La ressemblance...

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

ALOUETTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avec quelque dépit, ce matin, je regardais mes mains..., mes mains jadis fines et blanches, que le labeur quotidien, à la longue, a déformées.

Le culte de l’esthétique, plus que la vanité, était cause de cette impatience.

Et voici qu’à mon esprit se présentèrent d’autres mains... Pendant une seconde elles s’offrirent à ma vue de façon si nette, si précise, elles se firent si vivantes, si palpables, qu’il me sembla que mes lèvres en pouvaient baiser toutes les meurtrissures...

Car ces mains-là n’étaient point seulement déformées... elles portaient la trace indélébile de la douleur, et un grand trou les perçait en leur milieu !

Et devant cette vision, le mouvement d’impatience qui m’avait surprise se changea en une extrême confusion... Car, je le savais, ces mains n’avaient fait que le bien ! Plus nombreux que les grains de blé que l’homme ensemençant son champ lance dans les sillons, elles avaient répandu les bienfaits sur leur passage...

À la caresse de ces mains divines, les tout petits, les préférés du Maître, étaient venus offrir leurs fronts ravis... Quel amour dans le geste de Celui qui ne redoutait point d’abaisser sa puissance vers cette fragilité... !

Compatissantes, ces mains s’étaient tendues vers toutes les souffrances humaines, pour les guérir ou les soulager ! Miséricordieuses, elles s’étaient levées sur la foule coupable, non pour maudire, mais pour bénir et pardonner... !

Toutes-puissantes, sur les flots en courroux, un jour, elles s’étaient étendues... et dans le même instant la mer recouvrait son calme...

Divines, dans l’angoisse et l’abandon, au soir de la Cène, elles avaient offert au Créateur la coupe, prémices du sacrifice.

Puis enfin parachevant leur œuvre d’amour, après avoir tant donné, elles s’étaient données elles-mêmes... toutes grandes elles s’étaient ouvertes une dernière fois s’offrant aux clous des bourreaux...

Et voici qu’à la lumière émanant de cette vision, un renouveau se fit en moi... Je compris mieux encore le néant des vanités humaines et la nécessité de n’y point sacrifier.

Presque avec complaisance je contemplais mes mains !... mes mains cependant rougies et crevassées par le froid, et sur lesquelles le labeur quotidien avait imprimé sa trace ! Car je songeais au jugement de Dieu...

Combien, me disais-je, ce jugement différera de celui des hommes !

Dans sa soif de beauté, le monde n’a pour vous que du dédain, mains calleuses de paysans, mains rudes et déformées de travailleurs, mains suppliantes de malheureux... Il ne tend point vers vous, en un geste fraternel, ses mains fines et parfumées, le monde vous dédaigne... vous méprise, peut-être !...

Mais votre Dieu vous regarde avec complaisance, mais sur votre humble labeur l’Éternel se penche avec tendresse :

Car son fils bien-aimé eut des mains d’artisan...

Car en vous comparant avec les mains divines, percées et sanglantes, Il vous découvre une ressemblance...

Bienheureuses êtes-vous ! vous toutes qui portez le sceau de la douleur !...

Bienheureuses êtes-vous ! mains rudes de travailleurs, mains calleuses et crevassées où la souffrance s’est inscrite dans chaque ride !... Oui, bienheureuses êtes-vous !

Le Seigneur lui-même compte toutes vos meurtrissures !...

Bienheureuses êtes-vous ! pauvres mains vides qui vous élevez suppliantes, réclamant la nourriture de votre corps et le vêtement qui doit couvrir votre nudité !

Bienheureuses êtes-vous ! un enfant-Dieu connut votre immense détresse...

Bienheureuses êtes-vous ! mains compatissantes qui vous tendez vers ceux qui souffrent..., qui leur apportez le réconfort de votre affection et l’aide qu’ils attendent...

Bienheureuses êtes-vous ! mains bénies qui vous faites si douces, si tendres, si maternelles pour panser les plaies les plus affreuses, soigner les maux les plus répugnants !...

Bienheureuses êtes-vous, mains sacerdotales ! vous, qui tenant votre pouvoir de Dieu, vous élevez sur la créature coupable mais repentante, pour l’absoudre et la bénir !...

Oui, bienheureuses êtes-vous, dispensatrices de paix !...

Bienheureuses êtes-vous, mains toutes grandes ouvertes ! vous qui répandez sans compter l’or inépuisable de la charité... vous qui ne donnez cependant que de votre superflu et goûtez la joie de faire des heureux... ; mais combien vous êtes plus chères au Seigneur, combien vous serez bénies de son Cœur, vous qui donnez de votre nécessaire !...

Bienheureuses êtes-vous ! vous toutes enfin qui n’avez jamais repoussé une souffrance... vous qui vous tendez fraternelles pour consoler, pour soulager une détresse... vous toutes qui avez compris la grande loi d’amour !...

« J’avais faim, dira le Christ, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais blessé, souffrant, et vous m’avez pansé, soigné comme un frère... »

En vérité, votre récompense sera grande dans le ciel, mains miséricordieuses !...

Mais quelle sera votre confusion, combien terrible sera votre jugement, mains pleines des trésors de la terre et qui serez cependant, au dernier jour, désespérément vides !...

Malheur à vous ! mains coquettes et soignées, mains fines et parfumées qui craignez le rude contact de celles de vos frères... vous n’êtes ici-bas que des inutiles, des perfides quelquefois...

Oui, malheur à vous toutes, si, vous présentant au tribunal de Dieu, vous n’avez rien à Lui offrir pour votre défense !... si vos bonnes œuvres ne vous ont point précédées...

Malheur à vous ! mains jalousement fermées sur votre or !

Malheur à vous qui ne comprenez pas que vous n’êtes sur terre que les économes de Dieu !...

Malheur à vous, qui recourez aux moyens illicites pour vous procurer la fortune ! le monde vous envie peut-être, mais l’Éternel vous placera parmi les voleurs !...

Malheur à vous, mains traîtresses, qui combinez de savants artifices de toilette pour perdre les âmes...! De ces âmes il vous sera demandé un compte rigoureux !...

Malheur à vous, mains injustes, mains criminelles parfois... mains d’ouvriers qui sabotez le travail ; mains crochues qui recourez aux trusts, à la spéculation pour accumuler des richesses !... Des accidents résultant de votre négligence, des souffrances provenant de votre cupidité, vous rendrez un compte terrible... Tremblez ! car un jour vous entendrez cette parole : « Qu’as-tu fait de ton frère ? »

Oui, malheur à vous toutes, mains inutiles, frivoles, égoïstes, impitoyables, injustes, scélérates, sanglantes même parfois... Car le Juge, ne vous trouvant point de ressemblance avec le modèle divin, vous rejettera impitoyablement... « J’avais faim, j’avais soif, j’étais nu, je souffrais et vous ne m’avez ni nourri, ni désaltéré, ni soigné, ni vêtu...

Le temps de ma miséricorde est passé, voici le temps de ma justice... »

 

 

 

 

ALOUETTE.

 

Paru dans L’Ange gardien en 1922.

 

 

 

 

 

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