Saint Augustin

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Rebecca WEST

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA Méditerranée était un étang magique au cœur du monde ancien. Les peuples riverains, qui nageaient dans son eau, voguaient sur ses flots et respiraient son sel, reçurent de merveilleux pouvoirs. Ils pratiquaient arts, sciences et métiers avec un talent qu’on n’aurait pu attendre de descendants du singe. Au nord de ces rivages, la Grèce et Rome tiraient des eaux une force magique particulièrement puissante, si puissante même que son enchantement irradia dans toute l’Europe, durant tous les siècles jusqu’à nos jours. Au sud de ces rivages se trouvait Carthage, dont l’enchantement était d’un genre différent, plus adapté à un sol qui engendrait des lions, des éléphants, des serpents et une jungle presque aussi féroce. Cette ville a certainement rayonné d’un pouvoir qui a dû parcourir le continent jusqu’à son extrémité méridionale ; et l’Afrique a dû connaître clairement son destin. Mais Caton et ses semblables soutinrent ce pauvre mythe humain que l’homme ne peut prospérer qu’aux dépens d’un autre homme ; considérant Carthage comme la rivale de Rome, Caton provoqua les guerres puniques. La victoire des Romains, durant ces guerres, laissa Carthage en ruine et transforma l’Afrique du Nord en une simple colonie où des Africains de génie continuèrent à naître, mais durent travailler sans le secours de leur propre tradition nationale. Le sacrifice fut vain. Car, lorsque l’Empire romain s’écroula, l’Afrique du Nord subit un désastre économique et administratif qui engendra la pauvreté et l’anarchie ; ses rivages furent dévastés par des pirates et ses frontières du sud par des peuplades sauvages. Elle ne reçut aucune aide de Rome qui chancelait, et dut succomber aux invasions barbares. La civilisation tout entière semblait totalement et définitivement détruite. Ce fut à cette époque, en 354 après J.-C., que naquit, en Afrique du Nord, un homme nommé Augustin, assez naïf pour ignorer la catastrophe qui était sur le point de l’engloutir. Il était engagé dans une recherche inépuisable sur la nature des choses qui devenaient incompréhensibles à l’esprit humain ; et les manuscrits où il consigna ses découvertes semblaient destinés à être perdus, dès qu’ils seraient terminés, sous les sables qui venaient du désert pour recouvrir les cités brûlées et pillées. Ce fut une folle entreprise. Or, aucun des écrivains qui composent leur œuvre dans l’illusion d’une paix perpétuelle n’a jamais pu espérer une immortalité égale à celle qu’Augustin a obtenue. Ses œuvres constituent la base de la pensée occidentale moderne.

Ce fut un extraordinaire acte de foi. Tous les experts des affaires internationales auraient prédit à Augustin qu’il était, lui et son œuvre, condamnés. S’il n’avait pas méprisé ces avertissements, la chrétienté pourrait posséder un système intellectuel aussi inconsistant que celui de l’Islam ; car il n’y a pas la moindre raison de croire qu’un autre aurait pu accomplir cette tâche à sa place. Avec une magnifique audace, il choisit comme sujet un réseau de notions qui font partie de toutes les religions évoluées et qui existent aussi dans le christianisme : l’idée que la matière, et tout spécialement la sexualité, est le mal : l’homme qui porte un corps fait de matière, qui vit dans un monde matériel, qui se complaît dans les manifestations sexuelles, est sali par le mal et doit se purifier devant Dieu ; et cette réparation doit prendre la forme de la souffrance. Il examina ces idées d’un point de vue philosophique et les considéra à la nouvelle lumière que projetait sur le monde la vie du Christ ; il illustra ses conclusions par sa propre expérience personnelle, avec une candeur nouvelle en littérature. Cet ouvrage ainsi bâti se tenait si bien que l’esprit occidental le fit sien, et qu’il n’a pas fait autre chose depuis lors que d’en modifier et d’en agrandir la structure originale. Bien entendu, les enseignements d’Augustin furent directement transmis par l’Église catholique romaine à ses membres, et aussi aux leurs, avec plusieurs modifications, par les églises protestantes, et ils envahirent la littérature catholique et protestante. Shakespeare naquit environ douze cents ans après Augustin, mais, si l’on examine son œuvre pour connaître sa conception du monde, on s’aperçoit qu’il prend pour base les mêmes idées qu’Augustin dans ses Confessions. Mais la domination que saint Augustin exerce sur le monde moderne est plus aisée encore à mettre en lumière si l’on procède par voie négative. Le fait que nous reconnaissons en Goethe un personnage unique, tient peut-être à ce qu’il s’est libéré des idées augustiniennes ; de nos jours, l’influence d’André Gide, que ses ouvrages d’imagination ou de critique n’expliquent pas suffisamment par eux-mêmes, est due à la révolte anti-augustinienne qu’il a organisée.

Ce serait une erreur de croire qu’Augustin nous a imposé une doctrine intellectuelle si bien conçue que nous y adhérons parce qu’il n’y en a pas de meilleure. La vérité est qu’Augustin, qui était un être humain exceptionnellement vivant, chez qui tous les caractères humains apparaissaient sous une forme intense et qui s’adonnait à l’introspection avec une intensité particulière, a assimilé, pour nous, nos expériences. Il étudia à fond la somme des expériences que chacun d’entre nous doit étudier, à la lumière de la connaissance qu’il tire des circonstances de sa propre vie. Il est capable de nous rendre ce service, car c’est un des plus grands écrivains ; une vitalité particulière jaillit dans son style et il l’a sans doute reçue d’un riche héritage racial. Car la tradition nous dit que c’était un Numide. Apparentés aux Berbères et aux Touareg, les Numides n’étaient pas sémites ; ils avaient quelquefois les cheveux blonds et les yeux bleus, mais ils avaient la peau basanée et des traits qui ne sortaient pas du moule européen. On peut tenir pour à peu près sûr qu’Augustin était issu d’une des races indigènes de l’Afrique, celle des Numides ou d’une autre. Un grammairien païen nommé Maximus lui écrivit un jour une lettre hostile, dans laquelle il se moquait des noms puniques de certains martyrs chrétiens ; dans sa réponse, Augustin lui reproche d’avoir, dans une lettre écrite « par un Africain à des Africains », tourné en ridicule la langue punique qu’il nomme « notre propre langue ». Dans un poème adressé à un ami qui l’avait suivi en Italie, il parle également d’une race ancienne à laquelle ils appartenaient tous deux, comme si cela les différenciait des Italiens qui les entouraient. Cette race a engendré des génies littéraires. Bien des écrivains latins, que nous rattachons d’office à l’Europe, comme Térence et Apulée, étaient, en fait, d’extraction africaine.

Dans l’œuvre d’Augustin, il y a un sombre foisonnement, une fécondité colorée, qui débordent la mesure de presque tous les Européens. Il lui manquait cette délicatesse qui fait qu’un écrivain se soumet avec joie aux contraintes de la poésie. Mais c’était la seule chose qui lui manquait. Il lui fallait lutter contre la difficulté d’avoir toujours quelque chose à dire : ses idées jaillissaient aussi vite que l’encre de sa plume, ses pages étaient encombrées d’arguments, d’exemples et de rapides notations traduisant les découvertes qu’il faisait dans les domaines de la chair, de l’esprit ou de l’âme. C’était là un désavantage certain ; bien des écrivains ont dû leur réputation de réflexion et de sobriété au simple fait qu’ils ne pouvaient exposer plus d’une idée par page, ce qui convient à des lecteurs dont l’esprit n’est pas fait pour absorber une nourriture plus riche. Aux experts en pauvreté intellectuelle, Augustin semble grossier et non classique ; mais ce n’est pas de la grossièreté, c’est de la force, qui lui permettait, dans ses Confessions et dans sa correspondance, de s’emparer d’un caractère et de le faire passer, sans le diminuer, de la vie dans la littérature. En ce domaine, il rappelle le plus grand des écrivains russes, Aksakov ; le parallèle entre eux est intéressant. Aksakov fut élevé dans les steppes orientales de Russie à la fin du XVIIIe siècle, en face de l’Occident cultivé, mais avec, derrière lui, un monde primitif que n’avaient pas encore atteint les problèmes de la connaissance intérieure. Augustin regardait Rome au nord, mais il avait derrière lui l’Afrique sauvage ; c’était un « homme de la frontière », à l’imagination fraîche ; il voyait la civilisation avec des yeux qui n’étaient pas fatigués.

Il ne cessa de tracer des caractères si justes et si intenses que nous croyons les reconnaître en chair et en os dans notre vie ; nous devons les débarrasser des vêtements modernes dont nous les avons habillés pour les revêtir à nouveau de leur toge et de leur tunique. Par exemple, il y a cet ami intime Alypius que nous aimons bien. Qui ne l’aimerait pas ? Quand, à Rome, il s’asseyait sur le banco de l’assesseur, il lui était facile de refuser d’importants présents, même quand des gens puissants et dangereux voulaient l’obliger par des menaces à les accepter ; mais il lui était très difficile, en vérité, de ne pas tirer profit des coutumes qui permettaient aux prêteurs d’acheter des livres à bas prix. Étudiant à Carthage, il traversait la place du Marché à midi (quand la plupart des boutiques étaient fermées), se récitant une leçon qu’il avait à apprendre par cœur. Il vit un homme qui laissait tomber une hache et s’en allait en courant ; il trouva cela étrange, l’homme courait à une allure vraiment extraordinaire. Alypius ramassa la hache, l’examina, se demandant ce que cela voulait dire. Comme l’homme était un brigand, qui avait été surpris en train de voler un orfèvre, et comme la hache était l’équivalent romain d’une pince-monseigneur, la police se méprit tout naturellement sur le rôle d’Alypius dans cette affaire. Et ses amis eurent grand-peine à le faire relâcher. Quand Augustin prit vraiment souci de son appétit charnel et médita de le marier, Alypius ne comprit pas tout d’abord pourquoi Augustin faisait tant d’histoires. « Car il s’était livré à la vie sexuelle au début de sa jeunesse ; et n’y ayant rien trouvé d’authentique, il n’en gardait que regret et mépris. Depuis ce moment, il vécut chastement. » Mais il était toujours prêt à la discussion. Comme Augustin ne cessait d’insister à ce sujet, et comme il avait un grand respect pour Augustin, il admit qu’il s’était peut-être fait trop rapidement une mauvaise opinion des relations sexuelles, et il décida qu’il n’y avait aucun mal à reconsidérer la question. Mais il n’y engagea pas son cœur et ne fut pas très déçu quand Augustin conclut qu’après tout le célibat lui était préférable.

Mais Augustin ne tomba pas dans l’illusion du « petit homme », innocent et inoffensif, comme ne le sont jamais les enfants des hommes. La douceur était le trait dominant d’Alypius ; on aurait pu croire que ce fût là son caractère essentiel et inaltérable. Mais à Carthage, où les passions étaient ardentes et sans frein, il devint un adepte des luttes de gladiateurs. Ce qui veut dire qu’il s’abandonnait à des excès sanguinaires, car ces jeux impliquaient l’immolation de pauvres hommes et de pauvres bêtes. Il fut brutalement débarrassé de son vice par la dénonciation publique que fit Augustin de ces jeux, quand il était professeur à l’université de Carthage ; et sa douceur remonta à la surface dans toute sa perfection. Mais plus tard, à Rome, devenu un homme d’âge mûr, il fut, un jour, entraîné de force au Colisée par ses amis ; bien qu’il se couvrît les yeux, « un immense cri de la foule le frappa si fort, que – dominé par la curiosité, mais décidé de toutes façons à condamner ce qu’il aurait vu – il ouvrit les yeux », et l’amour de la cruauté se réveilla en lui. « Dès qu’il vit le sang, il respira une sorte de sauvagerie. » Et pendant longtemps, jusqu’à ce qu’un autre idéal spirituel le guérit, il redevint ce qu’il avait été, un amateur de meurtre. Il est aussi déconcertant de lire ce trait d’Alypius que de visiter une ville américaine et d’apprendre que tel pacifique petit agent de location fut le promoteur d’un lynchage ; ou de rencontrer tel nazi, qui était aussi un bon père de famille et un bon contribuable ; ou de contempler les atrocités de l’histoire et de considérer que, statistiquement, elles sont, sans contredit, l’œuvre de l’homme moyen. Mais Augustin nous rendit le grand service de ne jamais s’alarmer de ce qui est déconcertant : ces choses-là doivent être relatées tout comme le reste.

Lui-même en effet devait se révéler le sujet du récit le plus déconcertant. Ses Confessions nous racontent une histoire qui, à notre avis, a dû paraître gênante même de son temps, car il n’existe pas d’autobiographie semblable. Les chrétiens repentants, qui purifiaient leur cœur en avouant tout, n’ont pas estimé impossible d’avouer qu’ils avaient été près de commettre le péché contre le Saint-Esprit ; mais personne n’avait jamais raconté en un tel détail l’histoire d’un jeune homme sans but, sans grâce et qui vers la trentaine n’ayant encore rien fait, tombe dans l’ignoble. Il naquit dans un foyer agité, fils d’un certain Patricius – propriétaire d’un petit domaine du côté de Tagaste (maintenant Souk Ahras), dans l’intérieur de l’Algérie, près de Constantine – et de sa femme Monique. Augustin parle toujours de son père en termes réprobateurs, sur le plan moral ; mais, d’après la peinture qu’il en fait, il semble que son père ait été un gentleman farmer typique de l’époque ; besogneux, parce que le système économique s’écroulait autour de lui, et épuisé parce qu’il faisait partie de la classe respectable, mais malheureuse, des « curiales », responsables des impôts dans leur district et, pour cette raison, habituellement coléreux. Comme la plupart des hommes de sa condition, à cette époque de transition, il était païen ; mais il reçut le baptême avant de mourir. Monique, mère d’Augustin, était chrétienne, née d’une famille établie dans la foi depuis au moins deux générations ; elle avait une dévotion ardente et une grande activité dans l’Église. De Monique, Augustin nous donne une peinture plus complète que de son père ; en vérité, dans toutes les littératures, jamais fils n’a fait peinture plus détaillée et plus intime de sa mère. Mais, par un curieux hasard, cette image s’est trouvée obscurcie à nos yeux. Quand la mère d’Augustin mourut, son histoire, pendant un millier d’années environ, garda un grand prestige auprès des Italiens qui instituèrent un culte en son honneur. Ils firent d’elle une dame italienne, aux yeux doux, passive en tout, sauf dans la prière. Cette image a remplacé le portrait qu’Augustin a peint d’après nature et qui est tout différent. Selon lui, elle était passionnée, malgré un remarquable contrôle de soi, vigoureuse, efficace, pleine de bon sens et de sagesse humaine, autoritaire et capable de soutenir ses opinions. Elle est ainsi beaucoup plus digne d’amour que la dame de la légende populaire, bien que la différence entre les deux soit déconcertante pour ceux qui découvrent, un peu tard, le texte des Confessions.

L’époque était très troublée. Les affaires de Patricius allaient de mal en pis ; en dépit de grands efforts ; il dut, pour quelque temps ; retirer Augustin de l’école et le garçon resta chez lui, ne faisant que des sottises. Il y rencontrait les difficultés, non encore entièrement résorbées, qui tiennent au fait d’appartenir à une race conquise. La différence religieuse entre père et mère n’était pas moins pénible ; enfant, Augustin accepta le christianisme de sa mère mais, adolescent, il partagea le paganisme de son père. D’autre part, la guerre était imminente ; la dissolution menaçait cette civilisation qui, dans cette contrée notamment, était d’une qualité bien imparfaite. Car tous ces gens (semblables une fois de plus aux propriétaires russes, décrits par Aksakov) étaient des « durs ». Augustin et ses amis étudiaient la philosophie, qui avait déjà atteint son niveau le plus élevé ; et l’esprit nord-africain était en contact avec tout ce qu’on avait accompli dans le domaine des arts et des sciences. Mais quand la mère d’Augustin recevait ses amies, il était presque sûr qu’elles finiraient par comparer les traces que laissaient sur leur corps les coups donnés par leurs maris ; et la seule réponse de Monique était qu’elles méritaient ce qu’elles avaient reçu, pour avoir répondu à leurs maris. Dans ce monde violent et troublé, Augustin devint un adolescent indiscipliné puis un mauvais sujet, intelligent mais propre à rien.

Bien sûr, il avait la réputation d’un brillant élève. Il obtint une bonne place dans les écoles de rhétorique de Carthage ; nous savons qu’il fut couronné dans une compétition poétique et qu’il devint professeur de rhétorique. Mais une sensualité brutale le rongeait ; il finit par tomber amoureux d’une femme avec laquelle, bien que non marié, il vécut dans une union aussi étroite que le mariage. Il avait sans doute quelque empêchement légal au mariage : la femme devait être une esclave affranchie qui, pour cette raison, ne pouvait légalement épouser un homme d’une classe supérieure. Il lui fut fidèle et ils eurent un fils qu’ils appelèrent Adeodatus, « donné par Dieu ». Augustin constata avec surprise que « même engendrés contre notre volonté, les enfants une fois nés nous obligent à les aimer ».

Mais il n’était pas à son aise dans cette union. Elle lui déplaisait par son irrégularité et aussi à son père, qui aurait voulu qu’il fît un bon mariage, sans sortir du système de caste qui prévalait dans l’Empire. Dans la vie religieuse, sa mère tenait à le garder chrétien, son père était toujours païen, aussi devint-il manichéen.

L’hérésie du manichéisme, qui avait alors cent cinquante ans d’existence, a joué depuis un rôle important dans l’Histoire, et elle continue à agir de nos jours. Si un auteur dramatique ou un romancier, tourmentés par le sentiment religieux, mais peu soucieux de rechercher ce que la foi orthodoxe reconnaît comme vérité démontrée, ressentent le besoin de formuler une théorie sur le but de la vie, ils sont à peu près sûrs d’énoncer une nouvelle hérésie manichéenne. Le manichéisme sépare radicalement l’esprit et la matière, invente un Dieu qui est en conflit constant avec Satan, par lequel il pourrait être vaincu, et ne prend qu’un intérêt lointain aux personnages de l’Évangile. On a beaucoup intellectualisé et moralisé cette doctrine dans les siècles suivants. Mais, à cette époque, elle était à peu près telle que son inventeur Manès l’avait laissée, véritable conte de fées persan dans lequel deux pouvoirs, le royaume de Dieu et le royaume du mal, se font la guerre et finissent par se détruire complètement, si bien que maintenant il appartient aux bons de retrouver les restes éparpillés de la lumière recouverte par les ténèbres. L’univers y était connu comme une sorte de lieu de purification, où devait s’accomplir ce travail de sauvetage. On trouve dans cette histoire toutes sortes de bizarreries pittoresques : dans le soleil habitait le premier homme, et dans la lune la première femme ; les signes du Zodiaque amenèrent jusqu’à eux les restes de lumière arrachés à l’obscurité par les bons, afin que ces deux gardiens célestes veillassent sur eux. Cette espèce de légende était bien au-dessous du niveau intellectuel d’Augustin ; pourtant, il demeura manichéen pendant neuf ans.

Pendant ce temps, son père mourut, et Monique, qui avait été abandonnée en de terribles circonstances, dut chercher de l’argent pour aider son fils hérétique, la concubine de celui-ci et leur enfant. Sa situation matérielle devait être harassante. Elle était si profondément attristée des errements spirituels de son fils qu’en dépit de toute son affection maternelle, elle ne voulait plus le voir.

Le temps passait ; Augustin approchait de la trentaine sans avoir rien fait. On peut se rendre compte du tragique de la situation en faisant un parallèle entre sa vie et la vie moderne : imaginons une pieuse veuve catholique romaine, abandonnée avec de petites ressources, et qui aurait plusieurs enfants dont l’un, jeune homme brillamment doué intellectuellement, n’arriverait pas à gagner sa vie, aurait une maîtresse et un enfant illégitime et pratiquerait une de ces religions extravagantes comme il en existe en Californie. Mais évidemment il s’agissait d’autre chose que d’un simple malheur accablant une femme honorable. Il y avait un conflit chez Monique aussi bien que chez Augustin. Vers cette époque, le baptême des enfants était déjà pratiqué par bien des catholiques sévèrement orthodoxes. Monique n’avait jamais fait baptiser Augustin. Dans son enfance, avant de renoncer au christianisme de sa mère et d’adopter le paganisme de son père, il avait été gravement malade et avait demandé à être baptisé ; mais elle avait refusé pour une raison futile. Cependant, bien qu’ayant de bonne heure reconnu et déploré la nature sensuelle de son fils, elle n’avait rien fait pour l’aider en le mariant. C’est une preuve de l’honnêteté d’Augustin qu’en dépit de son adoration pour sa mère il nota ces deux circonstances, dans lesquelles elle lui avait fait tort ; il le fit sans méchanceté, mais sans tenter d’atténuer la faute.

Cette honnêteté continue à se manifester quand il atteint la phase suivante – si lamentable – de son histoire. Il parut d’abord faire un pas dans la bonne direction : il abandonna les manichéens. Bien que d’esprit spéculatif, il avait beaucoup de bon sens, et les fantaisies astronomiques étaient plus qu’il ne pouvait supporter. Ayant passé quelque temps en compagnie d’un célèbre évêque manichéen, Faustus, il le trouva sot. Augustin ne méprisa jamais la raison et ne tarda pas à exiger de ce sectaire « qu’il rejetât la pensée que Dieu déteste la faculté qui nous rend supérieurs aux animaux ainsi que toute affirmation d’une foi pure qui nous dispenserait d’accepter ou de réclamer des preuves ». Mais le fait d’avoir répudié l’hérésie ne l’entraîna pas très loin ; il ne se fit pas chrétien et il ne put se résoudre à travailler. Il pensa qu’il pourrait faire mieux loin de Carthage, ville à laquelle de nombreuses souffrances étaient liées pour lui ; et il emmena sa maîtresse et son fils à Rome, pour commencer une nouvelle existence. Monique s’opposa passionnément à cette décision ; elle fit le voyage de Tagaste à Carthage pour supplier Augustin de ne pas partir ; il ne réussit à aller à bord que sous prétexte de dire au revoir à un ami qui quittait le port. Cette émotion excessive de Monique pour ce qui n’était qu’une action raisonnable indique à quel point les choses allaient mal dans cette famille agitée. À Rome, le bon Alypius était déjà installé comme fonctionnaire ; il battit le rappel pour son brillant ami, afin de lui trouver des élèves. Mais, bien que les étudiants de Rome fussent plus médiocres qu’à Carthage, ils étaient capables d’embarrasser leur professeur. Augustin sombra dans des difficultés financières et tomba malade. Cependant, il n’obtint aucune tranquillité d’esprit, ni dans le sens vulgaire du mot, ni dans celui de paix intérieure. Il essaya de trouver une satisfaction dans la doctrine des sceptiques, qui soutenaient que l’esprit humain est incapable de pénétrer la nature des choses et que tout ce qu’on peut faire, c’est de se croiser philosophiquement les bras et de cultiver le néant. Ce fut en vain.

La fortune finit par lui sourire. Nommé professeur de rhétorique à Milan, siège de la cour impériale, son poste avait quelque chose de douteux, car il avait été obtenu à force de recommandations d’amis manichéens qui se seraient donné moins de mal s’ils avaient su qu’Augustin avait abjuré leur foi. Cette imposture lui permit cependant de se trouver sous l’influence d’un personnage qui brillait par la candeur et par la droiture, l’évêque de Milan, saint Ambroise. Ambroise était un être humain magnifique ; aristocrate déchu par l’effondrement de l’aristocratie au moment de la chute de l’Empire, il avait été gouverneur d’une province avant d’être, par une curieuse habitude du temps, nommé évêque ; prédicateur éloquent et interprète savant des Écritures, Ambroise était trop absorbé par ses fonctions pour prêter grande attention à Augustin ; c’est du moins ce qui est dit spirituellement, mais sans méchanceté, dans les Confessions. Néanmoins, Augustin fut profondément impressionné par Ambroise ; et quand Monique vint à Milan, un an environ après son installation dans cette ville, il put lui dire qu’il était catéchumène et qu’il n’attendait qu’un signe de la volonté divine pour se faire baptiser.

Mais il vivait encore dans une médiocrité et un mécontentement lamentables. Alypius et huit ou neuf de ses admirateurs africains avaient rejeté toutes leurs attaches pour le suivre et pour devenir ses élèves ; ils vivaient dans une maison commune, lisant les néoplatoniciens, ils s’inquiétaient de l’avenir, de la doctrine néoplatonicienne, car ils n’avaient pas d’argent. Augustin était en mauvaise santé, et ne pouvait entreprendre de grandes activités en dehors de ses devoirs officiels ; ceux-ci, il les trouvait détestables à cause de l’hommage rituel qu’il devait rendre à Sa Majesté Impériale. Ils songèrent à former une communauté fermée à l’étude en obtenant l’aide de quelques riches amis de la science. Mais Augustin déclara catégoriquement qu’il ne pouvait pas vivre sans femme, et cela était peu compatible avec l’idée d’un monastère séculier. L’idée leur vint alors qu’Augustin pourrait sauver la situation en épousant une femme riche. Il dit en toutes lettres, dans ses Confessions, qu’il n’était pas question pour lui de se marier pour avoir des enfants et fonder un foyer. Il n’était poussé que par l’idée de trouver une partenaire sexuelle et par l’espoir que, « grâce à un ample patrimoine, tous ceux qui voudraient vivre en communauté pourraient être confortablement nourris et logés ; par le fait qu’elle serait de noble naissance, elle pourrait leur procurer les honneurs nécessaires pour mener une existence d’hommes cultivés ».

Dans ce dessein, Monique inspecta le marché matrimonial et lui trouva un parti. Cela signifiait qu’il devait se séparer de la femme qui avait été virtuellement son épouse pendant quatorze ans : « Quand ma maîtresse, qui avait coutume d’être ma compagne de lit, fut chassée de mes côtés, écrit-il, mon cœur fut brisé et vidé de son sang. » On renvoya la malheureuse chez elle, en Afrique du Nord, et elle donna une preuve de ce qu’avaient été pour elles ses relations avec Augustin en faisant vœu de célibat. Ce qui est horrible, c’est que, lorsque Augustin et Monique la renvoyèrent chez elle, ils gardèrent son fils, qui était un enfant intelligent et digne d’affection. Ce fut un crime plus grave encore qu’on ne le croyait alors, car cet enfant devait mourir un an ou deux après. Mais le comportement d’Augustin rendit tout de suite la chose impardonnable : car l’épouse que sa mère lui avait choisie était si jeune qu’il ne pouvait être question de mariage pour elle avant deux ans au moins ; et, en attendant, il prit une autre concubine : on ne gagna donc rien à séparer la mère de son fils ; la cruauté était gratuite. On peut juger du désordre et de la confusion dans lesquels vivait le groupe à cette époque, en examinant les motifs de Monique. Elle dut évidemment être poussée par de gros ennuis matériels ; elle avait de petits moyens et, pour diverses raisons, aucun de ses enfants, ni Augustin, ni son frère, ni sa sœur, ne se suffisaient à eux-mêmes. Elle prétendit aussi avoir été poussée par le désir que son fils répudiât sa maîtresse et se mariât, afin qu’il eût une vie sexuelle conforme aux exigences de l’Église et qu’on pût le baptiser. Mais il reste bien étrange qu’elle ait choisi une épouse si jeune qu’Augustin fût obligé de l’attendre, car, connaissant sa nature, elle aurait dû savoir qu’il n’attendrait pas chastement. S’il s’agissait d’un groupe de Russes blancs installés à Munich, ou d’émigrés d’Europe centrale fixés à Paris, on saurait certainement ce qu’il faut penser d’eux : une veuve dans le besoin oblige son fils intelligent, mais qui végète, à renvoyer sa vieille maîtresse afin qu’il puisse épouser une jeune fille riche ; mais elle tient à ce que la pauvre femme laisse son enfant derrière elle, parce que c’est un garçon séduisant et plein de promesses. Ce qui est significatif, c’est que c’est grâce à la candeur d’Augustin que nous sommes en mesure de les juger.

Il n’y avait pas à revenir sur ce qui était fait ; mais alors, la phase ignominieuse par laquelle Augustin était passé prit fin subitement. L’obscurité s’accentua dans son esprit ; un après-midi, il subit une véritable agonie. Il errait dans son jardin, horriblement conscient de sa propre bassesse, si contraire à la vertu, et de la paralysie dont souffrait sa volonté, au point qu’il ne pouvait décider de se réformer. Dans l’après-midi, il avait parlé à Alypius ; en le quittant, il avait laissé tomber une Bible. Il entendit alors un enfant de la maison voisine qui chantait une petite chanson : « Prenez... et... lisez. Prenez... et... lisez. » Et la chanson continuait. Il commença à se demander si ce n’était pas un signe ; et il se rappela comment saint Antoine d’Égypte avait choisi la vie d’ermite pour avoir ouvert l’Évangile et lu un texte qui semblait s’adresser directement à lui. Ainsi, il supposa que c’était le Livre qu’il avait fait tomber qu’on lui ordonnait de ramasser et de lire. Le texte sur lequel ses yeux tombèrent était un verset tiré de l’Épître aux Romains : « Ni orgies, ni beuveries, ni luxure, ni débauche, ni querelles, ni jalousies. Mais revêtez le Seigneur Jésus-Christ » (III, 13-14).

Le trouble disparut. Il se sentit léger et confiant. Il n’avait plus besoin de se soucier d’une femme riche ni de chercher un endroit et des fonds pour subvenir aux besoins de sa communauté ou pour satisfaire ses appétits passionnels. Il n’avait qu’à devenir chrétien et se donner entièrement au service de l’Église. Mettant son doigt dans le livre pour garder la page, il se dirigea vers Alypius et lui dit ce qui était arrivé quelques minutes plus tôt ; il découvrit qu’Alypius venait aussi de traverser une crise dont il n’avait rien dit. Alypius lui prit le livre des mains et lut le verset que voici : « Que celui qui est faible dans la foi vous suive », et il l’appliqua à lui-même, annonçant qu’il entrerait dans l’Église à la suite d’Augustin. Ils rentrèrent chez eux et racontèrent à Monique, qui n’avait jamais prévu une telle transformation, ce qui s’était passé. Elle avait prié pour qu’il se mariât et suivît une règle de vie chrétienne. Mais il ne lui était jamais venu à l’esprit qu’il pourrait renoncer au monde pour l’Église. Elle fut remplie d’étonnement et de joie.

Dès lors, tout s’arrangea ; le temps de l’ambiguïté, des luttes et des cruautés prit fin. Augustin, Monique, Adéodat et Alypius allèrent habiter la villa d’un ami, sur la colline au-dessus du lac Varèse. Augustin passa l’hiver à enseigner à quelques Africains et à écrire quelques ouvrages charmants par les descriptions qu’il faisait du paysage italien, par la peinture de la psychologie de ses élèves et par la sérénité lumineuse qui s’en dégage. À Pâques, Augustin, Adéodat et Alypius furent baptisés à Milan par Ambroise. Puis, ils se tournèrent vers leur patrie. En juin, ils étaient au port d’Ostie, attendant un bateau qui devait les conduire en Afrique. À ce moment, l’Italie était dans des troubles graves, l’usurpateur Maxime s’apprêtait à traverser les Alpes et à fondre sur Milan ; l’empereur Valentinien se trouvait à la veille de la longue fuite qui devait se terminer par sa captivité et par sa mort. Mais le petit groupe était tranquille. Un jour, Augustin et Monique étaient assis près d’une fenêtre qui donnait sur une cour de jardin ; ils parlèrent de l’amour de Dieu et, pendant un moment, ils communiquèrent avec Lui : « Tandis que nous parlions ainsi de Sa Sagesse en aspirant à elle, nous réussîmes un instant à l’atteindre, dans un effort total de nos cœurs, écrivit Augustin, puis, soupirant et laissant fixés à cette sagesse divine les premiers fruits de notre spiritualité, nous revînmes au son de notre langage humain. » Ce passage rend compte de l’une des expériences les plus intenses qui aient jamais été faites. Il a l’ampleur de Milton, mais Milton, peut-être pour la simple raison qu’il était un maître du langage humain, ne s’élança jamais vers une région où il pouvait entendre le langage céleste ; et c’est ce langage qu’Augustin nous convainc qu’il a entendu.

Monique sentit qu’elle n’avait plus besoin de vivre encore. Elle ne tarda pas à mourir. À la lecture du récit que fait Augustin de cette mort, les hommes et les femmes qui n’ont pas encore perdu leur père ou leur mère peuvent prévoir le chagrin qu’ils ressentiront. Il ne redouta pas de revivre chaque instant de sa souffrance, du moment que sa loyauté d’esprit exigeait qu’il écrivît ce qui avait réellement été. Cette année-là, Augustin avait trente-deux ans ; il mourut à soixante-seize. Tout le temps qu’il avait encore à vivre fut consacré au service de l’Église. Ce même été, il ne fit pas de voyage en Afrique, mais alla à Rome où il écrivit quelques ouvrages contre le manichéisme, probablement à la demande du nouveau pape, Siricius, grand ennemi de ces hérétiques. En août, il revint en Afrique du Nord et utilisa sa part de la fortune de son père à fonder une petite maison religieuse. Il y vécut très heureux trois ans, écrivant sans cesse. Mais il fut victime du grand danger de cette époque, qui était l’épiscopat obligatoire. Lorsque l’Empire de Rome s’écroula, le christianisme occupa l’espace devenu vacant. Il apportait aux populations un sentiment de sécurité, mais réclamait des prêtres pour prêcher la doctrine du salut, pour indiquer l’orthodoxie stable, et pour mettre fin aux querelles de l’hérésie naissante ; le peuple avait besoin de prêtres pour faire la charité, apaiser les disputes, remplacer peu à peu les fonctionnaires de l’administration chancelante qui avaient été chassés. C’est ainsi qu’une congrégation qui manquait de prêtres (les prêtres étaient rares) pouvait s’emparer de la première personne venue, la traîner à l’autel et la consacrer de force. Cela arriva souvent à des personnages officiels qui n’avaient aucun penchant pour la prêtrise ; mais cela pouvait aussi arriver à un religieux qui avait trouvé sa vocation dans la vie monastique et n’avait aucun goût pour les devoirs apostoliques. Il en fut ainsi d’Augustin qui, lorsqu’il alla visiter la ville d’Hippone 1 pour y convertir un païen, fut enlevé, consacré prêtre et plus tard sacré évêque.

Le reste de sa vie, Augustin mena de front, avec un succès surprenant, deux carrières ; écrivain fécond, il énonçait des définitions de la foi, étudiait les problèmes politiques et philosophiques à la lumière du christianisme, participant hardiment aux controverses sur les sujets de théologie ou de culture ; et il écrivait de longues lettres, remplies de conseils, aux personnes que le doute spirituel envahissait. Il assumait également des fonctions administratives, qui ne cessaient de s’étendre à mesure que le désordre civil et la pauvreté augmentaient, à mesure que les forces hérétiques se multipliaient et s’excitaient, et que les menaces d’invasion, venant des peuplades du Sud et des barbares du Nord, risquaient de se réaliser. On est tenté d’affirmer qu’aucun homme n’a jamais autant travaillé. Il était encore en fonction quand les Vandales firent voile d’Espagne vers l’Afrique et balayèrent de leur route les Romains et les Visigoths. Il était à Hippone quand la ville fut assiégée ; il mourut pendant la défaite, en priant stoïquement : « Je demande à Dieu de délivrer cette ville de ses ennemis ou, si cela est impossible, de nous donner la force de supporter Sa Volonté. Au moins qu’Il me retire de ce monde et me reçoive dans Son Sein. » Jusqu’à la fin, il demeura sous l’empire de la vérité, et ne prétendit pas trouver de plaisir au châtiment infligé par la main de Dieu. Il n’avait jamais abandonné le service de la vérité durant ces quarante ans où il fut à la fois écrivain et homme d’action. Naturellement, il avait commis quelques fautes ; il avait souvent manqué de tact et de finesse, ou méconnu les mérites des autres ; mais il avait toujours consigné par écrit ce qu’il était lui-même à ses propres yeux. Il ne voulait pas enterrer la vérité. Au nombre des présents qu’Augustin a faits à l’humanité, il faut compter le plaisir qu’on prend à le lire. Il y a dans son œuvre bien peu de pages, sur quelque sujet que ce soit, où il n’échauffe dès les premières phrases l’intérêt du lecteur. La description qu’il fait de l’extase qui les enveloppa, sa mère et lui, comme ils se tenaient à la fenêtre, révèle l’essence du mysticisme au lecteur le moins mystique, et confirme à quel point cette expérience prime toutes les autres ; la lettre où il recommande à une pieuse dame, Ecdicia, de ne plus ennuyer son mari par ses âneries est un chef-d’œuvre d’humour, et d’humour conscient. Mais la qualité grâce à laquelle il rendit les plus grands services à l’humanité est probablement son amour de la vérité. Il en donne une preuve éclatante quand il explique, sans s’excuser, dans quel bourbier de médiocrité il s’était enfoncé à Milan. Marquons bien qu’il ne grinçait pas des dents devant son abjection afin de rendre plus frappant, par contraste, son redressement ultérieur. Il décrit simplement cette phase, telle qu’elle fut. Sachant cela, il est significatif que ce même homme ait affirmé, dans toutes ses œuvres, qu’il était en relations constantes avec un Dieu réel. Bien d’autres gens qui ont parlé de ces relations ont été des faibles, incapables de regarder des faits en face, et que l’on pourrait soupçonner d’inventer un Dieu pour échapper à la nécessité de considérer l’univers comme un chaos dépourvu de sens. Mais Augustin ne risque pas d’être soupçonné d’une telle faiblesse. Quand il dit qu’il connaissait Dieu, il faut admettre que réellement quelque chose se produisait, quelque chose que sa perception et son intelligence interprétaient comme étant la connaissance de Dieu ; et aucun de nous ne peut s’attribuer une perception aussi délicate ni un intellect aussi vigoureux.

 

 

 

Rebecca WEST.

 

Recueilli dans Les saints que nous aimons,

textes réunis par Clare Boothe Luce,

Amiot-Dumont, 1954.

  

 

 



1 Anciennement Hippo-Regius, ville romaine de Numidie dont les ruines se trouvent à deux kilomètres au sud de Bône (Algérie). Tombeau de saint Augustin. Basilique construite sur une colline et qui porte son nom (N. des Édit.).

 

 

 

 

 

 

 

 

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