Les voix natales

 

                                                      À Jules Collard.

 

 

J’arrive. – Ô mon vieux bourg, salut ! – Une voix douce

Et vibrante me vient des buissons, des fossés ;

Autour de moi, partout, dans les airs, sous la mousse,

Je respire l’odeur de mes printemps passés !

 

J’arrive ! et mon regard avide se prolonge

De la plaine au coteau, du vallon jusqu’aux cieux ;

J’ai soif de l’air natal, et mon âme s’y plonge :

Une clarté d’aurore emplit soudain mes yeux.

 

Le vieux sol Combréen pour moi s’est mis en joie :

Il savait que son fils devait lui revenir ;

Toutes les fleurs que j’aime ont fleuri sur ma voie,

Chaque souffle qui passe apporte un souvenir.

 

J’arrive ! – Ô ma forêt harmonieuse et verte !

Voici mes grands ormeaux, le bouleau qui frémit,

Et la clairière vaste, au grand soleil ouverte.

Où mon rêve d’enfant tant de fois s’endormit.

 

Je veux y pénétrer encor : mes yeux peut-être

Reverront le sentier qui reçut tant d’aveux,

Et nos chiffres, gravés sur l’écorce du hêtre,

Et les bouquets, noués avec de blonds cheveux.

 

Voici l’étang profond et ses joncs longs et grêles,

Ses larges nénuphars et ses châtaignes d’eaux ;

La svelte libellule y mouille encor ses ailes,

Et la fauvette y niche encor dans les roseaux.

 

Puis, là-bas, c’est l’église et son clocher d’ardoise,

Et l’école, et la place où l’on jouait jadis,

Et l’humble toit natal, la maison villageoise

Dont l’amour maternel faisait un paradis.

 

Hélas ! hélas ! maison déserte et foyer vide !...

Notre tout petit nid n’a plus de cris joyeux :

Tous les oiseaux sont envolés ! La tombe avide

A pris les plus aimés pour en peupler les cieux.

 

Mais de mes jours fleuris, de mes heures vermeilles,

Mais du passé béni tout n’est pas effacé :

Quand je ferme mes yeux, – mon cœur et mes oreilles

S’emplissent du parfum et des voix du passé.

 

C’est qu’ici le cœur bar et que le front s’élève,

Ô terre où je suis né ! Comme aux vieux jours, ton flanc

Garde l’intarissable et vigoureuse sève

Qui monte au cœur de l’homme et qui refait le sang.

 

Ton fécondant amour réchauffe ma poitrine,

Tout mon corps se redresse et palpite en tes bras ;

Ta voix, comme un baiser caressante et divine,

Me dit tout bas : « Enfant, reste ici, tu vivras !

 

» Tu vivras avec moi qui t’attends et qui t’aime,

Près de la fleur qui s’ouvre et répand ses parfums,

À l’ombre du clocher qui sonna ton baptême,

Prés de l’enclos paisible où sont tes chers défunts !

 

» J’aurai toujours pour mettre un sourire à ton rêve,

Pour bercer ton sommeil sous mes chênes sacrés,

Ces chansons d’autrefois qui font l’heure si brève,

Des coins d’azur au ciel et de verdure aux prés.

 

» Reste, nous t’appelons : chez nous ta place est prête ;

L’air manque à la cité, hâte-toi d’en sortir ;

Tu peux chanter, tu peux prier ici, poète :

Dans la paix des grands bois Dieu se fait mieux sentir ! »

 

– Ainsi vous me parliez, bois sacrés, terre agreste,

Votre souffle a rempli mon âme, ... et j’ai pleuré,

Ô voix de mon pays, car vous m’avez dit : « Reste ! »

Et moi j’ai dû répondre, hélas ! « Je reviendrai ! »

 

 

 

F.-E. ADAM.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1893.

 

 

 

 

 

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