’aller aux remèdes. Outre que le nombre de ces indifférents se multiplie plus qu’on n’ose le dire, notre langue n’était pas encore souillée de ces abominations ; mais, depuis notre dispersion, la terre est couverte de livres français qui établissent la charité dans la tolérance du paganisme, de l’idolâtrie et du socinianisme 4. »

Les ministres calvinistes anciennement réfugiés à Londres ne se plaignirent pas moins amèrement du scandale des nouveaux ministres réfugiés, « qui, disaient-ils, étant infectés de diverses erreurs, travaillent à les semer parmi le peuple ; erreurs qui ne vont à rien moins qu’à renverser le christianisme... Le péril est si grand et la licence est venue à un tel point qu’il n’est plus permis aux compagnies ecclésiastiques de dissimuler, et que ce serait rendre le mal incurable que de n’y apporter que des remèdes palliatifs ».

En fait, un état de choses aussi déplorable n’autorisait-il pas Louis XIV à révoquer l’édit de Nantes, dans le double intérêt de la religion et du pays ?

En droit, un publiciste protestant, le célèbre Grotius, a résolu la question de la manière la plus simple et la seule juste : « Il faut que les protestants sachent, dit-il, que l’édit de Nantes et autres semblables, ne sont point des traités d’alliance, mais des ordonnances faites par les rois pour l’utilité publique, et sujettes à révocation, lorsque le bien public demande qu’on les révoque. »

Voici comment le duc de Bourgogne rapporte les circonstances qui précédèrent, accompagnèrent et suivirent la promulgation de l’édit :

« Quoique le roi sût assez que les huguenots n’avaient pour titres primordiaux de leurs privilèges que l’injustice et la violence ; quoique les nouvelles contraventions aux ordonnances lui parussent une raison suffisante pour les priver de l’existence légale qu’ils avaient envahie en France, les armes à la main ; Sa Majesté néanmoins voulut encore consulter avant de prendre un dernier parti : elle eut des conférences sur cette affaire avec les personnes les plus instruites et les mieux intentionnées du royaume : et, dans un conseil de conscience particulier, dans lequel furent admis deux théologiens et deux jurisconsultes, il fut décidé deux choses ; la première : que le roi, pour toutes sortes de raisons, pouvait révoquer l’édit de Henri IV, dont les huguenots prétendaient se couvrir comme d’un bouclier sacré ; la seconde : que, si Sa Majesté le pouvait licitement, elle le devait et à la religion et au bien de ses peuples. Le roi, de plus en plus confirmé par cette réponse, laissa mûrir encore son projet pendant près d’un an, employant ce temps à concerter l’exécution par les moyens les plus doux. Lorsque Sa Majesté proposa dans le conseil de prendre une dernière résolution sur cette affaire, Monseigneur, d’après un mémoire anonyme qui lui avait été adressé la veille, représenta qu’il y avait apparence que les huguenots s’attendaient à ce qu’on leur préparait ; qu’il y aurait peut-être à craindre qu’ils prissent les armes, comptant sur la protection des princes de leur religion, et que, supposé qu’ils osassent le faire, un grand nombre sortirait du royaume : ce qui nuirait au commerce et à l’agriculture, et par là même affaiblirait l’État.

« Le roi répondit qu’il avait tout prévu depuis longtemps, et pourvu à tout ; que rien au monde ne lui serait plus douloureux que de répandre une seule goutte du sang de ses sujets ; mais qu’il avait des armées et de bons généraux qu’il emploierait, dans la nécessité, contre les rebelles qui voudraient eux-mêmes leur perte. Quant à la raison d’intérêt, il la jugea peu digne de considération, comparée aux avantages d’une opération qui rendrait à la religion sa splendeur, à l’État sa tranquillité, et à l’autorité tous ses droits. Il fut conclu, d’un sentiment unanime, pour la suppression de l’édit de Nantes. Le roi, qui voulait toujours traiter en pasteur et en père ses sujets les moins affectionnés, ne négligea aucun des moyens qui pouvaient les gagner en les éclairant. On accorda des pensions, on distribua des aumônes, on établit des missions, on répandit partout des livres qui contenaient des instructions à la portée des simples et des savants. Le succès répondit à la sagesse des moyens ; et, quoiqu’il semble, d’après les déclamations emportées de quelques ministres huguenots, que le roi eût armé la moitié de ses sujets pour égorger l’autre, la vérité est que tout se passa, au grand contentement de Sa Majesté, sans effusion de sang et sans désordre. Partout les temples furent fermés ou démolis : le plus grand nombre fit abjuration ; les autres s’y préparèrent en assistant aux prières et aux instructions de l’Église. Tous envoyèrent leurs enfants aux écoles catholiques. Les plus séditieux, étourdis par ce coup de vigueur, et voyant bien que l’on était en force de les châtier, s’ils tentaient la rébellion, se montrèrent les plus traitables. Ceux de Paris, qui n’avaient plus Claude pour les ameuter, donnèrent l’exemple de la soumission. Les plus entêtés de l’hérésie sortirent du royaume, et avec eux la semence de tous les troubles. Et l’Europe entière fut dans l’étonnement de la promptitude et de la facilité avec laquelle le roi avait anéanti, par un seul édit, une hérésie qui avait provoqué les armes de six rois, ses prédécesseurs, et les avait forcés de composer avec elles. »

Il n’appartenait certes pas aux protestants de regarder la révocation de l’édit de Nantes comme un acte d’intolérance. Avaient-ils oublié que « Jeanne de Navarre, par des ordonnances prises du consentement des États de Béarn, condamnait à des amendes exorbitantes, à la prison, et à des peines encore plus fortes, toutes personnes qui n’assisteraient pas aux prêches » ? Avaient-ils oublié que l’électeur palatin Frédéric III étant passé, en 1563, du luthéranisme au calvinisme, avait chassé du pays quiconque ne voulait pas suivre son exemple ? que son fils Louis, ayant embrassé de nouveau le luthéranisme, expulsa tous ceux qui n’abandonnèrent pas le calvinisme ? et que pour clore cette série de honteuses évolutions, Jean Casimir, comte palatin, redevenu calviniste, persécuta à outrance les luthériens ? Les premières victimes de ces révolutions étaient toujours les catholiques, et cependant qui a jamais dit d’eux ce que le dauphin a écrit des calvinistes français, lorsqu’il s’écriait : « Rappeler les huguenots, ne serait-ce pas rappeler les amis des ennemis de la France ? et ceux qui entretenaient des correspondances avec ces mêmes ennemis, dans le temps qu’on les laissait tranquilles, nous seraient-ils plus fidèles et moins dévoués à nos ennemis, actuellement qu’ils auraient sous les yeux les auteurs de leur disgrâce, et qu’ils se rappelleraient avec reconnaissance ceux qui les ont accueillis dans leurs malheurs ? »

Pour juger des pertes que la France aurait subies par l’émigration des hérétiques obstinés, constatons d’abord quel était le nombre des huguenots avant la révocation. « Eux-mêmes, dit Rohrbacher, ne faisaient compte que d’un million en 1597, lorsque invoquant la protection d’Élisabeth d’Angleterre, et lui offrant leurs bras contre leur patrie, ils lui disaient par leur député, le sieur de Saint-Germain, « qu’elle obligerait un million de personnes de toute qualité, dont le service ne lui serait peut-être pas inutile ». En 1680, se plaignant des atteintes qu’on portait à leurs privilèges, ils ne comptaient encore qu’un million d’âmes privées de ces concessions. Comme la France avait alors vingt-quatre millions d’âmes, cela faisait un renégat ou huguenot sur vingt-trois Français fidèles à leur patrie. Mais lorsque Louis XIV révoqua l’édit de Nantes en 1685, il travaillait depuis vingt ans à ramener les huguenots par des voies indirectes, et le protestant Sismondi convient que ce n’était pas sans succès. De 1680 à 1685, il y joignit quelques voies de rigueur, provoquées par des rassemblements de huguenots dans le Poitou, la Saintonge, la Guienne, le Languedoc et le Dauphiné : ceux des montagnes prirent les armes, les plus coupables furent punis de mort, on logea des troupes chez les autres. Il y eut des conversions en grand nombre. Madame de Maintenon écrivait à son père le 19 mai 1681 : « Je crois qu’il ne demeurera de huguenots en Poitou que nos parents ; il me paraît que tout ce peuple se convertit ; bientôt il sera ridicule d’être de cette religion-là. »

« Dans le Béarn, dit Sismondi, les conversions ne se firent plus individuellement, mais par villes entières, et l’intendant put enfin annoncer à la cour que le Béarn entier s’était fait catholique : des réjouissances furent ordonnées pour célébrer ce glorieux évènement. Frappée par tant de coups successifs, dit encore cet historien, la réforme était comme anéantie, chaque jour on annonçait des abjurations nouvelles ; La Rochelle et Montauban, ces deux capitales du protestantisme français, avaient cédé comme les autres. On lit dans les Mémoires de Dangeau sur l’année 1683 :

« Deux septembre. Le soir on apprit que tous les huguenots de la ville de Montauban s’étaient convertis, par une délibération prise en la maison de ville.

« Vingt-sept septembre. On sut que les diocèses d’Embrun et de Gap, et les vallées de Pragelas, qui sont dépendantes de l’abbaye de Piquerol, s’étaient toutes converties, sans que les dragons y aient entré.

« Deux octobre. Le roi eut nouvelle à son lever que toute la ville de Castres s’était convertie.

« Cinq octobre. On apprit que Montpellier et tout son diocèse étaient convertis : Lunel et Maugnio en sont. Aigues-Mortes s’est converti aussi, il est du diocèse de Nîmes.

« Neuf octobre. Le roi dit à M. le nonce, à son lever, qu’il avait eu nouvelle que la ville d’Uzès se convertissait tout entière, à l’exemple de Nîmes et de Montpellier, et qu’il ne doutait pas que le pape ne se réjouît de ces bonnes nouvelles-là.

« Treize octobre. On sut au lever du roi, que presque tout le Poitou était converti. On a appris aussi qu’à Grenoble tous les huguenots avaient abjuré...

« Cependant il y eut des huguenots qui se réfugièrent chez l’étranger : quel en put être le nombre ? Nous avons vu qu’en 1680, tous les huguenots de France ne se comptaient qu’un million : nous avons vu, depuis cette année, des villes et des provinces entières se convertir ; ce qui put diminuer ce million d’un bon tiers. De plus tous les laboureurs restèrent en France ; il n’y eut d’émigrants que parmi les nobles, les marchands et les ouvriers. Quel fut donc le nombre des fugitifs, d’après les huguenots eux-mêmes ? Basnage le porte à trois ou quatre cent mille ; Lamartinière à trois cent mille simplement ; Larrey à deux cent mille ; Benoît, contemporain de l’évènement, dit d’abord qu’il passe deux cent mille, mais quand il veut s’établir par le détail, il ne peut même pas arriver à ce nombre. Nous avons une histoire particulière des réfugiés français de Brandebourg par Ancillon, l’un d’entre eux, et écrite dans le temps même ; or, dans tout l’électorat, il ne trouve qu’un total de neuf mille six cents et quelques personnes. Aussi le duc de Bourgogne, après avoir compulsé tous les renseignements, ne porte le nombre des huguenots qu’à soixante-sept à soixante-huit mille personnes de tout âge et de tout sexe, ce qui, sur une population de vingt-quatre millions, ferait un sur trois cent cinquante.

« On nous dit que les huguenots fugitifs emportèrent chez l’étranger les secrets de l’industrie française, mais on oublie que, pour affranchir le royaume des marchandises étrangères et les y fabriquer soi-même, Colbert fit venir des ouvriers du dehors ou y envoya étudier les secrets de la fabrication ; on n’avait donc pas besoin de les y porter. D’ailleurs, bien avant la révocation de l’édit de Nantes, les ouvriers calvinistes étaient généralement exclus des manufactures par autorité publique. Un arrêt du conseil, vingt-quatre avril 1667, en réduisit le nombre pour le Languedoc au tiers des autres ouvriers. Le parlement de Normandie allant plus loin, dès l’an 1667, fixa leur nombre à un seul sur quinze catholiques. Dans la capitale du royaume, il leur fut défendu, pour la mercerie, d’être plus de vingt sur trois cents, et il y avait des communautés, tant d’arts que de métiers, où l’on n’en recevait point du tout. Les fabricants d’Amiens, de Dijon et d’Autun, par exemple, n’en admettaient aucun dans aucune de leurs fabriques. En toute province, ils étaient généralement exclus des nouvelles manufactures. On n’avait donc pas besoin d’eux, et ils ne pouvaient apprendre aux étrangers que ce que les étrangers savaient déjà 5. »

Quoique, matériellement parlant, la France n’ait guère perdu en exilant les huguenots, elle n’est pas entièrement innocente des rigueurs qui précédèrent ou suivirent la révocation. Mais la responsabilité des dragonnades retombe sur Louvois : c’est ce qu’a très bien prouvé M. Aug. Nicolas, et Louis XIV ne partage cette responsabilité que parce que tout souverain doit connaître les ministres de ses volontés. Louis-le-Grand eut-il encouru ce blâme, si, fidèle à la politique des souverains vraiment catholiques, il eût consulté le père commun des fidèles ? Nous n’hésitons pas à répondre négativement. En effet, Innocent XI n’approuva pas du tout la conduite du monarque français ; les sentiments du souverain pontife étaient des sentiments de douceur et de tolérance, n’en déplaise aux détracteurs de la papauté ; il voulait détrôner le protestantisme dans le cœur des huguenots avant d’en faire des catholiques. Le clergé français suivit les inspirations du pape : l’archevêque de Paris, François de Harlay, et le père Lachaise, jésuite, conseillaient les moyens les plus doux comme étant les plus justes et les plus efficaces. Bossuet fut du même avis, et dans son diocèse les protestants respirèrent à l’abri de son nom. Ce fut aussi sous la salutaire influence de ce célèbre prélat que furent rédigées la déclaration de 1688, l’instruction du roi aux intendants, et la lettre du roi aux évêques, qui rouvraient les portes du royaume aux protestants et leur restituaient leurs biens sous la seule condition de se faire instruire.

Nous pouvons donc conclure ainsi :

L’Église catholique n’a participé à la révocation de l’édit de Nantes que pour les mesures de douceur qui l’accompagnèrent ;

Cette révocation était logique au point de vue religieux, comme au point de vue politique ;

En fait et en droit, Louis XIV pouvait révoquer l’édit de Nantes, et finalement

Cette révocation n’eut pas pour la France les suites déplorables signalées par quelques écrivains.

 

C. Q. F. D.

 

Paru dans La Vérité historique en 1858,

sous la direction de Philippe

VAN DER HAEGEN.

 

 

 

 

 

 

 



1 Luther, au mépris des vœux qu’il avait faits, sortit de son cloître, enleva de son monastère une jeune religieuse nommée Catherine Dora, qu’il épousa.

Calvin, chapelain et curé, vendit sa chapelle et sa cure, et se maria avec la veuve d’un anabaptiste.

Bèze, prieur de Longjumeau, poursuivi par le parlement de Paris pour ses dissolutions scandaleuses, emmena à Genève la femme d’un tailleur, qu’il épousa publiquement du vivant de son mari. Calvin le fit son successeur.

L’archidiacre Carlostad, le chanoine Zwingle, le curé Œcolampade, et le moine Bucer, ennuyés du célibat, se marièrent également, ce dernier avec une religieuse. Les disciples suivirent l’exemple des maîtres.

2 Ch. Weiss, Hist. des réfugiés protestants de France, t. Ier.

3 P. Clément, Hist. de Colbert, p. 365.

4 Ap. Aug. Nicolas, Du protestantisme, etc. Cet ouvrage, ainsi que la Vie du Dauphin, par l’abbé Proyart, et la Divinité de l’Église Catholique démontrée et vengée (Clermont-Ferrand, 1854), nous ont été très utiles pour le présent article.

5 Hist. universelle de l’Église catholique, liv. 88, an. 1660-1730, § 5.

 

 

 

 

 

 

 

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