Dogme et autorité

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Dr Martin VERSFELD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’extrême sud de l’Afrique est un camp plutôt pierreux pour l’Église catholique. Les immigrants Boers venant de la Hollande calviniste et les Huguenots français donnèrent à la vie religieuse culturelle et politique du pays un caractère réformé qui dure jusqu’à nos jours.

Le docteur Martin Versfeld, professeur de philosophie à l’université du Cap, est un authentique Afrikaner. Il naquit au Cap en 1909 et y fit ses études. Au bénéfice d’une bourse, il put continuer ses études à Glasgow et conquérir le titre de docteur en philosophie en 1934.

Le calvinisme, froid et abrupt par essence, ne pouvait pas le satisfaire. Pour un certain temps, les joies de la nature suffirent à remplacer la religion. Il rencontra, en Angleterre, un maître d’une piété sincère, qui l’entraîna plus près de Dieu. Puis ce fut le tour d’une jeune fille de lui faire connaître la religion anglicane. Versfeld se rendit compte que l’anglicanisme n’était pas logique jusqu’au bout, et continua sa recherche de la vérité.

Un séjour de vacances en Europe l’amena à s’intéresser à l’Église de Rome. Il retourna en Afrique du Sud sans avoir pris de décision, et ce ne fut que dix ans plus tard (1943) qu’il fit le grand pas, grâce à l’influence d’un médecin juif en voie de conversion, lui aussi. L’itinéraire du docteur Versfeld suffit à ruiner l’affirmation effrontée d’un philosophe contemporain : « Je crois pouvoir dire qu’un philosophe qui se convertit n’a jamais été un véritable philosophe. »

 

 

 

 

Je suis sud-africain, Afrikaner (Blanc né en Afrique du Sud) de race hollandaise et de religion huguenote. Notre tradition familiale est calviniste, mais tempérée par une attitude humaine et libérale caractéristique des gens de la Province Ouest. J’ai fréquenté une école anglaise, libre, mes parents ayant quitté la campagne pour venir à la ville au temps où l’anglais était devenu la langue dominante. La province du Cap n’a aucune autorité dans les domaines de la culture, de la langue, de la religion. On y parle couramment l’africain et l’anglais. En général les Afrikaners sont membres de l’Église hollandaise réformée. La profession de foi dans cette Église a un tel caractère national et politique qu’aux yeux du peuple, quitter l’Église n’est pas seulement trahir la tradition familiale, mais aussi les tendances politico-culturelles du groupe afrikaner. Les Anglais établis sont pour la plupart anglicans, méthodistes, baptistes ou congrégationalistes. Nombreux sont aussi les Juifs. Parmi les premiers immigrants Hollandais se trouvaient beaucoup de catholiques. Il est vrai que leur foi a été combattue et que le catholicisme ne reprit force qu’avec les colons anglais de souche irlandaise. Se convertir au catholicisme était donc aux yeux des Afrikaners une manière d’anglicisation. Ma culture anglaise m’a libéré de tels préjugés. J’aime ma patrie, profondément, mais heureusement, j’ai été préservé de la passion du nationalisme.

 

Premières impressions religieuses            

 

Je ne me souviens pas d’avoir appris quelque chose sur la religion à l’école, sauf peut-être d’avoir entendu, dans les leçons d’histoire, que les catholiques étaient des gens cruels et inférieurs. Ce que j’ai su de Dieu, c’est à la maison et à l’école du dimanche que je l’ai appris ; la religion qui pour l’enfant est liée avec la joyeuse maison paternelle a toutes les garanties de la vérité. Quand ai-je commencé à croire en Dieu ? Je ne puis pas le dire. Mon éducation a été basée sur la Bible et je n’allais jamais au lit sans en avoir lu un passage. Les Épîtres de saint Paul m’aidèrent à triompher de la crise de la puberté. Quel dégoût j’ai gardé de l’école du dimanche de l’Église réformée hollandaise ! Je pris aussi en grippe l’école et les scouts ; sans doute beaucoup d’enfants catholiques ont aussi en aversion les heures de catéchisme. Il m’était particulièrement pénible d’enfiler l’uniforme bleu des scouts, avec un col tellement gênant, et de traînasser sur les routes brûlantes, tôt l’après-midi, alors que l’aumônier laissait couler sur nous sa prédication onctueuse, égocentrique comme une sueur épaisse. Quelle dure corvée hebdomadaire ! Tenez-vous bien, je gagnai un prix, un livre sentimental et pieux d’une certaine demoiselle Franz Eden. Je le jetai dans une bouche d’évacuation. Pareille littérature, qu’elle soit catholique ou protestante, ne mérite pas un meilleur sort. Le dimanche, il fallait aller à l’église. C’était un espace nu où ne dominait qu’une chaire énorme ; les fidèles étaient tous bourgeois, durs, conformistes, attifés et solennels à la troisième puissance. C’était de nouveau la recherche du moi aussi bien dans les chants du chœur que dans l’art de se mettre en évidence de l’aumônier, par ses insupportables prières improvisées. Les protestants affirment d’une façon assez étrange que le sacerdoce s’interpose entre les chrétiens et Dieu. Pour moi, l’écueil était le flot de sentimentalité, la rhétorique de cet homme sur la chaire. Aujourd’hui je ne dis que des prières reconnues par l’Église et je souhaiterais n’entendre que le plain-chant à l’église. L’unique culte de Dieu, vrai et personnel, est le culte de toute la chrétienté, le culte du Corps mystique du Christ. La liturgie garantit la vraie liberté et le calme de l’âme, en tant qu’elle nous oriente vers une vie qui dépasse totalement l’humain.

Qu’on veuille bien le remarquer, ce ne sont là que des souvenirs d’un petit garçon peu malléable, qui a refusé beaucoup de grâces et mérité d’être souvent blâmé. Je parle plus de mes impressions d’enfance, que je n’ai l’intention de juger des structures. Qui connaît l’Afrique du Sud est à même de mesurer la transformation de la foi et de la morale que l’Église hollandaise a opérée dans le peuple et combien d’hommes de caractère lui doivent leur formation ! Pour moi, je quittais l’école primaire, puis l’école secondaire pour aller à l’université du Cap, sans avoir reçu une éducation religieuse suffisante.

 

Université libérale            

 

L’université du Cap n’a aucune espèce d’arrière-fond religieux ; elle n’a d’ailleurs aucune chaire de théologie et est toute empreinte de libéralisme. De mon temps, un gros rationalisme était à la mode parmi les étudiants. Je n’ai jamais pu y adhérer, car il s’opposait par trop, dans ses conséquences, à la morale traditionnelle de mon éducation. La « Students Christian Association » était la seule organisation religieuse pour les étudiants ; société anti-intellectuelle ne visant qu’à promouvoir des sentiments religieux strictement personnels. Ma réaction instinctive de défense ne se fit pas attendre et s’étendit aussi au groupe d’Oxford qui venait de prendre pied à l’université. Ces tendances me paraissaient une exhibition malsaine des sentiments personnels et presque de la curiosité maladive, en tout cas une intrusion dans la vie privée. Si c’était cela la religion et si religion voulait dire brutale invasion de l’être intime de l’homme, si difficile à contenter, alors je ne voulais rien en savoir. Je cessais donc de prier, d’aller à l’église et je vivais littéralement mes deux passions, l’alpinisme et la philosophie.

 

Pseudo-religion            

 

L’alpinisme n’est pas une mauvaise préparation à la foi ; il entretient vivace l’esprit d’initiative, la compréhension des joies de la nature, de la franche amitié, en même temps qu’il débarrasse l’esprit de toute fausseté et déviation. C’est un sport ennoblissant, mais qui par là même peut devenir pour ses fidèles une sorte de pseudo-religion. N’allais-je pas alors jusqu’à soutenir des opinions que je taxerais plus tard de sentiments sots et païens ? Le général Smuts lui-même s’est laissé prendre par ce genre de sentiments. Lors de l’inauguration du monument de guerre du club des alpinistes de l’Afrique du Sud, il tint ce discours sur le Tafelberg : « On érige des monuments dans les rues et sur les places pour les fils de la cité, on pose des plaques commémoratives dans les églises et les cathédrales. Les alpinistes décédés que nous honorons ici méritent un piédestal plus noble et un monument plus digne d’eux. Pour eux, la vraie église où ils adoraient Dieu, c’était le Tafelberg. C’était leur cathédrale, où ils s’enivraient d’une musique céleste, jouissant de perspectives plus vastes et devenant l’habitacle d’un Esprit plus noble. » N’avais-je pas le privilège d’être alpiniste ? Je pouvais regarder de haut les pauvres hommes qui devaient se contenter d’aller à l’église ! Mon meilleur compagnon de montagne était catholique, mais devenu païen comme moi-même. La différence de religion ne comptait pas plus pour notre camaraderie que la couleur de notre brosse à dents et nos discussions roulaient plutôt sur les moyens anticonceptionnels que sur les choses saintes.

Ma philosophie s’enferrait dans ce carnaval de l’orgueil et du rationalisme ; ne disait-on pas que la philosophie se terminait avec Aristote pour renaître avec Descartes ? Je n’ajoute pas un mot à la vérité quand je dis que j’ai obtenu mes grades en philosophie sans avoir jamais entendu prononcer le nom de Thomas d’Aquin. Pour autant j’ai fait mienne une autre position que celle du criticisme sceptique, ce fut celle de l’idéalisme de Hegel. À en juger superficiellement, c’était une prise de position plus noble que celle du pur positivisme et matérialisme, mais aussi, hélas ! beaucoup plus éloquente pour flatter la vanité humaine. La philosophie devenait le juge de la religion et j’étais philosophe, naturellement ! Je pouvais siéger avec Renan pour juger le Christ. À ce point de notre évolution, quelques-uns d’entre nous pensaient qu’ils allaient devenir des initiés du mysticisme ! Je me mis donc à l’étude de la philosophie orientale. Ayant obtenu mon grade de maître en philosophie, je gagnai une bourse qui me permit d’aller étudier au delà de l’Océan. J’arrivai à Glasgow dans un état de dépression et je me sentais malheureux. Quelque chose allait se passer.

 

L’exemple d’un maître croyant            

 

Je travaillais à une thèse sur Descartes sous la direction du professeur A. Bowman, qui est décédé depuis. J’ai la joie, ici, de dire mon admiration pour cet homme si fin, si distingué. Il s’aperçut que je pouvais avancer dans mon travail sans son assistance, mais non pas sans son amitié. Enfin j’avais affaire à une personnalité dont la largeur d’esprit, le zèle au travail faisaient mon admiration ; et cette même personnalité avait une foi très pure en Dieu, en même temps qu’une humilité sincère. Vraiment, c’était là un phénomène ! Un penseur profond et original qui mettait la religion au-dessus de la philosophie ! C’était donc possible. Ma théorie s’évanouit alors devant la réalité vivante. Mon maître avait raison : « L’idéalisme philosophique, disait-il, n’est qu’une forme voilée du matérialisme. » Il ne serait pas peu étonné s’il m’entendait dire qu’il a été pour moi un chemin vers l’Église. Il était lui-même congrégationaliste 1 zélé. N’est-ce pas un des secrets de la grâce et une preuve de la puissance tyrannique du milieu que cette âme naturellement catholique n’ait jamais pensé devoir adopter le catholicisme ? En tout cas, il avait une charité chrétienne capable de vaincre tous les préjugés. Ainsi, il me conseilla de lire saint Thomas pour connaître l’arrière-fond du moyen-âge, de la pensée de Descartes. Le livre de Gilson sur saint Thomas fut une des révélations de ma carrière philosophique. Quelle joie dans la découverte de la clarté du système thomiste et dans la compréhension des principes simples et essentiels qui en sont la base ! Descartes et le monde moderne m’apparurent dans une nouvelle perspective. Je dévorais le livre que Bowman venait de me signaler : « Trois Réformateurs », du baron Friedrich von Miguel 2.

 

Influence d’une jeune fille            

 

Je n’avais pas encore rencontré de catholiques convaincus ; cela allait durer encore longtemps, mais grâce à Dieu, je rencontrais une jeune fille anglicane que j’ai aimée et admirée. Cette amitié me fit faire table rase d’un tas de saletés morales et m’amena au culte anglican. Vitraux, crucifix, prières rituelles, litanies, c’était là quelque chose d’objectif pour l’âme et pour le corps, une évasion partielle, hors des troubles secrets du moi. Je connus enfin que la religion était quelque chose qui venait du dehors, une révélation. La chaire qui me faisait tellement horreur passa à l’arrière-plan et je m’agenouillai pour la première fois devant un autel. Il est à regretter que les anglicans n’aient pas tiré les dernières conséquences de leur position ; en fait ils présentaient pour moi, calviniste affamé, de vrais trésors. Quel catholique dès son enfance peut comprendre tout ce que signifie le premier signe de croix que l’on fait ? C’est dès cet instant que l’idée de l’Incarnation du Fils de Dieu a pris racine en moi pour me préoccuper sans cesse. De tous les chapitres de saint Thomas, celui que je lus le plus souvent se trouve dans la Somme contre les Gentils (III, 119). « Il ne faut pas s’étonner, dit S. Thomas, si les hérétiques, niant que Dieu soit l’auteur de notre corps, nous reprochent de vouloir honorer Dieu par des actes corporels. De même, oubliant leur propre condition humaine, ils nient la nécessité des représentations des choses sensibles pour arriver à une connaissance et à un amour intérieurs. » L’idéalisme philosophique et les réformateurs avaient ceci de commun, l’orgueil. Le signe de la croix que je traçais sur mon corps, avec la croix du Seigneur incarné et humble signifiait un renouveau et une libération de la malédiction de l’orgueil. Je lus les « Essays » et « Addresses » de Friedrich von Hügel, où il montre une profonde compréhension des faits historiques, des sacrements et de l’essence du catholicisme, déterminée par l’Incarnation : précisément ce à quoi les Protestants doivent renoncer. Le sens catholique du mot « sainteté » m’apparut dans toute sa splendeur lorsque je lus la vie de sainte Catherine de Sienne et les écrits de la mystique Julienne de Norwich. Aucun livre ne m’a autant remué que la « Nuit obscure » de saint Jean de la Croix. La première partie semblait écrite exprès pour moi et plongeait jusqu’aux racines de mon être. Je souffris d’une sorte de vertige spirituel et mon écriture était changée. C’est alors que j’ai commencé à prier dans une église catholique.

 

Lieux classiques du christianisme            

 

Pendant les vacances, je visitais l’Europe. L’antiquité n’a pas pour un Sud-Africain une importance considérable ; par contre, les monuments anciens et les églises de la foi chrétienne sont une révélation pour lui. Je visitai les églises de Florence, puis les catacombes, témoins visibles des luttes et du triomphe de la foi à Rome. L’ancienneté de la foi catholique, sa permanence, son universalité me parurent des faits incontestables. Un séjour de deux mois à Innsbruck approfondit mes impressions et ma conviction. Je me sentais tout à fait en famille chez les Tyroliens catholiques. On m’avait fait croire autrefois que les chapelles, les chemins de croix au bord des sentiers campagnards étaient une survivance du culte des idoles païennes ; je trouvais tout à fait naturel, lors d’une promenade, de m’agenouiller ou d’y apporter un bouquet de fleurs en l’honneur de Notre-Dame. – L’Église des Capucins se trouvait dans ma rue ; le dimanche matin, je pouvais voir l’entrée de l’église jonchée de sacs et les alpinistes agenouillés présenter des rangées de souliers ferrés et luisants. Réconciliation de la nature et de la grâce !

 

Je n’étais plus protestant            

 

Vers la fin de mes études, je savais que j’allais devenir catholique et que je ne pouvais plus, sans mentir, me dire protestant. Pour des raisons que je ne veux pas approfondir, je décidai de ne faire aucun pas décisif pour les dix ans qui suivaient. Je retournais au Cap pour inaugurer mon enseignement à l’université. Voulant préciser ma position philosophique, je fis à plusieurs reprises une expérience intéressante : mes conclusions semblaient être le résultat de la saine raison humaine, et, de plus, je constatais chaque fois que c’était aussi la doctrine de saint Thomas. Saint Augustin me séduisit à tel point que je choisis son nom lors de ma confirmation. Vinrent les années malheureuses qui nous menèrent à la deuxième guerre mondiale. Je méditais sur les destinées de la civilisation et je trouvais les réponses chez saint Augustin (La Cité de Dieu) ainsi que dans la philosophie chrétienne de l’histoire. Inépuisable est la signification de la sentence suivante : « Le christianisme est une religion historique. Elle contient en elle toute la doctrine du Corps mystique du Christ et est la réponse au matérialisme historique. » On me tint pour chrétien, peut-être parce qu’on me voyait souvent dans les églises catholiques et parfois dans les églises anglicanes. Lorsque la guerre éclata, mes convictions pacifistes me mirent en contact avec un groupe de protestants pacifistes. J’étais prêt à collaborer avec eux sur le plan qui nous était commun, mais je n’étais pas à l’aise, car je me vis de nouveau face à un piétisme qui me répugnait. Ils voulaient mettre le pacifisme et le christianisme sur le même pied et l’un d’eux affirma dans une réunion : « Je considère notre groupe comme l’unique vraie Église. » Je savais que c’était une erreur, résultat de leur orgueil. Vraiment, j’étais malheureux dans ma vie intellectuelle et morale. Saint Thomas me mettait dans l’alternative, mais je ne pouvais pas adopter sa philosophie sans sa religion, ni rejeter sa philosophie et rester spirituellement sain. De plus, je m’étais marié et il me fallait trouver une solution aux problèmes moraux d’une vie conjugale saine.

 

Un Juif montre le chemin de l’Église            

 

Je fis alors la connaissance d’un jeune médecin juif, le docteur Jack Friedman 3. Il était préoccupé par les problèmes personnels et psychologiques de son milieu, ce qui l’avait amené à étudier la question du destin historique du Judaïsme. Sa conclusion était que la clef des problèmes nationaux et personnels des Juifs n’était autre que le christianisme. Il savait que je faisais profession de christianisme et que je traitais les questions de la philosophie de l’histoire ; c’est, je crois, ce qui l’engagea à venir me trouver. Sa formule de présentation me fait encore sourire aujourd’hui ; je ne peux pas redonner les mots tels quels, mais le sens est le suivant : « Je suis venu chez vous parce que vous m’êtes utile ; je vous dis franchement que je viens vous voir uniquement pour piller votre savoir. » Il ne tarda pas à reconnaître qu’Israël et l’Église catholique ont les promesses de la durée et que la Providence divine protège les Juifs uniquement pour qu’ils se convertissent, et qu’enfin il devait lui-même se convertir. Il prit sur-le-champ une résolution qui était manifestement l’œuvre de la grâce. Pour la première fois, j’avais un ami pour qui le catholicisme était une question de vie ou de mort et en présence de qui mes misérables compromis m’apparurent dignes de mépris. C’est lui qui m’a fait connaître le Père Williams, ainsi qu’à ma femme, qui était encore anglicane. C’était le premier prêtre catholique que je rencontrais, homme d’une extraordinaire clarté dogmatique, en qui l’on voyait l’autorité divine de l’Église catholique. J’allais au devant d’une crise. Je me trouvai un jour avec des amis pacifistes, lorsqu’un anglican se mit au cours de la discussion à nier rondement le dogme de l’Incarnation, se prévalant de son jugement privé dans le domaine de la foi. À cet instant, mes vieilles chaînes se rompirent. Si ce dogme était faux, c’en était fait du christianisme et si la liberté de jugement conduisait à de telles conclusions, je ne voulais plus rien en savoir. Derrière la proclamation du dogme, il devait nécessairement y avoir une Autorité. Et la seule Église qui faisait encore entendre la voix de Celui qui est venu comme Homme ayant puissance et autorité, était l’Église catholique. J’avais toujours admiré chez mon épouse son bon sens et la lucidité de ses décisions ; par la grâce de Dieu, elle arriva aux mêmes conclusions que moi-même, ayant décelé les confusions et les compromis des Anglicans. Après avoir reçu l’enseignement nécessaire, nous fûmes admis dans l’Église.

Cela se passait en 1943. Je ne prétends pas qu’il est de tout repos d’être catholique. Lorsqu’on est venu de l’hérésie, on n’est pas libéré d’un coup des tentations de regarder en arrière. Une fois apaisée l’émotion orageuse de la découverte et de la décision, il reste la routine de la vie et du devoir quotidien dans cette vallée de larmes, il reste les manquements, les rechutes, les fautes qui vraisemblablement ne disparaîtront jamais ; mais cela ne nous aide-t-il pas à acquérir une humilité qui ne soit pas pure illusion ? Dans mon pays où les catholiques sont si rares, c’est un privilège que de l’être. Les champs sont mûrs pour la moisson, qui est récoltée peu à peu malgré la propagande sotte et malveillante contre l’Église. La conversion d’un homme entraîne la conversion de son pays dans sa personne ; elle ne provoquerait pas tant d’amertume s’il n’en était pas ainsi ! Le mystère de la vie chrétienne est celui de l’interdépendance. Ce que Dieu fait pour un homme, il le fait pour tous, grâce aux mérites du Christ en qui tous les hommes ne forment qu’un Corps mystique. La persévérance du chrétien n’est donc pas autre chose que fidélité au Christ. C’est par là aussi qu’on est fidèle à sa nation, à son pays, pour lesquels l’unique chance de salut est la royauté du Christ.

 

 

 

Martin VERSFELD, dans Les pourchassés de la grâce,

témoignages de convertis de nos jours,

rassemblés et présentés par Bruno Schafer,

Apostolat de la presse, 1962.

 

 

 

 

 

 

 

 



1 Adepte de communautés autocéphales, indépendantes des autorités civiles et ecclésiastiques. Secte puritaine séparée des Presbytériens.

2 Théologien laïque, catholique et philosophe de la religion, mort en 1925 à Londres.

3 Cf. plus bas son témoignage.

 

 

 

 

 

 

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