Petites étoiles

 

 

                                                 À Mme A. Daudet.

 

 

Une étoile file et tombe dans la nuit...

Oh ! non, pas de chutes, petites étoiles ;

Demeurez impénétrables sous ces voiles

À travers lesquels votre doux regard luit...

Une étoile file et tombe dans la nuit...

 

Lampes utiles et jamais encrassées,

Veilleuses durables de style ancien,

Du romantique jusqu’au parnassien,

À chaque exposition récompensées,

Lampes utiles et jamais encrassées !

 

Ah ! si vous tombez, que nous restera-t-il ?

Que voulez-vous toute la nuit qu’on regarde ?

Restez, pour luire à notre pensée hagarde,

Ah ! que voulez-vous qui rie à notre exil,

Ah ! si vous tombez, que nous restera-t-il ?

 

Demeurez, demeurez toujours enchâssées

Sur la carapace du céleste azur,

Brillant d’un éclat éternellement pur,

Toujours neuves et fraîches, jamais lasses,

Demeurez, demeurez toujours enchâssées...

 

Le poète vous décroche chaque soir,

Petites étoiles qu’il sème à la pelle.

À travers la chevelure de sa belle

(Des cheveux ! que c’en est comme un drapeau noir),

Le poète vous décroche chaque soir.

 

Dans l’éther où vous ruisselez en rivière,

Rivière intarissable de diamants,

Vers vous chante la prière des amants,

Vers vous les amants éplorent leur prière,

Dans l’éther où vous ruisselez en rivière...

 

Vous montrez aux noctambules leur chemin,

Vers Bethléem ou la Foire aux pains d’épices,

Et, à ceux qui ont trop bu, le mur propice

Ou la haie en fleurs au tournant du chemin,

Vous montrez aux noctambules leur chemin...

 

Moi – tels les ivrognes déversent leur âme –

Attendant que le jour me close le bec,

Les nuits de cœur et de bourse très à sec,

Je vous déchante d’une lyre qui brame,

Comme les ivrognes déversent leur âme.

 

Pour nous tous, il vous faut demeurer là-haut !

Ne descendez pas courir la pretantaine,

Demeurez dans votre honnêteté hautaine,

Étoiles comme il faut et comme il en faut,

Pour nous tous, il vous faut demeurer là-haut.

 

Demeurez là-haut, que l’on vous y admire,

À grand renfort de languides pâmoisons,

Du clair de lune à la clef, et des chansons

À faire péter les cordes de la lyre,

Demeurez là-haut, que l’on vous y admire.

 

Vous qui refleurissez si célestement,

Corolles au crépuscule épanouies,

Corolles par les aubes évanouies,

Au parterre nocturne du firmament,

Vous qui refleurissez si célestement.

 

Bonnes petites étoiles à tout faire,

En vers français, en vers grec, en vers latin,

Incognito, du soir jusqu’au matin,

Continuez à luire dans le mystère,

Bonnes petites étoiles à tout faire !

 

Chaque nuit, je vous contemple rissoler,

Claires étoiles au haut de la coupole

De fer-blanc bleu, comme d’une casserole,

Étoiles à toutes sauces, sans brûler,

Chaque nuit, je vous contemple rissoler...

 

Ah ! si quelqu’une me tombait toute cuite,

Une petite étoile bien cuite à point !

Elles partent, mais ne nous arrivent point,

Et elles arrêtent en route leur fuite...

Ah ! si quelqu’une me tombait toute cuite...

 

Puisque nulle ne veut tomber jusqu’à nous,

Étoiles parmi lesquelles est la mienne,

Mon étoile, petite, grosse ou moyenne,

Si je rampais jusque vers vous à genoux,

Puisque nulle ne veut tomber jusqu’à nous ?

 

Oh ! j’ai tant envie aussi d’en cueillir une,

Une, savoureuse, où mordre à pleines dents,

Pour goûter un peu ce qu’il y a dedans,

Si on les cueillait comme on cueille une prune,

Oh ! j’ai tant envie aussi d’en cueillir une !

 

Petites étoiles qui êtes aux cieux,

Aux cieux bleus (du moins autant qu’ils peuvent l’être

Avec toutes les sautes du baromètre),

Vous que supplient les regards de tous les yeux,

Petites étoiles qui êtes aux cieux.

 

Ô vous qui saupoudrez la céleste croûte,

Comme de la lune en poudre – à deux genoux,

Oui, j’ai rêvé de ramper jusqu’à vous,

De découvrir jusqu’à vous quelque route,

Ô vous qui saupoudrez la céleste croûte !

 

Mais, quoi ! grâces aux leçons de Monsieur Paz,

Si je parvenais à franchir l’étendue,

Peut-être n’offririez-vous plus à ma vue

Que quelques rangs sinistres de becs de gaz !

Grâces aux gymnastiques de Monsieur Paz !

 

Alors, quoi ! vaut bien mieux garder ses distances !

Restez à vous dorloter au firmament

Comme si vous étiez étoiles vraiment,

Et nous à nous traîner dans nos existences,

En vous admirant simplement à distance.

 

 

 

Jean AJALBERT.

 

Paru dans La Grande Revue en 1889.

 

 

 

 

 

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