La rose de Biskra

 

 

L’océan de sable a dé vrais rivages,

Plats, nus, désolés, – déjà le désert.

J’ai rencontré là deux enfants sauvages...,

Rien, autour de nous, de frais ni de vert.

 

Au désert, la vie a soif, et se traîne,

Implorant l’eau, l’ombre, un peu de sommeil ;

Et rien ne dit mieux la misère humaine

Que tant de néant sous tant de soleil !

 

Rien, autour de nous, que la plaine rousse ;

Plus d’oiseaux, sinon un seul cependant,

Qui s’élève avec une gamme douce,

Douce, – et qui se pose en la descendant.

 

Et les deux petits, souillés de poussière,

N’étaient que douleurs, misères et haillons...

Oh ! pourquoi fais-tu, Dieu de la lumière,

Misère pareille, avec tes rayons ?

 

Ils passaient, muets, tristes, l’air farouche,

– Et sales !... c’était pitié de les voir.

Le garçon tenait un doigt dans sa bouche,

La fillette avait un petit miroir.

 

Les haillons faisaient un grand pli superbe,

Mais plein de vermine et d’impureté...

Pourquoi, Dieu, qui prend souci d’un brin d’herbe,

Fais-tu la misère, avec la clarté ?

 

Et pour leur donner, – hélas ! peu de chose ! –

Quand je m’arrêtai près d’eux un moment,

Je vis qu’ils avaient chacun une rose,

Toute fraîche encor sur leur front charmant.

 

L’oasis est loin, la fleur toute fraîche.

Où l’ont-ils cueillie ? et par quel bonheur,

Dans l’horrible plaine où l’on se dessèche,

Le soleil a-t-il épargné la fleur ?

 

Oh ! même il l’a faite avec la rosée !

Et les deux petits, contents de la voir,

Dans leurs noirs cheveux, vite, l’ont posée

Comme un gage sûr d’amour et d’espoir.

 

Rose consolante, ô rose divine,

Je sais d’où tu viens, fleur faite de jour :

Tout le sang des cœurs est dans ta racine,

La terre t’invoque en pleurant d’amour !

 

La misère humaine aspire à toi, Rose,

Luxueux parfum, splendide couleur !

Tout le désert rêve une seule chose :

Une goutte d’eau pour faire une fleur !

 

Si l’on te niait, chaque grain de sable

Au fond du désert en témoignera :

Je t’ai vue un jour, rose impérissable

Que Dieu fait fleurir dans le Sahara !

 

 

 

Jean AICARD.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1893.

 

 

 

 

 

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