Actions de grâces
Non, je ne dirai pas que la vie est amère !
– Aux temps lointains et doux de l’enfance éphémère,
Seigneur, tu m’as donné les baisers de ma mère,
L’eau fraîche de la source et le pain du glaneur :
– Je te bénis, Seigneur !
Non, je ne dirai pas que la vie est funeste !
– Sur mon berceau d’osier, un coin d’azur céleste
Venait très doucement par la vitre modeste,
Et m’apportait l’odeur des lis épanouis :
– Seigneur, je te bénis !
Non, je ne dirai pas que la vie est mauvaise !
– Près du petit foyer nous étions tout à l’aise,
Et, chaque soir, le père, accoudé sur sa chaise,
Grave, nous apprenait le travail et l’honneur :
– Je te bénis, Seigneur !
Non, je ne crierai pas : – « La vie est morne et sombre ! »
– De mes déceptions Dieu seul connaît le nombre :
Mais l’amour, cette étoile, a brillé dans mon ombre,
Mais avril a jeté des chansons plein les nids :
– Seigneur, je te bénis !
Non, je ne dirai pas que la vie est morose !
– J’ai trouvé des gazons qu’une eau courante arrose ;
Mes doigts se sont blessés, mais j’ai cueilli la rose ;
Le soleil a doré le blé du moissonneur :
– Je te bénis, Seigneur !
Non, je ne dirai pas : « La vie est un martyre ! »
– Mon cœur, qui sait pleurer, ne sut jamais maudire,
Car j’ai senti passer sur mes pleurs un sourire
Et sur mes maux d’un jour des espoirs infinis :
– Seigneur, je te bénis !
F.-E. ADAM.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.