Nicolas Beauduin

(1881-...)

 

Notice biographique extraite de :

Gérard WALCH, Poètes nouveaux, Delagrave, 1924.

 

 

 

 

Nicolas Beauduin a dirigé la revue littéraire Les Rubriques Nouvelles (1908-1912); il a fondé une « anthologie trimestrielle de haute littérature », La Vie des Lettres (1913). Il a collaboré à Vers et Prose, aux Rubriques Nouvelles, à Pan, au Gil Blas, à la Revue indépendante, au Feu, à Durendal, au Thyrse, à la Vie des Lettres, etc.

Nicolas Beauduin, né à Poix (Somme) le 10 septembre 1881, fit ses études au collège d’Abbeville et au lycée d’Amiens. Il débuta dans les lettres, en 1906, par un roman, La Terre Mère, qu’il renie aujourd’hui, puis il publia successivement, de 1908 à 1912, six volumes de vers : Le Chemin qui monte (1908), Les Triomphes (1999), La Divine Folie (1910), Les Deux Règnes (1911), Les Cités du Verbe (1911), Les Princesses de mon Songe (1912) et Les Sœurs du Silence (1912).

Malgré quelques inégalités et telles défaillances de mots et de style qu’il n’est que trop facile de relever dans son œuvre touffue et tumultueuse, ce jeune poète est un des mieux doués de sa génération. Par sa fougue, son élan, il se rattache aux grands lyriques, à Hugo, à Verhaeren, tout en conservant son originalité propre, qui est, selon nous, d’être un poète essentiellement voluptueux, cédant avec ivresse aux violentes tentations du monde sensible, de la ligne, de la couleur, de la lumière, et dont les sensations sont aiguës jusqu’à la souffrance, un poète exaspéré par la torture de la chair, et en même temps un ardent idéaliste qui aspire constamment à s’élever au-dessus du contingent pour atteindre l’absolu. C’est ainsi qu’en s’élançant dans le rêve, il y retrouve son tourment, toutes ses souffrances, toute la brûlure de sa douleur :

            Quelle douleur en moi ! J’en suis las. J’agonise.

            Les champs en vain se parent d’or comme une église;

            L’aurore peut danser en s’élançant des flots,

            Avec un bruit folâtre et joyeux de grelots;

            Tous les ramiers du jour ont beau battre des ailes,

            Semblant jeter au monde une bonne nouvelle,

            Moi, je me meurs d’un mal qui vient je ne sais d’où...

            Je suis le blanc crucifié d’un rêve fou !

 

Comme Émile Verhaeren, Nicolas Beauduin a été appelé un « poète du paroxysme », et, depuis, il a revendiqué pour lui et les siens cette appellation. Gardons-nous, cependant, d’attribuer un sens trop exclusif à ce terme, sur la valeur duquel l’accord ne s’est pas fait encore, et n’essayons pas d’enfermer un poète dans une formule. Voici, au surplus, comment Nicolas Beauduin essaya de caractériser, non sans quelque inévitable erreur peut-être, son art et ses tendances, au cours d’une récente enquête sur les tendances présentes de la littérature française : « Pour nous, le poète est de tous les temps, il s’apparente à ce qui a existé, existe ou existera. C’est là une de ses plus hautes facultés. Il n’est pas l’homme d’un système, d’une formule ou d’un procédé. Le poète n’est pas un; il est divers, multiple, infini, protéen, changeant comme la vie, en perpétuel mouvement comme l’onde et la flamme. Il ne se contente pas du réel palpable, il lui faut le réel invisible. Le monde ne se limite pas pour lui aux choses contingentes; il pense par delà les pensées, et s’en remet plus volontiers à son sens intime qu’à toutes les déclarations de la philosophie officielle. La vie n’est pas seulement ce qui est en nous, ce que nous palpons et voyons, mais elle est aussi dans ce que nous ne pouvons toucher, ne voyons pas et dans ce qui ne tombe pas sous les sens. Un vaste animisme se meut, dont le réalité nous échappe ordinairement, mais que le délire lucide nous révèle, aux heures où la vieille âme sibylline du monde se manifeste en nous et nous porte à cet état de visionnarisme ardent qui seul fait les grands poètes... Impérialisme esthétique, paroxysme, exaltation, foi, enthousiasme, sont pour nous identiques. Et nous les revendiquons en opposition à la froide ou biscornue littérature présente. La littérature se révèle à nous avec la grandeur d’une religion, et elle donne à la vie une valeur absolue. Nous voulons, en elle, retrouver ce grand courant d’illumination spirituelle, si longtemps interrompu, retremper nos espoirs dans une source de joie multanime, perdre le sentiment de notre petitesse en participant à une vérité plus haute, sentir notre moi individuel se grandir de l’apport des collectivités, être cette collectivité elle-même avec ses appétitions et sa soif insoupçonnée de révélation religieuse... En opposition avec le naturalisme des parnassiens et le romantisme et le symbolisme esclaves des sens, le poète paroxyste, lui, s’élève au-dessus du monde de la sensation; il le convertit en une œuvre libre, et le domine pour atteindre aux idées qu’il sensibilise à son gré. C’est que le pensé domine le vécu. Il n’est pas ainsi de réalisation poétique où la vie soit plus proche de l’art, le poète étant alors à la fois cause objective et cause efficiente.

« Le paroxysme, disons-nous alors, est l’objectivation des états radiants de notre âme de poète, – éminemment impressionnable et vibrant comme un résonateur sous l’influence d’excitations soit émotionnelles, soit voulues, c’est-à-dire du domaine de l’esprit. Ces états radiants sont dus à une présence active; ils tiennent le plus souvent à la persistance d’une idée fixe en nous, dont la contemplation intensifie nos émotions, porte à l’intuition prophétique où, dans une sorte d’extase triomphante, le poète égale toute la vie du monde.

« Nous sommes loin, on le voit, d’envisager la poésie comme le passe-temps des heures oisives. Elle est pour nous un état lyrique et inspiré; c’est une foi, un désir passionné d’extérioriser les manifestations du moi profond, de les muer en actes, et de les rendre sensibles au moyen de rythmes adéquats, éminemment expressifs.

« L’exaltation n’est-elle pas la meilleure part de l’homme ? Alors que tant d’individus s’amoindrissent dans les banalités coutumières, nourrissons plutôt le désir d’une vie intérieure toujours plus intense, qui nous élève ainsi plus haut dans la réalité de l’Être. »

1921. – La guerre, où Nicolas Beauduin prit une part active, semble avoir marqué son âme et son esprit d’une empreinte profonde et indélébile. Dans ses derniers poèmes, dont quelques-uns, tels que 1914-1919, Abyssah, Fantaisie d’Asie, ont paru dans La Vie des Lettres, son art, influencé aussi par le dynamisme mystique, voluptueux et oriental de Rabindranath Tagore, qui a séduit bien des esprits occidentaux, paraît s’être acheminé vers plus de simplicité et quelque peu d’exotisme. La forme de ces poèmes est celle, souvent, d’une prose rythmée, mêlée, au gré de l’inspiration, de vers libres ou réguliers, et se prête sans effort à l’expression d’une pensée qui s’intériorise pour s’abîmer dans les profondeurs de l’être et aux extatiques envols vers l’Idéal entrevu. Elle obéit aussi, souple et docile, à l’appel impérieux de la souveraine Passion.

 

 

 

 

 

 

 

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