Herminie de Rohan
(1853-1926)
Notice biographique extraite de :
Gérard WALCH, Poètes nouveaux, Delagrave, 1924.
Mme de Rohan a collaboré à divers journaux et revues. Elle a fait de nombreuses conférences littéraires à Paris, à Bruxelles, à Bordeaux, à Marseille, à Toulouse, à Montpellier, etc. Membre de la Société des Poètes français, elle a fondé un prix de poésie et aimait à réunir dans les salons de son hôtel, à Paris, une élite de poètes et de littérateurs.
La duchesse de Rohan, fille du marquis et de la marquise de Verteillac, est née à Paris. Sa famille appartenait à l’armée. Les Verteillac étaient grands sénéchaux du Périgord. Son aïeul maternel, le marquis de la Roche du Maine, dont le portrait est au château de Josselin, accompagna François Ier à Madrid, durant sa captivité. Charles-Quint ayant un jour posé cette question au gentilhomme : « À combien de journées sommes-nous de Paris ? », il répondit fièrement : « Sire, à autant de journées que de batailles, à moins que vous ne soyez battu à la première ! »
Le marquis de Verteillac, père de la duchesse, était entré à dix-sept ans à l’École Polytechnique. Il fit partie à Versailles de la Maison Rouge, et entra dans le corps des pages de Napoléon pendant les Cent jours. Il en fut le dernier survivant quand il mourut, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Il fit les campagnes d’Espagne, de Grèce, de Belgique, fut porté à l’ordre du jour de l’armée et décoré de la Légion d’honneur.
Après une brillante éducation, qui développa fort heureusement les dons de coeur et d’intelligence qu’elle tenait de la nature, Herminie de Verteillac fut mariée très jeune au prince de Léon, qui, à la mort de son père, prit à son tour, en sa qualité d’aîné, ce nom fameux de Rohan qui s’est si fièrement transmis d’âge en âge depuis le onzième siècle et qui signale à l’historien une longue suite d’aïeux héroïques.
La jeune femme spirituelle et jolie brilla d’un vif éclat à l’horizon mondain. Le comte de Puiseux, nous dit Hippolyte Buffenoir, – à qui nous empruntons ces détails, – a publié sur elle une notice fort intéressante devenue introuvable : « Le fond de votre caractère est l’indépendance, écrit-il un s’adressant directement à la princesse : c’est là la note caractéristique de votre tempérament moral. Voulez-vous savoir maintenant d’où vient en grande partie le charme que vous exercez; pourquoi tous ceux qui vous connaissent, sans être même de votre intimité, recherchent attentivement ce qui peut vous causer une joie, vous procurer un plaisir ? Uniquement la conviction que l’on a que vous êtes sincère, que vous êtes vraie, et que derrière la pensée que vous exprimez ne s’en cache pas une seconde en contradiction avec elle... Ceux qui veulent vous plaire doivent laisser à la porte de votre hôtel cet esprit de critique quand même, qui pénètre partout. En votre présence, il faut être bon, équitable, sincère et vrai. On est récompensé de ce carême en emportant avec soi le conviction que l’on vous a été agréable, et ce qui dédommagera les plus mauvaises langues d’avoir pour un moment cessé de l’être, c’est la certitude que vous aurez découvert chez elles quelques bonnes qualités jusqu’ici ignorées de tous et d’elles-mêmes. » Mme de Rohan veut ignorer le mal, la méchanceté, tout ce qui divise et peut nuire. « Par ce côté, et par d’autres encore, – ajoute M. Hippolyte Buffenoir, – elle nous rappelle une des femmes les plus captivantes du dix-huitième siècle, la douce, la bonne comtesse d’Houdetot, qui jamais ne prononça une parole aigre ou malveillante, et qui fermait les yeux pour ne pas voir les défauts et les vices de l’humanité, mais les ouvrait doublement et longtemps pour admirer les heureuses qualités, le bon naturel, les belles actions, la vertu. »
La duchesse de Rohan surveilla avec un grand soin l’éducation de ses trois filles et de ses deux fils1. Poussée à l’action par son tempérament et ses goûts, elle fut une grande voyageuse. Elle a visité tous les pays de l’Europe. Sa vie se trouvait partagée, d’autre part, entre Paris – où elle habitait l’ancien hôtel de Verteillac, devenu l’hôtel de Rohan – et le château de Josselin, dans le Morbihan, le vieux manoir gothique qui, depuis des siècles, appartient à la race, et dont l’aspect imposant fait mieux comprendre sa devise fameuse :
Roi ne puis,
Prince ne daigne,
Rohan suis !Là, comme à Paris, la duchesse était aimée. Elle sentait l’amour de toute une population l’envelopper de reconnaissance et de dévouement.
À l’exemple d’une aïeule de sa famille, Anne de Rohan-Soubise, qui vivait au seizième siècle et a laissé des vers touchants; à l’exemple aussi d’une comtesse de Verteillac, sa grand’mère, qui, au dix-huitième siècle, avait un salon de beaux-esprits, et dont les strophes furent justement appréciées, la duchesse de Rohan, en dehors de ses collections artistiques et archéologiques et de ses bonnes oeuvres, avait une autre passion, celle de la poésie. Après s’être longtemps contentée de dire les vers des maîtres qui se partageaient son admiration, elle a publié successivement trois recueils de poésies : Lande fleurie (1904), Les Lucioles (1906) et Souffles d’Océan (1912), qui lui ont valu l’estime des lettrés. L’amour de la nature, dont elle sent vivement la beauté, la volupté, et la douleur de vivre, la fuite des années, la tristesse des détachements, ont inspiré à son coeur de femme et de mère ces vers, d’une forme simple et délicate, qui charment par leur sincérité.
Ajoutons que Mme de Rohan fut membre de la Société des Artistes français et qu’elle exposait, chaque année, au Salon, d’exquises aquarelles. Elle a exposé à Vienne, à Londres, à Nice, à Bordeaux, etc., des tableaux estimés.
NOTE DE L’ÉDITION DE 1923. – Nos lecteurs ont tous présents à la mémoire les deuils cruels qui ont frappé Mme de Rohan par la perte, quelques mois avant la guerre, de son mari, le duc de Rohan, ancien officier et député du Morbihan, décédé le 6 janvier 1914; puis, au cours de la guerre, de son fils, officier et député du Morbihan comme son père, blessé à Verdun, reparti pour le front, ses trois blessures à peine guéries, et tombé au champ d’honneur en 1916. Ils se rappelleront aussi que cette noble femme, oublieuse de sa propre peine, a transformé son bel hôtel du boulevard des Invalides en hôpital militaire et qu’elle y a soigné elle-même les blessés avec une sollicitude toute maternelle. C’est ce dévouement admirable qui lui a valu la médaille de la reconnaissance française, la médaille de la reconnaissance italienne et la croix de la Légion d’honneur avec cette très belle citation :
« Mme Herminie de Rohan, née de Verteillac, infirmière-major à l’hôpital V. G. 81, a, depuis trois ans et demi, abandonné la disposition de son hôtel en faveur des blessés en y fondant un hôpital chirurgical qu’elle dirige elle-même. A pris du service comme infirmière-major et comme infirmière de salle, et sans arrêt, malgré sa santé éprouvée, a vraiment, et de belle façon, donné l’exemple du dévouement absolu, généreux, et du renoncement complet de soi-même, pour tout donner aux blessés. »
1. La fille aînée du duc et de la duchesse de Rohan avait épousé le comte Louis de Périgord. Elle mourut au mois d’avril 1903. Les deux autres filles furent la princesse Lucien Muvat et la comtesse Charles de Caraman. Ses fils furent le prince de Léon et le vicomte de Rohan.