Isabelle la Catholique

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Élie VERNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce grand nom d’Isabelle la Catholique s’impose à l’attention de tous dans l’histoire, et il y a à cette célébrité diverses causes dont voici les principales :

D’abord, son temps fut singulièrement agité, fécond en guerres dont le choc prolonge encore ses échos dans les annales européennes, malgré les conflagrations générales qui, plus récemment, ont, par leur importance et leurs résultats, fait oublier le passé en l’enveloppant d’une sorte de clair-obscur. Ensuite, le règne d’Isabelle la Catholique, outre les évènements concernant spécialement l’Espagne, en contient d’autres qui ont retenti dans le monde entier, qui en ont entièrement changé la face, et à la tête desquels il faut citer en première ligne la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. Enfin, cette grande reine qui fut aussi un grand roi, était une femme, et le trône étant ordinairement occupé par des monarques du sexe masculin, les exceptions à cet usage ont, comme tout ce qui est rare, le privilège d’exciter plus vivement la curiosité, surtout quand ces exceptions sont glorieuses et que la main qui tient le sceptre, tout en restant douce, n’en est pas moins ferme.

De plus, et ici il faut s’incliner encore davantage devant la rareté des raretés, la reine avait un roi, Ferdinand V, non un roi qui tenait la plume quand elle dictait, l’épée quand elle ordonnait, mais un roi vraiment roi, avec lequel elle partageait le pouvoir ostensiblement.

Ce fait n’est certainement pas unique dans l’histoire, mais il ne s’y présente pas souvent. L’exercice du pouvoir est si difficile, les froissements d’amour-propre, les compétitions et les rivalités y sont si à craindre, l’unité de commandement est si nécessaire aux yeux et dans l’intérêt de la nation gouvernée, que cette dualité souveraine a toujours été considérée comme entraînant avec elle de graves inconvénients.

On peut dire toutefois que, lorsque ces inconvénients sont évités par deux monarques assis sur le même trône et jouissant de droits égaux, et lorsque leur règne se déroule glorieux malgré cette situation réputée gênante et périlleuse, l’éloge complet du roi et de la reine est contenu dans la seule affirmation de ce fait, car il dénote en eux les plus belles et les plus précieuses qualités. Isabelle, du reste, a laissé un immortel renom de courage, de génie et de vertus éclatantes.

Du double règne de Ferdinand et d’Isabelle date le commencement de la puissance de l’Espagne et de son influence longtemps prépondérante dans les affaires de l’Europe. Maîtres d’une grande partie de la Péninsule, ils ne tardèrent pas à y annexer le reste afin d’en faire un royaume compacte et homogène. Les Mores du royaume de Grenade, en s’emparant de Zahara en 1481, causèrent une longue guerre qui ne se termina que le 2 janvier 1492 par la prise de Grenade, si souvent chantée par les poètes et racontée par les historiens et les romanciers. En 1493, le traité de Barcelone, conclu avec Charles VIII, roi de France, remit à Ferdinand deux provinces, engagées par son père à Louis XI, la Cerdagne et le Roussillon. Enfin, toute la Péninsule, excepté le Portugal, ne tarda pas à être réunie sous la même domination. Allié de Charles VIII, l’époux d’Isabelle la Catholique fut l’âme de la ligue qui chassa en 1495 les Français de l’Italie. Il fut l’un des promoteurs de cette politique qui fut plus particulièrement exercée en France par Louis XI et par le cardinal de Richelieu, et qui, en affermissant la puissance royale, abaissa les grands, les rendit moins inattaquables dans leurs terres, rasa leurs forteresses, détruisit en partie leurs privilèges et leurs immunités. Entreprenante et active, Isabelle partagea tous les travaux de son mari, dans les guerres comme dans les conseils. De dures épreuves avaient d’ailleurs traversé sa jeunesse et mûri son intelligence. Fille de Jean II, elle succéda sur le trône de Castille à Henri IV, au détriment de la princesse Jeanne, et ce fût elle par conséquent qui apporta la couronne à l’infant d’Aragon, Ferdinand, qu’elle avait épousé cinq ans avant leur avènement au trône. Ils eurent d’abord à lutter contre les partisans de Jeanne, et leurs premiers triomphes les engagèrent dans une voie d’agrandissement et d’aventures où le succès les accompagna presque constamment. Isabelle fut l’instigatrice et l’âme de la guerre de Grenade, et ce fut elle qui fit construire la ville de Santa-Fe, pour remplacer le camp que les musulmans avaient incendié. Ce fut elle aussi qui entra la première, avec ardeur et persévérance, dans les idées de Christophe Colomb.

La Semaine a déjà publié à ce sujet un article développé 1 qui, facile à retrouver et à consulter, abrège nécessairement notre tâche d’aujourd’hui. Cet article parie aussi de l’établissement de l’Inquisition en Castille et de l’expulsion des Juifs, ce qui nous dispense d’y revenir. Un trait manquerait cependant au portrait que nous esquissons, si nous ne relations pas avec les historiens qu’Isabelle la Catholique, d’une piété solide, mais douce et humaine, ne consentit qu’avec répugnance à ces mesures. N’oubliant jamais qu’elle était femme en même temps que reine, elle plaida aussi toujours pour la clémence en faveur des Mores, et elle défendit chaleureusement la cause des Indiens.

Notre gravure la montre visitant les hôpitaux, et, certes le peintre ne pouvait mieux représenter la double majesté d’une reine, adoucissant l’éclat de son diadème par le bienfaisant rayonnement de sa charité chrétienne.

Isabelle la Catholique visitant les hôpitaux.

 

Quant au portrait que nous ont tracé d’elle les historiens, il est conforme à celui que crée l’imagination après une lecture attentive de la vie de cette reine. On se la figure ayant des traits réguliers, un visage beau et d’une expression grave et douce, un air de modestie et de grandeur, une extrême simplicité dans ses ajustements et ses parures, simplicité relevée par des manières à la fois nobles, calmes et bienveillantes. C’est ainsi en effet qu’était Isabelle la Catholique, et nous ajouterons un détail que l’imagination ne pourrait pas deviner, c’est qu’elle avait les cheveux blonds et les yeux bleus.

Le trait principal de son caractère était une piété sincère, une application constante à remplir tous les devoirs de la religion. Le titre de Catholique, qui lui fut décerné ainsi qu’à son époux par le souverain Pontife, indique d’ailleurs, outre un grand dévouement à l’Église, la piété de cette illustre reine.

Elle était aussi très active, toujours prête à accomplir les obligations si multiples qu’impose le rang suprême, et, d’un esprit très cultivé, elle remplissait ses moments de loisir par de graves conversations avec les savants. Le fait seul d’avoir fourni à Christophe Colomb des hommes et des vaisseaux pour découvrir des terres inconnues, montre assez qu’Isabelle était capable de comprendre les plus hautes conceptions de la science. Une reine qui n’eût pas été douée d’une intelligence exceptionnelle eût certainement traité de chimériques les idées du hardi navigateur.

Un autre trait de sagacité profonde, sorte d’intuition presque merveilleuse, signale les dernières années de la reine. Elles avaient été attristées par de cruels malheurs de famille : la mort de son fils unique Jean, de sa fille aînée Isabelle, reine de Portugal, de son petit-fils Michel, né d’Isabelle, la folie de sa fille Jeanne, dédaignée et délaissée par son mari Philippe le Beau.

À ces derniers revenait la Castille ; mais, Isabelle la Catholique étant mécontente du beau Philippe et jugeant Jeanne beaucoup trop folle pour pouvoir gouverner, donna par testament la régence à Ferdinand jusqu’à la majorité de Charles, son petit-fils, qu’elle institua son héritier.

Or ce Charles est devenu le souverain qui fit la loi au monde et sur les États duquel le soleil ne se couchait jamais, tellement ils étaient vastes.

La grande reine qui avait compris Christophe Coulomb avait pressenti aussi le génie du futur Charles-Quint, roi d’Espagne et empereur d’Allemagne.

Nous ne clorons pas cet article sans relater qu’en 1811 le roi d’Espagne Ferdinand VII créa l’ordre d’Isabelle la Catholique. L’insigne de cette distinction honorifique est une croix d’or à huit pointes émaillée de rouge et anglée de rayons d’or, suspendue à un ruban moiré blanc, liseré orange.

 

 

Élie VERNON.

 

Paru dans La Semaine des Familles en 1875.

 

 

 

 

 



1 29 janvier 1870.

 

 

 

 

 

 

 

 

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