Une découverte métaphysique
par
Teodor de WYZEWA
Pour la première fois peut-être, depuis que des hommes de loisir l’ont jadis inventée, la métaphysique vient de faire un pas en avant. Grâce à un médecin américain, M. Richard Hodgson, et à une certaine Mrs Piper, médium et l’une des notabilités de Boston, la métaphysique est enfin parvenue à se procurer une preuve absolument positive, matérielle même, de cette immortalité de l’âme dont elle s’était jusqu’ici bornée, un peu en l’air, à nous affirmer l’existence. Oui, c’est maintenant une vérité acquise : l’âme est immortelle ! Et l’on comprendra que, à l’exposition d’une vérité aussi importante, la revue anglaise Proceedings of the Society for psychical research ait cru devoir consacrer toutes les trois cents pages de sa dernière livraison. Je ne puis, hélas ! lui consacrer ici qu’une centaine de lignes, mais je vais du moins essayer d’indiquer rapidement les circonstances où s’est produite une découverte destinée, si je ne me trompe, à dépasser en célébrité celles mêmes du phonographe et de la machine à écrire.
Au mois de fevrier 1802 mourut par accident, dans une rue de New York, un jeune avocat, nommé George Pelham, qui avait partagé sa vie entre l’étude du droit et celle des problèmes de la métaphysique. Peu de temps avant sa mort, il s’était entretenu avec son ami M. Hodgson de l’immortalité de l’âme, qu’il tenait pour une belle chimère, puisque, en tout cas, la preuve en était à jamais impossible. M. Hodgson, au contraire, croyait à la survivance de l’âme. Les deux amis s’échauffèrent, multiplièrent les arguments et finirent par se jurer que celui des deux qui mourrait avant l’autre, au cas où son âme lui serait maintenue, ferait tout au monde – à l’autre monde – pour révéler à son ami ce qui en était.
Or, il advint que quatre ou cinq semaines après la mort de Pelham, M. Hodgson assista chez Mrs Piper à une séance de spiritisme, en compagnie d’un autre ami du défunt, M. Hart, qui avait précisément sur lui des objets ayant appartenu à leur ami commun. Et voici que Mrs Piper, ou plutôt l’esprit qui parlait par sa voix, déclara tout à coup que George Pelham était là. Et non seulement il était là, en effet, quoique invisible, mais, pour prouver sa présence ; il rappela à MM. Hodgson et Hart des détails d’entretiens intimes qu’il avait eus avec eux. Et ce ne fut pas tout. Il dit encore à ces messieurs des choses que ni eux ni Mrs Piper ne pouvaient certainement pas connaître : de sorte qu’il n’y avait pas à penser à une auto-suggestion de leur part. Il leur raconta en détail une conversation qu’il avait eue jadis avec sa fiancée, la fille de ses voisins de campagne, les Howard. La conversation fut, par la suite, reconnue absolument exacte.
M. Hodgson, cependant, avait beau croire à l’immortalité de l’âme : il était médecin et s’estimait tenu au scepticisme scientifique. Il s’ingénia donc à accumuler les contre-épreuves, à mettre en doute l’évidence même, à entourer ses conversations avec son défunt ami d’un formidable appareil de garanties et de précautions. Il y fit assister d’autres personnes ayant connu Pelham, d’autres encore qui ne l’avaient point connu. À toutes, le mort fit des réponses pleines de tact, exactement celles qu’il leur aurait faites s’il les avait rencontrées, en parfaite vie, dans un salon de New York.
Pour tout le détail de ces épreuves et témoignages, je ne puis que renvoyer au rapport de M. Hodgson. J’avoue qu’ils me paraissent aussi solidement établis que peuvent l’être des comptes rendus d’expériences scientifiques. Et une chose en ressort avec une certitude absolue : c’est que Mrs Piper, à l’état de sommeil magnétique, s’est assimilé d’une façon irréprochable l’âme d’un mort qu’elle ne connaissait pas, et dont cependant elle s’est trouvée savoir jusqu’aux plus intimes pensées. Il y a là une expérience de spiritisme rigoureusement scientifique et dont on ne peut nier qu’elle ait produit un résultat surnaturel, si l’on admet, avec les savants, qu’il y ait des choses naturelles et d’autres surnaturelles ; ce qui m’a toujours paru, en vérité, difficile à admettre, les choses les plus simples de la vie m’ayant toujours semblé pour le moins aussi singulières et inexplicables que toutes les imaginations des Mille et Une nuits. Mais on ne saurait nier que Mrs Piper n’ait révélé aux amis de feu Pelham des détails exacts que lui seul pouvait connaître. Et le plus étonnant est qu’en outre elle leur a dit, en son nom, des choses assez raisonnables, au lieu des invraisemblables sottises que débitent à l’ordinaire les médiums, au nom de Socrate, de Victor Hugo et des autres grands esprits qui sont censés nous parler par leur bouche.
Un jour, en effet, Pelham fit savoir à M. Hodgson qu’il voulait s’entretenir avec lui de la vie de l’âme après la mort. L’entretien eut lieu en présence des Howard, qui n’hésitèrent pas, eux non plus, à reconnaître leur défunt ami dans l’esprit qui parlait devant eux.
« Jim ! dit familièrement feu Pelham à M. Hodgson, est-ce vous ? Je suis bien heureux de vous retrouver. Je suis d’ailleurs très heureux ici, mais surtout depuis que je puis m’entretenir avec vous. Je ne puis encore, pour ainsi dire, rien faire ; je viens de m’éveiller à la réalité de la vie après la mort. Dans les premiers moments, c’était comme une nuit noire, impossible de rien distinguer, les ténèbres, qui précèdent l’aube, vous savez ce que je veux dire ? J’étais perdu, assommé. Mais bientôt je vais être assez remis pour pouvoir m’occuper... Si vous saviez comme j’ai été surpris de me trouver vivant. J’étais si absolument certain que tout finissait avec la mort ! Mais c’est que nous avons un fac-similé astral de notre corps matériel. »
Tels sont les faits que nous rapporte M. Hodgson. Je m’aperçois qu’ils ne prouvent, jusqu’à présent, que l’immortalité de la seule âme de feu George Pelham. Mais n’est-ce point assez l’habitude des soi-disant « esprit forts » de déclarer qu’ils croiront à l’existence de l’autre monde le jour où une seule âme en sera revenue ? Pour ceux-là, la lecture de la dernière livraison des Proceedings of the Society for psychical research aura un intérêt bien plus grand encore que pour ceux qui, trouvant dans leur cœur une affirmation suffisamment forte de l’immortalité de l’Amin, n’ont besoin d’aucun médium pour achever de les en convaincre.
T. DE WYZEWA.
Paru dans Le Temps en mai 1898
et repris dans L’Écho du merveilleux
en juin 1898.