La miche
C’est une miche un peu pâlotte et citadine,
Un petit pain de raisins d’or tout moucheté.
Selon l’usage, en tranches fines présenté,
Bien croustillant, frais émoulu de la machine.
Ta vigilante main nous en fait le partage.
Et l’arôme exaltant doucement nous bénit.
Sous mon front visité il a cherché son nid,
L’esprit du blé qui nous surprend du fond des âges.
Et j’ai fermé les yeux, et mon rêve défaille
Sous les âpres senteurs des labours dans le vent.
Voici la terre offerte et les chevaux bravant
Le sillon neuf et dur dont croulent les entrailles.
Lorsque tant de beauté dans l’ombre nous oppresse,
Est-ce le cri de Dieu triomphant qui m’étreint ?
Le grain germe en étoile où le soleil s’éteint
Quand ton geste semeur nous incante d’ivresse.
Avant le juin fleuri parfumé de groseilles
Sourions sans retard aux jouvences de mai.
Trop vite la moisson déposera le faix,
Les pétales brûlants sont saccagés d’abeilles
Que le vertige blond m’élise dans la fête !
Qu’il soit multiplié, le prodige, à foison !
Midi des étés mûrs épuise ses tisons,
Et mon cœur lâche enfin toutes ses alouettes.
Le cycle est clos pour que demain tout recommence.
Venez les moissonneurs, venez, les fils du ciel !
Enserrons dans la joie l’univers fraternel
Dont l’âme, fièrement, bat en nos mains immenses.
. . . . .
Ne revoyez-vous pas l’aïeule aux nattes grises
Appuyer sur son sein le pain lourd, de froment
Et son couteau d’acier s’attarder un moment
Au rite familier d’une croix imprécise ?
Lucy ABRASSART, Le cri neuf et le don,
Éditions du C.E.L.F., 1961.