L’extase
Seigneur Dieu, je t’ai vu ; un esprit, cette nuit,
T’a rencontré sur tes chemins.
J’étais seul, au sommet d’une colline ;
Tous mes sens surmenés souffraient d’une stupeur ;
En ma pensée avaient trop pénétré
L’inconcevable espace azuré de la nuit –
L’azur qui nous paraît si proche d’être
L’aspect même de la divinité, –
Et les astres indestructibles.
Je ressentais l’effroi de cette permanence,
Et la grandeur et les lois fixes m’accablaient.
Tout autour de moi je voyais
La barrière immuable des lois,
Et comme un réseau de tiges brillantes,
Les magnétismes actifs des soleils,
Emprisonnant, au sein de l’étendue,
Ma pensée, abritée ainsi de l’infini.
C’est alors que, à l’improviste –
Le temps, peut-être, que mon cœur, tout à sa tâche,
Lançât mon sang deux fois dans sa brève carrière, –
Je fus ravi au-dessus de la certitude,
Et tombai hors de la durée.
Comme d’une affligeante et longue calomnie,
Un juste arrêt soudain vint me purifier
De l’ordinaire erreur du Grand et du Petit.
J’étais hors des rebords flamboyants de l’espace,
Et hors de ce recoin, la conscience.
N’étais-je donc pas au milieu de toi,
Seigneur Dieu ?...
Lascelles ABERCROMBIE.
Traduit de l’anglais par Louis Cazamian.
Recueilli dans Dieu et ses poètes, par Pierre Haïat,
Desclée de Brouwer, 1987.