L’ange gardien
Lorsqu’à notre bonheur ta mère fut ravie,
Tu ne faisais encor que d’entrer dans la vie,
Chère enfant, et ton cœur n’en a pu retenir
Qu’un trop insuffisant et faible souvenir.
Eh bien ! s’il n’a gardé qu’une légère trace,
C’est à moi d’empêcher que le temps ne l’efface.
Te souvient-il encor qu’un jour je t’embrassai
En fixant sur tes yeux un regard insensé ?
À ce regard étrange, à cette brusque étreinte,
Tu te mis à pleurer frissonnante de crainte.
Tu ne comprenais point pourquoi, dans ce transport,
Mes deux bras et mes yeux t’enveloppaient si fort.
C’est que je savais, moi, qu’aux baisers de ton père
Ne se mêleraient plus les baisers de la mère,
Que je ne verrais plus ses yeux sourire aux tiens,
Dans vos jeux innocents, dans vos doux entretiens ;
Que tu venais de perdre un trésor de tendresses,
Que le ciel te sevrait de ta part de caresses.
Tu sais combien je t’aime, et si je suis joyeux
Lorsque je laisse errer ma bouche sur tes yeux,
Ou mes doigts à travers ta blonde chevelure,
Quand, sur le soir, à deux, nous faisons la lecture.
Mais cet amour, auquel ton cœur répond si bien,
Enfant, près d’un amour de mère, ce n’est rien.
Une mère, vois-tu, surtout pour une fille,
C’est un nid, un refuge, un toit, une famille.
Une fois chaque jour, si je viens t’embrasser,
À des soins étrangers vite il faut te laisser ;
Elle, – de son amour te couvrant à toute heure, –
Aurait, bien mieux que moi, rempli notre demeure.
On ne sait pas, ma fille, alors qu’on est enfant,
De combien de périls une mère défend ;
Quels plaisirs sa tendresse incessamment prépare,
Et de quelles vertus son exemple nous pare !
As-tu même gardé souvenance des soins
Que prodigua la tienne à tes premiers besoins ?
Que de fois je la vis sur ton berceau penchée !...
Que de fois au sommeil en sursaut arrachée !...
Aux moindres mouvements d’elle seule entendus,
Vers toi, pour te calmer, ses bras étaient tendus ;
Ses bras, ce sûr asile où l’enfant tout en larmes
Sèche sitôt ses yeux et cache ses alarmes !
Une nuit que ta sœur en pleurant l’appela,
Ta maman, demi-nue, auprès d’elle vola.
Le frisson la saisit en traversant la chambre ;
Elle revint glacée.... Il fait froid en décembre !
Nous la vîmes, dès lors, se faner et languir,
Pauvre fleur que nos soins ne devaient plus guérir !
Ainsi, pour son enfant elle a donné sa vie,
Et ta petite sœur l’a bien vite suivie ;
Ta mère l’aimait tant ! Dieu, pour la consoler,
Permit à notre enfant chéri de s’envoler ;
Mais, de nous réunir leur laissant l’espérance,
Voulut qu’elle veillât d’en haut sur ton enfance.
Quoique bien loin de nous, ta mère, dans les cieux,
Ne saurait plus te perdre un seul instant des yeux ;
Chaque bon mouvement qui dans ton cœur s’éveille,
C’est elle qui te vient l’inspirer à l’oreille ;
Pour le garder du mal, pour te former au bien,
C’est elle qui te sert de bon Ange gardien.
1835.
Louis ALVIN.
Recueilli dans Morceaux choisis des poètes belges,
B. Van Hollebeke, Namur, 1874.