À ma fille
Sois longtemps, jeune fille, et rieuse et légère :
La vie, à la goûter, devient bien vite amère,
Et l’on regrette en vain ce temps déjà passé,
Ce temps d’insouciance en riant traversé :
Il a fui pour toujours ! – De tes blondes années,
Fleurs écloses à peine et dans un jour fanées,
Respire les parfums bientôt évanouis :
Le soir vient – et l’hiver. Ô jeune enfant, jouis !
Et tandis que la vie à tes yeux se déroule
Comme un gai carrefour où se répand la foule ;
Tandis que tu ne vois que riantes couleurs,
Ciel bleu, jaunes moissons, bois, prés couverts de fleurs ;
Que d’objets en objets ta main coure incertaine ;
Que ta pensée en toi jamais ne se ramène ;
Que le ruisseau serpente à flots joyeux et clairs,
Si loin encor d’aller se perdre aux sombres mers,
N’aperçois pas, enfant, qu’un père te contemple,
Que son visage est grave, et, comme en un saint temple,
Qu’il se recueille et prie, en silence implorant
Pour toi, pour ton bonheur, le Dieu seul vrai, seul grand.
Qu’y pourrai-je en effet, à moins que Dieu ne veuille ?
Que suis-je devant lui ? l’insecte sur la feuille
Qu’emporte dans les airs l’ouragan qui mugit.
Mais il aime, ce Dieu, le front pur qui rougit,
Le cœur selon sa loi, dont les chastes pensées,
Loin du monde et du bruit saintement amassées,
Comme la fleur grimpant autour de son soutien,
Ont monté vers son trône : – et ce cœur, c’est le tien.
A. ALISSE, de Metz.
Paru dans L’Austrasie,
revue du Nord-Est de la France,
en 1837.