La cosmogonie biblique

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

F. VIGOUROUX

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’accord de la science et de la foi est pour tout chrétien une vérité incontestable. Dieu, étant l’auteur de la révélation comme de la nature, n’a pu se contredire lui-même et écrire dans les pages de la Genèse le contraire de ce qu’il a écrit dans le livre de l’univers. « Quoique la foi soit au-dessus de la raison, a dit Pie IX dans son encyclique du 9 novembre 1846, il ne peut exister entre l’une et l’autre aucune contradiction ni aucun désaccord réel, parce qu’elles procèdent toutes les deux d’une seule et même source, de Dieu très bon et très grand, qui est le principe de la vérité éternelle et immuable. » Le concile du Vatican s’est exprimé dans des termes semblables. Il reconnaît aux sciences le droit de poursuivre leurs recherches selon leur méthode et leurs principes particuliers. « L’Église, dit-il, ne prétend nullement défendre aux sciences de se servir, dans le domaine qui leur est propre, des principes et de la méthode qui leur est particulière. » En se servant des lumières de la raison, elles ne peuvent pas arriver à des conclusions fondées contraires aux enseignements de la foi : « Il ne peut exister, dit la Constitutio de fide catholica, aucun désaccord réel entre la foi et la raison. »

Nous sommes donc assurés qu’il n’existe pas de contradiction entre la Genèse et les résultats des investigations géologiques et paléontologiques. Mais il peut exister des contradictions apparentes, et il nous faut montrer comment il est possible de concilier la parole de Dieu avec les données scientifiques aujourd’hui généralement acceptées.

Avant d’entrer dans cette exposition, il est essentiel de faire connaître tout d’abord la traduction des premiers versets de la Genèse, faite sur le texte hébreu le plus littéralement qu’il a été possible.

 

 

 

I. TEXTE DU RÉCIT MOSAÏQUE DE LA CRÉATION

 

 

La Genèse, dans ses premières pages, nous raconte la création du monde de la manière suivante :

 

I. – I, 1. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. 2. Et la terre était vide et informe ; les ténèbres étaient sur la face de l’abîme, et l’Esprit de Dieu se mouvait sur les eaux.

II. – 3. Et Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. 4. Et Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres. 5. Et Dieu nomma la lumière jour, et les ténèbres nuit. Et il fut soir et il fut matin : premier jour.

III. – 6. Et Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament entre les eaux, et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux. » 7. Dieu fit donc le firmament, et il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament de celles qui sont au-dessus du firmament. Et il fut ainsi. 8. Et Dieu nomma le firmament ciel. Et il fut soir et il fut matin : second jour.

IV. – 9. Et Dieu dit : « Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu, et que le sec apparaisse. » Et il fut ainsi. 10. Et Dieu nomma le sec : terre ; et il nomma l’amas des eaux : mers. Et Dieu vit que cela était bon. 11. Et Dieu dit : « Que la terre produise la verdure, de l’herbe portant semence, des arbres fruitiers portant du fruit selon leur espèce et contenant leur semence, sur la terre. » Et il fut ainsi. 12. Et la terre produisit la verdure, de l’herbe portant sa semence selon son espèce, et des arbres portant leur fruit, contenant leur semence selon leur espèce. Et Dieu vit que cela était bon. 13. Et il fut soir et il fut matin : troisième jour.

V. – 14. Et Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires dans le firmament des cieux, pour distinguer le jour et la nuit, et pour servir de signes aux temps des fêtes, aux jours et aux années ; 15. qu’ils servent de luminaires pour luire sur la terre. » Et il fut ainsi. 16. Et Dieu fit deux grands luminaires : le plus grand luminaire pour présider au jour, et le moindre luminaire pour présider à la nuit ; et il fit aussi les étoiles. 17. Et Dieu les plaça dans le firmament des cieux pour luire sur la terre, 18. et pour présider au jour et à la nuit, et pour distinguer la lumière des ténèbres. Et Dieu vit que cela était bon. 19. Et il fut soir et il fut matin : quatrième jour.

VI. – 20. Et Dieu dit : « Que les eaux pullulent d’une pullulation vivante, et que les oiseaux volent sur la terre, sous la face du firmament des cieux. » 21. Et Dieu créa les grands poissons et tout être vivant et rampant dont pullulent les eaux, selon leurs espèces, et tout oiseau qui vole, selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon. 22. Et Dieu les bénit en disant : « Fructifiez, multipliez-vous, et remplissez les eaux des mers ; et que les oiseaux se multiplient sur la terre. » 23. Et il fut soir et il fut matin : cinquième jour.

VII. – 24. Et Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants, selon leur espèce ; le bétail, les reptiles et les animaux sauvages, selon leur espèce. » Et il fut ainsi. 25. Et Dieu fit les animaux sauvages selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tout reptile de la terre selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon. 26. Et Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance ; et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, et sur toute la terre, et sur tout reptile qui rampe sur la terre. » 27. Et Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. 28. Et Dieu les bénit, et Dieu leur dit : « Fructifiez, multipliez-vous ; remplissez la terre, assujettissez-la ; dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui rampe sur la terre. » 29. Et Dieu dit : « Voici que je vous donne toute herbe portant semence, qui est sur la face de la terre, et tout arbre qui porte un fruit contenant sa semence : ce sera votre nourriture. 30. Et à tous les animaux sauvages, et à tous les oiseaux du ciel, et à tous les reptiles de la terre qui ont souffle de vie, toute herbe verte sera leur nourriture. » Et il fut ainsi. 31. Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voilà que cela était très bon. Et il fut soir et il fut matin : sixième jour.

VIII. – II, 1. Et furent achevés le ciel et la terre, et toute leur armée. 2. Et Dieu acheva le septième jour son œuvre qu’il avait faite, et il se reposa le septième jour de toute son œuvre qu’il avait faite. 3. Et Dieu bénit le septième jour et il le sanctifia, parce qu’en ce jour il se reposa de toute son œuvre, que Dieu avait créée en la faisant.

 

 

 

II. BEAUTÉ DU RÉCIT MOSAÏQUE DE LA CRÉATION

 

 

Le récit de la création du monde d’après la Bible est incomparablement supérieur à celui de tous les autres peuples ; il n’y a qu’une voix, même parmi les ennemis des saintes Écritures, pour reconnaître la supériorité de la cosmogonie mosaïque sur toutes les cosmogonies païennes. L’un des plus ardents adversaires de la révélation, l’allemand Haeckel, ne peut s’empêcher de l’avouer :

« Permettez-moi, dit-il dans son Histoire de la création des êtres organisés 1, de jeter tout d’abord un coup d’œil sur la plus importante des histoires de la création surnaturelle, sur celle de Moïse, telle que nous la connaissons par les antiques archives de l’histoire et des lois du peuple juif, par la Bible. On sait que l’histoire de la création mosaïque, formant dans le premier chapitre de la Genèse l’introduction de l’Ancien Testament, est encore généralement admise chez tous les peuples qui ont accepté la civilisation judaïco-chrétienne. Ce succès extraordinaire ne s’explique pas seulement par son intime union avec les dogmes chrétiens et juifs, mais aussi par la disposition simple et naturelle des idées qui y sont exposées, et qui contrastent avantageusement avec la confusion des cosmogonies mythologiques chez la plupart des peuples anciens. D’après la Genèse, le Seigneur Dieu forme d’abord la terre, en tant que corps anorganique ; ensuite il sépare la lumière et les ténèbres, puis les eaux et la terre ferme. Voilà la terre habitable pour les êtres organisés. Dieu forme alors en premier lieu les plantes, plus tard les animaux ; et même, parmi ces derniers, il façonne d’abord les habitants de l’eau et de l’air, plus tardivement ceux de la terre ferme. Enfin Dieu crée le dernier venu des êtres organisés, l’homme ; il le crée à son image pour être le maître de la terre.

« Dans cette hypothèse mosaïque de la création, ajoute le naturaliste libre penseur, deux des plus importantes propositions fondamentales de la théorie évolutive se montrent à nous avec une clarté et une simplicité surprenantes : ce sont l’idée de division du travail ou de la différenciation, et l’idée du développement progressif, du perfectionnement. Bien que ces grandes lois de l’évolution organique soient regardées par Moïse comme l’expression de l’activité d’un créateur façonnant le monde, pourtant on y découvre la belle idée d’une évolution progressive, d’une différenciation graduelle de la matière primitivement simple. Nous pouvons donc payer à la grandiose idée renfermée dans la cosmogonie... du législateur juif un juste et sincère tribut d’admiration. »

Un autre rationaliste, M. Dillmann, dit également de la cosmogonie de la Genèse :

« Elle ne contient pas un mot qui puisse paraître indigne de la pensée de Dieu. Dès lors que l’on tentait de peindre, pour le rendre saisissable à l’intelligence humaine, le mystère de la création, qui demeurera toujours un mystère pour l’homme, il était impossible d’en tracer un tableau plus grand et plus digne. C’est à bon droit qu’on en tire une preuve du caractère révélé de ce récit ; ce n’est que là où Dieu s’est manifesté selon sa véritable essence qu’il a pu être écrit : il est l’œuvre de l’Esprit révélateur 2. »

« Ou Moïse avait dans les sciences une instruction aussi profonde que celle de notre siècle, a dit Ampère, ou il était inspiré. »

Le récit que nous fait l’auteur sacré de la création du monde est sobre, clair, et aussi précis que le permettait la langue hébraïque et l’époque où vivait Moïse. C’est une histoire réelle qui nous est racontée. Il faut cependant observer que le génie de la langue dans laquelle elle est écrite a obligé l’écrivain à employer certaines expressions dans un sens métaphorique : il ne s’est pas exprimé en formules scientifiques et rigoureuses ; il a voulu seulement montrer que Dieu est le créateur de tout ce qui existe, et, pour se mettre à la portée de tous et exposer les vérités les plus profondes, il a employé une sorte de langage populaire et figuré, dans lequel il attribue à Dieu la parole comme à un homme, et nous le montre commandant au monde, comme un maître à ses serviteurs. Il se sert également dans son récit de quelques autres expressions figurées, sur lesquelles nous reviendrons plus loin.

Moïse a ainsi résumé et en quelque sorte condensé les vérités religieuses fondamentales, qui sont la base de la vraie religion, en une seule page, intelligible pour tous, même pour l’esprit le plus simple. Il n’existe, en aucune langue, un seul morceau qui contienne, en si peu de mots, autant de dogmes si importants. Cette cosmogonie est la condamnation de toutes les erreurs du monde ancien. L’auteur sacré parle, non d’une manière abstraite et en philosophe, mais en termes concrets et comme historien ; il énonce le fait et ne se livre à aucun commentaire, mais le premier verset seul de son livre suffit pour faire toucher du doigt toutes les erreurs principales des anciens et des modernes : « Au commencement. Dieu créa le ciel et la terre. » Par conséquent, il n’existe qu’un seul Dieu, contrairement à ce que croyaient faussement, à l’exception des Hébreux, tous les peuples d’alors, lesquels étaient polythéistes et adoraient plusieurs dieux ; la matière n’est pas éternelle, puisqu’elle n’existait pas avant que Dieu créât ; Dieu l’a tirée du néant, bârâ, par son action toute-puissante : il est donc le maître absolu du monde, comme l’ouvrier de son œuvre. Peuples et philosophes pensaient que la matière n’était pas distincte de Dieu même : c’étaient les panthéistes ; les autres, que la matière avait toujours existé, c’étaient les hylozoïstes. Moïse renverse à la fois d’un mot tous ces systèmes erronés : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » La conclusion implicite du premier chapitre de la Bible, c’est que Dieu est tout-puissant, infiniment sage et infiniment bon ; que nous devons l’adorer comme notre créateur, l’aimer comme notre premier principe, le servir comme notre dernière fin, reconnaître en lui l’auteur de notre vie et la source de notre béatitude.

 

 

 

III. LES SIX JOURS DE LA CRÉATION 3

 

 

D’après le premier verset de la Genèse, au commencement Dieu créa tous les éléments constitutifs de la matière, « le ciel et la terre », expressions qui désignent en hébreu l’universalité des êtres. La plupart des Pères l’ont entendu ainsi.

Cet état de chaos dura un temps indéfini. Moïse ne dit absolument rien sur sa durée.

Dieu ordonna ensuite les éléments de la matière, qui étaient restés jusqu’alors dans un état de confusion : tohu vabohu, dit le texte hébreu. Pendant l’intervalle qui sépare la création de la matière première de l’apparition de la lumière, l’esprit de Dieu, considéré par quelques Pères comme la troisième personne de la sainte Trinité, et par d’autres comme un vent qui agitait les eaux, – le mot hébreu rouakh signifiant tout à la fois « esprit » et « vent », – travaille à l’élaboration de l’univers ; c’est ce que Moïse exprime en disant : « Et l’esprit de Dieu était porté sur la face des eaux ». Ces paroles semblent indiquer que le mouvement imprimé par Dieu aux éléments qu’il avait créés fut la cause de leurs transformations successives ; ce qui, nous le verrons, est conforme aux conclusions de la science la plus autorisée.

L’organisation du monde est partagée par Moïse en six actes, qu’il appelle jours ; ils se distinguent les uns des autres par un soir et un matin ; le septième jour Dieu se reposa, c’est-à-dire cessa d’agir.

Ce mot de « repos » appliqué à Dieu est certainement métaphorique, tout le monde en convient. Il est à croire que les expressions de « jour », yôm, « soir », ‛éreb, et « matin », bôqer, sont également métaphoriques. Leur signification est aujourd’hui le sujet de discussions nombreuses. Yôm désigne ordinairement l’espace compris entre deux levers de soleil, ‛éreb marque le coucher de cet astre, et bôqer son lever ; cependant plusieurs raisons, qui ne sont pas sans importance, semblent indiquer que ces trois termes ne doivent pas être pris ici dans leur sens propre, mais dans un sens figuré. À une époque où tout s’exprimait en images, l’emploi de métaphores dans la Genèse, où il faut nécessairement en reconnaître un certain nombre, ne doit pas beaucoup surprendre celui qui connaît les habitudes du langage oriental.

Examinons d’abord le mot yôm, « jour » : « Il n’y a aucune nécessité d’entendre par ce mot un jour ordinaire 4 », dit le P. Palmieri. Dieu n’a certainement pas mis vingt-quatre heures à créer la lumière, ni vingt-quatre heures à créer les astres, les plantes ou les animaux ; il lui a suffi, pour que tous ces êtres fussent produits, d’un acte instantané de sa volonté. Puisque Dieu n’a pu employer une journée entière à donner l’existence à chacune des espèces de créatures qui ont apparu pendant les jours génésiaques, il y a tout lieu de penser que le mot « jour » est ici une expression figurée. Bien des raisons tendent à le prouver et à établir que ce terme désigne ici une « époque ».

1° En hébreu, yôm peut signifier et signifie en effet, dans un grand nombre de passages de la Bible, une période indéterminée 5 ;

2° On ne peut exprimer, en hébreu, l’idée d’époque ou de période que par le mot yôm, parce qu’il n’en existe pas d’autre en cette langue pour rendre cette idée. Ce fait, généralement ignoré, mérite d’être pris en sérieuse considération. La répugnance du plus grand nombre à admettre les jours époques provient de ce qu’on fait notre mot « jour » absolument identique au mot yôm, ce qui n’est pas. Nous avons un mot « jour » distinct du mot « époque » ; il n’y a qu’une seule et même expression en hébreu pour ces deux significations ;

3° Ces deux premières raisons établissent la possibilité du sens d’« époque » donné à yôm. D’autres considérations prouvent que réellement Moïse l’emploie dans ce chapitre, non pour signifier des jours solaires ou de vingt-quatre heures, mais un temps indéterminé. Il nous dit, en effet, que le soleil, qui sert aujourd’hui à régler les jours, n’a apparu qu’au quatrième yôm. Par conséquent, les trois premiers yômim n’ont pas été des jours solaires ou de vingt-quatre heures. Mais si les trois premiers ne l’ont pas été, les trois derniers ne le sont pas non plus, car rien ne nous autorise à établir arbitrairement une distinction entre ces deux séries de jours ;

4° Les traditions cosmogoniques des autres peuples entendent par les jours de la création de longues périodes. D’après les traditions hindoues, Brahma resta enfermé 360 jours dans l’œuf cosmique, avant de le briser et d’en faire deux moitiés, dont il forma le ciel et la terre ; chacun de ces 360 jours était de 12 millions d’années. Dans les traditions persanes et étrusques, la création est divisée en six étages, qui forment six époques égales, dans un ordre semblable à celui de la Genèse ; chacune de ces époques est de mille ans. D’après de vieilles traditions étrusques, le Dieu suprême avait employé douze mille ans à la production de ses œuvres : mille ans à l’organisation du ciel et de la terre, six mille à l’enfantement des êtres inanimés et des animaux, et six mille à la formation et à la durée de l’homme. La cosmogonie phénicienne paraît avoir admis de semblables intervalles de temps entre les différentes œuvres de la création ; du moins, d’après un passage de Philon de Byblos, abréviateur de Sanchoniaton, le chaos et l’air environnant s’étaient d’abord étendus à l’infini, et n’avaient trouvé de bornes qu’après une longue série de siècles. La cosmogonie chaldéenne admettait probablement aussi que les jours de la création étaient de longues périodes.

Pour établir que les jours de la création sont des jours de vingt-quatre heures, on allègue qu’ils sont l’explication de l’origine de la semaine, et que le repos de Dieu au septième jour est la raison de l’institution du sabbat. (Ex., XX, 10, 11.) Mais si l’on réfléchit, on ne peut s’empêcher de reconnaître qu’il est impossible de conclure de là que le mot yôm est employé dans le sens propre et non dans le sens métaphorique ; au contraire. Ces sept époques furent appelées « jours », non à cause de leur durée, mais parce que, dans l’intention de Dieu, elles devaient être le type de la semaine, et représenter, par les six jours où il crée, les six jours de travail ; par celui où il se repose, le repos du sabbat ou du septième jour, dans lequel il est défendu de faire des œuvres serviles.

Après avoir examiné le sens du mot yôm ou « jour », il nous faut examiner celui d’‛éreb et bôqer, « soir » et « matin ». Moïse, s’étant servi métaphoriquement du mot « jour » pour désigner chacune des révolutions du monde et des actes créateurs, continue la métaphore en appelant l’espace total du temps qui s’est écoulé d’une révolution à l’autre « soir » et « matin ». Il place le soir avant le matin, parce que les Hébreux faisaient commencer la journée, non pas, comme nous, à minuit, mais le soir, usage dont il nous reste des traces dans les offices de l’Église. Quant à la preuve que les Hébreux employaient quelquefois métaphoriquement les mots « soir » et « matin », nous l’avons dans Daniel, où nous lisons, VIII, 26, 14 : Visio vespere et mane... Usque ad vesperam et mane, dies duo millia trecenti. Les deux expressions ‛éreb et bôqer étaient d’ailleurs très propres à rendre la pensée que voulait exprimer Moïse : car bôqer signifie non seulement « matin », mais aussi « commencement », et ‛éreb a le sens de « fin », comme celui de « soir ». Ces deux mots ont, de plus, un second sens figuré, qui répondait parfaitement à la pensée que voulait exprimer le narrateur de la création du monde : bôqer a aussi le sens d’« arrangement », et ‛éreb celui de « désordre », de « confusion ».

Un fait digne de remarque et qui semble indiquer que les mots « soir » et « matin » ne sont que des termes métaphoriques, c’est que la création proprement dite, c’est-à-dire la production du sein du néant des éléments de la matière, laquelle n’a pas été précédée d’une révolution cosmique, est racontée sans autre désignation de temps que in principio. Ce n’est qu’après la première organisation des éléments qu’il est question de jour, de soir et de matin.

On objecte, il est vrai, contre les explications précédentes, qu’elles sont nouvelles et en opposition avec la tradition. Mais il est aisé de répondre qu’il n’y a pas de tradition unanime et constante sur la manière dont il faut entendre la cosmogonie de la Genèse. Moïse n’ayant pas parlé la langue scientifique dans sa précision et sa rigueur, son récit est susceptible d’interprétations différentes ; et de fait, à toutes les époques, il a été diversement expliqué par les Pères et les théologiens. Aucun, sans doute, parmi les anciens, n’a entendu le mot « jour » dans le sens d’époque d’une longueur indéterminée, parce qu’on manquait alors des connaissances géologiques qui auraient pu faire découvrir ce sens ; mais un grand nombre parmi eux, entre autres toute l’école d’Alexandrie et saint Augustin, n’ont vu qu’une expression figurée dans les mots « jour », « soir » et « matin ». Nous ne faisons pas autrement ; nous leur attachons seulement la signification qu’exigent les découvertes scientifiques, comme l’auraient fait certainement les Pères, s’ils avaient vécu de nos jours, puisqu’ils recouraient à la science de leur temps pour expliquer la création mosaïque 6.

Nous pourrions ajouter, du reste, que la tradition des peuples ne confirme pas seulement le fait de l’institution divine de la semaine ; elle confirme aussi l’ensemble même de la cosmogonie biblique, malgré toutes les altérations qu’elle lui a fait subir. On a découvert, en 1875, une légende chaldéenne, dont la rédaction est antérieure à celle du Pentateuque, et qui s’accorde d’une manière frappante avec le récit de Moïse 7.

« Dans toutes les cosmogonies païennes, le monde dit M. Pozzy, a été à son origine un chaos ; il était enfermé dans un œuf qui s’est brisé et dont une moitié a formé la voûte céleste, l’autre la terre. D’où cette idée, qu’on retrouve chez toutes les nations, leur est-elle venue ? Ce n’est pas là une idée simple, qui naisse spontanément dans le cerveau humain, puisque, parmi les philosophes, les uns supposent l’univers éternel, tandis que d’autres le font naître de la rencontre fortuite d’atomes crochus dans l’espace. Le chaos, d’ailleurs, n’a point d’analogue dans la nature actuelle. Nous ne voyons aucun être sortir d’une masse confuse et informe. Et puis, comment concilier le chaos, l’idéal du désordre et de la mort, avec l’œuf, qui est le plus beau symbole de la vie et de l’harmonie ? Il faut donc, puisque cette idée se retrouve chez tous les peuples, qu’elle leur vienne d’une source commune, qu’elle fasse partie de ces croyances primordiales qui constituèrent la religion de l’humanité primitive et que les peuples, lors de la dispersion, emportèrent partout avec eux. Ainsi s’expliquent également celles non moins frappantes qu’elles présentent avec la Genèse, avec cette différence toutefois que la cosmogonie des Hébreux est de beaucoup la plus correcte et la mieux liée, celle qui nous donne la clef de toutes les autres. Par elle se complètent les deux notions contradictoires de l’œuf et du chaos. “La terre était sans forme et vide, et les ténèbres étaient sur la face de l’abîme” : voilà le chaos. “Et l’Esprit de Dieu couvait les eaux” comme un oiseau : voilà l’idée de l’œuf du monde, idée qui se retrouve d’un bout de la terre à l’autre, jusque chez les indigènes des îles Sandwich. “Dans le temps où tout était mer, disent-ils, un immense oiseau s’abattit sur les eaux et pondit un œuf, d’où sortit bientôt l’île d’Hawaï.” Mais, ces réserves faites, tout nous porte à croire que les Hébreux, comme les autres peuples, avaient puisé le récit de la création, qui est en tête de la Genèse, dans cette tradition primitive de l’humanité, d’où sont sorties toutes les cosmogonies païennes 8. »

 

 

 

IV. ACCORD DE LA COSMOGONIE MOSAÏQUE AVEC LES SCIENCES NATURELLES

 

 

Après avoir montré que les traditions des peuples sont d’accord avec la Genèse, il nous faut établir que les découvertes scientifiques de notre siècle ne la démentent pas.

L’étude géologique de notre globe montre qu’il se compose de couches superposées, distinguées les unes des autres par des éléments qui leur sont propres, et en particulier par des fossiles différents. Quand on eut constaté l’existence de ces couches et de ces fossiles, on en donna d’abord deux explications différentes.

La première consista à admettre que Dieu avait créé la terre telle quelle, avec ces plantes et ces animaux pétrifiés. Elle est encore admise par quelques rares théologiens ou exégètes, comme le P. von Hummelauer. « On peut admettre, dit-il, que Dieu, au commencement, a créé notre globe dans son état actuel, avec toutes les stratifications que nous découvrons aujourd’hui dans son sein, et avec tous les fossiles qui, dans ces stratifications, nous remplissent encore aujourd’hui d’étonnement. – Aux XVIe et XVIIe siècles, dit-il encore, on ne voyait point dans les fossiles des débris d’animaux et de plantes véritables, mais des jeux de la nature, lusus naturae ; on peut en dire autant aujourd’hui, en corrigeant seulement le mot lusus naturae en lusus Dei. » Tous les géologues sont unanimes à rejeter cette explication, et quiconque a vu de ses yeux des terrains fossiles, n’hésitera pas à la déclarer inacceptable.

La seconde admet que les couches géologiques ne se sont produites que successivement, comme l’exige l’étude des faits ; elle conserve les jours de vingt-quatre heures, et elle place les révolutions cosmiques et terrestres, dont les fossiles nous attestent l’existence, dans l’intervalle compris entre la création indiquée par le premier verset et le premier jour génésiaque. Les mots : « Et la terre était vide et informe, et les ténèbres étaient sur la face de l’abîme », rappellent un grand cataclysme qui bouleversa l’univers et le réduisit à l’état de chaos. Dieu avait d’abord créé lentement le monde : In principio creavit Deus caelum et terram ; il le restaura promptement, en six jours proprement dits, après ce bouleversement profond, et les traces de cette restauration, accomplie en un temps si court, échappent aux recherches des savants. Cette explication est défendue aujourd’hui par le P. Molloy 9 ; mais elle est universellement rejetée par tous les théologiens de profession, comme inconciliable avec les faits, et nous ne nous y arrêterons pas davantage.

Les deux solutions que nous venons d’exposer sont généralement abandonnées aujourd’hui ; elles doivent être remplacées par une troisième, mise en harmonie avec les progrès de la science. On l’appelle souvent la théorie des jours-époques, parce que le trait principal qui la distingue des précédentes, c’est que les jours génésiaques désignent, non des jours de vingt-quatre heures, mais des époques d’une durée indéterminée. Pendant chacune de ces époques, appelées « jours » par l’auteur sacré, se sont produites les révolutions dont la géologie constate l’existence. Nous avons déjà exposé les raisons exégétiques qui autorisent à donner au mot yôm cette signification.

Il nous faut maintenant étudier ces révolutions elles-mêmes. Pour procéder avec ordre, nous partagerons l’œuvre de la création en trois périodes principales : 1° celle de la création des éléments de la matière et de la lumière ; 2° celle de l’organisation de la terre et de la création du règne végétal ; 3° enfin, celle de la création du règne animal.

 

 

 

Première Période : Création des éléments de la matière et de la lumière.

 

 

La première période embrasse la cosmogonie en général et la création de la lumière ; elle comprend le long espace de siècles résumé dans les cinq premiers versets de la Genèse, et correspond au temps qui a précédé le premier jour mosaïque ainsi qu’à ce premier jour lui-même. La science ne connaît rien de cette période que par induction.

D’après le système communément admis par les savants, l’éther, principe de la matière des cieux et de la terre, a été créé tout d’abord. L’analyse spectrale et les belles découvertes du P. Secchi, d’Huygens, de Miller, etc., démontrent que la composition chimique des corps célestes et terrestres est foncièrement la même. Au commencement, les ténèbres sont complètes. Des centres d’attraction se produisent ensuite sur divers points de l’espace, et deviennent le germe des nébuleuses cosmiques et le principe du mouvement. Le mouvement de concentration et de rotation des nébuleuses amène les premiers dégagements de chaleur. L’élévation croissante de la température produit de la lumière ; les nébuleuses, en se condensant, jettent autour d’elles des lueurs phosphorescentes ; elles se fractionnent, et leurs fragments deviennent des étoiles, qui finissent par être incandescentes. La terre est une de ces étoiles. Moïse dépeint l’état primitif de la terre à cette époque, en disant : « La terre était vide et informe », sans ordre ; et il caractérise la période pendant laquelle s’accomplissent les phénomènes dont nous venons de parler, en les considérant par rapport à notre globe, quand il dit que, le premier jour, Dieu créa la lumière et la sépara des ténèbres.

Les ignorants ont fait contre la création de la lumière au premier jour génésiaque toute sorte d’objections au nom de la science. Comment comprendre, a-t-on dit, que la lumière ait existé avant le soleil ? Or, d’après les œuvres des physiciens, qu’est-ce que la lumière, sinon la vibration d’une sorte de fluide infiniment subtil, répandu dans l’espace, nommé éther, et mis en mouvement par des corps que nous appelons lumineux ? Ce sont les mouvements ondulatoires de cet éther qui produisent en nous la sensation de lumière ; et, si nous considérons dans quelles circonstances les corps terrestres développent la lumière, nous découvrons que c’est généralement de la manière suivante : 1° une grande élévation de température rend lumineux les corps qui ne le sont pas : les métaux incandescents, les objets incombustibles placés entre les pôles d’une batterie électrique émettent une vive lumière, sans qu’on remarque d’ailleurs d’autre changement dans leurs propriétés ; 2° la combinaison chimique intense et rapide de deux corps, dans la combustion, par exemple, est également accompagnée d’un dégagement de lumière ; 3° le dégagement de l’électricité produit aussi une lumière éblouissante, comme le montrent les éclairs. Le fiat lux n’est donc autre chose que la position de la loi du mouvement vibratoire qui détermine tous les phénomènes de lumière, de chaleur et d’électricité.

« Quant aux différents corps célestes qui nous paraissent lumineux par eux-mêmes, dit le savant allemand Pfaff dans son Histoire de la création, si nous les étudions au spectroscope, nous voyons qu’il faut les considérer comme des gaz incandescents ou comme des corps en fusion. Si nous observons maintenant que les nébuleuses et les comètes dégagent de la lumière, nous devons en conclure que les masses gazeuses, même à l’état de la plus grande raréfaction, peuvent déjà être lumineuses. À quelle époque de la formation de l’univers commença l’émission de la lumière ? Les sciences naturelles ne peuvent le dire, mais elles peuvent affirmer que la lumière a pu se manifester longtemps avant la séparation de la matière et la formation des corps particuliers. Par conséquent, il ne saurait être question d’une contradiction entre les données de la Genèse et celles des sciences naturelles, relativement à l’origine de la lumière 10. » En d’autres termes, la première partie du récit de Moïse est inattaquable au point de vue scientifique.

 

 

 

Deuxième Période : Organisation du règne végétal.

 

 

La deuxième période correspond aux deuxième, troisième et quatrième jours de Moïse, dans l’ordre même qui a été reconnu par les découvertes scientifiques. C’est pendant cette époque que se forment la croûte solide de la sphère embrasée et l’atmosphère. Le globe terrestre passe de l’état gazeux à l’état de liquide incandescent ; sa surface commence ensuite à se durcir par le refroidissement. Une atmosphère ténébreuse, sursaturée de vapeurs métalliques et aqueuses, se forme autour de la terre. « À mesure que le refroidissement de la terre continuait, dit M. Godet 11, les matières volatiles qui enveloppaient le globe se condensèrent successivement, les plus pesantes les premières. D’autres, plus légères, telles que la vapeur d’eau, qui se trouvaient dans les parties supérieures de l’espace, s’y condensèrent au contact des régions plus froides, et formèrent un dais de nuées planant à une certaine hauteur au-dessus du globe. Dans l’espace intermédiaire entre cet océan aérien battu par les vents, et la plaine liquide qui formait presque toute la surface terrestre et que faisait bouillonner les émanations de la fournaise intérieure, s’étendit l’atmosphère, telle que nous la possédons, la couche d’air respirable, de plus en plus dégagée de toutes les matières dont elle avait été jusqu’alors saturée. »

L’atmosphère devient ainsi distincte du sphéroïde terrestre. C’est la séparation des eaux inférieures et supérieures par le firmament, dont parle la Genèse, c’est-à-dire le second jour mosaïque.

Cette période de formation de l’univers est appelée par les géologues âge azoïque, parce qu’elle n’offre pas de trace de vie, ou primaire. C’est pendant cette période que se sont formées les roches amorphes, cristallines et métamorphiques, les gneiss et les granits primitifs, premiers rudiments de nos continents, qui se montrent encore à nu sur plusieurs points de l’Europe et de l’Amérique.

Le troisième et le quatrième jour génésiaques correspondent à ce que les géologues appellent âge paléozoïque ou de transition. Cet âge est ainsi nommé parce que c’est celui où l’on retrouve les traces les plus anciennes de vie, des débris d’une flore et d’une faune sous-marines, des cryptogames, des algues et des invertébrés, des crustacés et mollusques, oursins et coraux.

Au commencement de cette période, la croûte solide est partout recouverte par les eaux précipitées. Les premières îles émergent, par suite de la contraction de l’enveloppe terrestre. L’atmosphère, grossièrement épurée, ne laisse parvenir au sol qu’une clarté diffuse ; mais cette clarté est suffisante pour les premiers développements de la végétation terrestre. C’est alors que se produit la flore carbonifère et houillère. Elle se distingue, non par la multiplicité des genres et l’éclat des couleurs, car elle était d’une uniformité désolante, mais par la grandeur des dimensions. La flore actuelle se compose de 80 000 à 100 000 espèces de plantes ; la flore houillère n’en contenait guère que 8 000 12.

Mais, tandis que l’Europe entière ne possède aujourd’hui qu’environ soixante espèces de fougères, il y en avait alors plus de deux mille cinq cents. Et quelles dimensions ! « La flore houillère était beaucoup plus luxuriante que la végétation de nos tropiques. La plupart des espèces éteintes dépassent en grandeur leurs similaires d’aujourd’hui 13. » – « Des prêles, aujourd’hui herbes de marais, atteignaient la grosseur d’un corps d’homme et une hauteur de soixante à soixante-dix pieds ; des mousses et des fougères d’une taille non moins disproportionnée, comparativement à celle des genres correspondants dans l’ordre de choses actuel ; mais pas une fleur aux brillantes couleurs, pas un arbre fruitier. Cette flore houillère n’a d’autre ornement que sa verdure 14. »

Nous pouvons nous faire difficilement aujourd’hui une idée de ce qu’était cette végétation sans variété et sans vie. Ce qui fait le plus grand charme de nos forêts, la vie animale, y manquait. Elle ressemblait à la végétation de la Nouvelle-Zélande, où domine encore la flore primitive, les fougères arborescentes et les majestueux araucarias. Dans l’intérieur des forêts de la Nouvelle-Zélande, dit un voyageur, tout est sombre et mort. Aucun papillon aux couleurs variées, aucun oiseau ne réjouit la vue et ne rompt la monotonie. Toute vie animale y paraît éteinte. On sent le besoin de sortir de ces forêts, et l’on éprouve un profond sentiment de joie lorsque, après avoir erré des journées entières, dans ces lieux mornes et sans vie, on jouit de nouveau de la lumière du jour, en rase campagne.

« On peut se représenter cette longue période comme une série de jours chauds et humides. Imaginons une serre fortement chauffée, dont les murs de verre auraient été noircis de manière à intercepter en partie les rayons solaires, et dont la principale lumière serait celle d’une flamme électrique brûlant à l’intérieur. Que seraient les produits de la végétation en de telles conditions ? Des plantes colossales, mais sans vives couleurs ; des géants au front verdâtre. Telle fut la végétation houillère 15. »

Ce caractère de la végétation houillère fournit la réponse à l’une des objections sur lesquelles on a le plus insisté contre le récit de Moïse, et en devient même une sorte de confirmation. Comment, a-t-on dit, ces plantes ont-elles pu se développer sans l’action des rayons solaires ? M. Pfaff répond avec beaucoup de précision et de justesse : « Ce n’est pas du soleil que les plantes ont besoin, mais seulement de lumière et de chaleur. Or la lumière et la chaleur existaient incontestablement avant le soleil : c’est là un fait certain en histoire naturelle. »

Bien mieux, « des expériences récentes ont complètement (et directement) résolu la difficulté. Il est prouvé que la lumière électrique possède toutes les qualités nécessaires pour le développement des parties vertes de la plante. M. Faminzin, dans toutes ses expériences sur les algues, ne s’est jamais servi, pour obtenir le développement de ces végétaux, que de la lumière très forte d’une lampe à gaz 16. » La flore houillère étant caractérisée par l’absence de couleurs, que faut-il en conclure, sinon que le soleil n’agissait pas alors sur notre globe ?

Pendant la période houillère, il n’y avait encore,comme nous le dit Moïse, aucun mammifère ni aucun oiseau. Il y avait cependant déjà, mais en petit nombre, quelques amphibies rampants, des poissons et quelques animaux inférieurs, dans les bas-fonds marécageux, où ils étaient couverts par une épaisse végétation.

Quelques batraciens analogues à notre salamandre actuelle commencent alors à paraître. On trouve aussi des vestiges des vertébrés respirants, et de soixante-quatorze espèces de poissons. Mais les amphibies d’alors sont petits, et ils ne frappent guère par leur forme ; ce sont cependant les êtres les plus élevés de la création paléolithique. De plus, ils sont rares, surtout relativement au grand épanouissement de vie que nous rencontrons bientôt. Moïse a donc pu ne pas en tenir compte et les passer sous silence.

Le quatrième jour mosaïque est celui où Dieu complète l’organisation de notre système solaire par rapport à la terre. Quelques exégètes pensent que le soleil existait déjà comme corps lumineux dans les âges précédents, mais que ses rayons n’arrivaient pas jusqu’à la terre. Rien dans la science ne s’oppose à ce qu’on accepte purement et simplement le récit de la Genèse : « Notre soleil est une véritable étoile fixe, dit M. Pfaff. Par conséquent, sa manifestation comme astre distinct peut coïncider avec celle des autres étoiles fixes. L’astronomie n’a rien à opposer à cette affirmation... Il ne saurait donc être question sur ce point d’une contradiction entre l’astronomie et la Bible. »

 

 

 

Troisième Période : Création du règne animal.

 

 

Cette époque, qui est la moins ancienne de l’âge paléozoïque, est caractérisée par un ralentissement très sensible de la création végétale. Une nouvelle flore n’apparut que dans l’âge tertiaire, et fut le résultat de l’influence nouvelle du soleil. Moïse, qui avait indiqué le premier grand épanouissement de vie végétale, n’est pas revenu sur les flores successives ; il s’est partout contenté d’indiquer les traits nouveaux les plus saillants de chaque période.

L’ère géologique comprend trois âges : l’âge secondaire, l’âge tertiaire, et l’âge quaternaire, celui dans lequel nous vivons. Le premier correspond au cinquième jour génésiaque ; les âges tertiaire et quaternaire correspondent au sixième jour.

Le cinquième jour, nous dit la Genèse, Dieu créa d’abord les reptiles et les volatiles, puis les grands cétacés. L’inspection des couches géologiques confirme ces données.

L’âge secondaire comprend trois étages de terrains : l’étage triasique, l’étage jurassique et l’étage crétacé. Il est caractérisé par une abondance prodigieuse de vie animale. La végétation houillère de l’âge paléozoïque avait absorbé une quantité énorme d’acide carbonique et l’avait changé en combustible. Elle avait ainsi purifié l’atmosphère et rendu la terre propre à la vie animale.

Pendant que les coraux et les infusoires formaient le terrain jurassique, les ammonites et les bélemnites vivaient au fond de la mer ; les tortues et les lézards se promenaient sur les bords des rivières et des océans ; d’immenses reptiles, armés d’effroyables moyens de destruction, étaient les rois des animaux : le plésiosaure, lézard de plus de douze mètres de longueur, à tête de serpent, avec une mâchoire de deux mètres, au long cou de cygne de cinq à six mètres, et à vingt ou quarante vertèbres cervicales, tandis que la girafe n’en a que sept ; l’ichtyosaure, de dix mètres de long, au museau effilé comme celui d’un dauphin, aux mâchoires garnies de cent quatre-vingts dents, dévorant des tortues et des mollusques, et même ses semblables ; le ptérodactyle, dragon volant au museau allongé en forme de bec, aux dents semblables à celles du crocodile, aux griffes acérées comme celles du tigre, aux ailes comme celles de la chauve-souris ; plus tard, le mégalosaure, au corps gigantesque de près de vingt mètres de longueur, dont les dents, dit M. Figuier, paraissent tenir à la fois du couteau, du sabre et de la scie.

La première apparition des oiseaux correspond à l’époque de ces grands sauriens, conformément à ce que nous apprend Moïse. Les terrains jurassiques et crétacés présentent des empreintes de grands échassiers et de grands oiseaux dans le genre de l’autruche. Mais jusqu’ici, comme pour confirmer le récit de la Genèse, on n’a rencontré dans ces terrains nul mammifère, à part un très petit rongeur insectivore, et plus tard, dans la craie, une espèce de sarigue. Les mammifères n’apparaissent qu’à une époque postérieure ; c’est au début de l’âge tertiaire que commence véritablement leur règne : ils sont l’œuvre du sixième jour.

Moïse nous apprend, en effet, que ce fut le sixième jour que Dieu créa les mammifères, les animaux d’abord, et l’homme ensuite. Cette dernière création correspond à l’âge tertiaire et à l’âge quaternaire.

Les géologues divisent les terrains tertiaires en trois étages : éocène ou tertiaire inférieur (argiles plastiques, calcaire grossier, gypse) ; miocène ou tertiaire moyen (meulière et travertin, sable de Fontainebleau, calcaire de Beauce, mollasses, faluns) ; et pliocène ou tertiaire supérieur (crags, collines romaines, subapennines). Le terrain quaternaire est caractérisé par les crags et blocs erratiques, le diluvium gris et rouge, les cavernes à ossements et les brèches osseuses.

Le commencement de l’âge tertiaire se manifeste par l’apparition des mammifères, des quadrupèdes grands et petits. Dans la partie supérieure de l’éocène, dans les gypses de Paris, on rencontre les restes de vastes troupeaux, composés des diverses espèces du palaeotherium, animal herbivore, sorte de tapir, tantôt de la dimension d’un lièvre, tantôt de la grosseur d’un cheval ; de l’anoplotherium, espèce d’hippopotame aux formes chevalines, aux jambes courtes, et dont les dimensions variaient depuis celles du sanglier jusqu’à celles de l’âne ; du xiphodon, chamois aux jambes longues et grêles, au cou gracieusement allongé.

Dans les couches de mollasse et les faluns, qui sont les deux divisions principales du terrain miocène, arrivent les mammifères gigantesques, aujourd’hui disparus. Le dinotherium, ou l’animal terrible, le plus grand de tous les mammifères terrestres, espèce de phoque ou d’éléphant, armé, sous la mâchoire inférieure, de deux crocs d’un ivoire extrêmement dur, fouillait alors le sol pour déterrer les racines et les bulbes qui lui servaient de nourriture ; il ne mesurait guère moins de six mètres de long ; le megatherion ressemblait à une montagne vivante ; le mastodonte, plus grand que l’éléphant actuel, à quatre défenses, d’inégale longueur, dirigées en avant, se nourrissait de végétaux et se promenait dans les terrains marécageux.

Plus tard, dans la période qui forme la transition de l’époque tertiaire à l’époque quaternaire, les mammifères se rapprochent davantage de ceux de nos jours. On a retrouvé, en 1806, à l’embouchure d’un des fleuves de la Sibérie, un animal de cette époque, le mammouth, parfaitement conservé dans un bloc de glace où il avait péri : sa chair et ses poils étaient intacts, ses intestins renfermaient encore les feuilles de mélèze de Sibérie dont il s’était nourri. Les chiens en mangèrent les chairs. C’était une sorte d’éléphant à toison laineuse, aux longues défenses recourbées en dehors et arquées en spirales, aux oreilles garnies de touffes de crins pendantes et à la large crinière noire. Quelques naturalistes pensent que le mammouth vit encore dans certaines régions inexplorées des forêts boréales. Le bos primigenius, à la tête massive, remplissait alors les prairies ; le cervus megaceros, qu’on peut voir au musée de Saint-Germain, élan aux grandes cornes dont les deux extrémités étaient distantes de plus de trois mètres ; l’ursus spelaeus, etc., peuplaient les campagnes et les forêts.

L’homme apparaît enfin, quand les grands mammifères ont disparu, ensevelis dans la vase ou dans la glace. M. Zittel ne place des fossiles humains que dans le terrain quaternaire. Ce n’est qu’alors qu’on trouve des traces « certaines » de sa présence, quoique plusieurs géologues croient en trouver plus tôt de probables. Nous n’avons pas à discuter ici leur opinion ; ce qu’il importe seulement de constater, c’est que, conformément à la Genèse, l’homme apparaît le dernier sur le théâtre de la création.

 

 

 

CONCLUSION

 

 

C’est là la dernière confirmation que la géologie apporte au récit biblique. Ainsi la science, dans ses grandes lignes, est d’accord avec la cosmogonie de Moïse. Qui n’admirerait cette frappante harmonie ?

« Si nous comparons les données scientifiques avec l’histoire biblique de la création, dit M. Pfaff dans la conclusion de sa Schoepfungsgeschichte, nous voyons que cette dernière concorde avec ces données autant qu’on est en droit de l’attendre. Nous découvrons en effet (dans la science et dans la Bible) les mêmes règnes, également distincts en eux-mêmes, en ne tenant pas compte des variations historiques qu’ils ont pu subir ; la suite chronologique de leur apparition est exactement donnée par Moïse. Le chaos primitif, la terre couverte d’abord par les eaux, émergeant ensuite ; la formation du règne inorganique, suivi du règne végétal, puis du règne animal, qui a pour premiers représentants les animaux vivant dans l’eau, et, après eux, les animaux terrestres ; l’homme apparaissant enfin le dernier de tous : telle est bien la véritable succession des êtres ; telles sont bien les diverses périodes de l’histoire de la création, périodes désignées sous le nom de « jours ».

Quant à la date de la création du monde, ou mieux à la date de la création de la matière première, que les savants placent à une époque très reculée, la Bible est muette sur ce point. Elle nous laisse par conséquent la liberté d’accepter l’opinion scientifique qui nous paraît la plus vraisemblable au sujet de la date de l’origine du monde 17.

Il résulte, en effet, de l’exposition que nous avons faite du premier chapitre de la Genèse, que ce livre ne nous fournit aucune donnée précise sur ce « commencement » dans lequel elle place la création proprement dite de la matière. La sainte Écriture ne nous dit nulle part que l’univers a été créé en telle année ou à telle époque. Il est vrai que l’on trouve, dans un grand nombre de livres d’histoire, des dates qui se rapportent à l’ère de la création du monde ; mais cette dénomination manque de justesse, comme il est facile de s’en convaincre, en considérant par quels procédés ont été formées les chronologies bibliques. Les chronologies bibliques diffèrent par leurs chiffres, selon qu’elles les ont empruntés à tel ou tel texte ancien, mais elles ont toutes été constituées d’une manière identique. On a pris les âges des patriarches qui nous sont donnés dans les chapitres V et XI de la Genèse ; on les a additionnés ensemble, en tenant compte seulement des années pendant lesquelles ils n’avaient pas vécu ensemble, et l’on a formé de la sorte une chronologie suivie. Tous ces calculs ont, par conséquent, pour point de départ la création de l’homme et non la création du monde, et, si l’on voulait s’exprimer exactement, il faudrait dire l’ère de la création d’Adam et non l’ère de la création du monde. Cette dernière expression confond l’origine du temps avec l’origine des années humaines : le temps commence bien avec la production de la matière, mais la chronologie ne commence qu’avec la formation de l’homme.

Or Moïse ne nous dit rien sur l’espace de temps qui s’est écoulé entre la création primitive et la production de la lumière au premier jour génésiaque. Nous ignorons donc quelle en a été la durée, et il nous est impossible de savoir, d’après le texte sacré, quelle est la date de la création du monde. Nous en sommes réduits là-dessus à nous en rapporter aux calculs ou aux hypothèses des savants. Mais les calculs des savants eux-mêmes sont loin d’être certains et ne reposent pas sur des bases bien fermes. « Tout ce que l’on peut affirmer, c’est que la terre est extrêmement ancienne, et lorsque l’on songe à la multitude des phénomènes dont elle a été le théâtre, seulement depuis que la vie y est apparue pour la première fois jusqu’à nos jours, on est à peine surpris de voir accumuler les millions d’années pour mesurer son âge. L’astronomie nous avait révélé que les œuvres de Dieu avaient l’immensité dans l’espace ; la géologie nous a appris qu’elles ont l’immensité dans le temps : c’est ainsi que les sciences contribuent toutes à la gloire de l’Être éternel, dont elles font éclater l’infinie puissance et la souveraine sagesse 18. »

La question de la date de la création de l’homme est toute différente de celle de l’époque de la création du monde, et nous n’avons pas à l’examiner ici. Nous n’avions qu’à constater, comme nous venons de le faire, que la science et la révélation ne sont point en contradiction sur l’antiquité du monde. La cosmogonie biblique n’a à redouter, sur aucun point, les progrès de la science ; au contraire, elle les appelle de tous ses vœux, parce que tout progrès réel dans la géologie est aussi un progrès dans l’interprétation du premier chapitre de nos saintes Écritures.

 

 

F. VIGOUROUX

dans Les questions controversées

de l’histoire et de la science,

1894.

 

 



1 Traduction Letourneur, Paris, 1874, p. 35-36.

2 DILLMANN, Genesis, 1875, p. 9. – La supériorité du récit biblique est surtout frappante quant on la compare aux cosmogonies des autres peuples. Combien on en apprécie davantage la simplicité et la sobriété, quand on la met en regard, par exemple, du Mahâbhârâta ! Voir à ce sujet un article de M. Barthélémy Saint-Hilaire, dans le Journal des savants, janvier 1868.

3 Ce travail sur la cosmogonie biblique a été extrait par l’auteur, sauf quelques changements, de son Manuel biblique, Paris, Roger et Chernoviz, 1880, t. I, p. 315.

4 Tractatus de Deo creante et elevante, auctore Dominico Palmieri, S. J., in Collegio Romano E. S. theologiae professore, Romae, ex typographia polyglotta S. G. de propaganda Fide, 1878, thesis xvi, p. 149.

5 Gen., II, 5 ; Ex., X, 6 ; Lév., VII, 35, 36 ; Num., VII, 10, 84 ; Deut., XII, 1 ; XXXI, 17, 18 ; Ps. II, 7 ; Amos, III. 14 ; Nahum, III, 17 ; Ps. XXXIV, 8 ; LXIII, 4 ; Jer., XXXXVI, 2 ; Joël, II, 31 ; Zach.., XIV, 9 ; Matt., X, 15 ; XII, 36 ; Joan., VIII, 56 ; Rom., II, 5 ; II Cor., VI, 2.

6 Voir les développements et les preuves dans F. Vigouroux, La Cosmogonie biblique d’après les Pères, dans la Revue des questions scientifiques, avril et juillet 1879.

7 On peut le voir dans F. Vigouroux, La Bible et les Découvertes modernes, 2e édit., t. I, p. 178 et suiv.

8 Pozzy, La Terre et le Récit biblique de la création, 1874, p. 244-245.

9 G. MOLLOY, Géologie et Révélation, ou Histoire ancienne de la terre, considérée à la lumière des faits géologiques, traduit par l’abbé Hamard, 2e édit. française, Paris, 1877. Le traducteur réfute catégoriquement, à la fin du volume, le système du P. Molloy, p. 457.

10 PFAFF, Schoepfungsgeschichte, p. 745-746.

11 GODET, Études bibliques, 1re série, 2e édit., 1873, p. 106.

12 Il faut observer, par rapport à la création des végétaux, que Moïse rapporte la création de toutes les espèces au même jour géologique ; mais il semble ne s’être exprimé ainsi que pour n’avoir pas à y revenir, parce que la science montre que les types les plus élevés du règne végétal n’ont paru que plus tard sur notre globe.

13 A. ZITTEL, Aus der Urzeit, etc., München, 1875, p. 257.

14 GODET, Études bibliques, 1re série, p. 112.

15 GODET, loc. cit. Il est bon de remarquer ici qu’un certain nombre de géologues ont attribué à la période houillère une longueur très exagérée. M. Grand’Eury a fait justice de ces exagérations en montrant que les couches carbonifères étaient faites d’écorces végétales flottées, et non de végétaux ayant crû sur place.

16 GODET, loc. cit.

17 Voir Mgr MEIGNAN, Le Monde et l’homme primitif, Paris, V. Palmé, p. 14.

18 MOLLOY, Géologie et Révélation, trad. Hamard, notes du traducteur, 2e édit., p. 469.

 

 

 

 

 

 

 

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