Tu portes César
César, ce n’est pas toi que poursuit la tempête.
Va, le ciel te redoute, et l’orage s’arrête
Devant ton regard souverain.
Eh ! que t’importe à toi que le tonnerre gronde ?
Ton front de conquérant porte le sort du monde,
Comme un sceau frappé sur l’airain !
Le ciel s’était voilé d’une sombre colère...
Ton frêle esquif la brave, et, mieux qu’une galère,
Se joue avec le flot mutin.
Non, non, en vain les dieux s’en mêlent : Rome tremble.
Que Pompée ait à lui Rome et les dieux ensemble,
À toi, César, est le destin !
Pourtant la mer est grosse et la nuit ténébreuse ;
Notre œil ne saurait voir le sillon qui se creuse,
Nul bras gouverner qu’au hasard ;
Il tonne, et sur l’abîme où sa fortune flotte,
L’éclair ne montre au loin que la mort... Ô pilote,
Ne crains rien : tu portes César !
Oui, ta barque est livrée à la vague écumante ;
La mort est devant toi, debout dans la tourmente,
Qui te menace en traits de feu,
Ô France ! Va toujours, sans regarder l’orage,
Tu portes l’avenir ! Ne crains pas le naufrage :
Ô ma France, tu portes Dieu !
J.-E. ALAUX.
Paru L’Année des poètes en 1892.